B. DISCRIMINATION SUR LA BASE DE L'ORIENTATION SEXUELLE ET L'IDENTITÉ DE GENRE

Constatant la permanence de préjugés, voire de violences à l'encontre des communautés lesbienne, gay, bisexuelle ou transsexuelle, la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme a proposé à l'Assemblée deux projets de recommandation et de résolution visant à la fois à dénoncer les différentes formes de discrimination dont elles sont victimes, mais également à faciliter la reconnaissance juridique des couples de même sexe et un droit à la responsabilité parentale.

M. Jean-Paul Lecoq (Seine-Maritime - GDR) , intervenant au nom du groupe GUE, a souhaité rappeler les souffrances quotidiennes traversées par les membres de ces communautés :

« Je tiens à féliciter notre collègue M. Gross pour ce rapport courageux sur une question qui est loin d'être résolue aujourd'hui. Le travail de définition qu'il a opéré est essentiel pour comprendre l'importance du sujet du point de vue de la personne humaine. Par orientation sexuelle, on entend l'attirance émotive, affective et sexuelle d'une personne pour une autre. Cette orientation touchant à l'intime, elle est l'une des dimensions de l'identité humaine. Le nier, c'est remettre en cause la protection des droits fondamentaux.

Je reprendrai aussi sa définition d'une personne transgenre : c'est quelqu'un dont l'identité de genre ne correspond pas au genre qui lui a été assigné à la naissance. Là aussi, on se trouve confronté à une question essentielle : la manière dont on est défini extérieurement par la société et celle dont on se perçoit intimement, en quelque sorte l'expérience personnelle que l'on fait de son identité.

Ces deux questions sont liées du fait que les personnes ont une identité sexuelle vécue qui ne correspond pas à la norme qu'impose la société. Les tabous liés à ces questions se retrouvent dans un imaginaire négatif dans lequel la perception de l'autre est synonyme de déviance, de maladie mentale, sans compter les confusions entre homosexualité et pédophilie ! La dépénalisation de l'homosexualité, si elle est une victoire, n'est pas suffisante.

« Il y a un préjugé naturel qui porte l'homme à mépriser celui qui a été son inférieur, longtemps encore après qu'il est devenu son égal ; à l'inégalité réelle que produit la fortune ou la loi, succède toujours une inégalité imaginaire qui a ses racines dans les moeurs ». Ces paroles d'Alexis de Tocqueville extraites de son ouvrage De la démocratie en Amérique , sonnent toujours vraies. Les moeurs, ici, sont en retard sur la loi.

Un livre récent du journaliste Franck Chaumont, Homo-ghetto, Gay et lesbiennes dans les cités : les clandestins de la République , a mis en évidence dans une longue enquête de deux ans la souffrance de ceux qui, au milieu des cités ou des ghettos de pauvreté, sont doublement discriminés du fait de leur orientation sexuelle. A la violence verbale succède souvent la violence physique. La stigmatisation de la différence est encore plus forte dans des sociétés dans lesquelles la violence est le quotidien car les structures sont en déshérence. Le rejet de l'autre est d'autant plus certain.

La loi, ici, en ce qu'elle protège les moeurs, est en avance sur ceux-ci. Mais elle doit aller plus loin, changer les moeurs, promouvoir l'éducation à la différence pour que les droits des homosexuels et des transsexuels soient entièrement respectés dans les lieux dans lesquels ils vivent, afin qu'ils ne soient pas doublement stigmatisés : par la pauvreté et l'orientation sexuelle ou l'identité de genre.

Mais il faut aussi aller plus loin pour que les moeurs coïncident avec la loi.

Il importe en effet de rappeler que seule une sécurisation des situations juridiques sur le modèle des couples hétérosexuels permettra de mettre en concorde la loi avec les moeurs, les moeurs avec la loi. La Cour européenne des droits de l'Homme vient de condamner la France dans l'affaire E.B c/France (2008) pour un refus d'agrément à une adoption par une femme vivant avec une autre femme, alors que, par ailleurs, les services du Conseil général concerné accordaient des agréments à des personnes vivant seules. Le droit ne peut pas continuer à être aveugle en ne reconnaissant pas les mêmes droits aux couples homosexuels et aux couples hétérosexuels.

A cette révolution des moeurs doit répondre une révolution juridique : une égalité de droits entre les minorités sexuelles et la majorité sexuelle. Cependant, cette égalité de droits, pour faire véritablement coïncider révolution juridique et révolution des moeurs, ne doit pas être le préalable à la construction d'autres ghettos.

Je le redis ici solennellement : reconnaître l'identité sexuelle comme un droit fondamental à la différence est le socle sur lequel doit se bâtir une véritable société moderne et démocratique ! »

Mme Gisèle Gautier (Loire-Atlantique - UMP) a, pour sa part, présenté le dispositif retenu par la France pour lutter contre les discriminations :

« Qu'ont en commun l'empereur Hadrien, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Rimbaud, Proust, Gide, Colette, Rudolf Noureev ou Martina Navratilova ? Mis à part leur talent, ils pourraient tous être victimes de discriminations fondées sur l'orientation sexuelle. Sur ce sujet, M. Gross démontre une fois de plus son attachement à la défense des droits de l'Homme dans leur diversité. Son rapport a une portée didactique évidente grâce à une approche originale qui présente les préjugés les plus courants sur l'homosexualité pour en démontrer aussitôt les limites.

Car c'est bien cet écueil que rencontre la question : la prégnance des stéréotypes. Comme pour d'autres questions, la force des préjugés en la matière est difficile à combattre et souvent plus puissante que le respect des droits les plus élémentaires. Notre rapporteur relève la responsabilité en la matière des dirigeants politiques ou religieux de certains États membres du Conseil de l'Europe.

La France s'est dotée d'une législation anti-discriminations relativement complète. Elle a créé une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, autorité administrative indépendante instituée par une loi du 30 décembre 2004.

La HALDE a pour mission de lutter contre les discriminations prohibées par la loi, de diffuser l'information sur les droits des citoyens, d'accompagner les victimes et de promouvoir les bonnes pratiques. Elle entreprend également des actions de sensibilisation et de formation pour faire évoluer les pratiques et les mentalités. Elle peut être saisie - par courrier, par voie électronique ou par l'intermédiaire d'un correspondant local - par une personne privée, un parlementaire ou une association. Elle peut aussi se saisir elle-même de toute pratique dont elle a connaissance.

Ses moyens d'action sont relativement étendus. La HALDE a un pouvoir de recommandation et peut intervenir directement auprès des pouvoirs publics. Consultée par le gouvernement sur tout projet de loi relatif à la lutte contre les discriminations et à la promotion de l'égalité, elle peut aussi proposer une modification législative ou réglementaire et émettre des avis pour remédier aux pratiques discriminatoires. Par ailleurs, elle peut jouer un rôle de médiation et intervenir en vue d'une transaction pénale, ainsi que transmettre ses observations au procureur et aux tribunaux.

La HALDE a ainsi considéré comme discriminatoire le refus d'agrément opposé par un rectorat à une association souhaitant apporter son concours à l'enseignement public en matière de lutte contre l'homophobie. La Cour administrative d'appel, à laquelle la HALDE a présenté ses observations, a jugé que la lutte contre l'homophobie est un objectif d'intérêt général et a annulé la décision du recteur, qui a depuis accordé l'agrément à l'association. La HALDE s'est également prononcée par exemple sur l'exclusion du don de sang en raison de l'orientation sexuelle ou un refus de location d'une chambre d'hôtel à un couple homosexuel - cela existe encore aujourd'hui !

Grâce à la lutte contre les discriminations, peut-être un jour en Europe l'injure ne sera-t-elle plus une composante de l'identité personnelle des personnes homosexuelles. »

L'enjeu des textes présentés devant l'Assemblée, le nombre d'amendements qu'ils ont suscités et l'absence de délai pour examiner ces derniers ont conduit l'Assemblée à reporter le vote à la prochaine partie de session. Un rapport modifié sera alors présenté devant l'Assemblée.

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