E. QUE PEUT FAIRE L'EUROPE POUR HAÏTI ?
A la demande de la délégation italienne, l'Assemblée a organisé en son sein un débat d'urgence sur la situation à Haïti. L'ambition de tels échanges n'était pas de réfléchir à l'organisation de l'intervention humanitaire sur place, mais de s'interroger sur les conséquences de ce type de catastrophes en matière de droits de l'Homme.
Les modalités d'une contribution du Conseil de l'Europe à l'aide d'urgence puis à la reconstruction restent délicates à définir, comme l'ont souligné la plupart des orateurs. Le Conseil de l'Europe ne dispose ni de moyens financiers conséquents ni de pouvoir politique direct. La responsabilité d'une action dépend de ses États membres. Une organisation mondiale apparaît, à cet égard, plus qualifiée. Un certain nombre de participants au débat ont rappelé à quel point la coordination des aides octroyées par les États et les ONG devait être optimale pour éviter tout risque de dispersion et d'inefficacité concomitante. Le Conseil de l'Europe a, à cet égard, adopté un certain nombre de textes en la matière ces dernières années.
La question du droit d'ingérence est apparue en filigrane de ce débat. Les parlementaires ont insisté sur la nécessité que l'intervention étrangère en Haïti soit inscrite dans la durée et dépasse la simple réaction rapide, sous l'emprise de l'émotion. Des mesures structurelles doivent également être mises en oeuvre en vue de permettre à Haïti de devenir un État viable. Des dispositions visant à protéger effectivement la population doivent être adoptées. Des mesures doivent notamment être prises en faveur des mineurs. La disparition d'enfants dans les camps et dans les hôpitaux est un phénomène récurrent depuis la catastrophe. Organiser une évacuation légale vers l'Europe, les États-Unis ou le Canada fait courir le risque de déraciner ces enfants, à l'instar de ce qui a pu se pratiquer en ex-Yougoslavie, il y a près de vingt ans.
Le débat a également mis l'accent sur la nécessité d'annuler une partie de la dette d'Haïti, État en faillite depuis de nombreuses années. La réunion organisée en mars prochain à New York pourrait être l'occasion d'avancer sur ce dossier.
F. RÉTENTION ADMINISTRATIVE DES DEMANDEURS D'ASILE ET DES MIGRANTS IRRÉGULIERS EN EUROPE
Construits pour certains d'entre eux dans le contexte d'un afflux massif de migrants ces dernières années, deux cent trente-cinq centres de rétention administrative jalonnent le territoire de l'Union européenne pour une capacité de plus de trente mille places. Ces centres, comme tout lieu privatif de liberté, constituent un défi pour le Conseil de l'Europe, soucieux d'y faire respecter les valeurs qu'il promeut.
La commission des migrations, des réfugiés et de la population a en effet constaté que les conditions de vie et les garanties offertes aux migrants retenus peuvent être pires que celles réservées aux personnes placées en réclusion criminelle : saleté, manque d'hygiène, manque de lits, de vêtements, de nourriture ou de soins. La commission s'interroge parallèlement sur l'absence de clarté quant aux cas où la rétention est juridiquement justifiable, l'accès limité aux services d'un avocat fragilisant toute possibilité de remise en cause. Les politiques de rétention n'apparaissent pas, à trop d'égards, suffisamment transparentes.
M. Jean-Paul Lecoq (Seine-Maritime - GDR) , intervenant au nom du groupe GUE, a souhaité insister sur la confusion régulièrement entretenue entre demandeurs d'asile, migrants irréguliers et délinquants :
« Au préalable, il importe de rappeler que les demandeurs d'asile comme les migrants en situation irrégulière ne sont pas des délinquants. La rétention administrative n'est rien d'autre qu'une mesure d'enfermement qui limite la liberté d'aller et de venir de ces personnes qui, je le rappelle, n'ont commis ni crime ni délit. Elles souhaitent simplement trouver un asile ou des conditions de vie plus favorables que dans leur pays d'origine.
Ne nous voilons pas la face : les conditions de détention ou de rétention ont pour objectif, dans certains États, de dissuader les migrants et les demandeurs d'asile de choisir une autre destination.
Si l'État a le droit de se protéger et que la nationalité reste un pouvoir souverain et discrétionnaire, le traitement des personnes privées de liberté, dans l'attente que leur dossier soit examiné ou que leur reconduite à la frontière soit avérée, doit néanmoins rester un traitement humain. Or, force est de constater que ce n'est pas toujours le cas. La détention administrative doit rester le dernier recours alors qu'elle est souvent le premier.
Le projet de directive communautaire, intitulé « directive retour », qui projette une harmonisation des conditions de rétention, ouvre la possibilité aux États membres de garder les demandeurs d'asile ou les étrangers en situation irrégulière jusqu'à dix-huit mois sur leur sol, en attendant qu'une réponse soit apportée à leur demande.
Nous devons nous élever clairement contre cette proposition inique. Cela reviendrait à emprisonner pendant un an et demi une personne qui, je le répète, n'a commis ni crime ni délit.
Par ailleurs, les lieux dans lesquels s'opère la détention administrative ne sont pas conçus à cet effet. Souvent, il n'y a pas de différence entre lieux de détention, commissariats, prisons... et zones de rétention administrative.
De ce fait, la confusion entre la culpabilité et l'immigration ou la demande d'asile est d'autant plus facile, que ces personnes se retrouvent détenues dans les mêmes lieux que celles qui ont commis des délits.
Il faut clairement préciser que des centres, conçus à cet effet, doivent voir le jour pour accueillir dans des conditions décentes les personnes qui demandent l'asile ou dont la demande a été rejetée et qui attendent dans la détresse un retour dans leur pays d'origine.
Nous ne pouvons pas manquer à nos droits les plus élémentaires : traiter les personnes qui viennent chercher le refuge sous nos contrées, qu'on leur accorde ou non le droit de rester, comme des personnes humaines à part entière, comme des citoyens à part entière.
Par ailleurs, une autre confusion se doit d'être levée, celle entre migrants clandestins et demandeurs d'asile. Si le respect d'un État de droit digne de ce nom suppose qu'on les traite de la même manière d'un point de vue humain, leur situation juridique diverge. Les demandeurs d'asile sont entrés légalement dans le pays d'accueil, ils attendent seulement que leur situation soit examinée d'un point de vue administratif. Est-il alors juste qu'ils se trouvent enfermés dans des centres de rétention insalubres avec des prisonniers de droit commun ? Est-il alors juste que, fuyant la violence, ils se trouvent derrière d'autres barreaux ? Est-il alors juste que, fuyant un emprisonnement pour des raisons politiques en tant qu'opposants, ils se trouvent cette fois-ci enfermés ?
Nous mesurons bien évidemment l'iniquité d'une telle mesure. La rétention administrative ne devrait pas être autorisée pour les demandeurs d'asile. Mais n'est-ce pas la même chose pour les migrants en situation irrégulière ? Avoir fui la misère, la pauvreté, l'oppression et la violence n'en fait pas des délinquants pour autant, même si pour cela ils ont franchi illégalement des frontières. La rétention administrative doit rester l'exception dans un État de droit : des solutions alternatives doivent être trouvées.
Madame la Rapporteure, vous nous avez suggéré des idées, des exemples toujours plus humains. Évitons de faire des zones d'attente la honte de nos démocraties ! »
M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a souligné, pour sa part, la volonté de la France de faire avancer sa législation en la matière :
« Nous sommes appelés à débattre d'un sujet sensible portant sur les conditions de vie, souvent précaires, des étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement dans le cas où celle-ci ne peut être mise en oeuvre immédiatement et qui sont maintenues à la disposition de l'administration. Il convient d'insister sur le fait que le retenu n'est pas un détenu, la Cour de cassation française qualifiant la rétention de mesure de surveillance et de contrôle.
Notre rapporteure, Mme Mendonça, a présenté des projets de résolution et de recommandation complets et exigeants qui traduisent les préoccupations de notre Assemblée.
Pour autant, il faut rappeler que, compte tenu de l'hétérogénéité des États membres du Conseil de l'Europe, le sujet de la rétention administrative doit être abordé de façon différenciée. Par exemple, du point de vue de la France, le titre même du rapport n'a guère de sens puisqu'un demandeur d'asile ne peut faire l'objet d'une mesure de rétention administrative, qui ne concerne que les migrants en situation irrégulière. De même, mon pays applique une durée de rétention de trente-deux jours, soit l'une des plus courtes en Europe.
Il me semble que la France respecte globalement les dix principes directeurs définissant les circonstances dans lesquelles la rétention administrative est légalement admissible, ainsi que les quinze règles européennes définissant les normes minimales applicables aux conditions de rétention, mentionnés dans le rapport.
La France a pu faire l'objet de critiques, notamment de la part du Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, relatives aux conditions de vie et d'accueil dans les centres de rétention administrative.
Outre une réforme législative du régime de la rétention administrative en 2003, d'importants efforts ont été accomplis en France depuis plusieurs années pour améliorer la situation. Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile définit précisément les équipements de type hôtelier dont les centres de rétention doivent être dotés afin d'assurer aux retenus les conditions d'hébergement, d'administration des soins et d'exercice des droits conformes au respect des droits humains.
Les centres de rétention ne répondant pas à ces normes ont d'ailleurs été fermés. C'est le cas du fameux « dépôt » de la préfecture de police, anciennement implanté au sous-sol du Palais de justice de Paris.
De même, l'État a passé une convention avec des associations qui assistent les retenus dans l'exercice de leurs droits et leur alloue un soutien financier à hauteur de 4 millions d'euros par an. L'Agence nationale pour l'accueil des étrangers et les migrations intervient également pour apporter une assistance matérielle et psychologique en vue de la préparation au retour. Les centres de rétention sont régulièrement contrôlés par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales sur les questions d'hygiène et de restauration.
Par ailleurs, le fonctionnement des centres de rétention administrative est soumis à un triple contrôle. Tout d'abord, un contrôle indépendant, avec, au plan national, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, et, au plan européen, le Commissaire aux droits de l'Homme et le Comité européen pour la prévention de la torture de notre Organisation. Ensuite, un contrôle judiciaire, le procureur de la République ou le juge des libertés et de la détention ayant la possibilité, en se transportant sur les lieux, de vérifier les conditions du maintien en rétention. Enfin, un contrôle parlementaire, puisque les députés, les sénateurs et les députés européens bénéficient d'un droit de visite des centres de rétention.
Ces efforts permettent de faire face dans la dignité à la forte augmentation du nombre de migrants en situation irrégulière. »
La résolution telle qu'adoptée par l'Assemblée établit dix principes à respecter en vue de considérer une rétention comme légalement admissible : la mesure doit être exceptionnelle, une distinction doit être opérée entre migrants irréguliers et demandeurs d'asile, la rétention doit être encadrée par la loi, ne peut être arbitraire et n'avoir d'autre motif que d'empêcher une entrée irrégulière sur le territoire. La rétention ne peut concerner les personnes les plus vulnérables. Le régime de rétention comme sa durée doit être le plus approprié. Le texte propose également quinze règles européennes définissant des normes minimales en matière de rétention dont l'encadrement par un personnel spécialement formé et la garantie effective d'un droit à la défense.