Rapport d'information n° 661 (2009-2010) de Mme Josette DURRIEU , fait au nom de la délégation à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, déposé le 12 juillet 2010
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INTRODUCTION
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I. ACTUALITÉS DE LA DÉLÉGATION
PARLEMENTAIRE
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II. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE
DÉROULEMENT DE LA SESSION
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III. LES DROITS DE L'HOMME EN EUROPE ET DANS LE
MONDE
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A. INTERVENTION DE M. IVO JOSIPOVIÆ,
PRÉSIDENT DE LA CROATIE
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B. RECOURS JURIDIQUE EN CAS DE VIOLATIONS DES
DROITS DE L'HOMME DANS LA RÉGION DU CAUCASE DU NORD
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C. INTERVENTION DE M. MILO ÐUKANOVIÆ,
PREMIER MINISTRE DU MONTÉNÉGRO
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D. LA SITUATION AU KOSOVO
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E. LA SITUATION DES ROMS EN EUROPE ET LES
ACTIVITÉS PERTINENTES DU CONSEIL DE L'EUROPE
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F. DÉBAT SUR LA SITUATION DE LA
DÉMOCRATIE EN EUROPE
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G. REGAIN DE TENSION AU PROCHE-ORIENT
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H. INTERVENTION DE M. GJORGJE IVANOV,
PRÉSIDENT DE L' « EX-RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE
MACÉDOINE »
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I. DÉBAT D'ACTUALITÉ SUR LA SITUATION
AU KIRGHIZSTAN
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J. LE FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS
DÉMOCRATIQUES EN AZERBAÏDJAN
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A. INTERVENTION DE M. IVO JOSIPOVIÆ,
PRÉSIDENT DE LA CROATIE
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IV. LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA PROTECTION DES DROITS
DE L'HOMME
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A. DÉBAT SUR LA SITUATION DES MIGRANTS EN
SITUATION IRRÉGULIÈRE
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B. ISLAM, ISLAMISME ET ISLAMOPHOBIE EN
EUROPE
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C. LE TRAITEMENT DE LA PANDÉMIE H1N1 :
NÉCESSITÉ DE PLUS DE TRANSPARENCE
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D. INTERDICTION DE LA COMMERCIALISATION ET DE
L'UTILISATION DU DISPOSITIF ANTI-JEUNES « MOSQUITO »
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E. COMBATTRE LES STÉRÉOTYPES
SEXISTES DANS LES MÉDIAS
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F. DES PENSIONS DE RETRAITE DÉCENTES POUR
LES FEMMES
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G. LES FÔRETS : L'AVENIR DE NOTRE
PLANÈTE
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A. DÉBAT SUR LA SITUATION DES MIGRANTS EN
SITUATION IRRÉGULIÈRE
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V. L'AVENIR DU CONSEIL DE L'EUROPE EN
DÉBAT
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A. INTERVENTION DE M. ANTONIO MILOSOSKI, MINISTRE
DES AFFAIRES ETRANGÈRES DE L' « EX-RÉPUBLIQUE
YOUGOSLAVE DE MACÉDOINE » , PRÉSIDENT DU COMITÉ
DES MINISTRES
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B. LES BUDGETS DU CONSEIL DE L'EUROPE POUR
L'ANNÉE 2011
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C. LA SITUATION DE LA DÉMOCRATIE EN EUROPE
ET L'ÉVOLUTION DE LA PROCÉDURE DE SUIVI DE
L'ASSEMBLÉE
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A. INTERVENTION DE M. ANTONIO MILOSOSKI, MINISTRE
DES AFFAIRES ETRANGÈRES DE L' « EX-RÉPUBLIQUE
YOUGOSLAVE DE MACÉDOINE » , PRÉSIDENT DU COMITÉ
DES MINISTRES
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I. ACTUALITÉS DE LA DÉLÉGATION
PARLEMENTAIRE
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ANNEXES
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Annexe 1 - Proposition de résolution de M.
Denis Badré
et plusieurs de ses collègues : Réaffirmer l'universalité des droits de l'Homme
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Annexe 2 - Proposition de résolution de
M. François Rochebloine et plusieurs de ses collègues :
« Bonne gouvernance et éthique du sport »
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Annexe 3 - Résolution 1743
(2010) - L'islam, l'islamisme et l'islamophobie en Europe
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Annexe 4 - Recommandation 1927
(2010) - L'islam, l'islamisme et l'islamophobie en Europe
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Annexe 5 - Résolution 1749 (2010) - La
gestion de la pandémie H1N1 : nécessité de plus de
transparence
N° 661
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le du 12 juillet 2010 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (1) sur les travaux de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l' Europe au cours de la troisième partie de la session ordinaire 2010 de cette assemblée, adressé à M. le Président du Sénat, en application de l'article 108 du Règlement,
Par Mme Josette DURRIEU,
Sénatrice.
(1) Cette délégation est composée de : M. Denis Badré, Mmes Josette Durrieu, Gisèle Gautier, MM. Francis Grignon, Jean-Pierre Masseret et Philippe Nachbar, délégués titulaires ; M. Laurent Béteille, Mme Maryvonne Blondin, MM. Bernard Fournier, Jean-Claude Frécon, Jean-François Le Grand et Yves Pozzo di Borgo, délégués suppléants.
INTRODUCTION
La réforme du Conseil de l'Europe, entreprise par son nouveau Secrétaire général, M. Thobjørn Jagland, a pour ambition de déboucher sur un recentrage de ses missions sur « le coeur de métier » du Conseil : primauté de l'État de droit, suivi des institutions démocratiques et respect des droits de l'Homme.
Le programme de la troisième partie de session de 2010 souligne combien ces trois thèmes relèvent de l'actualité, comme en témoigne l'adoption de textes sur les difficultés pour consolider la démocratie dans le Nord du Caucase, en Azerbaïdjan ou au Kirghizstan. Plus proches de nous, les sujets relatifs à la gestion de la pandémie H1N1, à la situation des migrants placés en situation d'expulsion ou à la place de l'Islam ou des Roms dans nos sociétés démocratiques viennent souligner le combat quotidien pour la défense des droits de l'Homme qu'entend mener l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Au-delà de sa capacité de réaction, elle entend également faire oeuvre de prospective en travaillant sur les nouveaux enjeux auxquels sont confrontées les démocraties : impact de la crise économique mondiale, crise de représentativité des régimes en place ou persistance de comportements sexistes.
Le débat sur les perspectives budgétaires pour 2011 a souligné combien la délégation française souhaitait accompagner la réforme en cours, en vue notamment de renforcer la visibilité de l'action du Conseil de l'Europe Elle entend continuer, par ailleurs, à militer, au sein des assemblées dont elle est issue, pour une meilleure reconnaissance de la qualité des travaux du Conseil de l'Europe et la modernité de son message.
I. ACTUALITÉS DE LA DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
A. LA DÉLÉGATION ET SON BUREAU
La délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe comprend vingt-quatre députés (douze titulaires et douze suppléants) et douze sénateurs (six titulaires et six suppléants).
La délégation a vu sa composition modifiée suite à la démission de MM. Paul Giacobbi (Haute-Corse - SRC) et Michel Hunault (Loire-Atlantique - NC), respectivement remplacés par Mme Annick Girardin (Saint-Pierre-et-Miquelon - SRC) et M. Rudy Salles (Alpes maritimes - NC). La délégation dépasse désormais la proportion de 30 % de femmes parmi ses membres, recommandée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Composition de la délégation en juin
2010
Membres titulaires |
|||
Assemblée |
Groupe Assemblée |
Groupe Conseil de l'Europe |
|
M. Denis BADRÉ |
Sénateur |
UC-UDF |
ADLE |
M. Roland BLUM |
Député |
UMP |
PPE/DC |
M. Georges COLOMBIER |
Député |
UMP |
PPE/DC |
Mme Josette DURRIEU |
Sénatrice |
SOC |
SOC |
Mme Gisèle GAUTIER |
Sénatrice |
UMP |
PPE/DC |
Mme Claude GREFF |
Députée |
UMP |
PPE/DC |
M. Francis GRIGNON |
Sénateur |
UMP |
PPE/DC |
Mme Arlette GROSSKOST |
Députée |
UMP |
PPE/DC |
M. Denis JACQUAT |
Député |
UMP |
SOC |
M. Armand JUNG |
Député |
SRC |
SOC |
M. Jean-Pierre KUCHEIDA |
Député |
SRC |
SOC |
M. Jean-Paul LECOQ |
Député |
GDR |
GUE |
M. François LONCLE |
Député |
SRC |
SOC |
M. Jean-Pierre MASSERET |
Sénateur |
SOC |
SOC |
M. Jean-Claude MIGNON |
Député |
UMP |
PPE/DC |
M. Philippe NACHBAR |
Sénateur |
UMP |
PPE/DC |
M. Germinal PEIRO |
Député |
SRC |
SOC |
M. François ROCHEBLOINE |
Député |
NC |
PPE/DC |
Membres suppléants |
|||
Assemblée |
Groupe assemblée |
Groupe Conseil de l'Europe |
|
M. Laurent BÉTEILLE |
Sénateur |
UMP |
PPE/DC |
Mme Maryvonne BLONDIN |
Sénatrice |
SOC |
SOC |
M. Alain COUSIN |
Député |
UMP |
PPE/DC |
M. Bernard FOURNIER |
Sénateur |
UMP |
PPE/DC |
M. Jean-Claude FRÉCON |
Sénateur |
SOC |
SOC |
Mme Annick GIRARDIN |
Députée |
SRC |
SOC |
Mme Françoise HOSTALIER |
Députée |
UMP |
PPE/DC |
Mme Marietta KARAMANLI |
Députée |
SRC |
SOC |
M. Jean-François LE GRAND |
Sénateur |
UMP |
PPE/DC |
M. Noël MAMERE |
Député |
GDR |
GUE |
Mme Christine MARIN |
Députée |
UMP |
PPE/DC |
Mme Muriel MARLAND-MILITELLO |
Députée |
UMP |
PPE/DC |
M. Yves POZZO DI BORGO |
Sénateur |
UC-UDF |
PPE/DC |
M. Frédéric REISS |
Député |
UMP |
PPE/DC |
Mme Marie-Line REYNAUD |
Députée |
SRC |
SOC |
M. René ROUQUET |
Député |
SRC |
SOC |
M. Rudy SALLES |
Député |
NC |
PPE |
M. André SCHNEIDER |
Député |
UMP |
PPE/DC |
Le Bureau de la délégation est composé de la façon suivante :
Président |
M. Jean-Claude MIGNON |
Député |
UMP |
Première vice-présidente |
Mme Arlette GROSSKOST |
Députée |
UMP |
Présidente déléguée
|
Mme Josette DURRIEU |
Sénatrice |
SOC |
Vice-présidents |
M. Alain COUSIN |
Député |
UMP |
M. Jean-Claude FRÉCON |
Sénateur |
SOC |
|
Mme Gisèle GAUTIER |
Sénatrice |
UMP |
|
Mme Claude GREFF |
Députée |
UMP |
|
M. Denis JACQUAT |
Député |
UMP |
|
M. Jean-Pierre KUCHEIDA |
Député |
SRC |
|
M. François LONCLE |
Député |
SRC |
|
M. Jean-Pierre MASSERET |
Sénateur |
SOC |
|
M. François ROCHEBLOINE |
Député |
NC |
|
M. André SCHNEIDER |
Député |
UMP |
B. INITIATIVE DE SES MEMBRES ET NOMINATIONS
M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC) et plusieurs de ses collègues ont déposé une proposition de résolution intitulée « Réaffirmer l'universalité des droits de l'Homme » destinée à préserver les valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe du relativisme culturel et religieux.
M. François Rochebloine (Loire - UC) a, par ailleurs, déposé une proposition de résolution intitulée « Bonne gouvernance et éthique du sport ».
Au titre de ses fonctions de vice-président de l'Assemblée parlementaire, M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP), président de la délégation, a présidé trois fois la séance au cours de cette partie de session.
Les 24, 25 et 26 mai, M. Mignon s'est rendu en Turquie afin de rencontrer des parlementaires et des personnalités turques, à l'invitation du Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, M. Mevlut Cavuþoðlu.
M. Mignon a, par ailleurs, été nommé co-rapporteur de la commission de suivi sur la Bosnie-Herzégovine. Au sein de cette même commission, Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a, quant à elle, été nommée rapporteure sur le dialogue post-suivi sur la Turquie.
MM. Jean-Paul Lecoq (Seine-Maritime - CRC) et Denis Jacquat (Moselle - UMP) ont respectivement été nommés président et sous-président de la sous-commission de la Charte sociale européenne et de l'emploi, au sein de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille.
C. RENCONTRES DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE
Le représentant permanent de la France auprès du Conseil de l'Europe, S.E. M. Paul Dahan a reçu la délégation française le 20 juin pour un dîner de travail au cours duquel il a abordé les principaux points inscrits à l'ordre du jour.
Le 24 juin, les membres de la délégation ont été invités par leurs homologues de la délégation chypriote, présidée par M. Aristophanes Georgiou (GUE), pour un échange de vues sur l'avenir du Conseil de l'Europe.
II. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE DÉROULEMENT DE LA SESSION
A. ORDRE DU JOUR DE LA TROISIÈME PARTIE DE LA SESSION ORDINAIRE DE 2010
Lundi 21 juin 2010
- Intervention de M. Ivo Josipoviæ, Président de la Croatie ;
- Communication du Comité des ministres à l'Assemblée parlementaire, présentée par M. Antonio Milooski, ministre des affaires étrangères de l' « ex-République yougoslave de Macédoine », Président du Comité des ministres ;
- Budgets et priorités du Conseil de l'Europe pour l'exercice 2011 ;
- Rapport d'activité du Bureau de l'Assemblée et de la Commission permanente.
Mardi 22 juin 2010
- Recours juridiques en cas de violations des droits de l'Homme dans la région du Caucase du Nord, précédé d'une intervention de M. Iounous-Bek Evkourov, Président de la République d'Ingouchie ;
- Intervention de M. Milo Ðukanoviæ, Premier ministre du Monténégro ;
- La situation au Kosovo et le rôle du Conseil de l'Europe ;
- La situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l'Europe, précédé d'une intervention de Mlle Fanny Ardant, marraine de la campagne Dosta ! du Conseil de l'Europe ;
- Les accords de réadmission, un mécanisme de renvoi des migrants en situation irrégulière ;
- Les programmes de retour volontaire : un moyen humain, économe et efficace d'assurer le rapatriement des migrants en situation irrégulière.
Mercredi 23 juin 2010
- L'islam, l'islamisme et l'islamophobie en Europe, précédé d'une intervention de M. Jorge Sampaio, Haut Représentant du Secrétaire général des Nations unies pour l'Alliance des civilisations ;
- Débat sur la situation de la démocratie en Europe : acteurs extra-institutionnels dans les régimes démocratiques, conséquences politiques de la crise économique, la démocratie en Europe : crises et perspectives, précédé d'une intervention de M. Alain Touraine, sociologue ;
- La situation de la démocratie en Europe et l'évolution de la procédure de suivi de l'Assemblée.
Jeudi 24 juin 2010
- Débat d'urgence sur le regain de tension au Proche-Orient ;
- Intervention de M. Gjorgje Ivanov, Président de l' « ex-République yougoslave de Macédoine » ;
- Débat d'actualité sur la situation au Kirghizstan ;
- Le traitement de la pandémie H1N1 : nécessité de plus de transparence ;
- Le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan.
Vendredi 25 juin 2010
- Interdiction de la commercialisation ou de l'utilisation du dispositif anti-jeunes « Mosquito » ;
- Combattre les stéréotypes sexistes dans les médias ;
- Des pensions de retraites décentes pour les femmes ;
- Les forêts : l'avenir de notre planète.
B. TEXTES ADOPTÉS
Le Règlement de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe distingue trois types de textes : les avis, les recommandations et les résolutions :
- aux termes de l'article 24.1.a, une recommandation consiste en une proposition de l'Assemblée adressée au Comité des ministres, dont la mise en oeuvre échappe à la compétence de l'Assemblée mais relève des gouvernements ;
- définie à l'article 24.1.b, une résolution exprime une décision de l'Assemblée sur une question de fond, dont la mise en oeuvre relève de sa compétence, ou un point de vue qui n'engage que sa responsabilité ;
- les avis répondent aux demandes qui sont soumises à l'Assemblée par le Comité des ministres concernant l'adhésion de nouveaux États membres au Conseil de l'Europe, mais aussi les projets de conventions, le budget ou la mise en oeuvre de la Charte sociale.
Le texte intégral des rapports, avis, comptes rendus des débats de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ainsi que les textes adoptés, sont consultables sur le site : http://assembly.coe.int |
C. INTERVENTIONS DES PARLEMENTAIRES FRANÇAIS
Lundi 21 juin 2010
- Intervention de M. Ivo Josipoviæ, Président de la Croatie : Mme Marietta Karamanli et M. Denis Badré :
- Communication du Comité des ministres à l'Assemblée parlementaire, présentée par M. Antonio Milooski : Mme Maryvonne Blondin et M. Laurent Béteille ;
- Budgets et priorités du Conseil de l'Europe pour l'exercice 2011 : MM. Jean-Claude Frécon, Jean-Claude Mignon et André Schneider.
Mardi 22 juin 2010
- Recours juridiques en cas de violations des droits de l'Homme dans la région du Caucase du Nord : M. Denis Badré ;
- La situation au Kosovo et le rôle du Conseil de l'Europe : Mme Josette Durrieu, MM. Laurent Béteille et Jean-Pierre Kucheida ;
- La situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l'Europe : Mme Maryvonne Blondin ;
- Les programmes de retour volontaire : un moyen humain, économe et efficace d'assurer le rapatriement des migrants en situation irrégulière : Mme Maryvonne Blondin.
Mercredi 23 juin 2010
- L'islam, l'islamisme et l'islamophobie en Europe : Mme Josette Durrieu, MM Jean-Claude Frécon et Rudy Salles ;
- Les acteurs extra-institutionnels en régime démocratique : M. Jean-Claude Frécon ;
- Les conséquences politiques de la crise économique : Mmes Christine Marin et Arlette Grosskost, MM. Bernard Fournier, Jean-Pierre Kucheida et François Rochebloine ;
- La démocratie en Europe : crises et perspectives : Mme Annick Girardin, MM. Laurent Béteille, Jean-Claude Mignon et Yves Pozzo di Borgo ;
- La situation de la démocratie en Europe et l'évolution de la procédure de suivi : MM. Bernard Fournier et François Rochebloine.
Jeudi 24 juin 2010
- Regain de tension au Proche Orient : M. Bernard Fournier ;
- Le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan : MM. Jean-Claude Frécon et René Rouquet.
Vendredi 25 juin 2010
- Combattre les stéréotypes sexistes dans les médias : Mme Christine Marin ;
- Des pensions de retraites décentes pour les femmes : Mme Claude Greff ;
- Les forêts : l'avenir de notre planète : M. René Rouquet.
III. LES DROITS DE L'HOMME EN EUROPE ET DANS LE MONDE
A. INTERVENTION DE M. IVO JOSIPOVIÆ, PRÉSIDENT DE LA CROATIE
Elu Président de la Croatie en février 2010, M. Ivo Josipoviæ a été invité par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à venir présenter les avancées de son pays sur la voie de l'adhésion à l'Union européenne. La promotion des valeurs démocratiques est, aux yeux du chef de l'Etat croate, la condition sine qua non pour tourner définitivement la page des guerres de sécession de l'ex-Yougoslavie, mais également de l'économie planifiée. De multiples défis sont apparus lors de l'accession à l'indépendance de son pays, qu'il s'agisse de l'afflux de réfugiés ou de la lutte contre la corruption.
La réforme du système judiciaire fait, à cet égard, partie des chantiers auxquels s'est attelée la Croatie, M. Josipoviæ estimant toutefois qu'en dépit des progrès enregistrés, elle n'avait pas encore complètement abouti. L'absence de coopération avec les pays voisins, la faiblesse des structures de l'Etat ont ralenti dans un premier temps les efforts des pouvoirs publics en vue de lutter contre le crime organisé et la corruption. Le renforcement des structures, la signature d'accords bilatéraux avec la Serbie ou la Bosnie-Herzégovine ont permis de rattraper ces retards. Le gouvernement s'oriente désormais vers la lutte contre la corruption au sein des entreprises.
Les séquelles ont été, par ailleurs, longues à effacer. La coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a longtemps été tributaire de cette difficulté à s'affranchir du passé. Le président croate estime cependant que son pays s'est désormais engagé étroitement dans la voie de la collaboration avec La Haye, refusant néanmoins d'admettre responsabilité de la Croatie dans les crimes de guerre et ne reconnaissant que des responsabilités individuelles.
M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC) a souhaité interroger le président croate à ce sujet :
« Vous venez d'affirmer assez solennellement qu'aujourd'hui, la Croatie coopère parfaitement avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et qu'aucun crime de guerre ne restera impuni. A part venir nous le dire, qu'envisagez-vous de faire pour en convaincre l'opinion européenne ? Cela est indispensable si nous voulons que votre arrivée dans l'Union soit célébrée sans aucune arrière-pensée. »
Le Président croate a souhaité insister sur la constante amélioration des relations entre le TPIY et son pays :
« Les relations entre la Croatie et le TPIY n'ont pas toujours été sans nuages. Elles ont même été très difficiles au début. Depuis le gouvernement Raèan et ceux qui se sont succédé depuis, les choses se sont améliorées. Le gouvernement actuel fait tout ce qu'il peut pour renforcer cette coopération.
L'attitude de l'opinion publique a aussi beaucoup évolué. Chacun comprend bien qu'il est naturel aujourd'hui de coopérer avec le TPIY. Il y a 15 ou 20 ans, c'était difficile et même anti-croate. On estime aujourd'hui que c'est favorable au pays. M me del Ponte elle-même a souligné que la coopération est vraiment totale.
Il est vrai que certains dossiers ont disparu. Cela s'explique par la situation difficile des premières années que je décrivais. Aujourd'hui, soyez certain que l'Etat croate fait tout ce qu'il peut pour que cela se passe le mieux possible. Je veille aussi à faire en sorte que nos forces de l'ordre et nos instances judiciaires collaborent pleinement. »
Le retour des réfugiés fait également figure de priorité, la Conférence de Belgrade organisée au début de l'année 2010 ayant joué un rôle d'accélérateur dans ce domaine en permettant la réunion de groupes de travail bilatéraux. Ceux-ci sont le témoignage d'une politique de bon voisinage que la Croatie entend poursuivre, appelant notamment de ses voeux une consolidation des structures démocratiques en Bosnie-Herzégovine.
Le poids des minorités nationales, vingt-deux en Croatie, était également au coeur de l'intervention de M. Josipoviæ. Rappelant que les citoyens issus de ces minorités disposent d'une représentation parlementaire, il a insisté sur la mise en oeuvre d'un plan quinquennal en faveur des Roms à l'échelle nationale. Les droits des femmes et ceux des handicapés sont également au coeur des dernières réformes législatives croates.
B. RECOURS JURIDIQUE EN CAS DE VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME DANS LA RÉGION DU CAUCASE DU NORD
La République tchétchène, l'Ingouchie et le Daghestan constituent aux yeux de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme de l'Assemblée des zones de non-droit en matière de protection des droits de l'Homme et d'affirmation de l'Etat de droit. La République tchétchène, membre de la Fédération de Russie, est ainsi marquée par les disparitions récurrentes de défenseurs des droits de l'Homme, de membres d'ONG et des partis d'opposition. Ces disparitions viennent s'ajouter aux menaces à l'endroit des médias et de la société civile instillant un climat de peur généralisée au sein de la population.
L'Ingouchie est, quant à elle, le théâtre d'une recrudescence des violences depuis 2009, disparitions non élucidées d'opposants et de journalistes se multipliant en dépit du dialogue avec la société civile que tente de mettre en place M. Iounous-Bel Evkourov, Président de cette petite république membre de la Fédération de Russie. M. Evkourov, invité à intervenir devant l'Assemblée, a tenu à indiquer les progrès enregistrés par sa République en matière démocratique, soulignant le bon déroulement des élections locales en octobre dernier. Il a tenu à mettre en avant les échanges nourris entre son gouvernement et les organisations de défense des droits de l'Homme, les représentants des confessions religieuses et les membres des clans locaux. La situation économique et sociale fait également l'objet d'un plan spécifique en vue de créer près de 18 000 emplois. Concernant les forces de l'ordre, le chef de l'Etat ingouche a souhaité rappeler que des membres de la police avaient été condamnés pour des crimes et des délits. Prônant une approche humaniste en matière politique, M. Evkourov a conclu son intervention en saluant la coopération de son administration avec le commissariat aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe.
Le Daghestan, également membre de la Fédération de Russie, est, quant à lui, victime de nombreux actes de terrorisme. La réponse des forces de l'ordre n'est pas sans incidence sur la radicalisation de la scène politique au risque de mettre à mal la coexistence pacifique entre les communautés musulmane, chrétienne et juive du pays.
Ces violations avérées des valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe se sont traduites par plus de cent cinquante arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme. Ces arrêts établissent la responsabilité des autorités russes dans les violences aux personnes et constatent l'absence d'enquête efficace et effective. La Cour prévoit parallèlement l'indemnisation des familles des victimes. Si, aux yeux de la commission, la Russie accède à cette demande, en revanche, elle ne montre pas un réel entrain à faire avancer les investigations.
M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC) a souligné le double constat d'échec que représente cette situation tant pour la Russie que pour le Conseil de l'Europe :
«Monsieur le Président de l'Ingouchie, nous vous remercions de votre présence parmi nous aujourd'hui. Je salue par ailleurs l'excellence du rapport de M. Marty, qui exprime les deux qualités qui font les grands défenseurs des droits de l'Homme : le courage et l'honnêteté intellectuelle. Sans manichéisme ni langue de bois, il présente de manière équilibrée la grave situation des droits de l'Homme dans le Caucase du Nord. Ce rapport me semble d'autant plus fort qu'il se garde bien de donner la moindre leçon à quiconque mais cherche, avec une volonté inlassable, à ouvrir des voies de dialogue et de vrais progrès.
Sa lecture « effrayante », pour reprendre un terme du rapporteur, illustre un échec collectif : soit nous aurions eu tort d'admettre parmi nous un Etat qui accepte de telles exactions sur son territoire - ce serait alors un échec de la crédibilité de nos valeurs -, soit son adhésion est restée trop longtemps sans effet sur la situation sur le terrain - et ce serait un échec de nos méthodes.
Le projet de résolution que, j'espère, nous allons largement adopter, le reconnaît : nos craintes d'un embrasement généralisé dans le Caucase du Nord étaient fondées. Nous avions mis en garde, mais rien de plus. Terrible aveu d'échec !
Echec pour nos démocraties qui renient leurs valeurs, lorsqu'elles choisissent l'attentisme, le manque de courage... ou l'intérêt. Notre rapporteur nous interroge d'ailleurs : le gaz aurait-il plus de valeur que les droits de l'Homme ? L'Histoire nous apprend pourtant que de telles inversions de valeurs peuvent produire le pire.
Echec aussi pour la Russie. Notre rapporteur nous a rappelé que le Président Medvedev l'admet aujourd'hui. Certes, le problème est complexe. Mais les deux guerres de Tchétchénie ont exacerbé la violence et radicalisé les positions en présence. Le terrorisme doit être combattu avec détermination ; les dramatiques attentats perpétrés dans le métro de Moscou en mars dernier rappellent que la menace terroriste est bien réelle. Pour autant, le terrorisme ne peut en aucun cas justifier des réponses contraires aux droits de l'Homme.
Le diagnostic de notre rapporteur est clair. La situation au Caucase du Nord, en Tchétchénie, mais aussi au Daghestan ou en Ingouchie, est aussi le résultat de l'incapacité des autorités à construire un véritable Etat de droit. Une annexe au rapport dresse la liste, probablement non-exhaustive, des 28 affaires transmises aux autorités russes. Compte tenu de l'ampleur et de la gravité de ces faits, notre Assemblée n'aurait-elle pas dû demander qu'un ministre russe vienne exposer, en séance, l'état d'avancement des enquêtes engagées sur les affaires les plus graves ?
La corruption, les insuffisances de la justice, les violences policières, une impunité trop large entretiennent un climat de peur qui mine le Caucase du Nord. Le rapport de Dick Marty ne dissimule rien des responsabilités des plus hautes autorités des républiques caucasiennes qu'il a visitées. Dès lors, une question se pose : les autorités russes sont-elles vraiment déterminées à remédier aux violations massives des droits de l'Homme au Caucase du Nord, violations dont elles n'ignorent rien, ne serait-ce qu'en raison du très grand nombre de condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l'Homme ?
Mes chers collègues, lorsque les droits de l'Homme sont bafoués, nous ne pouvons rester passifs. Je remercie Anne Brasseur d'avoir rappelé cela avec une grande émotion à l'instant, en citant les courageux témoignages de victimes que nous avons pu écouter hier. Elles ont tenu à faire le déplacement pour nous mettre en face de la réalité. »
La résolution adoptée par l'Assemblée poursuit plusieurs objectifs. En premier lieu, elle réaffirme la légitimité de toute lutte contre le terrorisme, à condition qu'elle respecte les principes essentiels de la Cour européenne des droits de l'Homme. Elle insiste parallèlement sur la situation particulière observée en Tchétchénie, marquée notamment par une certaine détérioration de la condition féminine et l'intensification des pressions sur les exilés tchétchènes à l'étranger. Elle invite en conséquence les autorités russes à intensifier sa coopération avec le Conseil de l'Europe pour la mise en oeuvre effective des arrêts de la Cour, à poursuivre et à juger toute violation de la Convention et collaborer avec les ONG locales.
De façon générale, la Russie est appelée à développer l'économie dans la région du Caucase du Nord, en vue de réduire un taux de chômage trop haut, facteur indéniable de montée de tensions.
C. INTERVENTION DE M. MILO ÐUKANOVIÆ, PREMIER MINISTRE DU MONTÉNÉGRO
Le Monténégro a adhéré en 2007 au Conseil de l'Europe. L'intervention de M. Milo Ðukanovic, figure historique de l'accession à l'indépendance de cette ancienne république yougoslave, visait à effectuer un premier bilan de la coopération entre le Conseil et son pays, à l'heure où son gouvernement se mobilise pour une intégration rapide au sein de l'Union européenne.
Quatre ans après son indépendance, le Monténégro est, aux yeux de son Premier ministre, une référence au sein des Balkans occidentaux, tant il développe un modèle de coexistence pacifique entre les communautés qui le composent et s'essaie à consolider les relations de bon voisinage. Interrogé par des parlementaires sur le problème des réfugiés, il a souligné la nécessité de renforcer la stabilité de la Bosnie-Herzégovine et résoudre le différend entre le Kosovo et la Serbie comme préalables à leur retour.
Rappelant la volonté d'intégrer les structures européennes et atlantique, M. Ðukanovic a insisté sur l'intérêt que revêt la coopération avec le Conseil de l'Europe, citant notamment le travail de la Commission de Venise en vue d'améliorer le code électoral. Favorable au processus d'Interlaeken et à l'amélioration du fonctionnement de la Cour européenne des droits de l'Homme, le Premier ministre monténégrin a insisté sur les efforts menés par son gouvernement pour lutter contre la criminalité organisée et le blanchiment d'argent. La priorité au plan interne demeure, selon lui, le respect de la prééminence du droit et la mise en place d'un système juridique efficace.
D. LA SITUATION AU KOSOVO
Le Kosovo a déclaré son indépendance de façon unilatérale le 17 février 2008. Reconnue par 69 États membres des Nations unies, son indépendance est contestée par la Serbie et fait l'objet actuellement d'un examen par la Cour internationale de justice. En dépit de cette relative incertitude juridique, les autorités kosovares se sont dotées d'organes de justice, de police et de douane, coopérant en cela avec la mission EULEX, déployée par l'Union européenne sur place.
M. Laurent Béteille (Essonne - UMP) a rappelé dans son intervention dans quelle impasse se trouvait, malgré tous les efforts entrepris, le Kosovo :
« M. von Sydow a brossé un panorama très complet de la situation au Kosovo et je partage ses conclusions. La présentation de son rapport, qui consiste à se concentrer sur le développement des normes du Conseil de l'Europe au Kosovo plutôt que de se focaliser sur un statut qui demeure controversé, est habile. Elle est habile, mais elle ne permet pas d'entrevoir comment le Kosovo pourrait sortir de l'impasse dans laquelle il se trouve, et la région avec lui, depuis la déclaration de son indépendance, le 17 février 2008.
Car c'est bien d'une impasse qu'il s'agit. Le nombre de pays qui reconnaissent le Kosovo paraît plafonner, peut-être en attente de la décision judicaire. C'est le cas de 69 Etats, dont 33 appartiennent à notre Organisation, mais des Etats particulièrement importants ne l'ont pas reconnu, à commencer par cinq Etats membres de l'Union européenne, ainsi que la Russie, l'Ukraine ou encore la Chine. Les efforts diplomatiques serbes contre la reconnaissance semblent porter leurs fruits. En même temps, il n'y a aucune raison pour que les Etats qui ont reconnu l'indépendance du Kosovo se déjugent. La situation est donc bloquée.
Tout le monde en a conscience, mais personne ne s'en satisfait. Notre rapporteur propose d'accroître l'implication du Conseil de l'Europe au Kosovo en y développant ses normes. Je le disais, cette solution est habile car, sans prendre parti sur le statut du Kosovo, elle reviendrait à en faire de facto un Etat de droit, alors même que des incertitudes demeurent sur sa nature étatique !
Ce serait pour le moins paradoxal. Je note d'ailleurs que, si le projet de résolution qui nous est soumis était pleinement appliqué au Kosovo, celui-ci respecterait les normes du Conseil de l'Europe bien davantage que certains de ses Etats membres !
Notre collègue se montre d'ailleurs raisonnablement optimiste sur le cheminement du Kosovo vers les normes du Conseil de l'Europe. Les changements sont réels, nous dit-il. Il est vrai que bien des progrès restent à accomplir, notamment en matière de lutte contre la corruption, de mise en place d'un système judiciaire performant, de participation des minorités, en premier lieu serbes, à la vie publique. Pour autant, le Kosovo est un Etat très jeune et nous ne saurions exiger de lui, deux ans après son accession à l'indépendance, ce que ne font pas certains Etats membres du Conseil de l'Europe, qui ne progressent pas, voire régressent.
J'évoquerai la question des relations du Kosovo avec l'Union européenne. Celle-ci y est très impliquée, en particulier au travers de la mission Eulex. Forte de 3 200 personnes, son mandat vient d'être prolongé jusqu'au 15 juin 2012. Au cours des années 2009 à 2011, elle versera 800 millions d'euros au Kosovo, soit une moyenne de 400 euros par Kosovar.
Je rappelle que l'unanimité est requise au Conseil, ne serait-ce que pour engager toute négociation d'adhésion avec un pays candidat. Le désaccord des Vingt-Sept sur le statut du Kosovo fait donc obstacle à l'adhésion de ce dernier à l'Union européenne. Mais il empêche également l'adhésion de la Serbie.
Certes, celle-ci récuse fermement toute indépendance de son ancienne province. Il n'en demeure pas moins que M. Vuk Jeremiæ, le ministre serbe des affaires étrangères, a récemment indiqué que son pays ne chercherait pas, de toute façon, à réintégrer le Kosovo au territoire serbe. Cette déclaration semble montrer que le gouvernement serbe est bien conscient de la nécessité de faire évoluer la situation dans son propre intérêt européen.
D'aucuns évoquent la possibilité de faire du Kosovo un « territoire libre de l'Union européenne », ce qui signifierait que le Kosovo ferait partie de la Serbie, sans être placé sous l'autorité de Belgrade et en se gouvernant séparément. Il pourrait alors conclure un accord d'association avec l'Union européenne. Mais il est fort probable que la situation du Kosovo ne sera pas réglée avant dix ou quinze ans. »
Il n'appartient pas au Conseil de l'Europe de trancher la question de la souveraineté du Kosovo. Son intervention se limite à la nécessité de faire respecter sur ce territoire européen les valeurs fondamentales que cette Organisation entend incarner. La commission des questions politiques souligne ainsi la nécessité de surveiller la situation sécuritaire au nord du Kosovo et le besoin impérieux de mettre en place un cadre stable en vue de garantir le dialogue entre les communautés.
M. Jean-Pierre Kucheida (Pas-de-Calais - SRC) a souhaité insister sur la spécifité de l'intervention du Conseil de l'Europe sur ce sujet :
« Je veux tout d'abord féliciter M. von Sydow pour la qualité de son rapport sur le Kosovo. Étant donné le statut encore incertain de cette entité territoriale, il fallait conserver la neutralité choisie par le Conseil de l'Europe. Le risque était grand de voir se reproduire, à propos de la situation du Kosovo, la scission déjà existante sur son statut. Mais M. von Sydow a su nous présenter un rapport consensuel, qui insiste sur l'importance du respect des normes et qui fait des propositions de nature à permettre à l'ensemble des forces en présence de concourir au respect du droit.
La déclaration unilatérale d'indépendance du 17 février 2008 témoignait d'une ambition démocratique manifeste. Cependant, de la théorie à la pratique, le chemin s'avère long et tortueux. En effet, deux ans plus tard, l'Etat de droit et les droits de l'Homme ne sont toujours pas effectifs au Kosovo. Et la corruption y est, hélas !, endémique et impunie. Le déploiement d'Eulex n'a pas encore eu une influence décisive sur cette situation générale.
S'il n'y a plus de violences interethniques, les communautés continuent de vivre séparément les unes des autres et leur degré d'interaction est négligeable. Alors qu'un début d'intégration apparaît dans le sud, d'autres restent confrontées à d'importantes difficultés quotidiennes et subissent des discriminations.
Cette situation ne fait qu'entretenir une hostilité envers le Kosovo indépendant et des tensions sous-jacentes risquent de resurgir au moindre contact si la confiance ne s'établit pas durablement.
Pour cela, il faut, avant tout, régler le problème du retour des 235 000 réfugiés ayant fui le Kosovo en juillet 2009. Dans un contexte économique difficile, le retour de personnes déplacées devrait être un droit et non une obligation. Il doit se faire en toute dignité et sécurité. Le Kosovo doit reconquérir sa pluriethnicité.
Le Kosovo est une entité territoriale soumise à l'exercice difficile d'une autonomie naissante. Ses ressources ne sont pas à la hauteur de ses ambitions. Le Conseil de l'Europe doit donc l'encourager et lui donner les moyens moraux d'acquérir la stabilité à laquelle il aspire.
Il ne s'agit pas ici de traiter du statut du Kosovo mais, conformément aux objectifs du Conseil de l'Europe, de répondre avant tout aux problèmes ayant une incidence lourde sur la vie quotidienne d'une population déjà meurtrie. Pour cela, il faut élargir - en écho à la position de l'Union européenne « diversité sur le statut mais unité de l'engagement » - le champ de nos activités au-delà de la protection du patrimoine, plus précisément dans le domaine de la protection des droits de l'Homme et du respect de l'Etat de droit.
Dès lors, le Kosovo sortira de sa spirale infernale pour devenir, quel que soit son statut, une entité territoriale viable et stable. Le respect de la prééminence du droit offrira enfin aux populations concernées la vie ordinaire, le fonctionnement politique et le développement économique dont elles rêvent. Et c'est ce qui importe.
Les discours et les principes que nous défendons au sein de cette Organisation perdront tout leur sens si nous n'intervenons pas pour enrayer leur violation au coeur même de l'Europe. On ne peut qu'être d'accord avec les conclusions de M. von Sydow. »
La résolution adoptée par l'Assemblée insiste sur la nécessité de mettre en place une législation adaptée pour lutter contre la corruption et réformer de façon concomitante le système judiciaire.
Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a souhaité, dans son intervention, insister sur cette double nécessité :
« Le Kosovo est le fruit d'un moment de l'Histoire, je dis bien un moment et non la fin. Car la reconnaissance du Kosovo ne sera pas acquise si le gouvernement local n'arrive pas à faire respecter les principes de respect des droits de l'Homme et de défense de l'Etat de droit, valeurs qui nous réunissent au sein de cette Assemblée.
Or, vous avez également prononcé le mot essentiel : « corruption ». Il s'agit, semble-t-il, du principal levier pour accéder à toutes les fonctions, notamment politiques dans ce pays.
Le Kosovo n'est pas indépendant : ni de facto, ni de jure . Il n'a ni constitution formelle, ni législation ; il ne remplit pas les critères de Copenhague. En l'état, il ne pourrait s'intégrer. Il est en situation de conflit gelé et ses voisins ont toujours des prétentions. Il connaît des difficultés à résoudre tous les problèmes, y compris en matière de propriété privée : en ce moment, la privatisation est effrénée. Pour toutes ces raisons, la mission Eulex est essentielle. Elle accompagne un processus nécessaire d'adaptation. Au demeurant, elle semble se focaliser surtout sur la défense de la communauté serbe et sur la poursuite des criminels de guerre, ce qui est certes important, mais pas suffisant. La réforme du système judiciaire n'est pas facile et elle n'est pas non plus facilitée. Une telle situation ne peut pas durer. Aujourd'hui, on brise enfin le silence, ce qui était nécessaire, car le silence est préjudiciable. D'ailleurs, la situation même des journalistes, c'est-à-dire de ceux qui pourraient parler, pose problème : ils semblent totalement muselés par un intérêt qui les lie eux aussi au système du crime organisé. Il n'y a pas de presse - en tout cas, de presse indépendante.
Le Kosovo s'enferme donc dans une situation sans issue. Il est susceptible de s'effondrer à tout moment, peut-être définitivement. La communauté internationale - c'est-à-dire nous tous - prend-elle conscience de cette situation ? Aujourd'hui oui - un peu plus qu'hier. Il nous appartient maintenant de réaffirmer, et de façon unitaire - je crois que ce sera le cas -, et de façon forte - ce sera sans doute aussi le cas -, les principes qui sont les nôtres et qui doivent donc être aussi ceux de cet espace que l'on appelle « Kosovo » : les principes de droit et de justice. C'est l'intérêt de ce pays et de son avenir ; c'est l'intérêt de l'Europe, car c'est celui de la paix. »
La mission EULEX doit parallèlement renforcer sa présence au Nord du Kosovo. Une telle sécurisation doit permettre aux autorités serbes et kosovares d'entamer un dialogue constructif en vue de résoudre un certain nombre de difficultés pratiques pour leurs ressortissants, tels que la délivrance de documents ou l'approvisionnement énergétique. Le gouvernement kosovar est invité à renforcer sa coopération avec EULEX, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ou l'Agence de lutte contre la corruption. Par ailleurs, la légitimité démocratique des autorités kosovares ne pourra être assurée, aux yeux de l'Assemblée, tant que l'indépendance des médias ne sera pas pleinement établie et que les partis ne répondront pas à des règles de fonctionnement modernes, en respectant notamment diversité ethnique et égalité des sexes.
Des dispositions doivent parallèlement être mises en oeuvre en vue de garantir les droits des minorités, tant culturels qu'économiques et sociaux. Le caractère multi-ethnique du Kosovo doit, selon l'Assemblée, se traduire concrètement par la possibilité d'exercer son droit au retour pour les réfugiés et de s'intégrer parallèlement dans la société kosovare. Une attention particulière doit également être portée à la condition des femmes menacées non seulement par les violences domestiques, mais aussi par la traite des êtres humains. Enfin, la situation particulièrement délicate des Roms doit également être au coeur des priorités du gouvernement kosovar.
E. LA SITUATION DES ROMS EN EUROPE ET LES ACTIVITÉS PERTINENTES DU CONSEIL DE L'EUROPE
La situation des dix à douze millions de Roms qui résident en Europe est l'objet d'une attention soutenue de la part du Conseil de l'Europe depuis 1993 et l'adoption d'une recommandation relative aux Tsiganes en Europe 1 ( * ) . Les objectifs généraux de non-discrimination que l'Assemblée avait alors définis n'avaient été atteints que de façon très limitée, poussant ainsi à la rédaction d'une nouvelle recommandation en 2002 2 ( * ) sur la situation juridique des Roms en Europe. L'intervention du Conseil de l'Europe sur ce sujet s'est également traduite par une campagne de communication, intitulée Dosta ! , parrainée par l'actrice Fanny Ardant. Présente dans l'hémicycle lors du débat, celle-ci a souligné la spécificité de la communauté rom, rappelant l'ostracisme que celle-ci subit de part et d'autre du continent.
La démarche de l'Assemblée en 2010 est motivée par un nouveau constat d'échec, les Roms étant encore régulièrement victimes d'actes d'intolérance et de discrimination. Les agressions constatées en Bulgarie, en Grèce, en Italie, en Slovaquie ou en République tchèque ces dernières années, la récurrence de discours de haine raciale en Croatie, en Hongrie, en Suisse ou en Ukraine témoignent d'une tension latente à l'égard de cette communauté.
Mme Maryvonne Blondin (Finistère - SOC) a insisté sur la nécessité de repenser les stratégies en matière de lutte contre les discriminations touchant cette communauté :
« Le deuxième sommet européen sur l'inclusion des Roms, qui s'est tenu à Cordoue le 8 avril dernier, a été l'occasion de constater que la lutte contre les discriminations touchant les Roms est un échec. La plupart d'entre eux sont extrêmement marginalisés et vivent dans des conditions socio-économiques déplorables. La discrimination, l'exclusion sociale et la ségrégation subies par les Roms se renforcent mutuellement. À ces problèmes objectifs s'ajoute la persistance des stéréotypes, qui constituent sans doute le phénomène le plus long et le plus difficile à combattre. Albert Einstein disait : « Il est plus difficile de combattre les préjugés que de briser un atome ».
La complexité et l'interdépendance de ces problèmes exigent des solutions à long terme tenant compte de tous les aspects du dénuement des Roms grâce à une démarche intégrée. En France aussi, malheureusement, la situation des Roms est inacceptable. Ils sont très majoritairement issus de Roumanie et de Bulgarie. Naturellement, tous les ressortissants roumains et bulgares, qu'ils soient Roms ou non, n'ont pas moins de droits que les autres citoyens de l'Union européenne. Ils sont toutefois soumis à un régime transitoire, issu des traités d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union.
Ce régime prévoit des mesures transitoires en matière d'accès au marché du travail, qui s'appliqueront en France jusqu'à la fin de l'année 2013, au plus tard. Signalons toutefois que de nombreux emplois sont ouverts aux Roms en fonction d'une procédure simplifiée qui concerne près de 150 métiers.
Ce régime prévoit aussi que les ressortissants bulgares et roumains s'acquittent des taxes de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui permettent de financer les actions d'intégration des populations étrangères en France.
L'origine des difficultés, pour les Roms de nationalité roumaine ou bulgare, réside moins dans l'accès aux droits que dans le non-respect de la liberté de circulation par des réseaux criminels se livrant au trafic d'êtres humains.
Hier, le Président de la Croatie nous a présenté son plan national pour les Roms, rappelé tout à l'heure. M me Reps a évoqué la nécessité pour les collectivités territoriales de s'impliquer. Dans la région parisienne, quelques municipalités ont créé depuis 2007 des « villages d'insertion » pour des familles Roms qui accueillent au total de 700 à 800 personnes dans des caravanes ou des bungalows, où ils vivent en sécurité dans des conditions correctes.
Ce dispositif permet aussi de scolariser les enfants. Certains de ces « villages insertion » sont parfois surveillés par des agents de sécurité afin de briser la logique mafieuse des chefs de clan.
Cette solution n'est sans doute pas idéale, mais elle permet de limiter la surpopulation sauvage et l'installation de bidonvilles, et d'enclencher un processus de resocialisation de populations en très grande détresse. »
La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme souligne plus particulièrement les problèmes d'accès à l'éducation, à l'emploi, au logement et aux soins de santé rencontrés par les Roms de part et d'autre du continent européen. La question de leur participation à la vie démocratique demeure également entière. Le rapport de la commission constate parallèlement que les plans d'actions nationaux demeurent trop isolés et insuffisants pour parvenir à régler les problèmes d'une communauté, mouvante par essence. Une approche coordonnée doit dès lors être privilégiée, sans pour autant que la solution de ce problème ne soit renvoyée aux organisations internationales.
La résolution telle qu'adoptée par l'Assemblée invite en conséquence les Etats membres à mettre en oeuvre une collecte de données statistiques fiables pour évaluer les programmes existants et améliorer leur efficacité. Lesdits programmes doivent parallèlement être déclinés au plan local en responsabilisant les collectivités territoriales. Les questions d'éducation doivent faire l'objet d'une attention particulière, l'Assemblée rappelant les recommandations du Comité des ministres adoptées en 2000 et 2009 sur le sujet, insistant notamment sur la nécessaire formation des enseignants à ce type de public. Deux recommandations du Comité des ministres de 2005 et 2009 sur le thème du logement doivent également être pleinement mises en oeuvre, en vue de condamner toute agression sur les lieux de résidence des Roms et de permettre que leurs conditions de vie répondent aux critères de logement convenables. L'accès aux soins doit également être favorisé, une recommandation du Comité des ministres de 2006 dressant déjà un cadre d'intervention qui vient compléter les bonnes pratiques observées dans les Etats membres : campagnes d'immunisation des enfants, mise en place de cliniques mobiles...
F. DÉBAT SUR LA SITUATION DE LA DÉMOCRATIE EN EUROPE
L'Assemblée a organisé en son sein un débat conjoint, autour de trois textes, sur l'évolution des modèles démocratiques en Europe à l'heure, notamment, de la crise économique et financière.
Invité à intervenir devant l'hémicycle afin d'introduire les débats, M. Alain Touraine, sociologue, a souligné l'incapacité des partis démocratiques à proposer des réponses alternatives à la crise économique mondiale. Celle-ci appelle pourtant une véritable redéfinition de nos sociétés, afin que l'ensemble des éléments de la vie sociale, culturelle, politique finisse par avoir le même poids que le monde économique.
Une révision des missions assignées à la démocratie s'impose également. La définition traditionnelle de la démocratie repose, selon le sociologue, sur la recherche du bien commun et de l'intérêt général. Or, c'est au nom de ces valeurs que la xénophobie ou la tentation nationaliste peuvent se développer. Parallèlement, il convient d'éviter de parler de tous les problèmes particuliers en termes universels. Le principe de l'universalité de la liberté s'impose avant toute autre considération.
Le sociologue a également insisté sur la nécessité de tempérer les attaques récurrentes contre les médias. Ceux-ci sont dangereux dans la mesure où ils possèdent un monopole. Les médias sont, en outre, des instruments qui posent des problèmes nouveaux.
M. Alain Touraine a, par ailleurs, indiqué qu'il ne convenait pas tant de s'interroger sur les conséquences négatives de la crise économique sur le fonctionnement des démocraties, que sur les responsabilités de celles-ci dans le déclenchement de la crise. Aux yeux du sociologue, les systèmes politiques et institutionnels ont préconisé le laissez-faire, laissant s'installer l'illusion que la politique ne sert à rien et que ce sont les marchés qui importent.
1. Les acteurs extra-institutionnels du pouvoir en régime démocratique
Dans la lignée de la recommandation sur le lobbying dans une société démocratique adoptée en avril 2010 par l'Assemblée 3 ( * ) , la commission des questions politiques a souhaité insister sur le rôle d'acteurs issus de la société civile dans le processus démocratique. A côté des syndicats et des médias, historiquement associés à la consolidation de la démocratie, le rapport insiste sur l'émergence des groupes de pression et de sensibilisation, les milieux d'affaires ou les réseaux d'influence.
La position de l'Assemblée sur ce sujet, telle qu'exprimée par la résolution qu'elle a adopté, est duale. Considérant que le pluralisme politique est une des valeurs fondamentales en démocratie, l'Assemblée considère que les activités de ces acteurs extra-institutionnels peuvent s'avérer utiles en vue d'améliorer constamment le fonctionnement de nos démocraties. Ils permettent ainsi une meilleure représentation des intérêts et besoins spécifiques et fournissent des informations spécialisées au moment de la prise de décision politique.
La légitimité de ces réseaux apparaît cependant sujette à caution tant ils sont, par définition, la représentation d'intérêts particuliers. Une écoute attentive de leurs préoccupations apparaît peu en phase avec le principe d'égalité politique. Le manque de transparence quant au fonctionnement de certains d'entre eux contribue à renforcer un sentiment justifié de suspicion à leur égard. Les médias ne dérogent pas à cette appréciation, l'Assemblée ayant d'ailleurs adopté en 2007 une résolution exprimant ses inquiétudes devant la tendance des organes de presse à se substituer aux partis politiques pour déterminer les priorités ou monopoliser le débat politique.
M. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC) a insisté, à la lumière de l'expérience française en la matière, sur l'écart entre lobbying et souci de l'intérêt général :
« J'ai apprécié la démarche originale du rapport de M. Daems, exposée par M me Brasseur, laquelle consiste à engager un débat sur la manière de mieux réglementer l'influence des acteurs extra-institutionnels sur les décisions politiques.
Je partage son point de vue quant à l'intérêt d'approfondir la question en en saisissant la Commission de Venise, à condition toutefois que les recommandations de cette dernière soient suivies par les Etats auxquels elles sont destinées, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas. Dans bien des Etats, en effet, une telle réglementation est défaillante, voire inexistante. Ce vide juridique laisse toute latitude à des groupes bien organisés pour orienter les politiques publiques dans le sens de leurs intérêts. Je crains d'ailleurs que l'emprise des oligarques sur la vie publique de certains Etats membres du Conseil de l'Europe ne soit actuellement grandissante.
Pour autant, l'effet néfaste de certains groupes d'intérêts peut aussi se faire sentir dans les démocraties les mieux établies. Les groupes d'intérêts profitent des faiblesses de la démocratie. Ainsi que l'a indiqué M. Gross : « L'argent ne doit pas coloniser la démocratie. »
Je citerai le drame de l'amiante qui a eu lieu en France. Le grand nombre de victimes touchées par l'usage intensif de cette fibre naturelle dans l'industrie a conduit les deux chambres du Parlement français, l'Assemblée nationale et le Sénat, à mener des investigations approfondies sur ce dossier de santé publique.
De leurs conclusions, il ressort que l'Etat a été « anesthésié » par le lobby de l'amiante qui, entre 1978 et 1995, s'était structuré en un « comité permanent amiante » (CPA), organisme informel dont la création avait été en apparence motivée par la prévention des maladies professionnelles provoquées par l'amiante, mais dont les réunions étaient hébergées dans les locaux d'une société de communication financée par des industriels. Des ministères et des syndicats ont participé à ses travaux, de même que des scientifiques qui lui apportaient ainsi une caution jugée incontestable.
Or, en profitant des carences des pouvoirs publics en matière de sécurité au travail et en exploitant les incertitudes scientifiques, le CPA a réussi à insinuer le doute sur l'importance du risque de l'exposition à l'amiante et, en soutenant la thèse d'un « usage contrôlé » de cette fibre, à retarder au maximum l'interdiction de l'usage de l'amiante en France, laquelle n'est finalement intervenue qu'en 1997, alors que ses effets nocifs étaient connus depuis bien longtemps. Le CPA n'était rien d'autre que le faux-nez des industriels pour les intérêts desquels il agissait avec une indéniable efficacité et une grande capacité d'adaptation. Naturellement, il ne s'agit pas de généraliser ce triste exemple, et tous les lobbies ne poursuivent pas des intérêts aussi funestes.
Puisque je dispose de peu de temps, je dirai que l'essentiel est bien d'aboutir à des compromis et d'éviter des surenchères stériles qui ne feraient que figer les termes d'un débat délicat.
Enfin, je tiens à remercier le professeur Touraine dont j'ai déjà eu l'occasion d'apprécier les analyses. Soyons donc vigilants et à l'écoute, mais ne nous laissons ni endormir, ni tromper ! »
La résolution adoptée invite la commission européenne pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, à évaluer l'ampleur de l'implication prise par les acteurs extra-institutionnels dans le processus politique et leur impact sur la prise de décision. Cette analyse doit conduire la commission à préconiser un certain nombre de mesures normatives adaptées.
2. Les conséquences politiques de la crise économique
Lors de la première partie de session de 2009, l'Assemblée avait constaté que la crise économique pouvait représenter une menace pour les fondements de la démocratie sur le continent européen 4 ( * ) . Elle avait, à cet égard, ciblé plusieurs dangers potentiels liés à l'impact social de la crise ainsi que ses conséquences en matière de migrations ou d'emploi des femmes. Dans la résolution adoptée à l'époque, l'Assemblée invitait les Etats membres à mettre tout en oeuvre en vue de sauvegarder les droits sociaux et économiques des citoyens. Elle insistait sur la nécessité pour les gouvernements d'investir en faveur des infrastructures et du logement.
Dans son intervention, M. Jean-Pierre Kucheida (Pas-de-Calais - SRC) a souligné, à la lumière de l'Histoire, les risques que font peser les crises économiques sur les démocraties :
« Si l'Histoire ne se répète pas, elle peut bégayer ! La Révolution française est née de l'incapacité de la monarchie à se réformer et à assainir ses finances, faute de vouloir remettre en cause les avantages des privilégiés. Hitler ne serait pas arrivé au pouvoir s'il n'y avait eu autant de chômeurs en Allemagne après la Première Guerre mondiale ou la crise de 1929. La force de la démocratie américaine se mesure au fait que Roosevelt est arrivé au pouvoir quelque temps après la crise de 1929.
Dans son excellent rapport, M. Zingeris fait d'ailleurs bien le lien entre la montée des partis extrémistes et la crise économique. La montée de l'abstentionnisme est un autre signe fort du désenchantement à l'égard du politique et de la démocratie.
De manière plus sournoise, les partis au pouvoir, théoriquement légitimes et responsables, peuvent reprendre les idées des partis extrémistes, qui ont alors gagné la bataille des idées. Et un jour, les électeurs, mesdames, messieurs, préfèrent l'original à la copie. Restons donc authentiques dans tous les domaines ! Restons nous-mêmes !
De plus, la crise économique survient dans un contexte difficile, celui d'un monde globalisé, infiniment complexe, voire incompréhensible pour le commun des mortels. N'a-t-on pas vu des dirigeants de banque avouer qu'ils étaient bien incapables de comprendre ce que faisaient réellement les traders ?
Dans ce monde complexe, la tentation est forte de l'affronter avec des idées simplistes, faciles à comprendre, en surfant souvent sur un fond nationaliste et xénophobe.
Comment éviter les dérives fatales que nous avons connues par le passé ? Je livre quelques pistes à votre réflexion.
Redonnons tout d'abord tout son rôle au politique. Cela implique une régulation au niveau adéquat : l'Union européenne, les conventions du Conseil de l'Europe, voire le plan mondial, avec par exemple, l'OCDE, lorsqu'il s'agit d'appréhender le système financier.
À l'inverse, appliquons autant que faire se peut, le principe de subsidiarité lorsqu'il y a lieu. Fort bien appliqué en Allemagne, il l'est beaucoup moins au niveau de l'Union européenne. Redonnons de l'espace aux parlements nationaux, encore détenteurs de l'essentiel de la légitimité démocratique. Le bilan de l'Union européenne est, à bien des égards, brillant. La construction européenne a cependant eu pour effet de transférer le pouvoir législatif aux gouvernements. Aujourd'hui, je ne crois pas que le Parlement européen comble ce déficit démocratique, bien au contraire.
Le traitement de la crise doit ensuite être équitable. Les sacrifices doivent être justement partagés. Ce n'est aujourd'hui absolument pas le cas dans l'Europe tout entière.
Il nous faut aller vers plus de régulation du système financier. Tout indique, en effet, aujourd'hui, que de nombreuses banques européennes sont dans une situation d'autant plus préoccupante qu'elles s'efforcent de dissimuler encore l'ampleur de leurs faiblesses.
Les responsables politiques doivent donc tenir un langage ferme d'équité, de transparence et de responsabilité. Je rejoins mon collègue Mignon ; encore faut-il être correctement relayé par les médias qui doivent être objectifs pour rapporter nos propos.
N'oublions pas que la démocratie est beaucoup plus fragile qu'il n'y paraît. Regardez ce qui se passe au coeur de l'Europe, en Belgique. Qu'y constate-t-on ? Des discriminations ethniques, un refus de la solidarité, la montée de la xénophobie, la désagrégation du pays ».
Selon la commission, les réductions de la dépense publique observables un peu partout en Europe vont à rebours de ces recommandations, les gouvernements annonçant en outre de nombreuses réformes en vue de limiter leur endettement : gel des dépenses publiques, réforme des retraites, hausses d'impôts. Mal perçues par les opinions publiques, de telles mesures d'austérité peuvent occasionner une dégradation rapide du climat social, qu'il ne convient pas de relativiser, comme en témoignent les violences enregistrées à Athènes en mai dernier. Il y a également lieu de s'interroger, à terme, sur le recours aux extrêmes à l'occasion des prochains scrutins.
Néanmoins, comme l'a indiqué M. Bernard Fournier (Loire - UMP) , cette crise peut être envisagée comme une opportunité en vue de réformer le mode de fonctionnement de nos démocraties :
« La crise actuelle, dont l'Europe peine beaucoup à sortir alors que nombre d'économies émergentes connaissent une forte croissance, doit nous faire prendre conscience que nous sommes en train de vivre une période de profonds changements.
Le premier tient aux évolutions perceptibles du capitalisme. L'ampleur de la crise actuelle et la violence de ses conséquences nous ont surpris. La chute du système soviétique et la faillite définitive de l'économie planifiée avaient suscité un moment dans l'Histoire - environ vingt ans, dans les années 1990 et 2000 -, marqué par une foi sans doute excessive dans le marché. Celle-ci s'est traduite par des comportements exubérants, tels que le développement hors de tout contrôle de la sphère financière et les rémunérations extravagantes des traders .
Certes, on peut penser et espérer que cette époque, en tout cas dans ses manifestations les plus excessives, est révolue. Mais prenons garde à ce que le capitalisme du XXI e siècle ne répète les travers de celui du XIX e , c'est-à-dire un système marqué par des inégalités criantes et la prééminence du patrimoine qui avait fait les beaux jours des rentiers. Les prémices d'une telle évolution, qui menacerait nos valeurs démocratiques, sont pourtant bien présentes aujourd'hui.
Nous éprouvons des difficultés à accepter que nous ne connaîtrons plus jamais la situation économique des Trente Glorieuses. Cette époque, nous l'avons sans doute idéalisée. Mais surtout, elle a correspondu à un moment exceptionnel et transitoire de notre histoire économique, résultant d'un phénomène de rattrapage engendré par la reconstruction de l'Europe après les désastres causés par deux guerres mondiales successives. À partir de 1945, nous avons cru que les revenus du capital avaient tout bonnement disparu au bénéfice des revenus du travail, toujours croissants. L'actionnaire, âpre au gain, avait fait la place au cadre méritant. Les inégalités avaient fortement diminué, n'étant plus que salariales. Nous vivons dans la nostalgie de cette époque, dont la crise a pourtant bien mis en évidence qu'elle était révolue. Les inégalités actuelles reviennent à leur niveau de la Belle Epoque.
Pour autant, je ne veux pas céder au pessimisme, qui, selon moi, transparaît du rapport de notre collègue M. Zingeris. Car la crise peut aussi nous offrir la possibilité, non seulement d'instituer des régulations plus efficaces, à même de mettre un terme aux excès les plus flagrants, mais aussi d'envisager de nouvelles modalités de fonctionnement plus solidaires. C'est le second changement observable.
Je voudrais prendre l'exemple, également évoqué dans le rapport, des décisions prises très récemment par l'Union européenne pour faire face aux suites de la crise grecque.
Cette tourmente a obligé l'Union européenne à réfléchir et à prendre position sur la façon dont elle fonctionne. On le sait, les fondements du projet européen ont d'abord été économiques. Ce sont les « solidarités de fait » évoquées par Robert Schuman, qui ont progressivement abouti à la mise en place d'une monnaie unique. Mais ces solidarités ne peuvent jouer que si chacun des partenaires présente une situation économique transparente, fondée sur des statistiques fiables et des évaluations crédibles.
Le mécanisme européen de stabilisation mis en place début mai constitue une opportunité pour contraindre les Etats de la zone euro à mettre leurs actes en concordance avec leurs engagements d'assainir leurs finances publiques.
Ce dispositif constitue l'un des premiers éléments que l'Europe met en place pour améliorer sa gouvernance et rééquilibrer le pouvoir économique en son sein, qui, jusqu'à présent, accorde une trop grande place aux seules questions monétaires. Il se construira de façon progressive, pragmatique et selon des modalités qui restent encore à définir. Nous sommes probablement au commencement d'une période nouvelle. »
La mise en oeuvre d'une véritable gouvernance économique européenne apparaît d'ailleurs aux yeux de Mme Arlette Grosskost (Haut-Rhin - UMP) comme la réponse la plus adaptée de la part des démocraties à la crise :
« Notre monde actuel est tellement tourné vers le tout-économique que l'on oublie que l'économie n'est que le soubassement de la politique.
M. Touraine l'a évoqué, les conséquences politiques de la crise pourraient être pires que celles auxquelles nous sommes confrontés. La crise économique a nécessairement des conséquences politiques. Elle a mis en évidence deux points : une perte de confiance en la capacité du politique à diriger ou réguler l'économie, un déficit de politiques européennes. L'abstentionnisme et la montée des partis extrémistes sont les prémices de cette perte de confiance des citoyens dans les dirigeants qu'ils ont eux-mêmes choisis pour les représenter.
La crise grecque a mis en exergue, à l'échelle européenne, l'absence totale de coordination et de véritable politique européenne digne de ce nom. Non seulement les hésitations des partenaires de l'euro ont fait mécaniquement monter le prix de l'argent prêté, mais ils ont eu pour corollaire plus dangereux la mise en évidence d'une absence totale de coordination en cas de crise parmi l'un des pays partenaires.
La crise de défiance des marchés, qui n'est pas exempte de spéculation, a révélé une crise de défiance plus profonde dans la capacité des pays membres de l'euro à avoir une politique européenne économique commune.
Les conséquences sont doublement graves. D'une part, le déficit démocratique de l'Union européenne s'accentue et montre l'impuissance des parlements et des gouvernements nationaux à enrayer un phénomène de défiance qui, malheureusement, se propage. D'autre part, on constate la difficulté des gouvernements à dessiner une politique solidaire qui ne pourrait avoir pour conséquence uniquement de renforcer un contrôle technocratique, déjà demandé, de la Commission européenne sur le vote des budgets par les parlements nationaux, compétence qui légitime à elle seule l'existence d'une représentation démocratique.
A ce constat pessimiste, je souhaiterais ajouter une note d'optimisme. La crise économique, et notamment ses conséquences négatives en Grèce, nous ont mis et nous mettent face à nos responsabilités politiques. C'est à nous, hommes et femmes politiques, de montrer que le fatalisme n'existe ni dans le domaine économique, ni dans le domaine politique. C'est à nous, hommes et femmes politiques, de décider quelle Europe et quelle démocratie nous souhaitons laisser à nos enfants. C'est à nous, hommes et femmes politiques, de mettre en évidence que l'impuissance supposée peut laisser la place à un volontarisme assumé. C'est à nous, hommes et femmes politiques, de montrer que l'Europe politique est possible.
Il nous appartient de surmonter nos peurs pour construire, de manière rationnelle et réaliste, un chemin d'avenir sur la base d'éléments objectifs, qui doivent faire de l'Europe un acteur majeur pour bâtir le monde de demain.
L'euro, la monnaie commune, a su protéger des assauts répétés de spéculateurs avides, les pays plus faibles économiquement. Certes, il y a eu des conséquences dommageables, mais l'Europe a su jusqu'alors résister économiquement et ce grâce à son expérience, à sa maturité, qui fait qu'elle demeure à la table des grands décideurs du monde.
C'est à nous, hommes et femmes politiques, de colmater la brèche, ainsi ouverte par la défiance des marchés, pour qu'elle ne se transforme pas en une ouverture béante, en devenant la défiance des citoyens. La crise économique nous oblige à des politiques coordonnées, notamment fiscales et budgétaires. Elle nous oblige à une véritable gouvernance économique européenne.
C'est à nous, hommes et femmes politiques, de redonner confiance en nos institutions, et tout simplement en la politique. Ce n'est pas à l'économique de primer sur le politique, mais bel et bien l'inverse.
C'est à nous, hommes et femmes politiques, de redonner foi en notre engagement. C'est ainsi que nous saurons à nouveau rendre crédible la démocratie et, par là même, encourager les citoyens à retourner aux urnes ! »
La mise en oeuvre, par l'Union européenne, d'un ensemble de mesures d'urgence destinées à défendre la monnaie unique et la zone économique qui lui est rattachée participe, aux yeux de la commission des questions politiques, des mesures indispensables en vue de conserver une forme de cohésion sociale. Elle regrette cependant que cette politique ne soit pas coordonnée avec celles des autres Etats membres du Conseil de l'Europe, tentés en conséquence d'adopter des solutions purement nationales.
La résolution adoptée insiste parallèlement sur la nécessité pour les parlements nationaux d'être mieux associés aux processus de réforme de la gouvernance financière et économique au sein de l'Union européenne et en dehors. Une attention particulière doit également être portée à la lutte contre la corruption au sein des pouvoirs publics.
3. La démocratie en Europe : crises et perspectives
La crise financière mondiale n'est pas sans incidence sur les difficultés que rencontre actuellement le modèle démocratique. L'absence de réglementation ou de contrôle politique sur les intérêts financiers vient un peu plus renforcer la défiance à l'égard des gouvernements et l'abstention lors des scrutins. Cette perception est d'autant plus aigüe que la décision politique semble désormais être le fruit de compromis passés au niveau mondial, sans réel contrôle par les parlements nationaux et sans possibilité pour le citoyen de participer. Combinée à un manque de transparence quant au fonctionnement de ces institutions internationales et à la perception aigüe d'une concentration du pouvoir et des richesses, une telle situation ne peut qu'engendrer un manque de confiance à l'égard de pouvoirs publics suspectés d'impuissance. Le recours aux extrêmes peut, à cet égard, représenter une manière d'exprimer un tel sentiment.
M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP) , président de la délégation , a souhaité souligner l'écart constaté entre les attentes des citoyens et le pouvoir réel de ses représentants :
« Le thème de notre débat est la crise de la démocratie en Europe. En effet, nos concitoyens sont désabusés et désengagés. Nous avons pourtant la chance de vivre dans de véritables démocraties, ce qui n'était pas le cas il y a encore quelques années pour certains pays membres du Conseil de l'Europe. On observe une montée paradoxale des extrémismes, que l'on a du mal à expliquer. En réalité, n'y sommes-nous pas pour quelque chose ? Lors des campagnes électorales, les responsables politiques cèdent souvent à la facilité : ils en rajoutent et jouent avec les peurs.
Comment lutter contre l'abstentionnisme ? C'est une question importante, bien sûr. Pourtant, en tant qu'élu local, je constate par moi-même que les électeurs se déplacent pour les élections municipales. Chacun devrait avoir conscience que voter est un devoir, et que des millions d'hommes et de femmes se sont battus pour obtenir le droit de s'exprimer en votant.
On entend souvent dire que les gouvernements des pays européens sont décrédibilisés. Il me semble que les ministres qui les composent essaient de faire leur travail le plus correctement possible et dans des conditions souvent difficiles. En revanche, on constate que l'antiparlementarisme se développe de manière insupportable. En France, les députés sont notés en fonction de leur taux de présence à l'Assemblée nationale. Parce que je suis présent ici aujourd'hui avec vous et absent de Paris, je risque d'obtenir une bien mauvaise note aujourd'hui !
Il faut souligner par ailleurs le décalage qui existe entre les attentes des citoyens et les possibilités réelles d'action des responsables politiques. Nous devons y remédier.
M. Touraine a indiqué tout à l'heure que, selon lui, les médias ne sont pas responsables de tous nos maux. Nous avons la chance, en effet, d'avoir de manière générale des médias de très grande qualité. Toutefois, je voudrais dénoncer une nouvelle profession, apparue depuis quelque temps, celle de polémiste. Je crois personnellement que lorsque l'on a la chance de pouvoir s'exprimer dans les médias et, tous les matins, sur des radios à forte audience, on a aussi des devoirs ! En tant que parlementaires, nous ne bénéficions pas des mêmes possibilités de nous exprimer ainsi devant nos citoyens. Certains journalistes devraient être plus conscients de la chance qu'ils ont de pouvoir le faire.
Le thème de ce débat est vaste et complexe. Que celui qui connaît la solution me la donne. Je suis preneur ! »
La commission des questions politiques estime qu'une telle crise conduit à repenser l'interaction entre les citoyens et les pouvoirs publics et dépasser ainsi le modèle classique de la démocratie représentative. Rappelant sa position en faveur du droit de vote de tout résident, la commission appelle au développement d'une nouvelle culture de la responsabilité. La mise en place de structures participatives et délibératives, de référendums d'initiative citoyenne comme le renforcement d'instances de contrôle indépendantes participeraient de cet objectif.
M. Laurent Béteille (Essonne - UMP) s'est montré, dans son intervention, assez réservé sur ce recours aux outils de la démocratie participative :
« Je souhaiterais à mon tour remercier les rapporteurs pour la pertinence des analyses qu'ils nous ont livrées, ainsi que M. Touraine pour le plaisir que nous avons eu à écouter son analyse particulièrement brillante et pertinente.
J'interviendrai essentiellement sur le rapport de M. Gross, dont nous avons apprécié, les uns et les autres, à la fois la profondeur et l'intelligence.
La situation a été fort bien analysée, les indicateurs démontrant que la démocratie est en crise sur notre continent, et probablement ailleurs aussi. On cite souvent l'exemple de l'abstention qui atteint des niveaux inégalés. Ainsi que le remarquait tout à l'heure Jean-Claude Mignon, l'abstention est faible lorsque l'électeur sent que son vote aura une véritable influence. A l'inverse, pour certaines élections, européennes notamment, les électeurs ne se déplacent pas, estimant que la décision leur échappe assez largement. C'est un sujet auquel nous devons réfléchir.
La montée des extrêmes est évoquée, en stigmatisant, à juste titre, un discours simplificateur et racoleur. Mais est-ce l'apanage des extrêmes ? Nous devrions nous interroger sur ce point.
Se pose également le problème de savoir qui décide vraiment en matière économique. Je rejoins l'analyse faite par de nombreuses personnes : les décisions échappent pour une très large part aux politiques. S'ils en sont en grande partie responsables, il n'en demeure pas moins que la mondialisation de l'économie empêche de trouver des solutions. Si je partage l'analyse du rapport, je reste perplexe sur les solutions à apporter. En effet, analyser la situation est plus aisé que de trouver des solutions à même de la redresser. M. Gross propose à juste titre de renforcer l'éducation et l'instruction des citoyens. Si l'on ne peut que partager ce souhait, sans doute sera-t-il difficile de trouver le moyen de le faire de manière objective.
M. Gross souligne également la nécessité d'en finir avec le « court-termisme », ou du moins une vision trop immédiate de la politique qui renvoie les conséquences des décisions vers les générations futures. Je me demande s'il n'existe pas une certaine contradiction entre l'aspiration à plus de hauteur de vue et le fait de vouloir à tout prix encourager la démocratie participative. L'opposition entre l'immédiat et le long terme me semble se manifester dans les propositions de M. Gross, mais je suis certain qu'il me rassurera par ses réponses. »
Mme Annick Girardin (Saint-Pierre-et-Miquelon - SRC) a, pour sa part, insisté sur la nécessité de renforcer la représentativité des institutions démocratiques :
« Je tiens tout d'abord à souligner le travail remarquable effectué par notre collègue Andréas Gross sur ce sujet important qui nous concerne tous, qu'il s'agisse de notre travai,l ici, de promotion des valeurs démocratiques, ou de notre travail de représentants au sein de nos parlements nationaux.
« La démocratie représentative s'est imposée dans son principe au moment où elle s'est fragilisée dans son fonctionnement [...] Mais alors qu'elle a triomphé comme régime, elle se trouve déstabilisée comme forme politique. » C'est par ces mots que Pierre Rosanvallon énonce, dans La démocratie inachevée, les apories relatives au régime démocratique.
C'est par ce constat qu'il met aussi en relief le passage d'une démocratie de confiance à une démocratie de défiance. Défiance pour les institutions, méfiance envers les représentants, remise en cause du politique : c'est bien à une crise généralisée de confiance dans la démocratie comme mode de gouvernement que nous sommes aujourd'hui confrontés. Et cette crise de confiance est amplifiée par le sentiment que les citoyens ont d'une perte d'influence des gouvernements en termes de gouvernance économique.
Si l'institution de contre-pouvoirs est un aspect positif du régime démocratique et de l'Etat de droit, elle ne doit pas conduire à une méfiance qui empêche les élus du peuple de s'exprimer. Et surtout, elle ne doit pas conduire à une technostructure qui confierait le pouvoir à des institutions, certes prestigieuses, mais non élues.
Qu'est-ce que la démocratie ? « Le pouvoir du peuple, par le peuple pour le peuple ». Ce pouvoir passe par l'instauration de représentants du peuple. A ce propos, je ne partage pas l'ensemble des analyses de notre collègue en termes de démocratie directe, car je crois fondamentalement au système de la représentation. Toutefois, si le système de représentation est la clé de voûte du système démocratique, il ne doit pas pour autant empêcher les citoyens de participer de manière active aux affaires publiques. Cette participation nécessite néanmoins formation, information et éducation des citoyens. C'est à ces seules conditions que nous éviterons les risques d'une instrumentalisation des outils de démocratie directe. Peut-on réellement dire, en effet, que le référendum en Suisse contre la construction des minarets ou l'usage plébiscitaire des référendums aient été une avancée pour la démocratie ?
Pourquoi la représentation ? Parce que la représentation a toute sa justification dans la médiation. Elle permet notamment d'avoir le temps nécessaire à la réflexion. Les parlementaires devraient alors représenter le peuple dans sa diversité. Comment pourrions-nous imaginer une démocratie digne de ce nom si toutes les composantes d'un peuple ne sont pas représentées dans l'assemblée qui vote les lois en son nom ? Comment pourrions-nous imaginer une démocratie digne de ce nom si les citoyens ne croient plus aux institutions pour lesquelles ils doivent voter ? Comment surtout pourrions-nous imaginer une démocratie digne de ce nom, lorsque les citoyens ne comprennent pas le fonctionnement des institutions qui les représentent ?
Aujourd'hui plus que jamais, la transparence doit être le maître-mot synonyme de démocratie. Par transparence, je n'entends pas la défiance, mais, à l'inverse, le verre qui permet aux citoyens de voir comment s'élaborent les décisions politiques. A ce titre, les pouvoirs de contrôle des parlements sont essentiels pour mettre le citoyen au coeur du phénomène de prise de décision politique.
Pour conclure, je souhaiterais citer Montesquieu : « L'amour de la république dans une démocratie est celui de la démocratie ; l'amour de la démocratie est celui de l'égalité. » Comprenons bien le message de l'auteur de L'esprit des lois , l'amour de la démocratie, c'est l'amour des institutions. Il s'apprend, se transmet, mais surtout il passe par l'amour de l'égalité.
Si la démocratie apparaît aujourd'hui comme un corps malade, nous connaissons les remèdes pour la soigner : promouvoir la diversité et faire mieux connaître le fonctionnement des institutions, permettre à nos concitoyens de défendre leurs droits et leurs libertés et, enfin, inciter par davantage de transparence politique, à l'engagement du plus grand nombre de toutes et de tous à la chose publique. »
M. François Rochebloine (Loire - UMP) a, quant à lui, souligné sur le délicat équilibre à trouver entre mise en place de contre-pouvoirs et maintien d'une confiance à l'égard des élus :
« Le rapport très fourni de M. Gross mérite le respect, car il est fondé sur un important travail de documentation et propose une réflexion originale, dans laquelle transparaissent la sincérité et la profondeur de l'engagement politique de notre collègue.
Il ne s'est pas assigné une tâche facile car, comme il le dit lui-même, le consensus sur les principes fondamentaux de la démocratie n'implique pas un accord sur « un moyen unique et parfait de la mettre en oeuvre ». Il ne peut d'ailleurs pas s'en étonner, puisqu'il insiste un peu plus loin sur la fécondité du conflit dans la vie démocratique.
Je serais même porté à croire que le consensus dont il parle, celui sur les valeurs, n'est pas un consensus sur la définition qu'il donne de la démocratie. On a parfois l'impression que pour lui, la primauté de la démocratie implique la primauté du mode de règlement politique des conflits ou même simplement des grands problèmes de la société. C'est pourquoi, constatant la crise des formes institutionnelles actuelles de la politique, il consacre une large part de sa réflexion à promouvoir d'autres procédures de nature politique, extérieures au principe représentatif. C'est ce qu'il appelle la démocratie directe ou participative.
Cela soulève un problème de légitimité. Dans un premier temps, je suis d'accord avec lui pour constater une crise de la représentation, ou plus exactement du lien de confiance entre l'électeur et l'élu.
Sans doute cette crise peut-elle être due pour partie aux insuffisances de telle ou telle fraction du personnel politique, mais pour que la démocratie directe soit réellement une alternative, au sens fort du terme, encore faudrait-il être assuré que les marques de défiance des électeurs ne traduisent pas, en même temps que leur déception devant ce qu'ils croient observer, leur attente profonde à l'égard de ceux qu'ils choisissent pour gérer les affaires du pays.
Alors, certes, on peut et on doit multiplier les formes d'expression de la volonté directe du peuple - avec les risques que cela comporte, et je suis surpris que notre collègue récuse la pratique suisse de la votation populaire au seul motif qu'elle a conduit, dans l'affaire des minarets évoquée tout à l'heure par Annick Girardin, à un résultat qui peut effectivement déplaire. Ces formes d'expression sont particulièrement importantes dans la vie locale, où l'expérimentation de solutions possibles a un sens reconnu.
On peut et on doit favoriser les instances qui permettent à la réflexion des citoyens d'aller au-delà de la réaction à court terme et de formuler des idées et des orientations aidant à la décision politique sur des sujets fondamentaux. Nous avons connu cela récemment en France avec les Etats généraux de la bioéthique.
Mais à la fin des fins, il faudra qu'un choix politique soit fait. Les assemblées élues sont faites pour exercer ce choix par mandat de leurs concitoyens. Si dans une société des tendances xénophobes se manifestent, on ne les contrarie pas facilement par une référence doctrinale aux grands principes, mais par un travail de conviction et d'explication dans lequel les élus épris de démocratie ont un rôle déterminant à jouer, à côté des associations et des forces spirituelles et philosophiques.
L'idéal démocratique - notion politique, notion institutionnelle - n'est pas la seule référence d'une vie sociale marquée par l'aspiration à la liberté. J'aurais aimé que notre collègue parle plutôt de la liberté dont, à mes yeux, la démocratie n'est qu'un instrument.
Je le rejoindrai d'ailleurs sur un point : il n'existe pas dans l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe une conception uniforme de la démocratie, parce que le souci de la liberté des personnes, individuelle et collective, n'est pas unanimement partagé par tous les Etats membres. C'est au regard de cette exigence fondamentale que la réflexion à laquelle la commission des questions politiques nous convie doit être engagée dans les années à venir. »
M. Yves Pozzo di Borgo (Paris - UC) a, quant à lui, insisté sur l'absence de contrôle effectif par les parlementaires nationaux des décisions prises dans les instances internationales, notamment communautaires :
« Pour les 27 Etats de l'Union européenne membres de notre organisation, la question de la crise du modèle démocratique revêt une importance particulière. L'Union européenne souffre en effet d'un réel déficit démocratique lié à la complexité du mode de prise de décision mais, également, à la déconnexion des membres du Parlement européen de leur électorat.
L'absence de réelle coopération entre les parlements nationaux et le Parlement européen ne permet pas non plus un passage de relais, une transmission d'informations entre représentants des peuples européens et députés européens agissant en principe dans l'intérêt de l'Union européenne. Pis, lorsque les parlements nationaux disposent d'une tribune pour exprimer leur point de vue sur la politique européenne de sécurité et de défense, cette enceinte - l'assemblée de l'UEO - est condamnée à disparaître sans que soit mise en place une réelle solution alternative.
J'aurais aimé que le Traité de Lisbonne reprenne la proposition exprimée par Valéry Giscard d'Estaing et l'ancien Premier ministre Alain Juppé lors des débats préparatoires au Traité constitutionnel européen, à savoir la création d'une seconde chambre européenne. Cette idée avait le mérite de concilier fédéralistes et tenants du respect des compétences des Etats-nations. Composée, à l'instar de notre Assemblée, de représentants des parlements nationaux, elle aurait pu se concentrer sur le contrôle du principe de subsidiarité, mais également s'investir dans les domaines relevant à l'époque des deuxième et troisième piliers : justice et affaires intérieures, sécurité européenne etc. La seconde chambre n'aurait pas eu un rôle législatif quotidien, mais aurait pu se livrer à un examen politique et garantir ainsi l'application de principes acceptés par tous.
Les rédacteurs du Traité de Lisbonne n'ont retenu qu'une option minimaliste, sanctuarisant dans le traité le contrôle de subsidiarité. Les parlements nationaux disposent désormais pour cela d'un « droit d'alerte précoce » s'ils jugent que l'Union outrepasse ses compétences mais, aussi, d'un droit d'opposition à l'activation de la « clause passerelle » qui permet d'étendre la majorité qualifiée à des domaines jusqu'alors régis par la règle de l'unanimité.
Le citoyen, quant à lui, se voit confier de nouveaux droits. Le Traité crée en particulier un « droit d'initiative populaire » permettant à un million de citoyens de se mobiliser en faveur de l'adoption d'une initiative législative ou politique par les institutions européennes. Cette mobilisation aura pour seul effet « d'inviter la Commission à soumettre une proposition appropriée » au Conseil et au Parlement européen. Nous sommes néanmoins loin du référendum d'initiative populaire ; la démocratisation annoncée reste encadrée.
S'il ne nous appartient pas de contrôler au sein de notre Assemblée la mise en pratique de ces innovations, la réussite du projet européen passe cependant par un suivi de ces changements. Comme le souligne notre rapporteur, l'accent doit être mis sur la nécessité de développer la démocratie au plan transnational. L'Union européenne, après le Traité de Lisbonne, est à cet égard un excellent laboratoire, les expériences démocratiques qui vont y être pratiquées doivent nous servir de références à moyen terme en vue de proposer un nouveau modèle démocratique européen. Telle est d'ailleurs la raison d'être de l'amendement que je défendrai tout à l'heure. »
Il a ainsi, avec plusieurs de ses collègues, fait adopter l'amendement suivant à la résolution :
« L'Assemblée invite les institutions de l'Union européenne à engager un débat sur la façon d'associer plus étroitement les parlements des Etats membres de celle-ci à la prise de décision communautaire » 5 ( * ) .
La rédaction initiale prévoyait la création d'une seconde Chambre à côté du Parlement européen, reprenant en cela une disposition déjà adoptée par l'Assemblée en 2002 6 ( * ) . Elle n'a, cette fois-ci, pas été retenue.
La résolution adoptée par l'Assemblée rappelle par ailleurs la nécessité de renforcer la visibilité de l'action du Conseil de l'Europe, à l'instar de ce que préconisait la résolution sur l'avenir du Conseil de l'Europe présentée par M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP) et adoptée en octobre 2009 7 ( * ) . L'installation d'un Forum de la démocratie à Strasbourg, structure chargée de fournir une référence internationale dans le domaine de la démocratie et laboratoire d'idées, ainsi que la création d'un poste de Délégué à la démocratie, incarné par une personnalité de grande notoriété et chargé de diffuser le message du Conseil de l'Europe, sont, de nouveau, mises en avant.
G. REGAIN DE TENSION AU PROCHE-ORIENT
Organisé en urgence à la demande de la commission des questions politiques, le débat sur le Proche-Orient visait à réaffirmer la position du Conseil de l'Europe en faveur d'un dialogue entre Israéliens et Palestiniens, à l'heure où le processus de paix semble une nouvelle fois au point mort suite à l'arraisonnement par Tsahal d'une flotille humanitaire en direction de Gaza.
M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a souhaité rappeler l'impasse dans laquelle se trouvent aujourd'hui les négociations et les évolutions en cours dans la relation entre Israël et la Turquie :
« L'arraisonnement par Israël des sept bateaux de la « flottille de Gaza », qui s'est soldé par neuf morts à bord du paquebot turc Mavi-Marmara, le 31 mai dernier, vient confirmer, s'il en était besoin, la dégradation de la situation au Proche-Orient. Il révèle également les importantes évolutions géopolitiques en cours dans la région.
Ces événements dramatiques, résultats d'une réaction israélienne tout à fait disproportionnée et sans doute contraire au droit international, interviennent dans un contexte marqué par le blocage du processus de paix israélo-palestinien, en dépit des efforts de l'Administration américaine pour le ranimer.
Un tour d'horizon des principales parties en présence n'incite guère à l'optimisme.
Depuis la disparition, en 2004, de Yasser Arafat, dont la plasticité politique pouvait servir toutes les causes, les Palestiniens n'en finissent plus de se déchirer. L'Autorité palestinienne a perdu toute légitimité, notamment depuis que le Hamas a pris le pouvoir à Gaza, en juin 2007. La direction palestinienne, repliée en Cisjordanie, portée à bout de bras par la communauté internationale, et notamment par l'Union européenne qui paie les salaires des fonctionnaires, est discréditée. Tout un symbole : le mandat du Président Abbas court par défaut, faute de pouvoir organiser des élections. Une fraction croissante de la population ne se reconnaît ni dans l'extrémisme, et le conservatisme, du Hamas, ni dans les pratiques de l'Autorité palestinienne, touchée par une corruption massive.
Surtout, nous assistons à une véritable « dépalestinisation » du mouvement initié, en son temps, par l'OLP. Plus que jamais, la cause palestinienne est l'objet d'une instrumentalisation des puissances censées la soutenir, mais qui, en réalité, cherchent à servir leurs intérêts propres, qu'il s'agisse de l'Arabie saoudite, mettant un terme aux affrontements entre les deux principales factions palestiniennes, de l'Egypte, cherchant à gérer la réconciliation interpalestinienne, ou, aujourd'hui, de la Turquie.
Paradoxalement, du côté israélien, la situation n'est guère plus brillante.
La réaction de l'Etat hébreu, dans l'affaire de la flottille, révèle la mentalité de forteresse assiégée entretenue par ce pays. Israël n'a jamais été aussi fort et aussi vulnérable à la fois. En dépit d'une croissance démographique soutenue et d'une situation économique favorable dans le contexte de crise actuel, et alors que le pays conserve une capacité de dissuasion très forte, Israël est extrêmement fébrile. Obsédé par la menace terroriste, inquiet du programme nucléaire iranien et des capacités militaires du Hamas, moins en cour à Washington du fait de l'intransigeance du gouvernement Netanyahou sur le processus de paix, l'Etat juif est de plus en plus isolé sur la scène internationale, en particulier depuis l'opération « Plomb durci » dans la bande de Gaza, fin 2008/début 2009. Israël se sent menacé de toutes parts, par le Hamas et le Hezbollah, par la Syrie et l'Iran, avec lequel un conflit n'est pas à écarter. Les traités de paix qu'il a signés avec l'Égypte, en 1979, puis avec la Jordanie, en 1994, n'ont jamais débouché sur un véritable rapprochement. Le blocus de Gaza aggrave son cas dans l'opinion publique internationale.
De surcroît, les récents événements ont mis en lumière un revirement majeur au Proche-Orient : la fin de la relation privilégiée entre Israël et la Turquie. Certes, la flottille qui cherchait à forcer le blocus imposé à Gaza par Israël avait été affrétée par une ONG turque, dont les objectifs étaient sans doute plus politiques qu'humanitaires, mais on imagine mal qu'elle ait agi sans l'autorisation, même implicite, d'Ankara. Pour autant, cette évolution n'est pas récente.
Elle traduit le nouveau cours de la diplomatie turque, émancipée de ses attaches occidentales traditionnelles et affranchie de sa tutelle américaine, et qui privilégie les bonnes relations avec les voisins immédiats du pays : Syrie, Irak, Iran, comme l'a montré la récente médiation avec le Brésil sur le nucléaire iranien, et maintenant l'Autorité palestinienne. La Turquie, qui cherche à s'affirmer comme une puissance régionale, entend tirer parti de sa bonne image dans l'opinion arabe pour laquelle elle peut légitimement servir de « modèle », ayant réussi à combiner islam et démocratie.
On le voit, la perspective d'une paix israélo-arabe s'éloigne plus qu'elle ne s'approche. »
La résolution adoptée par l'Assemblée souligne que le raid israélien constitue une violation du droit international, au regard de la position des bateaux arraisonnés. Le droit à la légitime défense ne saurait à cet égard justifier une violation du droit international. L'Assemblée invite l'Etat hébreu à accepter de participer à l'enquête menée par une commission d'enquête internationale.
La résolution rappelle la légitimité des aspirations israélienne et palestinienne. Elle demande, en conséquence, une levée rapide du blocus de Gaza et l'arrêt des implantations de colonies dans les territoires occupés. Elle invite parallèlement le Hamas à faire cesser les tirs de roquettes contre les cibles israéliennes et à reconnaître le droit à l'existence d'Israël.
H. INTERVENTION DE M. GJORGJE IVANOV, PRÉSIDENT DE L' « EX-RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE MACÉDOINE »
Invité à intervenir alors que son pays accède à la présidence du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, M. Gjorgje Ivanov a tenu a souligner l'adéquation de son pays aux valeurs défendues par l'Organisation. Définissant la démocratie macédonienne comme un modèle d'intégration sans assimilation, il a estimé qu'en son pays coexistaient pacifiquement communautés ethniques et religieuses. Ce modèle ne saurait toutefois perdurer s'il ne s'intégrait à un espace ouvert comme l'est le continent européen et plus particulièrement l'Union européenne. M. Ivanov a, d'ailleurs, rappelé l'engagement de son pays en faveur d'une intégration rapide au sein de l'Union.
La crise actuelle augmente un peu plus un réel besoin d'Europe, synonyme de solidarité et de coopération. La réponse à la crise ne peut en effet passer par un repli sur soi de la part des Etats. L' « ex-République yougoslave de Macédoine » entend profiter de sa présidence pour renforcer la coopération entre les Etats membres. Le renforcement de la protection des droits de l'Homme fait, à cet égard, figure de priorité. Dans le droit fil de la conférence d'Interlaeken, elle entend consolider le rôle de la Cour et celui du groupe d'Etats contre la corruption (GRECO). Une acception sociale des droits de l'Homme sera également privilégiée.
Valorisant l'acquis macédonien en la matière, M. Ivanov estime que la seconde priorité de son mandat à la tête du Conseil doit être de garantir l'intégration des minorités nationales dans les sociétés européennes. La décentralisation constitue, à cet égard, une des conditions sine qua non pour remplir cet objectif. Les législations nationales doivent également favoriser la diversité linguistique et culturelle. De telles avancées normatives doivent tempérer les tentations sécessionnistes, le président macédonien rappelant, au cours de ses échanges avec l'hémicycle, que les 5 000 groupes ethniques recensés sur l'ensemble de la planète ne pouvaient donner naissance à autant d'Etats.
La mise en avant de la jeunesse fait également figure d'objectif pour la présidence macédonienne. M. Ivanov a insisté sur le prochain lancement du processus d'Ohrid qui vise à permettre des échanges de vues entre les jeunes du Sud-Est de l'Europe et, par-delà, à les faire participer au renouvellement du modèle démocratique européen.
Au cours des échanges avec l'hémicycle, M. Ivanov a pu donner sa vision des Balkans d'ici dix ans, insistant sur la nécessité de voir se consolider la pax europeana , unifiant les pays de la région autour des valeurs démocratiques. Il s'est à cet égard montré optimiste quant à la résolution de la querelle du nom avec le voisin grec, estimant que la communication entre les deux pays existait et devrait déboucher sur une solution acceptable pour les deux parties. La terminologie actuelle ne peut néanmoins, selon lui, être que temporaire. L'interdiction de l'usage du nom Macédoine lui paraît en effet contraire au droit des peuples à l'autodétermination et susceptible en conséquence d'être contestée par la Cour européenne des droits de l'Homme.
I. DÉBAT D'ACTUALITÉ SUR LA SITUATION AU KIRGHIZSTAN
Les émeutes du 7 avril dernier ont conduit à la démission du président kirghize Kourmankek Bakiev, issu de la « révolution des tulipes » de mars 2005. Ce départ n'a, cependant, pas permis au Kirghizstan de recouvrer une forme de stabilité, des violences interethniques avec la minorité ouzbek éclatant dans le pays au début du mois de juin. 2 000 personnes sont décédées à l'occasion de ces événements, la communauté internationale estimant à 400 000 le nombre de victimes directes ou indirectes de ces affrontements dans un pays comptant 5 millions d'habitants. L'état d'urgence est alors décrété dans deux provinces du pays, le terme de guerre civile étant même avancé. L'arrêt des violences serait, selon certaines sources, accompagné de violations manifestes des droits de l'Homme.
L'intervention de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, à la demande des présidents des groupes politiques, se déroule à la veille de l'organisation d'un référendum, prévu le 27 juin, et destiné à adopter une nouvelle Constitution.
Les débats dans l'hémicycle ont rappelé le poids de l'héritage de l'Union soviétique. Les frontières tracées dans la vallée de la Ferghana à l'époque de Staline obéissent à une logique arbitraire, laissant le champ à la formation d'enclaves. Une intervention occidentale apparaît urgente tant la proximité de l'Afghanistan n'est pas sans susciter quelque inquiétude quant à une radicalisation des musulmans de la vallée et à une escalade du trafic de drogue. L'OSCE, les Etats-Unis et la Russie ont déjà apporté une aide humanitaire. Une intervention directe, multinationale et non unilatérale, placée sous le mandat de l'OSCE et des Nations unies, apparaît ainsi, aux yeux des intervenants, nécessaire.
Le concours du Conseil de l'Europe peut, quant à lui, revêtir deux formes. Il convient ainsi d'assurer un suivi politique de la situation au travers de la présence de la Commission de Venise, à l'occasion du référendum du 27 juin, ou de l'observation des élections législatives d'octobre prochain. Il est parallèlement nécessaire d'enquêter sur la crise humanitaire et les conditions intenables dans lesquelles vivent 100 000 personnes déplacées à l'intérieur du pays.
Les commissions compétentes de l'Assemblée parlementaire ont été saisies dans cette optique.
J. LE FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS DÉMOCRATIQUES EN AZERBAÏDJAN
Près de dix ans après son adhésion au Conseil de l'Europe, l'Azerbaïdjan suscite encore quelques interrogations quant au fonctionnement démocratique de ses institutions. Si des progrès considérables avaient pu être observés à l'issue du scrutin présidentiel de 2008, la commission pour le respect des obligations et des engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe, dite commission de suivi, continue à s'interroger sur l'équilibre des pouvoirs. Les élections législatives prévues en novembre 2010 apparaissent à cet égard comme un excellent test. Le contrôle parlementaire vis-à-vis de l'exécutif reste, en effet, à consolider dans un régime politique caractérisé par la prééminence du président de la République.
La Commission de Venise a récemment indiqué qu'en dépit des amendements qui lui ont été apportés, le code électoral demeure complexe, notamment en matière d'enregistrement des candidats et de financement des campagnes. La Cour européenne des droits de l'Homme a, par ailleurs, récemment conclu, dans son arrêt Namat Aliyev c. Azerbaïdjan, que les commissions électorales pouvaient violer le droit à se porter candidat. Le Parlement européen a, quant à lui, dénoncé, le 17 décembre 2009, la détérioration de la liberté des médias dans le pays. La libération de plusieurs journalistes à la Noël 2009 ne doit pas, en effet, occulter le décès en prison de leur confrère, Novruzali Mammadov, quelques mois auparavant.
M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) a rappelé, dans son intervention, combien la situation était contradictoire avec les engagements souscrits par l'Azerbaïdjan et le Conseil de l'Europe :
« Je salue la qualité du rapport de nos deux collègues qui souligne clairement les préoccupations que nous partageons quant à la situation en Azerbaïdjan et à sa crédibilité démocratique. A ce titre, chacun doit prendre ici toute la mesure de l'inquiétude pointée par nos collègues qui, à la veille du 10 e anniversaire de l'adhésion de ce pays au Conseil de l'Europe, ont raison de souligner toutes les interrogations qui demeurent dans la perspective d'élections législatives importantes pour son avenir démocratique.
J'ajoute que de telles préoccupations sont d'autant plus légitimes et fondées lorsque l'on connaît le sort réservé aux médias et aux journalistes qui sont souvent victimes d'intimidations et de menaces, ainsi que la Cour européenne des droits de l'Homme en a fait de nombreuses fois la remarque.
Chacun pourrait à mon sens témoigner du climat permanent de suspicion - la plupart du temps infondé - qui règne au sommet du pouvoir azéri et qui semble en totale contradiction avec ce que notre Assemblée attend d'un pays soumis au respect des obligations et des engagements contractés lors de son adhésion au Conseil de l'Europe, voici près de dix ans.
En ce qui me concerne, je ne peux donc que partager pleinement les conclusions de ce rapport et j'invite à mon tour les autorités à poursuivre leurs efforts pour faire respecter la démocratie.
J'ai pu vérifier personnellement combien la situation est difficile, lors d'un récent séjour avec cinq collègues députés français dans le Haut Karabagh. En l'occurrence, nous avons appris par la voix du ministère des affaires étrangères que la République d'Azerbaïdjan, venait de mettre sur liste noire notre délégation du groupe composée, outre de votre serviteur, de M. Rochebloine et de M me Grosskost et du président du groupe d'amitié de France-République de Turquie à l'Assemblée nationale française. Nous n'avions pourtant d'autre ambition que de rencontrer nos homologues parlementaires de l'Artsagh, le Président Bako Sahakian, des agences non-gouvernementales ainsi que les organisations sociales et humanitaires implantées dans la région. Cette sanction pour le moins surprenante de la part d'un pays qui aspire à affirmer sa place au sein des nations démocratiques rappelle celle qui avait frappé cinq parlementaires de la Douma russe, également déclarés personae non gratae après une visite en république du Haut-Karabagh visant à surveiller les élections.
Ces péripéties diplomatiques prêteraient à sourire si elles ne renvoyaient pas à une réalité autrement plus inquiétante. L'Azerbaïdjan évolue dans un climat propice à toutes les inquiétudes. Malgré l'armistice signée avec l'Arménie en 1994 pour mettre fin à une guerre qui a fait 30 000 morts et des centaines de milliers de réfugiés depuis 1988, l'instabilité et l'incertitude règnent dans la région au gré des menaces régulières d'invasions que Bakou profère à l'encontre de la République du Haut-Karabagh.
Dans ce contexte, je crois indispensable de partager les préoccupations des rapporteurs qui s'interrogent plus que jamais sur la crédibilité démocratique de l'Azerbaïdjan et qui appellent les autorités de Bakou à respecter les normes européennes en matière de libertés individuelles et de droits de l'Homme. »
M. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC) a souhaité insister sur l'absence de transparence autour de l'organisation des élections dans le pays et les restrictions à la liberté de la presse :
« Notre débat sur l'Azerbaïdjan est passionnant à plus d'un titre.
En premier lieu, il intervient près de dix ans après l'adhésion de ce pays au Conseil de l'Europe, en janvier 2001. Une décennie donne le recul suffisant pour dresser un premier bilan des progrès réalisés, ou des insuffisances constatées, et ainsi mesurer les apports de notre Organisation dans ce pays.
Ensuite, l'Azerbaïdjan est en conflit avec un autre Etat membre du Conseil de l'Europe, l'Arménie, au sujet du Haut-Karabakh. Force est de constater que la résolution de ce conflit gelé n'a absolument pas progressé.
Enfin, l'examen du fonctionnement des institutions démocratiques intervient dans un contexte marqué par un rafraîchissement des relations de l'Azerbaïdjan avec la Turquie, qui a entamé un rapprochement mesuré avec l'Arménie.
Ainsi donc, dix ans après, quel bilan peut-on tirer de l'adhésion de l'Azerbaïdjan au Conseil de l'Europe ?
Je dois dire que la lecture du rapport très complet de nos collègues, MM. Herkel et Debono Grech, m'a laissé admiratif. Ceux-ci manient en effet parfaitement le langage diplomatique. Mais derrière la forme, particulièrement policée, la sévérité du fond ressort de leur texte. Certes, l'Azerbaïdjan a réalisé des progrès en dix ans, mais ceux-ci demeurent très insuffisants, en particulier sur deux aspects essentiels : la sincérité des élections et la liberté d'expression.
Je suis bien conscient que l'Azerbaïdjan, en tant qu'Etat souverain, est un pays encore jeune, qui n'a pas 20 ans d'existence. Il a été confronté aux difficultés de la transition consécutives à la sortie de l'URSS, même s'il n'est pas la plus mal lotie des anciennes républiques soviétiques d'un point de vue économique. Ses importantes ressources pétrolières, dont son économie est d'ailleurs excessivement dépendante, lui permettent d'atteindre des taux de croissance élevés et de voir le niveau de vie de sa population augmenter.
Il paraît également évident que le conflit du Haut-Karabakh n'est guère propice à la réalisation des réformes nécessitées par l'approfondissement de la démocratie dans le pays. Pour autant, il ne saurait constituer un prétexte à l'immobilisme ni une justification aux méthodes expéditives des forces de sécurité.
Or, le rapport nous montre que l'Azerbaïdjan est loin d'avoir intégré les valeurs du Conseil de l'Europe. Aucune des élections ayant eu lieu dans le pays n'a satisfait pleinement aux exigences démocratiques. La place dans les institutions du président, qui a succédé à son père en 2003, lequel était déjà en place au temps de l'URSS, est prépondérante, de telle sorte que l'équilibre des pouvoirs n'est pas assuré.
Surtout, et c'est ce qui me semble le plus grave, les co-rapporteurs soulignent, je cite, « le manque de concurrence et de véritable pluralisme politique », qui a forcément des implications sur la sincérité des élections.
Cette importante lacune explique également, je cite encore, les « arrestations, intimidations, harcèlements et menaces physiques de journalistes ». Le Conseil de l'Europe ne peut accepter que, dans ses États membres, ceux qui osent critiquer le gouvernement soient réduits au silence.
La stabilité de l'Azerbaïdjan dans le Caucase, région éprouvée s'il en est, est assurément un atout. Le pays doit en tirer parti pour accélérer la conduite des réformes et devenir une véritable démocratie. Le Conseil de l'Europe a le droit, et le devoir, de lui demander une amélioration rapide et importante des valeurs démocratiques. »
La résolution adoptée par l'Assemblée insiste sur la nécessité, pour l'Azerbaïdjan, de favoriser une inscription libre et équitable des candidats et la mise en oeuvre concomitante de procédures de recours. La liberté de réunion et la liberté des médias doivent parallèlement être pleinement respectées en vue de permettre aux campagnes électorales de pouvoir se dérouler convenablement. L'amélioration du dialogue entre le pouvoir en place et l'opposition doit également être recherchée en vue de parvenir à un apaisement du climat politique.
Concernant la liberté de la presse, l'Assemblée demande la libération du journaliste Enyulla Fatullayev afin de respecter l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 22 avril dernier. Elle demande parallèlement une dépénalisation de la diffamation en vue de permettre aux journalistes de mener leur activité professionnelle.
IV. LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME
A. DÉBAT SUR LA SITUATION DES MIGRANTS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
1. Les accords de réadmission, un mécanisme de renvoi des migrants en situation irrégulière
Les accords de réadmission reprennent et précisent l'obligation pour un pays d'accueillir à nouveau ses propres ressortissants. Certains accords peuvent également contraindre des Etats à la réadmission de ressortissants de pays tiers ayant transité sur leur territoire. L'Union européenne a négocié une centaine d'accords de la sorte. Détaillés, ils indiquent les procédures administratives relatives au retour, les documents requis, les coûts et la répartition de ceux-ci.
Les accords de réadmission ne comportent en principe aucune menace à l'encontre des droits de l'Homme. La mesure la plus contestable demeure en effet la décision d'expulser la personne concernée, l'accord de réadmission n'étant qu'une disposition technique. La commission des migrations, des réfugiés et de la population relève néanmoins que certains accords ne sont pas sans incidence en matière de droits de l'Homme, notamment dans les cas liés à la réadmission de ressortissants de pays tiers. Le risque tient en effet à l'intégration, au sein de ces accords de réadmission, de possibilités de mettre en oeuvre des procédures accélérées aux frontières, empêchant les migrants d'effectuer une demande d'asile dans les territoires qu'ils traversent. La commission souligne en outre que ces accords peuvent être utilisés pour mettre en oeuvre des décisions erronées.
La résolution adoptée par l'Assemblée
invite à la conclusion d'accords de réadmission avec des pays
sûrs où les droits sociaux sont garantis. Le texte insiste sur la
nécessité de privilégier des accords avec les pays
d'origine plus qu'avec les pays de transit. Les accords devraient
également être publics et soumis à évaluation
régulière. Le respect des valeurs fondamentales du Conseil de
l'Europe doit bien entendu être au coeur de ce type de conventions.
2. Les programmes de retour volontaire : un moyen humain, économe et efficace d'assurer le rapatriement des migrants en situation irrégulière
Dix millions de personnes se trouvent en situation irrégulière sur le continent européen, cinq cent mille migrants entrant illégalement sur son territoire chaque année. Le retour de ces migrants apparaît comme une priorité économique, sociale et politique pour nombre d'Etats membres. Deux types de retour sont possibles. L'un, forcé, est obtenu à l'issue d'une période de rétention, synonyme de coûts pour l'Etat concerné et de souffrances humaines. L'autre s'effectue sur la base du volontariat, les personnes déboutées de leur demande d'asile ou se trouvant en situation irrégulière bénéficiant même parfois d'une aide à la réintégration, moins coûteuse qu'une mise en détention.
Ce type de programme peut, par ailleurs, constituer implicitement une forme d'aide au développement du pays d'origine et symboliser l'échec des migrations irrégulières. 1,6 million de personnes dans 160 pays ont bénéficié du retour volontaire. Compte tenu des avantages de cette formule, la commission des migrations, des réfugiés et de la population souhaite sa généralisation, en insistant néanmoins sur l'octroi d'une assistance déclinée en trois axes : aide lors de la phase préalable au départ avec une information adaptée sur le pays d'origine, prise en charge des frais de transports et assistance en nature (hébergement notamment) lors du retour effectif.
Mme Maryvonne Blondin (Finistère - SOC) a cependant souhaité tempérer tout enthousiasme sur ce type de procédure :
« L'excellent rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population souligne avec justesse l'intérêt des programmes d'aide au retour volontaire pratiqués dans un certain nombre d'Etats membres. Il ne m'appartient pas de remettre en cause le principe de tels projets. Il convient néanmoins de veiller à ce que ce retour soit un choix délibéré du migrant et permette de lui donner une chance de reconstruire une vie conforme à la dignité humaine dans son pays d'origine.
Il est nécessaire, à cet effet, de transmettre à l'intéressé des informations détaillées avant le départ du migrant et de mettre en place un accompagnement social à son arrivée. Le candidat au retour devrait pouvoir bénéficier dans son pays d'une aide à la réintégration, prenant en compte les besoins identifiés avant son départ : accès au logement, prise en charge de frais médicaux, formation, emploi, création d'entreprise.
Une prise en compte des problèmes psychosociaux qu'un retour peut causer est également indispensable. Quand les personnes reviennent dans leurs pays d'origine, elles ont, le plus souvent, des attentes déconnectées de la réalité et pensent ainsi à tort que leur famille va les accueillir à bras ouverts. La perception de l'autre a changé au cours des années de séparation. Par ailleurs, le retour peut être assimilé à un véritable échec, générant chez le migrant de retour stress, sentiment de honte et culpabilité. Les psychiatres parlent ainsi de « re-entry shock ». Le migrant a le sentiment qu'il n'appartient plus à personne et se retrouve confronté à une impossibilité de déterminer un sens à sa vie. L'aide d'un psychologue apparaît donc nécessaire.
Au-delà de la procédure elle-même, sait-on, par exemple, ce que sont devenues les personnes une fois revenues au pays ? Une assistance à la réintégration diversifiée et individualisée permet d'augmenter les possibilités de réintégration durable sans, bien évidemment, la garantir.
Pour autant, ne nous voilons pas la face. Donner une prime au retour ne change pas les conditions de vie sur place. L'argent de la réintégration est souvent utilisé sur place en vue d'une nouvelle émigration. Il est avant tout indispensable que la prime octroyée puisse favoriser la création d'une activité génératrice de revenus.
Pour permettre une réintégration digne et durable, il est nécessaire de travailler au niveau de l'individu, mais aussi au niveau de la communauté à laquelle il appartient. Cela signifie, en pratique, appuyer et renforcer les initiatives menées dans les pays d'origine, que ce soit en matière d'accompagnement psychosocial, de microcrédit ou, quand cela n'existe pas, de soutenir leur mise en place. La pertinence de ce type de politique ne sera alors plus sujette à interrogation, une personne bien réintégrée ayant moins tendance à penser à ré-émigrer. Il est donc essentiel que les programmes de réinsertion soient poursuivis et étendus au plus grand nombre de pays possibles et ce, dans le cadre d'une politique de long terme. »
La résolution adoptée par l'Assemblée invite les Etats membres à privilégier ce type de procédure déclinée en trois étapes. Les gouvernements doivent néanmoins veiller à ce que ces retours s'effectuent réellement sur la base du volontariat, et à inclure dans les bénéficiaires de l'aide le plus grand nombre de personnes, tout en tenant compte des besoins spécifiques des migrants les plus vulnérables (mineurs, personnes ayant des problèmes de santé, victimes de la traite des humains). Un soutien à l'Organisation internationale des migrations qui encadre le plus souvent ce type de procédure doit également être apporté.
B. ISLAM, ISLAMISME ET ISLAMOPHOBIE EN EUROPE
La religion musulmane se trouve confrontée à un double défi sur le continent européen : victime, aux yeux de la commission de la culture, de la science et de l'éducation, de l'intolérance et d'une volonté de marginalisation, elle est également considérée comme une possible menace pour les valeurs démocratiques lorsqu'elle est interprétée par des intégristes. L'Assemblée parlementaire a, depuis l'adoption d'une recommandation en 1991 sur le sujet 8 ( * ) , constamment rappelé l'importance de la contribution de la civilisation islamique à la culture européenne. Aux yeux du Conseil de l'Europe, les trois grandes religions monothéistes partagent les mêmes racines historiques et culturelles et reconnaissent les valeurs fondamentales - respect de la vie et de la dignité, liberté d'expression - contenues au sein de la Convention européenne des droits de l'Homme. La religion et la démocratie n'apparaissent pas, aux yeux du Conseil, incompatibles, les normes démocratiques imposant néanmoins une séparation entre les Etats et les églises, quelles qu'elles soient.
M. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC) a souligné, dans son intervention, la spécificité de la question musulmane sur la scène publique européenne :
« Le 11 septembre 2001 a considérablement modifié la perception de la religion musulmane au sein de nos sociétés occidentales. Avant, une forme d'indifférence parfois contrariée par l'émergence sur la place publique de polémiques concernant le port du voile était perceptible mais, aujourd'hui, c'est la méfiance, voire le rejet qui prévalent, une assimilation étant progressivement faite entre la religion en elle-même et les dérives théocratiques d'une minorité d'illuminés ou de terroristes.
La question religieuse, au sein de nos sociétés laïques, est particulièrement complexe. L'islam constitue un véritable défi pour ces dernières tant sa pratique peut conduire à une forme d'ostentation - le débat sur le voile en témoigne - à rebours de la discrétion induite par la séparation des sphères religieuse et publique. À cela il convient d'ajouter le poids de cette religion dans l'actualité géopolitique et, notamment, dans la question épineuse que constitue le conflit israélo-palestinien. À la différence d'autres croyances, il convient en outre de relever que l'islam est une religion qui prend toute sa place sur la scène publique, retenant ainsi d'autant plus l'attention que le phénomène musulman demeure relativement nouveau - tout en restant le fait d'une minorité cherchant ses marques au sein de nos sociétés.
Cette réalité, néanmoins, ne saurait être figée. Nous ne pouvons continuer à percevoir l'islam à travers sa seule expression - souvent exagérée car médiatisée - sur la scène publique. Sa réalité est en effet beaucoup plus complexe que ce que les discours dénonçant une « talibanisation » de nos banlieues laissent entendre. Nous devons donc encourager l'émergence d'un islam des Lumières, celui des Averroès et des Ibn-Khaldoun, empreint de tolérance et soucieux de s'intégrer aux sociétés qui l'accueillent. Celui-ci est la meilleure réponse à toute considération négative sur le phénomène musulman. L'exégèse constante pratiquée par les penseurs de cet islam moderne me paraît ainsi constituer le parfait antidote aux dérives islamophobes et à la tentation islamiste.
Par ailleurs, il convient - dans le cadre de la stratégie méditerranéenne du Conseil de l'Europe - de s'interroger sur les causes de la montée de l'islamisme et de son exportation à travers le vecteur de l'émigration. De fait, le combat contre l'islamisme et l'islamophobie ne peut être couronné de succès si nous nous éloignons de nos valeurs et si nous ne réaffirmons pas nos principes. Le texte que nous allons adopter - et dont je félicite notre rapporteur - doit être le point de départ d'un échange nourri et fructueux avec les musulmans épris de modernité et les élites libérales et démocratiques du monde arabe. »
Fort de ce constat, la commission ne peut que condamner toute option théocratique portée par des mouvements religieux. Une condamnation des dérives politiques de l'Islam n'est cependant pertinente que si elle est étayée par une dénonciation des phénomènes de marginalisation de la religion musulmane constatés de part et d'autre du continent européen. L'insertion sociale et la mise en oeuvre d'un véritable dialogue interculturel apparaissent à ce titre comme une nécessité.
M. Jorge Sampaio, Haut Représentant du Secrétaire Général des Nations unies pour l'Alliance des civilisations, invité à intervenir dans l'hémicycle à l'occasion de ce débat, a souhaité rappeler la nécessité de multiplier les enceintes consacrées au dialogue interculturel. De rencontres répétées devraient découler la mise en oeuvre de stratégies nationales en la matière. Celles-ci doivent viser trois publics : la jeunesse, les migrants et les médias. Les parlementaires ont, à cet égard, un rôle-clé en ayant la possibilité de concrétiser ce type d'action dans le domaine législatif.
L'Alliance des civilisations peut aider à la mise en oeuvre de ce dialogue. Le Conseil de l'Europe, par l'intermédiaire de son Centre Nord-Sud, peut également appuyer une telle démarche. A cet égard, la résolution adoptée par l'Assemblée appelle de ses voeux une coopération internationale accrue, notamment avec l'Alliance des civilisations, mais aussi avec l'ALECSO et l'ISESCO, les deux agences pour l'éducation, la culture et les sciences de la Ligue Arabe et de l'Organisation de la culture islamique.
Le Centre Nord-Sud Le Centre Nord-Sud (CNS) ou Centre européen pour l'interdépendance et la solidarité mondiales a été créé en 1989. Composée de 20 États membres du Conseil de l'Europe et du Maroc, cette agence a une double mission : - Fournir un cadre à la coopération européenne pour sensibiliser davantage le public aux questions d'interdépendance mondiale ; - Promouvoir des politiques de solidarité conformes aux objectifs et principes du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire dans le respect des droits de l'Homme, de la démocratie et de la cohésion sociale. Son action se décline en cinq programmes : - Programme 1 : Stratégies et renforcement des capacités pour l'éducation à la citoyenneté démocratique mondiale ; - Programme 2 : Formation et renforcement des capacités des jeunes et des organisations de jeunesse ; - Programme 3 : Dialogue interculturel ; - Programme 4 : Dialogue sur les ' droits de l'Homme , la gouvernance démocratique et le développement ;
- Programme 5 :
Migrations
et
co-développement.
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Comme le soulignent deux textes adoptés par l'Assemblée en 2008 relatifs aux communautés musulmanes européennes face à l'extrémisme 9 ( * ) , les responsables religieux doivent tout mettre en oeuvre en vue de s'opposer à l'utilisation de l'Islam à des fins politiques.
Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a rappelé, dans son intervention, cette nécessité :
« Je remercie notre rapporteur d'avoir rappelé, non seulement un certain nombre de points essentiels concernant toutes ces libertés, mais surtout que la Convention européenne des droits de l'Homme s'impose à tous les Etats membres de notre Assemblée.
Je le remercie aussi d'avoir insisté sur la nécessité du dialogue interculturel et de l'enseignement de l'histoire des religions. Mais soyons réalistes, l'exercice est difficile.
Je souhaiterais aussi remercier M me Kele°, représentante de la Turquie, d'avoir évoqué l'histoire de son pays, qui se rapproche un peu de celle de la France. Si nous avons inscrit le mot « laïcité » dans notre Constitution, c'est qu'elle est le résultat de notre histoire, des guerres de religions qui ont duré un siècle et desquelles nous avons tiré un enseignement : la nécessité de séparer l'Eglise et l'Etat, de distinguer l'espace public de l'espace privé de l'individu. Et cela dans le respect de toutes les religions.
Nous sommes parvenus à la concorde civile. Et ceux qui, dans notre pays, voudraient y porter atteinte, doivent prendre garde.
Aujourd'hui, les problèmes dont nous traitons, revêtent un caractère un peu moins religieux, un peu moins culturel et un peu plus politique.
Les groupes extrémistes existent. Un phénomène de radicalisation, une vision rétrograde des sociétés sont à l'oeuvre. Des mouvements populistes et xénophobes attisent les peurs avec succès. Les résultats électoraux sont là pour le prouver. Les différents groupes extrémistes s'entendent parfaitement sur le rejet de la démocratie et des valeurs du Conseil de l'Europe. Je remercie le Président Sampaio d'avoir rappelé ces points essentiels.
Pour l'heure, les mouvements intégristes sont malheureusement les plus audibles. Voyez en Iran, qui affirme une interprétation intégriste d'une religion d'essence divine.
Je voudrais maintenant témoigner de l'existence d'un islam évolutionniste. J'ai rencontré bien des musulmans au Maroc - je salue mes amis marocains présents dans la tribune -, en Tunisie, en Palestine, au Yémen, qui ont une lecture autre du Coran, une adaptation à la modernité conciliant islam et droits de l'Homme. Ils jugent peut-être que notre exercice d'acceptation de l'excision et de la burqa a atteint ses limites. J'aurais préféré que le rapport soit plus clair sur ce point. En Iran même, des jeunes ont protesté et ont accepté de mourir pour défendre l'avenir. Je garde à l'esprit le visage de Neda : elle est morte le visage découvert, face à la lumière.
Si une menace pèse sur le caractère universel des droits de l'Homme, je reste toutefois optimiste et confiante.
Pour conclure, je vous invite à méditer cette formule de René Cassin : « Faisons vivre le dialogue interculturel, sinon toute religion sera un absolu. »
La résolution adoptée par l'Assemblée réitère cette nécessité et s'attache également à proposer une réponse adaptée aux manifestations sociales de la radicalisation islamique, à l'image du voile intégral. Si l'Assemblée exprime son refus de voir adoptée une interdiction générale du port de la burqa au motif qu'elle conduirait à une exclusion encore plus marquée de la vie sociale, elle envisage néanmoins celle-ci comme une atteinte à la dignité de la femme, à l'instar des mutilations génitales. L'Assemblée rappelle à cet effet qu'à l'image du voile, elles ne relèvent en rien de l'obligation religieuse.
M. Rudy Salles (Alpes Maritimes - Var) a souhaité souligner cet écart :
« Je tiens tout d'abord à saluer le remarquable travail effectué par M. le rapporteur sur un sujet particulièrement délicat. Hors un point sur lequel je reviendrai, je partage l'ensemble des conclusions de son rapport.
Les médias portent une part de responsabilité non négligeable, notamment depuis le 11 septembre 2001, dans la diffusion d'une image négative associant les musulmans aux terroristes islamistes. Si je n'avais pas eu des amis musulmans de longue date, j'aurais pu croire, aux seuls dires de la presse, que derrière tout musulman se cachait un terroriste potentiel. Malheureusement, nos citoyens n'ont pas eu la chance d'observer de près la pratique d'un islam modéré qui n'a rien de dangereux, qui n'est en rien contraire aux valeurs de la République française et, donc, de se faire ainsi une opinion sur le fondement pacifique de cette religion.
Le grand mérite de ce rapport est de préciser la différence entre islamisme et pratique de la religion musulmane alors que la confusion est grande, en effet, entre une pratique religieuse légitime et une idéologie qui instrumentalise la religion musulmane. L'islamisme est une doctrine qui a pour objet de combattre les valeurs occidentales et universelles des droits de l'Homme dans le but d'exercer un pouvoir tyrannique ; la religion musulmane, à l'inverse, offre un message de paix. Il n'est que de se rappeler les travaux de Maïmonide, Avicenne et Averroès pour se souvenir de l'apport positif de la culture islamique à l'Occident, des valeurs de tolérance prônées dans l'Andalousie du VIII e siècle où les trois religions du Livre vivaient dans la concorde.
Comme toujours, l'islamophobie se nourrit de la méconnaissance de la culture et de la religion musulmanes : seuls sont pointés du doigt les comportements archaïques et extrémistes qui sont totalement éloignés de la religion musulmane en tant que telle. À ce titre, il importe de rappeler que si l'islam ne prône pas une interprétation univoque des textes, les pratiques contraires à la dignité des femmes sont héritées de tradition antérieures à sa diffusion - ainsi en est-il du port du voile intégral issu de la tradition pachtoune, laquelle est bien plus ancienne que l'islamisation de l'Afghanistan. Sur ce point, mon avis diverge avec les conclusions du rapport et du rapport pour avis de la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes.
Le respect de la religion musulmane n'implique pas le respect de pratiques discriminantes et humiliantes pour les femmes au regard de nos valeurs puisque ces pratiques archaïques ne sont pas liées avec le respect dû à une pratique religieuse mais, à l'inverse, avec des comportements culturels qui n'ont aucun rapport avec l'islam.
Le projet d'interdiction du port du voile intégral en France me paraît être, à ce titre, fondamental, car c'est un moyen de préserver la dignité des femmes et de réaffirmer les valeurs de la laïcité qui, du fait d'un Etat neutre, permet à toutes les religions de s'exprimer dans l'espace privé.
Un islam européen est tout à fait envisageable, car l'islam est une religion pacifique. C'est la raison pour laquelle nous devons combattre les stéréotypes qui sont associés à sa pratique : le port du voile intégral est l'un de ceux-là.
Pour que la religion musulmane ne soit plus stigmatisée en Europe, un travail éducatif d'importance doit être mené. L'enseignement des faits religieux à l'école pourrait être un moyen d'éviter la diffusion de stéréotypes associés à la religion musulmane. Il serait, notamment, judicieux d'établir une comparaison entre les différentes religions monothéistes.
Mais, par pitié, ne faisons pas le jeu des islamistes en renonçant à nos valeurs, par peur ! Je le redis, le voile intégral est contraire à la dignité des femmes, il ne peut être toléré comme une pratique religieuse et doit, de ce fait, être interdit. »
Afin de renforcer la compréhension de l'autre, le texte insiste sur la nécessité de consolider le dialogue interculturel, tant au niveau institutionnel qu'au niveau des structures éducatives. L'éducation interreligieuse peut en effet représenter un moyen de sensibiliser l'opinion publique aux valeurs communes du judaïsme, du christianisme et de l'Islam.
C. LE TRAITEMENT DE LA PANDÉMIE H1N1 : NÉCESSITÉ DE PLUS DE TRANSPARENCE
La mobilisation des services de santé des Etats membres en vue de faire face à la grippe pandémique H1N1 a été caractérisée, aux yeux de la commission des questions sociales et de la santé, par une importante distorsion entre la réalité de la maladie et les moyens mis en oeuvre. Instaurant implicitement un climat de peur, les autorités sanitaires se sont également illustrées par un gaspillage important de fonds publics.
Le rapport de la commission insiste sur le manque de transparence observé dans la prise de décision concernant la gestion de la pandémie. Une telle lacune n'est pas sans susciter d'interrogation quant au poids de l'industrie pharmaceutique dans la gouvernance sanitaire. Le risque d'une perte de crédibilité des autorités sanitaires nationales et internationales n'est, à cet égard, pas à dédaigner. La commission relève également l'absence de réactivité de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), incapable, à ses yeux, de réviser ou réévaluer sa position quant à la pandémie dont la gravité était manifestement surestimée. Les conclusions de la commission sont d'autant plus sévères qu'elle s'est trouvée confrontée, lors de ses travaux, à la réticence de l'OMS à lui transmettre un certain nombre d'informations concernant les membres de son comité d'urgence.
M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) a, à cet égard, insisté sur le nécessaire devoir de transparence des autorités sanitaires :
« L'excellent rapport de M. Paul Flynn met en évidence un problème complexe, sur lequel il est important que notre Assemblée se prononce.
Nous avons eu un débat important hier dans cet hémicycle sur la démocratie. Le débat d'aujourd'hui relatif à la gestion de la pandémie H1N1 est en quelque sorte la continuité de cette question. Car nous nous trouvons face à un problème bien particulier de nos démocraties modernes : comment rendre compte de la prise de décision politique lorsque cette décision nécessite en amont que des experts se soient prononcés ?
L'OMS, en s'appuyant sur les travaux des experts, a a priori répondu aux attentes des citoyens à l'égard de la science pour qu'elle permette d'éclairer la décision publique. Comme le rappelait justement Henri Bergson dans L'évolution créatrice : « Savoir, c'est [...] prévoir pour agir. »
Le rôle des experts, des savants, est donc bien, dans des domaines techniques comme le domaine médical, nécessaire pour que les hommes politiques puissent prendre la bonne décision : ici, prévenir une pandémie.
Cependant, ce que nous avons besoin aujourd'hui, c'est de savoir comment les experts ont pu se tromper à ce point. La non-mise à disposition des chiffres des victimes de la pandémie ne permet pas de tirer des conclusions fiables et de faire une comparaison entre l'épidémie de grippe H1N1 et l'épidémie de grippe saisonnière.
L'absence de transparence dans le fonctionnement de l'OMS a pour corollaire de nourrir tous les fantasmes quant à un lobbying supposé des laboratoires pharmaceutiques dans le déclenchement de l'alerte mondiale relative à la pandémie.
En dehors de la question légitime qui nous incite à demander des comptes, voire à demander des auditions publiques et une commission d'enquête sur ce sujet - puisque c'est à nous, parlementaires, de contrôler l'action des gouvernements - il me semble plus important de poser la question de la nécessaire transparence lorsqu'est en jeu l'avis d'experts pour éclairer la décision publique.
On pourrait arguer que le principe de précaution engageait à agir comme le préconisait Jean Rostand dans Les inquiétudes d'un biologiste : « Attendre d'en savoir assez pour agir en toute lumière, c'est se condamner à l'inaction ».
Plutôt que de condamner l'action de l'OMS, si la prévention avait été insuffisante, on aurait alors pu accuser les gouvernements de ne pas avoir su être assez prévoyants.
Peut-on condamner le gouvernement français d'avoir commandé trop de vaccins parce qu'il a appliqué le principe de précaution du fait des alertes données par l'OMS ?
Peut-on condamner le gouvernement français d'avoir fait confiance à un panel d'experts ? Je ne le pense pas. La commission d'enquête qui livrera ses conclusions à l'Assemblée nationale le 13 juillet pourra apporter des réponses.
Cependant, je le répète, il est vraiment nécessaire de s'interroger sur l'interaction entre le rôle des experts dans une démocratie moderne et complexe et celui des hommes et femmes politiques.
La question qui mérite d'être posée est bien celle que soulèvent Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthes dans Agir dans un environnement incertain. Essai sur la démocratie technique : « Dans quelles circonstances, sous quelles conditions, selon quelles modalités et avec quelle efficacité, des collaborations entre profanes et spécialistes sont-elles envisageables ? »
Les erreurs commises doivent précisément nous engager à la réflexion et cette crise doit nous permettre de tirer les enseignements nécessaires. »
La résolution adoptée invite en conséquence les autorités sanitaires internationales, européennes et nationales à réviser leurs modes de gouvernance, en vue de renforcer la transparence de celle-ci. Les experts consultés doivent parallèlement publier une déclaration d'intérêt, en vue d'éviter tout risque de conflit. Un partage de l'information et une coordination des définitions des maladies doivent, à l'avenir, être mis en oeuvre entre les différents organismes sanitaires internationaux en vue de prévenir toute dérive. Le texte réaffirme parallèlement la nécessité, pour les pouvoirs publics, de s'impliquer davantage en matière de bonne gouvernance dans le secteur de la santé, en usant notamment des moyens de contrôle démocratique à leur disposition.
D. INTERDICTION DE LA COMMERCIALISATION ET DE L'UTILISATION DU DISPOSITIF ANTI-JEUNES « MOSQUITO »
Le « Mosquito » est le nom commercial attribué au dispositif sonore anti-jeunes commercialisé en Allemagne, en Belgique, en France, en Irlande, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suisse. Cet appareil émet un signal sonore principalement audible par les jeunes de moins de 20 ans et difficilement perceptible par les personnes âgées de plus de 25 ans. L'effet recherché est d'éloigner les adolescents des abords des centres commerciaux et autres lieux de réunion, les utilisateurs du Mosquito craignant des actes de délinquance.
La commercialisation de ce dispositif pose, aux yeux de la commission de la culture, de la science et de l'éducation, un double problème. Une réflexion doit en effet être menée sur les effets de cet outil de dissuasion en matière de santé publique. Parallèlement, l'utilisation de ce dispositif peut constituer une atteinte au droit au respect de la vie privée, mais également une réelle entorse au principe intangible de non-discrimination.
La recommandation adoptée par l'Assemblée invite les Etats membres à interdire la commercialisation de ce type de dispositif ou d'obliger les propriétaires de ce type d'appareil acoustique à signaler clairement sa présence.
E. COMBATTRE LES STÉRÉOTYPES SEXISTES DANS LES MÉDIAS
La commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes considère que l'image de la femme dans les médias reste cantonnée à celle de mère ou d'objet sexuel, vision réductrice au regard de l'évolution de la condition féminine depuis des années. Ce faisant, les médias perpétuent une perception archaïque et légitiment implicitement sexisme ordinaire et pratique discriminatoire.
Les médias ont pourtant une responsabilité particulière en vue de promouvoir une image moderne de la condition féminine, comme l'a souligné dès 1984 la recommandation du Comité des ministres relative à l'égalité entre les femmes et les hommes dans les médias, adressée aux Etats.
La résolution adoptée par l'Assemblée insiste sur la mise en place au sein des autorités de régulation des médias de dispositifs destinés à garantir le respect de la dignité humaine et promouvoir, au-delà de la diversité, l'égalité entre les hommes et les femmes.
Mme Christine Marin (Nord - UMP) a, à cet égard, souligné la nécessité pour les Parlements nationaux de légiférer face aux excès constatés :
« L'excellent rapport de Mme Stump met en évidence une question fondamentale qui ne reçoit pas, à mon avis, le traitement qu'elle devrait recevoir, compte tenu de son importance. En outre, le fait que ce débat ait lieu le vendredi matin en dit long, à mon sens, sur la considération que nous y accordons.
Tous les discours sur l'égalité hommes-femmes, sur la place des femmes dans la société et sur l'éducation des filles me semblent être des paroles vaines, qui se dispersent au vent, tant que les médias continuent de donner une représentation sexiste des femmes.
Le discours des médias, aujourd'hui, sur les femmes, est double : d'un côté, l'égalité, la femme au travail ; de l'autre, une vision uniquement fondée sur le physique et l'apparence ; d'un côté, la mise en évidence des capacités des femmes ; de l'autre, une image uniquement sexuée.
La représentation des femmes dans les médias se retrouve tant dans les séries télévisées, qui promeuvent des stéréotypes sur les femmes, que dans les publicités des journaux, qui présentent des femmes à moitié dénudées, dans des poses suggestives. Plus grave eu égard à l'impact des médias sur l'opinion publique, continuer à diffuser, à heure de grande écoute, des représentations sexistes des femmes revient à annuler toute forme d'éducation à l'égalité des sexes.
Outre le fait que la domination masculine continue à se perpétuer à travers le langage, la violence des images et des représentations des femmes, réduites soit à leurs tâches domestiques soit à leur fonction reproductive, ne peut que difficilement inciter celles-ci à une plus grande participation à la vie publique.
Et, lorsque les femmes accèdent à des fonctions importantes, la seule attitude des médias n'est-elle pas de se pencher soit sur leurs tenues vestimentaires, soit sur leurs mensurations ? La première ministre finlandaise récemment élue en a fait les frais, comme vient de le rappeler M. Kaikkonen. Ainsi, l'ancienne candidate française à la présidence de la République a été interrogée à plusieurs reprises sur ses compétences pendant la campagne, alors que rien dans son parcours académique ne pouvait a priori la disqualifier.
Lorsque la femme est représentée comme un objet sexuel, une poupée Barbie, comment s'étonner qu'elle ne soit pas l'objet de violences ? Considère-t-on sérieusement une poupée autrement que comme un sextoy ? Une poupée, ce n'est pas un être humain, mais une image de papier glacé que l'on peut froisser à volonté, pour reprendre le thème d'une affiche qui nous est familière en ces murs.
Rien n'est plus difficile que de lutter contre les préjugés : ils sont enracinés dans les représentations mentales. N'oublions pas que l'égalité des femmes est récente. C'est parce que le sujet est grave et d'importance que je partage les conclusions du rapport quant à la nécessité de légiférer sur cette question. La liberté d'expression, expressément protégée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ne doit pas pour autant permettre de justifier les représentations désobligeantes pour les femmes.
Comme le rappelle le rapport, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), en France, s'est déjà prononcé pour censurer des représentations injurieuses à l'égard des femmes. Ce n'est cependant pas suffisant. Ce qui importe, c'est réellement d'interdire toute représentation des femmes qui pourrait être perçue comme une forme de discrimination. À l'instar de la législation ayant pour objet de lutter contre les discriminations, un délit pour diffusion d'images sexistes et contraires à la dignité des femmes dans les médias pourrait voir le jour.
La bataille de l'image a commencé : elle devrait se continuer par des voies légales qui permettent réellement de lutter contre les stéréotypes. »
La définition de codes de bonne conduite, l'instauration de quotas et le développement de structures de suivi sont également des pistes de réflexion.
F. DES PENSIONS DE RETRAITE DÉCENTES POUR LES FEMMES
Le rôle particulier des femmes dans l'éducation des enfants et, parfois, la garde des personnes en situation de dépendance, peut les conduire à cesser de cotiser pendant de longues périodes auprès des régimes de retraites, minorant de fait leur future pension. Par ailleurs, la situation spécifique des femmes sur le marché du travail, le recours au temps partiel subi comme la progression plus lente de leurs carrières contribuent à affaiblir les montants des pensions qui leurs sont versées.
La résolution sur le fossé salarial entre les femmes et les hommes adoptée en 2010 10 ( * ) par l'Assemblée invite à ce que le droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale soit pleinement respecté, voire inscrit dans la législation, le cas échéant. La réforme actuellement en cours des systèmes de retraite dans un certain nombre d'Etats membres doit être l'occasion, aux yeux de la commission sur l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, de poursuivre son combat contre les discriminations dans les parcours professionnels.
Mme Claude Greff (Indre-et-Loire - UMP) a, à cet égard, insisté sur la révolution juridique à mettre en oeuvre en vue d'adapter le droit à pension aux exigences liées à la maternité :
« L'actuel débat sur les retraites nous engage aujourd'hui à nous poser très sérieusement la question des retraites pour les femmes.
Je souhaiterais faire remarquer que je trouve étonnant que les deux sujets d'importance de ce matin qui concernent les femmes n'aient pas été mis à l'ordre du jour à un moment plus propice.
L'excellent rapport de M me Anna Curdova reprend une partie de propositions que j'avais faites dans le rapport d'information que j'ai présenté devant l'Assemblée nationale de mon pays quant à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes en termes de retraite.
Quels sont les constats ? Les femmes sont en majorité pénalisées dans leur droit à la retraite du fait de l'inégalité de leur condition en tant que femmes. Que va-t-il rester comme droits à pension pour une femme qui a interrompu ses études pour élever ses enfants, puis sa carrière pour faire un temps partiel et qui, au moment de liquider sa pension découvre que celle-ci sera particulièrement faible ?
Temps partiel, interruption de carrière, modèle de calcul des droits à pension différents selon les régimes. Pour peu que sa situation personnelle se trouve bouleversée par un divorce ou un veuvage la femme se trouvera alors quasiment au-dessous du seuil de pauvreté du fait qu'elle aura consacré une partie de sa vie à sa famille.
Notre société ne prend suffisamment en compte dans le calcul des droits à pension les interruptions de carrière et autres accidents de la vie qui, au premier chef, concernent les femmes.
Il importe donc d'imaginer des mécanismes novateurs qui permettront de compenser les interruptions de carrière des femmes et d'obtenir des pensions décentes lorsque les femmes ont consacré une partie de leur temps à leur famille.
Pourquoi ne pas imaginer un complément de retraite pour charges de famille ? L'actuel système qui permet l'augmentation des droits en pension en donnant une bonification par an par enfant ou autorise à liquider ses droits à une mère de trois enfants est à la fois insuffisant et injuste.
Un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme a permis de renverser le système : au nom de l'égalité entre les hommes et les femmes les pères de trois enfants ont pu aussi liquider en avance leurs droits à pension. Le déséquilibre pour les finances publiques a nécessité de voter une loi de validation, en France, afin de ne pas donner de suites positives à l'arrêt de la Cour.
Je ne reviens pas sur le principe qui devrait, en effet, offrir une égalité de droits entre les hommes et les femmes. Je reviens sur les conséquences et leurs implications dans la réalité.
Peu d'hommes, dans nos générations, ont réellement pris une part active à l'éducation de leurs enfants : aussi cette égalité de droit apparaît-elle davantage comme une remise en cause d'une avancée dans les droits des femmes.
Néanmoins, il nous appartient d'être novateur. Pourquoi ne pas imaginer, sur le modèle de l'allocation universelle, sous condition de ressources, un revenu garanti aux femmes qui interrompent leur carrière ?
Pourquoi ne pas imaginer, également, des congés parentaux, qui seraient pris en compte dans le droit à pension ?
Pourquoi ne pas imaginer également de repenser entièrement notre système de pensions au moment où s'engagent de nombreuses réformes de manière à assurer sa pérennité ?
Le débat d'aujourd'hui devrait nous permettre de confronter nos idées sur cette question technique. C'est à nous, politiques, de proposer des solutions : la faisabilité technique devra ensuite en être discuté.
C'est à nous, politiques, de proposer des novations, car l'idéal précède toujours la mise en pratique.
C'est à nous politiques de ne pas avoir peur de suggérer que des pensions de retraite décentes pour les femmes sont un nouveau droit de l'homme.
C'est à nous politiques de suggérer cette révolution juridique. »
La résolution adoptée par l'Assemble insiste ainsi sur la nécessité de mettre en oeuvre des bonifications pour charge de famille ou assistance aux personnes dépendantes. Elle invite également à une meilleure prise en compte des périodes de congé parental ou de travail à temps partiel dans le calcul des pensions. Le texte souhaite parallèlement, qu'à l'instar des systèmes scandinaves, les régimes de retraites soient désormais mixtes, la pension incluant une partie fixe octroyée en fonction de conditions de résidence et un complément proportionnel aux revenus perçus pendant les périodes d'activité.
G. LES FÔRETS : L'AVENIR DE NOTRE PLANÈTE
L'intervention de l'Assemblée parlementaire dans le domaine de la sylviculture n'est pas nouvelle, à l'image de la recommandation sur la prévention des incendies de forêts, adoptée en 2006 11 ( * ) . Rappelant la contribution primordiale des forêts à la régulation du climat terrestre et à la protection des sols, la commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales a souhaité alerter l'Assemblée sur la nécessité d'enrayer la déforestation à l'échelle mondiale, tout en harmonisant les législations nationales sur la sylviculture. La croissance des superficies forestières observables en Europe n'apparaît pas, par ailleurs, totalement satisfaisante tant une grande partie d'entre elles relèvent de la monoculture ou sont dédiées à des espèces exotiques.
Dépassant le cadre du Conseil de l'Europe, la résolution adoptée appelle à la création d'une commission internationale chargée d'élaborer une législation destinée à préserver et protéger les forêts. Le cadre des Nations unies apparaît, à cet égard, le plus adapté.
Comme l'a souligné M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC ), une uniformisation des normes apparaît nécessaire :
« Le présent rapport nous propose une réflexion exhaustive et de qualité sur les forêts au niveau planétaire. Le texte évoque notamment, au point 10 du projet de résolution, la création d'une commission spécifique dans le cadre des Nations Unies, destinée à mettre en oeuvre une législation mondiale, visant à préserver et à protéger les forêts, ce par l'intermédiaire d'accords contraignants entre les pays incluant un système de taxes.
Cette belle ambition ne peut que rencontrer une large adhésion de l'ensemble des membres de notre Assemblée, même si sa mise en application réclamera, à n'en pas douter, du temps et beaucoup d'énergie. Ce n'est pas une raison d'y renoncer. D'autant que notre collègue rapporteur nous rappelle de façon très documentée le rôle majeur des forêts face aux problèmes environnementaux de la planète. Qu'il s'agisse de l'importance des forêts pour la protection de l'eau ou pour la préservation de la biodiversité mondiale, tous ces sujets, particulièrement bien exposés, nous permettent de mesurer les enjeux en la matière.
A ce titre, le chapitre 3 de l'exposé rassemble des données qui, pour ce qui me concerne, m'ont beaucoup appris, en particulier, sur le rôle de la forêt russe dans le cadre de la biodiversité.
Je souhaite, à mon tour, revenir sur deux notions évoquées dans le rapport : en premier lieu, la quantité importante de bois produit illégalement, qui dépasse de beaucoup, malheureusement, la production légale dans les pays en développement ; en second lieu, celle de la faible biodiversité de la forêt en Europe. Ces deux points sont liés aux conditions économiques d'utilisation des produits de la forêt, de l'utilisation du bois comme énergie renouvelable jusqu'à la production de produits élaborés.
Nous le savons, ces préoccupations sont largement prises en compte par les instances européennes avec, en particulier, l'adoption en 2003 d'un plan d'action européen relatif à l'application des réglementations forestières, à la gouvernance et aux échanges commerciaux. On sait aussi que, aujourd'hui, entre 20 et 40 % du bois sont abattus de façon illégale dans le monde. La déforestation illégale est une menace importante pour les écosystèmes, car elle contribue à la désertification et à l'érosion des sols : elle est la plus importante contribution au dérèglement climatique ! Comme cela est rappelé en conclusion du rapport, c'est une menace pour les droits des populations locales ainsi qu'une perte financière de cinq milliards d'euros par an pour les pays en développement selon la Banque mondiale.
Nous serons tous plus efficaces si nos institutions européennes renforcent leurs contrôles par des démarches fortes, des sanctions uniformisées et un système de traçabilité adapté au quotidien sur les produits bois et dérivés. Ceux d'entre vous qui ont assumé des responsabilités au sein de collectivités territoriales sont, j'en suis sûr, attachés à exiger, par exemple, des certificats d'origine des bois qui sont utilisés pour la construction des équipements, des structures et des bâtiments.
Plus que jamais, la vigilance, la recherche et la formation sont indispensables pour dépasser ces oppositions et pour avoir, comme c'est notre rôle ici, une vue globale sur ces questions. »
L'élaboration d'accords internationaux contraignants en la matière apparaît, aux yeux de l'Assemblée, comme une priorité. La résolution invite également les Etats à mettre en oeuvre une taxe par unité de gaz à effet de serre, dont le produit serait affecté à la reforestation.
V. L'AVENIR DU CONSEIL DE L'EUROPE EN DÉBAT
A. INTERVENTION DE M. ANTONIO MILOSOSKI, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGÈRES DE L' « EX-RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE MACÉDOINE » , PRÉSIDENT DU COMITÉ DES MINISTRES
L'intervention de M. Antonio Milooski, ministre des affaires étrangères de l'« ex-République yougoslave de Macédoine », devant l'hémicycle, était destinée à présenter le programme de la présidence à l'Assemblée parlementaire.
Le principal objectif de la présidence est de contribuer à la pérennité du système de protection des droits de l'Homme mis en place par la Convention et mettre ainsi en oeuvre le plan d'action d'Interlaeken. Une conférence devrait, à cet égard, être organisée à l'automne prochain en vue de renforcer la prise en compte de la jurisprudence de la Cour dans la législation et la pratique nationales des Etats membres.
Le deuxième volet de la présidence macédonienne concerne l'intégration des minorités nationales. Leur protection constitue en effet une priorité, le Conseil de l'Europe disposant déjà d'une Convention-cadre en la matière. Le gouvernement macédonien entend par ailleurs faire bénéficier de son expérience dans ce domaine, rappelant ainsi sa longue tradition de cohabitation culturelle et religieuse.
Mme Maryvonne Blondin (Finistère - SOC) a, à cet égard, souhaité interroger le ministre sur les difficultés interethniques que rencontre son pays :
«Le monumental projet urbanistique «Skopje 2014» est un nouveau témoignage des tensions persistantes entre les deux groupes ethniques qui composent votre pays. L'enseignement bilingue suscite également nombre de crispations.
Signé en juillet 2001 sous l'égide de l'Otan, l'accord-cadre d'Ohrid avait pour objectif de mettre fin aux tensions ethniques qui secouaient alors «l'ex-République yougoslave de Macédoine». Neuf ans plus tard, le bilan de sa mise en oeuvre est mitigé. Faut-il aujourd'hui remettre à plat ce texte et discuter sur une nouvelle base ?»
Dans sa réponse, M. Milososki a souhaité tempérer toute vision négative :
« L'ex-République yougoslave de Macédoine» ne prétend pas être un pays idéal, mais je crois que depuis son indépendance, elle a réussi, dans un contexte parfois difficile, à mettre sur pied d'assez bonnes relations multiethniques. C'est en tout cas un objectif que partagent tous les partis politiques et toutes les institutions. Tous, nous voulons une démocratie capable de fonctionner dans une société multiethnique.
L'accord-cadre dont vous avez parlé est intégré, ainsi qu'un autre, dans la Constitution de mon pays. Nous continuerons à faire de notre mieux pour avoir une république stable, démocratique et efficace. »
Une attention particulière sera également portée sur la situation de certains pays : Bosnie-Herzégovine, Moldavie, mais également Géorgie. M. Milooski entend parallèlement renforcer le positionnement stratégique du Conseil de l'Europe, en intensifiant sa coopération avec l'Union européenne et l'OSCE.
La situation au Kirghizstan a fait l'objet d'une question de la part de M. Laurent Béteille (Essonne - UMP) :
« La situation en Asie centrale est particulièrement préoccupante, notamment au Kirghizstan, qui se trouve au bord de la guerre civile.
Ce pays ne fait certes pas partie de notre Organisation, mais je pense que nous aurions tort de nous en désintéresser. En effet, le Kirghizstan était sans doute, jusqu'aux récents événements, le pays le plus ouvert d'Asie centrale. En 2005, la «révolution des tulipes» avait même suscité de grands espoirs dans une région où les régimes politiques sont plus autoritaires les uns que les autres.
Comment le Conseil de l'Europe pourrait-il concrètement apporter son soutien aux Etats d'Asie centrale afin d'y faire progresser ses valeurs? »
M. Milooski a souligné, dans sa réponse, le rôle de la Commission de Venise en vue de sortir de la crise :
«Le Kirghizstan est aujourd'hui, malheureusement, un point chaud du globe. Il n'appartient pas à notre Organisation, mais la Commission de Venise peut néanmoins lui apporter son expertise institutionnelle.
Nous avons célébré, il y a deux mois, le 20 e anniversaire de la Commission de Venise. Je pense qu'elle est tout à fait prête à apporter sa contribution à ce pays d'Asie ainsi qu'à d'autres. »
B. LES BUDGETS DU CONSEIL DE L'EUROPE POUR L'ANNÉE 2011
La réforme du Conseil de l'Europe telle qu'envisagée par le Secrétaire général, M. Thorbjørn Jagland, s'appuie sur quatre piliers. Le premier concerne la gouvernance et la gestion de l'organisation : la rationalisation des activités des différentes instances, l'évaluation de celles-ci sont le préalable à toute réforme d'envergure. Le deuxième pilier constitue le pilier opérationnel : le Secrétaire Général réfléchit à une concentration des activités du Conseil sur les thèmes où il détient une réelle valeur ajoutée. L'objectif est de créer, parallèlement à ce resserrement, un réseau de bureaux du Conseil délocalisés, dans des conditions de stricte neutralité budgétaire. Le troisième pilier est celui des structures, le Secrétariat général devant être structuré de façon à réaliser les objectifs politiques de l'Organisation. Le quatrième pilier concerne, quant à lui, directement la Cour, victime de son propre succès.
Le budget 2011 a été conçu en vue de donner corps à cette réforme et concrétiser les trois objectifs présentés par le Secrétaire général devant le Comité des ministres, début mai, lorsqu'il a décliné le programme d'activités pour l'année à venir :
- recentrage du Conseil de l'Europe sur son « coeur de métier » : promotion des valeurs démocratiques et des droits de l'Homme ;
- réforme du statut du personnel ;
- maîtrise de la masse salariale.
Le Secrétaire général présente à cet effet un budget fondé sur trois piliers principaux - droits de l'Homme, Etat de droit et démocratie -, un pilier supplémentaire couvrant les organes directeurs, les services généraux et les dépenses diverses.
M. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC) a souhaité saluer la traduction, dans le budget 2011, de la volonté réformatrice du nouveau Secrétaire général :
«Monsieur le Président, chers collègues, je tiens tout d'abord à féliciter M. Cebeci pour le caractère équilibré et exhaustif de son projet d'avis sur les questions budgétaires et sur les priorités du Conseil de l'Europe pour 2011, auquel je souscris. Il me semble essentiel, en effet, que les premières reflètent les secondes.
En 2011, le Conseil de l'Europe, à l'instar de nombre d'Etats, doit réaliser des économies en raison des fortes perturbations des marchés financiers, lesquelles ont été jusqu'à faire douter de l'avenir de l'euro. Ces Etats, en partie responsables de leur situation à force d'accumuler des dettes, sont dans la même situation. Or, pour eux comme pour le Conseil de l'Europe, la période difficile que nous traversons doit être mise à profit afin de réaliser les réformes qui s'imposent. C'est hélas ! le plus souvent dans l'urgence, que nous réagissons avec vigueur. Dans le monde actuel, la crédibilité et les moyens que l'on se donne pour assurer cette dernière sont fondamentaux. Nous devons donc considérer la crise comme une possibilité qui nous est offerte pour engager de profondes réformes et c'est précisément ce que le Conseil de l'Europe est en train de faire - en tout cas il faut l'espérer.
Le nouveau Secrétaire général de notre institution, M. Jagland, n'a quant à lui pas perdu de temps. Quelques mois après son élection par notre Assemblée, il a en effet présenté au Comité des ministres un ambitieux programme de réforme visant à recentrer le Conseil de l'Europe sur son «coeur de métier» afin d'améliorer son efficacité et d'accroître sa visibilité. Le Conseil de l'Europe doit en effet se concentrer sur ce qu'il sait faire de mieux et se repositionner sur les secteurs où il représente un indéniable «avantage comparatif», où il a une authentique valeur ajoutée. À ce titre, j'estime dommageable que l'Union européenne ait parfois cherché à conduire sa propre politique en matière de protection des droits fondamentaux alors qu'elle aurait pu davantage faire appel aux compétences de notre Conseil.
Par ailleurs, la situation budgétaire très dégradée de la plupart des principaux contributeurs nationaux au budget du Conseil de l'Europe oblige ce dernier à repenser son format et ses missions. C'est notamment le cas avec le redéploiement de son réseau de représentation extérieure afin de rendre celui-ci plus simple et plus efficace.
Il est également vrai que certaines activités seront arrêtées, suspendues ou réduites, mais elles pourront éventuellement être poursuivies par les Etats qui le souhaitent dans le cadre d'accords partiels. A cet égard, nous devons rester vigilants sur les principes essentiels du Conseil de l'Europe, car la tentation, et même la tentative de «sortir du cadre» sont toujours bien présentes. J'ajoute que certains Etats membres préfèrent sans doute que le Conseil parle de dialogue interculturel plutôt que de droits de l'Homme.
En outre, le Secrétaire général a travaillé en étroite collaboration avec le Comité des ministres et n'a pas non plus ménagé ses efforts pour faire oeuvre de pédagogie en direction des personnels afin de leur faire partager les objectifs de la réforme. Certes, le dialogue n'est pas toujours facile, mais je suis persuadé que le réforme sera d'autant mieux comprise que les problèmes auront été discutés. Notre Conseil de l'Europe étant parvenu à un tournant décisif, sachons accompagner son inéluctable évolution ! »
L'Assemblée parlementaire est placée au sein du « pilier démocratie» sous le chapitre « démocratie parlementaire ». Comme l'a souligné la commission des questions économiques et du développement, le rôle et les compétences de l'Assemblée sont transversaux et ne peuvent être limités au seul volet démocratie. Un élargissement à l'Assemblée du quatrième pilier lui apparaît donc nécessaire.
Les priorités annoncées par le Secrétaire général sont, par ailleurs, saluées par l'avis adopté : consolidation du Bureau du Commissaire aux droits de l'Homme, renforcement des mécanismes de suivi, élaboration d'une nouvelle politique de communication.
M. André Schneider (Bas-Rhin - UMP) a, à cet égard, souligné la nécessité de renforcer la visibilité des travaux du Conseil :
« Je tiens à saluer le travail remarquable effectué par le rapporteur sur un sujet difficile: les budgets et priorités du Conseil de l'Europe pour l'exercice 2011.
La réforme d'envergure entreprise par notre nouveau Secrétaire général, Thorbjørn Jagland, est courageuse. Il nous appartient, à nous, Assemblée parlementaire, de la soutenir. Le rôle du Conseil de l'Europe dans l'architecture institutionnelle européenne mérite que nous agrégions nos forces pour le soutenir.
Les perspectives budgétaires pour 2011 vont dans la bonne direction puisqu'il s'agit de recentrer les priorités du Conseil de l'Europe vers les activités de promotion de l'Etat de droit et de protection des droits de l'Homme.
Par ailleurs, ce rapport met en exergue le dialogue nécessaire entre notre Assemblée et l'exécutif du Conseil de l'Europe.
Néanmoins, je souhaiterais souligner quatre points du rapport qui me semblent fondamentaux et mériteraient d'être pris en compte.
En premier lieu, il me semble important, comme le préconise le rapporteur, que les Etats membres envisagent la possibilité d'établir un budget séparé pour la Cour européenne des droits de l'Homme tout en la maintenant dans la structure du Conseil de l'Europe.
Cela permettrait de mieux évaluer le coût de la Cour européenne des droits de l'Homme, tout en permettant de trouver une structure de financement pérenne.
En effet, l'entrée en vigueur du Protocole 14 et le processus d'Interlaken semblent dessiner des perspectives optimistes à l'engorgement actuel du prétoire de la CEDH. Cependant, ces perspectives demeurent lointaines et l'adhésion programmée de l'Union européenne à la Cour européenne des droits de l'Homme devrait avoir pour conséquence mécanique l'arrivée de nouveaux contentieux.
D'autre part, je souscris entièrement à la proposition du rapporteur d'établir des perspectives pluriannuelles de dépenses. Cela offrirait, en effet, une visibilité plus grande en termes de perspectives financières à long terme.
De plus, la proposition du rapporteur d'intégrer le rôle de l'Assemblée parlementaire dans un quatrième pilier intitulé «Organes statutaires, services généraux et autres» me semble particulièrement importante eu égard aux fonctions de l'APCE.
En effet, le rôle de l'Assemblée parlementaire ne réside pas uniquement dans la promotion de la démocratie parlementaire. Elle est un des organes essentiel du Conseil de l'Europe: qu'il s'agisse de l'élection de juges qui siègeront à la Cour, de l'élection du Secrétaire général, du Commissaire aux droits de l'Homme, etc.
J'en profite pour préciser que son rôle pourrait être élargi à des procédures de contrôle, notamment en ce qui concerne le suivi de la signature et de la ratification par les Etats membres, des conventions et des protocoles additionnels à la Cour européenne des droits de l'Homme.
Pour finir, et ce n'est pas le moins important, il me semble nécessaire de repenser la politique de communication de notre Organisation. Les sessions de l'Assemblée parlementaire sont un moment fort de notre Organisation et lui donnent une visibilité importante. Cependant, on trouve peu d'échos de cette visibilité dans les médias nationaux et internationaux.
Sans visibilité médiatique, c'est le prestige de notre institution qui souffre. Il me semble crucial d'y remédier, voire de réfléchir lors d'un futur rapport à la manière dont on pourrait améliorer la politique de communication de l'APCE.
Le Conseil de l'Europe a bien, en effet, vocation à devenir le «Davos de la démocratie». Mais un «Davos» ouvert à l'ensemble des acteurs qui promeuvent les droits de l'Homme!
Souhaitons au Conseil de l'Europe une médiatisation équivalente à celle de Davos!
C'est parce que nous croyons aux valeurs du Conseil de l'Europe et à son rôle fondamental que nous ne pouvons pas accepter que la situation de crise économique que nous traversons se traduise par une réduction budgétaire de la part des gouvernements eu égard aux enjeux qui sont les nôtres. »
Le texte adopté par l'Assemblée est, par contre, plus réservé en ce qui concerne la création de bureaux de liaison dans certaines capitales européennes, les frais engendrés étant difficilement acceptables en période de récession budgétaire. D'autant que le projet de budget pour 2011 prévoit la fermeture de bureaux d'information pourtant utiles, l'Assemblée militant ainsi pour la conservation du bureau d'information de Minsk (Biélorussie).
Concernant la maîtrise de la masse salariale, l'Assemblée souhaite que le Conseil ne cède pas à la tentation de fixer un pourcentage indépassable. La croissance de la part des rémunérations au sein du budget du Conseil lui semble, en effet, liée au renforcement des secteurs prioritaires de l'Organisation : Cour européenne des droits de l'Homme, service d'exécution des arrêts de la Cour ou Commissariat aux droits de l'Homme.
M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP), président de la délégation , a insisté pour que la réduction des dépenses ne fragilise pas les missions du Conseil :
« J'approuve également l'excellent rapport de notre collègue et ami M. Cebeci qui se situe d'ailleurs dans la droite ligne de ceux de son prédécesseur, M. Paul Wille.
Il est grand temps de taper du poing sur la table si l'on veut se faire entendre d'un certain nombre d'Etats qui, aujourd'hui, persistent à ne pas regarder les choses en face ! La crise économique a bon dos. Il suffit de regarder l'attitude de certains pays pour constater qu'ils ne veulent pas augmenter le budget mis à la disposition du Conseil de l'Europe et de son Assemblée parlementaire afin qu'ils soient à même de répondre à une mission qui, depuis soixante ans, est pourtant immuable. Or notre budget de 2011 est revenu au niveau de 2009 et je n'ai pas le sentiment que nous nous livrions à des dépenses de luxe. Bien au contraire, je crois que cette maison, depuis très longtemps, est exemplaire. Je le répète: il est grand temps de tirer la sonnette d'alarme !
Je soutiens quant à moi le projet de rénovation engagé par notre Secrétaire général, mais j'estime que si des économies sont nécessaires, elles ont néanmoins des limites, comme l'a dit notre collègue M. Kox. Il n'est en effet pas acceptable d'en réaliser au détriment de nos missions de défense de la démocratie et des droits de l'Homme. Qu'est-ce qui coûte cher ? La Cour européenne des droits de l'Homme ? Faut-il la supprimer ? Bien sûr que non ! Il faut lui donner les moyens de fonctionner correctement ! La ratification du Protocole 14, quant à elle, ne diminuera pas le budget dont nous avons besoin pour faire fonctionner notre fleuron. Oui, chaque Etat doit prendre ses responsabilités ! Je ne vois pas non plus pourquoi il faudrait passer par pertes et profits la Direction européenne de la qualité du médicament, plus connue sous le nom de Pharmacopée, ou le Comité de prévention contre la torture et bien d'autres organes encore !
Il faut se donner les moyens d'exister et, pour ce faire, être entendu du Comité des ministres en faisant en sorte que nos ambassadeurs relaient nos propos. Enfin, dans chacun de nos parlements respectifs, nous devons faire remonter nos requêtes auprès des ministres compétents en appelant leur attention lorsqu'ils viennent nous rendre visite.
Je suis par ailleurs surpris de constater que le budget de la dernière invention de l'Union européenne, l'Agence européenne, soit passé en très peu de temps de 14 à 20 millions d'euros. Que l'on songe donc à nos 15 millions ! Un vrai problème se pose.
Monsieur le rapporteur, je ne doute pas que votre travail sera unanimement approuvé et, d'ores et déjà, je puis vous assurer d'un soutien aussi total que celui que j'apportais aux rapports présentés par votre prédécesseur, que je tiens d'ailleurs à saluer. »
A cet égard, afin de clarifier le poids de la Cour dans les crédits dévolus au Conseil, l'Assemblée appelle de ses voeux la mise en place d'un budget séparé pour la Cour, sans toutefois remettre en cause son statut d'organe du Conseil de l'Europe.
C. LA SITUATION DE LA DÉMOCRATIE EN EUROPE ET L'ÉVOLUTION DE LA PROCÉDURE DE SUIVI DE L'ASSEMBLÉE
Le travail de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe, dite commission de suivi, auprès d'une dizaine de pays (Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Géorgie, ex-République yougoslave de Macédoine, Moldavie, Monaco, Monténégro, Russie, Serbie, Turquie et Ukraine) en vue d'y garantir le plein respect des droits de l'Homme, la démocratie et la prééminence du droit, lui confère une expertise certaine sur la situation de la démocratie en Europe. L'une des principales difficultés que celle-ci rencontre demeure la bonne tenue du processus électoral. Si elle reconnaît un certain nombre de progrès dans les pays concernés et souligne que les résultats reflètent, dans la totalité des cas, la volonté des électeurs, elle note ainsi d'importances carences et des violations manifestes en Russie, en Azerbaïdjan et en Arménie.
M. François Rochebloine (Loire - UMP) s'est interrogé sur la pertinence de la procédure de suivi concernant ces deux derniers pays :
«Le rapport de la commission de suivi sur ses activités au cours de la période récente illustre de manière frappante les inégalités dans la perception des libertés essentielles que nous évoquions précédemment à propos de la crise de la démocratie.
Comme souvent dans notre Assemblée, il est conçu dans une sorte de perspective idéale qui aurait pour aboutissement une société « pure et parfaite », comme disent les économistes, où la liberté serait la valeur de base et où les institutions politiques, notamment, bénéficieraient pleinement des acquis de notre expérience commune.
Cette méthode offre un certain avantage de neutralité rationnelle qui est, dans une certaine mesure, nécessaire à la crédibilité de la procédure de suivi. L'introspection dans les pratiques politiques, les lois, les procédures judiciaires d'un Etat est par définition et sans jugement de valeur une ingérence dont la justification doit être aussi incontestable que possible.
L'expérience montre que cette introspection a souvent une grande utilité : elle permet à des pouvoirs politiques soucieux, par exemple, de ne pas perdre la face dans le débat interne à leur pays, de prendre des mesures difficiles en invoquant une autorité extérieure et reconnue. Elle peut aussi détourner de la tentation de commettre des fautes contre la liberté et la démocratie, ou en limiter de manière bienvenue le déploiement.
Cependant, j'aimerais que dans ses appréciations, la commission de suivi tienne aussi compte du fait que les pays où elle exerce ses activités sont en relation directe, parfois délicate, avec d'autres pays qui peuvent exploiter à leur profit les conclusions qu'elle publie à propos de leurs antagonismes.
On comprendra que j'aie été sensible, à cet égard, à la dissymétrie des développements consacrés par le rapport à l'Arménie et à l'Azerbaïdjan. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire ici, je souhaite que toutes les forces politiques et les autorités arméniennes se persuadent toujours davantage du fait que le respect des libertés publiques et une vie réellement démocratique sont la meilleure garantie de la cohésion d'une nation. Mais il faudrait sans doute regarder d'un peu plus près cette singulière démocratie héréditaire qu'est l'Azerbaïdjan. Je n'ai jamais entendu dire que l'opposition qualifiait par avance les élections législatives en Arménie de « farce », terme appliqué par l'opposition azérie à la prochaine consultation du même type organisée à Bakou. Cela mérite pour le moins une attention supplémentaire. J'aimerais d'ailleurs, personnellement, évaluer sur place, et sans parti pris, l'exactitude de cette appréciation.
Car, en dépit des observations que je viens de présenter, je suis personnellement très attaché à cette forme éminente de collaboration et de dialogue qu'est la procédure de suivi. Je remercie M. le rapporteur de son excellent travail. »
La commission relève également que l'efficacité des parlements tient principalement à leur représentativité et à leur capacité à se muer en lieu de dialogue entre les différentes forces politiques. Cette acception du rôle du pouvoir législatif est fortement tempérée par les menaces qui pèsent sur les forces politiques d'opposition dans certains pays ou le recours abusif des partis d'opposition aux stratégies de boycott du Parlement.
Un processus électoral déficient peut, par ailleurs, conduire l'opposition à agir hors du cadre parlementaire. Parallèlement, les parlements ne bénéficient pas toujours des compétences adaptées et des qualités d'expertise requises. Une telle situation implique la mise en place de programmes de coopération adaptés avec le Conseil de l'Europe ou l'Union européenne.
M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a souhaité insister sur les problèmes que posent ces manquement constatés quant à la crédibilité du Conseil de l'Europe :
« Je tiens tout d'abord à saluer la grande qualité du rapport de M. Marty qui a travaillé avec la rigueur intellectuelle que nous lui connaissons.
Ce rapport, qui porte sur le fonctionnement des institutions démocratiques de huit Etats membres du Conseil de l'Europe, est plus concentré que le précédent. Il est désormais thématique et analyse l'efficacité des Parlements dans ces Etats. Il s'agit d'un travail très précieux que notre Assemblée, sur la base des conclusions des différents corapporteurs de sa commission de suivi, est sans doute la seule institution à effectuer. Il poursuit deux objectifs : la recherche de la vérité et la progression des Etats concernés.
Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ce rapport ?
Tout d'abord, il est impartial et aucun pays ne saurait se prévaloir d'un prétendu « double standard » pour justifier ses manquements, dont il est le seul à porter la responsabilité. On le sait, certains États membres sont prompts à dénoncer un manque d'objectivité de notre organisation à leur égard. Ce rapport montre qu'il n'en est rien et que ses exigences sont élevées pour tous. C'est aux pays visés d'en tirer les conséquences et d'apporter les modifications nécessaires, qu'elles soient d'ordre constitutionnel, législatif ou réglementaire, pour respecter leurs engagements. Le Conseil de l'Europe peut et doit les y aider. Encore faut-il que l'approfondissement des valeurs démocratiques figure à l'agenda politique des gouvernements, ce qui n'est manifestement pas toujours le cas.
Force est de constater, en effet, et c'est ma deuxième conclusion, que la marge de progression dans certains Etats membres reste très grande. Le rapport ne peut d'ailleurs que susciter notre inquiétude, car il porte sur le coeur de l'exercice de la démocratie : les modes de désignation du pouvoir législatif, la réalité de la séparation des pouvoirs et le fonctionnement des assemblées parlementaires.
Or les « graves insuffisances », relevées par notre collègue conduisent à s'interroger sur le caractère véritablement démocratique de certains Etats membres. Peuvent ainsi être rappelés : un processus électoral portant atteinte au pluralisme politique, une législation électorale défaillante, une opposition brimée, des parlements réduits à un rôle de chambre d'enregistrement, des médias aux ordres, la liberté d'expression bafouée, des journalistes assassinés...
Ces violations flagrantes des principes les plus élémentaires de la démocratie et de l'Etat de droit existent dans certains Etats membres du Conseil de l'Europe. L'appartenance à notre organisation ne saurait se limiter au rôle de caution démocratique sur la scène internationale.
La résolution que nous allons voter ne doit pas rester incantatoire. À ce titre, et c'est ma troisième conclusion, notre Assemblée doit probablement élargir la diffusion de ses travaux et accentuer la pression sur les Etats qui ne progressent pas suffisamment, voire qui régressent. Le suivi de nos travaux devrait être amélioré. Le rapport rappelle que bien des engagements de certains Etats n'ont jamais été mis en oeuvre, ce qui n'est pas admissible.
Peut-être devrions-nous faire évoluer nos méthodes et introduire une procédure de « questions cribles » en séance qui offrirait aux membres de l'Assemblée la possibilité de poser des questions très précises aux autorités des pays concernés sur les suites qui ont été données aux conclusions de la commission de suivi. Ce serait un moyen pour renforcer notre propre crédibilité. »
La résolution adoptée par l'Assemblée rappelle les exigences qu'elle a formulées individuellement à tous les Etats concernés par la procédure de suivi. Elle rappelle ainsi les trois principaux volets de la mission de la commission de suivi : élections et pluralisme politique, dialogue entre les partis politiques au Parlement et contrôle parlementaire des activités de l'exécutif.
ANNEXES
Annexe 1 - Proposition de
résolution de M. Denis Badré
et plusieurs de ses
collègues : Réaffirmer l'universalité des droits de
l'Homme
(document n°12312)
La présente proposition n'a pas été examinée par l'Assemblée et n'engage que ses signataires
1. L'universalité des droits de l'Homme, qui trouve son fondement dans la dignité de l'être humain, est aujourd'hui menacée. La contestation de leur caractère universel n'est pas nouvelle. Pendant la guerre froide, elle prenait la forme de l'affirmation de la prééminence des droits économiques et sociaux sur les droits civils et politiques. L'époque marquée par l'optimisme consécutif à la fin de l'affrontement est/ouest, qui a vu les droits de l'Homme connaître d'importantes avancées, semble révolue. Les droits de l'Homme semblent aujourd'hui pris au piège de tentatives de bipolarisation internationale selon un axe nord/sud.
2. Leur universalité est en effet menacée, en particulier par le relativisme culturel et religieux. Dans certaines instances internationales, on peut parfois observer une alliance des régimes totalitaires et des régimes théocratiques qui cherchent à faire prévaloir les intérêts du groupe au détriment de ceux de l'individu.
3. Les droits de l'Homme n'appartiennent à aucune civilisation particulière. Leur application n'est certes pas encore universelle, mais leur caractère universel implique qu'ils restent valables en tous lieux, en tous temps et pour tous les hommes, sans aucune distinction. Les droits de l'Homme reposent sur des valeurs qui peuvent être partagées par l'humanité tout entière. Ils ne sauraient être réécrits en fonction de telle ou telle spécificité. Leur universalisme n'est pas un obstacle à la diversité culturelle.
4. Notre Assemblée parlementaire, en réfutant les arguments de ceux qui contestent la portée universelle des droits de l'Homme, contribuera à mieux promouvoir et protéger ceux-ci.
Signé :
• BADRÉ Denis, France, ADLE
AGIUS Francis, Malte, PPE/DC
AUSTIN John, Royaume-Uni, SOC
BLONDIN Maryvonne, France, SOC
BRASSEUR Anne, Luxembourg, ADLE
DURRIEU Josette, France, SOC
FASSINO Piero, Italie, SOC
FRUNDA György, Roumanie, PPE/DC
GIRARDIN Annick, France, SOC
GROSS Andreas, Suisse, SOC
GROSSKOST Arlette, France, PPE/DC
HOLOVATY Serhiy, Ukraine, ADLE
JENSEN Michael Aastrup, Danemark, ADLE
KOX Tiny, Pays-Bas, GUE
KUCHEIDA Jean-Pierre, France, SOC
LECOQ Jean-Paul, France, GUE
LØHDE Sophie, Danemark, ADLE
LONCLE François, France, SOC
LUNDGREN Kerstin, Suède, ADLE
MARQUET Bernard, Monaco, ADLE
MARTY Dick, Suisse, ADLE
MELONI Assunta, Saint-Marin, ADLE
MIGNON Jean-Claude, France, PPE/DC
POZZO di BORGO Yves, France, PPE/DC
REPS Mailis, Estonie, ADLE
RIGONI Andrea, Italie, ADLE
ROSSELL TARRADELLAS Amadeu, Andorre, ADLE
TAKTAKISHVILI Chiora, Géorgie, ADLE
TOSHEV Latchezar, Bulgarie, PPE/DC
VITALI Luigi, Italie, PPE/DC
LALONDE Francine, Canada
Annexe 2 - Proposition de résolution de M. François Rochebloine et plusieurs de ses collègues : « Bonne gouvernance et éthique du sport »
La présente proposition n'a pas été
examinée par l'Assemblée
et n'engage que ses signataires
1. Le développement de la dimension économique du sport, soutenu par son internationalisation, est un fait. L'ampleur des enjeux financiers s'exprime entre autre dans les montants consacrés à l'achat des droits de retransmission télévisée, aux transferts et aux rémunérations des sportifs, aux contrats publicitaires.
2. L'irruption non maîtrisée d'exigences purement financières amplifie le risque de dérives: corruption ; trucage des résultats ; usage de produits dopants ; dangers liés à la libéralisation des paris sportifs en ligne.
3. Une régulation davantage aboutie est nécessaire pour protéger les valeurs éthiques, sociales et éducatives du sport et éviter démesure et abus. Cette régulation ne sera efficace que si elle est conçue et réalisée au moins au niveau européen et d'un commun accord entre les diverses parties prenantes : autorités publiques, fédérations sportives, operateurs économiques, clubs et athlètes.
4. Le Conseil de l'Europe tient du champ géographique de son intervention une qualification particulière pour promouvoir une réflexion approfondie sur l'ensemble des mécanismes qui entrent en jeux dans le domaine du sport et leurs interactions, s'appuyant sur les lignes directrices adoptés par son Comité des Ministres et les résolutions de la Conférence des Ministres européens responsables du Sport. Il est indispensable que cette réflexion se fasse en étroite collaboration avec l'Union européenne.
5. En conséquence, l'Assemblée parlementaire invite le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe et ses États membres à établir, en concertation avec l'Union européenne, une plateforme de travail avec les parties prenantes du monde sportif, chargée :
5.1. de réfléchir aux améliorations requises pour d'aboutir à un système garantissant la bonne gouvernance sportive et le respect de l'éthique du sport et
5.2. de promouvoir l'élaboration des nouvelles règles (y compris dans le cadre de l'autorégulation et en respectant l'autonomie des organisations sportives) en tenant compte de la réglementation de l'Union européenne.
Signé :
• ROCHEBLOINE François, France, PPE/DC
BADRÉ Denis, France, ADLE
BRAUN Marton, Hongrie, PPE/DC
CHRISTOFFERSEN Lise, Norvège, SOC
COUSIN Alain, France, PPE/DC
GARDETTO Jean-Charles, Monaco, PPE/DC
HARANGOZO Gabor, Hongrie, SOC
HARUTYUNYAN Davit, Arménie, GDE
HOPPAL Peter, Hongrie, PPE/DC
KALMAR Ferenc, Hongrie, PPE/DC
KAUFER Virág, Hongrie, SOC
KUCHEIDA JeanèPierre, France, SOC
LAVAGNA Sophie, Monaco, PPE
MARIN Christine, France, PPE/DC
MARLAND-MILITELLO Muriel, France, PPE/DC
MARQUET Bernard, Monaco, ADLE
NAGHDALYAN Hermine, Arménie, ADLE
NESSA Pasquale, Italie, PPE/DC
RUSSO Giacinto, Italie, ADLE
RUSTAMYAN Armen, Arménie, SOC
SCHNEIDER André, France, PPE/DC
TOFANI Oreste, Italie, PPE/DC
VEJKEY Imre, Hongrie, PPE/DC
Annexe 3 - Résolution 1743 (2010) - L'islam, l'islamisme et l'islamophobie en Europe
1. L'Assemblée parlementaire note que le radicalisme islamique et la manipulation des croyances religieuses à des fins politiques s'opposent aux droits de l'Homme et aux valeurs démocratiques. En même temps, dans de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe, les musulmans ont le sentiment d'être exclus de la société et de faire l'objet de stigmatisations et de discriminations; ils sont victimes de stéréotypes, de la marginalisation sociale et de l'extrémisme politique. L'Assemblée est très préoccupée par l'extrémisme islamique et par l'extrémisme qui rejette les communautés musulmanes d'Europe, deux phénomènes qui se renforcent mutuellement.
2. L'Assemblée rappelle que l'islamisme est une façon de concevoir l'islam non seulement comme une religion mais aussi comme un code de conduite social, juridique et politique. L'islamisme peut être violent ou pacifique et modéré, mais en aucun cas il ne reconnaît la séparation de la religion et de l'Etat, grand principe des sociétés démocratiques et pluralistes. L'Assemblée rappelle, en outre, que la discrimination envers les musulmans est inacceptable et doit être combattue. La vaste majorité des musulmans européens partagent les principes fondateurs de nos sociétés et il est essentiel de lutter contre l'islamophobie, qui vient essentiellement de l'ignorance et d'une image négative résultant d'un amalgame entre islam et violence. En ne s'attelant pas à ces questions, de nombreux gouvernements européens favorisent la montée de l'extrémisme.
3. Les musulmans sont chez eux en Europe, où ils sont présents depuis des siècles, comme l'indique l'Assemblée dans sa Recommandation 1162 (1991) sur la contribution de la civilisation islamique à la culture européenne. L'islam, le judaïsme et le christianisme - les trois religions monothéistes - partagent les mêmes racines historiques et culturelles et reconnaissent les mêmes valeurs fondamentales, notamment l'importance primordiale de la vie et de la dignité humaines, la capacité et la liberté d'exprimer ses pensées, le respect d'autrui et de la propriété d'autrui, l'importance de l'aide sociale. Ces valeurs ont trouvé un écho dans les philosophies européennes et ont été insérées dans la Convention européenne des droits de l'Homme (STE n° 5).
4. L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'Hommegarantit la liberté de pensée, de conscience et de religion, y compris le droit de manifester sa religion ou ses convictions, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'observance des rites. L'article 10 de la Convention consacre la liberté d'expression, y compris le droit d'exprimer des opinions religieuses ou philosophiques ou de s'y opposer et de les critiquer. Ces deux libertés sont une condition indispensable à l'existence d'une société démocratique. Elles ne sont toutefois pas absolues et peuvent faire l'objet de limitations strictement encadrées. En outre, conformément à l'article 17 de la Convention, elles ne doivent pas être exercées de manière abusive pour supprimer ou restreindre excessivement l'un des droits et libertés énoncés par la Convention.
5. L'Assemblée a déjà souligné, dans sa Résolution 1510 (2006) sur la liberté d'expression et le respect des croyances religieuses, ainsi que dans sa Recommandation 1805 (2007), « Blasphème, insultes à caractère religieux et discours de haine contre des personnes au motif de leur religion », qu'il importait de concilier ces deux libertés. Elle condamne fermement les menaces de mort et les décrets de condamnation à mort prononcés à l'encontre des personnes qui critiquent l'islam ou les opinions politiques liées à l'islam. Elle déplore toutefois les initiatives prises par un certain nombre d'États membres des Nations Unies qui ont abouti à l'adoption par le Conseil des droits de l'Homme de résolutions portant sur la lutte contre la diffamation des religions, et notamment de l'islam, dans la mesure où cette orientation constitue une menace pour la liberté d'expression.
6. Rappelant sa Recommandation 1804 (2007), « Etat, religion, laïcité et droits de l'Homme », l'Assemblée souligne que les normes démocratiques imposent la séparation entre l'Etat et ses organes et la religion et les organisations religieuses. Les gouvernements, les parlements et les administrations publiques qui reflètent démocratiquement leur société dans son ensemble et sont à son service doivent être neutres à l'égard de toute croyance religieuse, agnostique ou athée. La religion et la démocratie ne sont néanmoins pas incompatibles, notamment parce que les religions peuvent jouer un rôle social bénéfique. Par conséquent, les États membres devraient encourager les organisations religieuses à favoriser la paix, la tolérance, la solidarité et le dialogue interculturel.
7. L'Assemblée constate, cependant, avec préoccupation que certaines organisations islamiques, qui exercent leurs activités dans les États membres, ont été lancées par des gouvernements étrangers qui leur dispensent une aide financière et des directives politiques. Les objectifs de ces organisations ne sont par conséquent pas religieux. Il importe de mettre en lumière cette expansion politique nationale vers d'autres États sous couvert de l'islam. De manière compatible avec l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'Homme, les Etats membres peuvent limiter les activités de ces organisations, sous réserve que ces limitations remplissent les conditions imposées par le paragraphe 2 de l'article 11. Il convient, par conséquent, que les États membres imposent aux associations islamiques et aux autres associations religieuses de faire preuve de transparence et de rendre des comptes, par exemple en exigeant la transparence de leurs objectifs statutaires, de leurs dirigeants, de leurs membres et de leurs ressources financières.
8. Comme l'Assemblée l'indique dans sa Recommandation 1774 (2006) sur la présence turque en Europe : travailleurs migrants et nouveaux citoyens européens, les gouvernements et les parlements des Etats membres, ainsi que le Conseil de l'Europe, doivent en priorité favoriser l'intégration sociale des musulmans et des autres minorités religieuses. Il convient de se féliciter des nombreuses initiatives prises par les Etats membres pour mieux intégrer les migrants, mais cette intégration est encore loin d'être une réalité, notamment pour les migrants musulmans. Aussi l'Assemblée invite-t-elle les États membres à traiter en amont les inégalités sociales, économiques et politiques.
9. L'Assemblée appelle les Etats membres à lutter efficacement contre l'exclusion sociale et économique des musulmans et des autres minorités en Europe - y compris par l'adoption, la mise en oeuvre et le contrôle régulier d'une gamme complète de dispositions législatives, de politiques et de pratiques antidiscriminatoires destinées à les protéger contre la discrimination qu'ils subissent au quotidien et à leur assurer un meilleur accès aux recours juridiques en cas de violation de leurs droits.
10. Bien que l'existence de structures organisationnelles des communautés musulmanes soit souhaitable dans les Etats membres pour faciliter leurs contacts avec les instances gouvernementales et administratives, les gouvernements et les parlements de ces pays devraient chercher à établir également des contacts politiques directs avec les musulmans en leur qualité de citoyens à part entière. Ces contacts directs pourraient être facilités, par exemple, par l'organisation d'auditions publiques aux niveaux local et régional, ainsi que par la mise en place, sur internet, de plates-formes régionales et nationales de discussion. Se référant à la Recommandation 170 (2005) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe sur le dialogue interculturel et interreligieux : initiatives et responsabilités des autorités locales, l'Assemblée invite les parlements nationaux à veiller à ce que les autorités locales de leur pays disposent des cadres juridiques, administratifs et financiers nécessaires à l'exercice des activités locales destinées à favoriser l'insertion sociale et le dialogue interculturel.
11. Il est nécessaire que les personnes appartenant à une culture minoritaire dans leur pays ne s'isolent pas et ne cherchent pas à mettre en place une société parallèle. Aussi l'Assemblée invite-t-elle les représentants des communautés musulmanes à encourager le dialogue interculturel ainsi qu'à lutter contre des divisions qui entraîneraient, dans le cas contraire, des frictions et des conflits au sein de la société. Rappelant sa Résolution 1605 (2008) et sa Recommandation 1831 (2008) sur les communautés musulmanes européennes face à l'extrémisme, l'Assemblée invite les musulmans, leurs communautés religieuses et leurs responsables religieux à lutter contre toute forme d'extrémisme pratiqué sous couvert de l'islam. L'islam est une religion qui prône la paix. Les musulmans devraient être les premiers à réagir avec consternation et à s'opposer à l'utilisation que les terroristes ou les extrémistes politiques font de l'islam pour mener leurs propres luttes de pouvoir et porter ainsi atteinte à cette valeur essentielle qu'est la vie humaine et aux autres principes consacrés par l'islam.
12. L'Assemblée déplore qu'un nombre croissant de partis politiques en Europe exploitent et attisent la peur de l'islam en menant des campagnes politiques qui privilégient une vision simpliste et des clichés négatifs à propos des musulmans d'Europe en assimilant l'islam à l'extrémisme. L'incitation à l'intolérance et parfois même à la haine envers les musulmans est inadmissible. L'Assemblée invite les États membres à mener une action politique conforme à la Recommandation de politique générale n° 5 (2000) de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) sur « la lutte contre l'intolérance et les discriminations envers les musulmans ». Elle rappelle qu'il appartient aux Etats membres de rejeter de tels discours politiques attisant la peur et la haine des musulmans et de l'islam, tout en se conformant aux prescriptions de la Convention européenne des droits de l'Homme, en particulier à son article 10.2.
13. L'Assemblée reste également préoccupée par les politiques et les pratiques - tant des autorités nationales que des autorités régionales ou locales - discriminatoires à l'encontre des musulmans, et par le risque d'une utilisation abusive des votes, initiatives et référendums populaires pour légitimer des restrictions des droits à la liberté de religion et d'expression qui sont inacceptables au regard des articles 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Dans ce contexte, l'Assemblée est particulièrement préoccupée par le référendum organisé récemment en Suisse et demande instamment aux autorités suisses d'adopter un moratoire sur l'interdiction générale de la construction des minarets de mosquées et d'abroger dès que possible cette interdiction.
14. Rappelant sa Résolution 1464 (2005) sur les femmes et la religion en Europe, l'Assemblée invite l'ensemble des communautés musulmanes à abandonner toute interprétation traditionnelle de l'islam qui nie l'égalité entre hommes et femmes et restreint les droits des femmes, à la fois au sein de la famille et dans la vie publique. Cette interprétation n'est pas compatible avec la dignité humaine et les normes démocratiques; les femmes sont égales en tout aux hommes et doivent être traitées en conséquence, sans exception. La discrimination des femmes, qu'elle soit fondée sur des traditions religieuses ou non, est contraire aux articles 8, 9 et 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme, à l'article 5 de son Protocole n° 7, ainsi qu'à son Protocole n° 12. Aucun relativisme religieux ou culturel ne saurait être invoqué pour justifier des violations de la personne humaine. L'Assemblée parlementaire exhorte donc les Etats membres à prendre toutes les mesures nécessaires pour éradiquer l'islamisme radical et l'islamophobie, dont les femmes sont les premières victimes.
15. À cet égard, le port du voile par les femmes, et surtout le port du voile intégral sous la forme de la burqa ou du niqab, est souvent perçu comme un symbole de soumission des femmes aux hommes, qui restreint le rôle des femmes au sein de la société, limite leur vie professionnelle et entrave leurs activités sociales et économiques. Ni le port du voile intégral par les femmes, ni même celui du foulard n'est admis comme une obligation religieuse par tous les musulmans, mais nombre d'entre eux voient ces pratiques comme une tradition sociale et culturelle. L'Assemblée estime que cette tradition pourrait représenter une menace pour la dignité et la liberté des femmes. Aucune femme ne devrait être contrainte de porter une tenue religieuse par sa communauté ou sa famille. Tout acte d'oppression, de séquestration ou de violence constitue un crime qui doit être puni par la loi. Les femmes victimes de ces crimes doivent être protégées par les Etats membres, quel que soit leur statut, et bénéficier de mesures de soutien et de réhabilitation.
16. C'est la raison pour laquelle la possibilité d'interdire le port de la burqa et du niqab est envisagée par les parlements de plusieurs pays d'Europe. L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'Homme reconnaît à toute personne le droit de choisir librement de porter ou non une tenue religieuse en privé ou en public. Les restrictions légales imposées à cette liberté peuvent se justifier lorsqu'elles s'avèrent nécessaires dans une société démocratique, notamment pour des raisons de sécurité ou lorsque les fonctions publiques ou professionnelles d'une personne lui imposent de faire preuve de neutralité religieuse ou de montrer son visage. Toutefois, l'interdiction générale du port de la burqa et du niqab dénierait aux femmes qui le souhaitent librement le droit de couvrir leur visage.
17. De plus, une interdiction générale pourrait avoir un effet contraire, en poussant les familles et la communauté à faire pression sur les femmes musulmanes pour qu'elles restent chez elles et se limitent à entretenir des contacts avec d'autres femmes. Les femmes musulmanes subiraient une exclusion supplémentaire si elles devaient quitter les établissements d'enseignement, se tenir à l'écart des lieux publics et renoncer au travail hors de leur communauté pour ne pas rompre avec leur tradition familiale. L'Assemblée invite, par conséquent, les États membres à élaborer des politiques ciblées, destinées à sensibiliser les femmes musulmanes à leurs droits, à les aider à prendre part à la vie publique, ainsi qu'à leur offrir les mêmes possibilités de mener une vie professionnelle et de parvenir à une indépendance sociale et économique. À cet égard, l'éducation des jeunes femmes musulmanes, de leurs parents et de leurs familles est primordiale. Il est en particulier nécessaire de supprimer toute forme de discrimination à l'encontre des filles et de développer l'éducation en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, sans stéréotypes et à tous les niveaux du système d'éducation.
18. Les mutilations génitales féminines pratiquées sous prétexte de respecter des coutumes islamiques ou autres devraient être considérées comme des crimes car elles portent atteinte au droit à l'intégrité physique et morale de toute personne, en particulier des filles. Les Etats membres doivent tout mettre en oeuvre pour lutter contre ces crimes et dispenser une aide concrète aux enfants et à leurs parents, notamment par l'éducation. L'Assemblée rappelle à cet égard sa Résolution 1247 (2001) sur les mutilations sexuelles féminines.
19. Dans cette perspective, l'Assemblée exhorte les Etats membres à prendre toutes les mesures visant à prévenir et à combattre toute forme d'oppression ou de violence subies par les femmes, et en particulier à soutenir, dans le cadre des négociations de la future convention du Conseil de l'Europe sur la lutte et la prévention de la violence à l'égard des femmes et de la violence domestique (CAHVIO), les dispositions permettant aux femmes, quel que soit leur origine ou leur statut, d'avoir accès à des dispositifs de protection, de prévention et de réhabilitation.
20. Les clichés, les idées reçues et les peurs que suscite l'islam sont les symptômes typiques d'une large méconnaissance de ce sujet par les non-musulmans en Europe. De même, de nombreux musulmans d'Europe ont une méconnaissance de l'islam, sans parler des autres religions, qui peut les rendre vulnérables à « l'islamisme », c'est-à-dire à une forme d'extrémisme politique pratiqué sous un couvert religieux. A cet égard, l'Assemblée rappelle sa Recommandation 1720 (2005) « Education et religion » et invite les Etats membres à veiller à ce que la connaissance de l'islam, du judaïsme et du christianisme soit enseignée à l'école et au moyen d'une éducation dispensée tout au long de la vie.
21. Les Etats membres devraient favoriser l'enseignement des religions, de manière à sensibiliser l'opinion publique à l'origine et aux valeurs communes du judaïsme, du christianisme et de l'islam, ainsi qu'à leur incidence sur l'humanisme européen moderne. Les établissements d'enseignement supérieur et de recherche en Europe devraient faire de l'islam une matière d'enseignement afin de former les universitaires, enseignants et responsables religieux et d'établir une distinction entre islam et islamisme. L'Assemblée ne doute pas que la plupart des musulmans européens d'aujourd'hui acceptent une conception commune qui concilie l'islam avec les valeurs démocratiques, les droits de l'Homme et l'État de droit ; d'ailleurs, beaucoup de musulmans l'ont déjà fait depuis longtemps.
22. L'Assemblée se félicite également du Livre blanc sur le dialogue interculturel, élaboré en 2008 par le Conseil de l'Europe à l'occasion de l'Année européenne du dialogue interculturel, ainsi que d'autres activités menées par le Comité des Ministres dans ce domaine. Les gouvernements des Etats membres devraient s'appuyer sur ce Livre blanc pour définir les mesures à prendre à ce sujet dans leur pays, notamment dans les écoles et autres établissements d'enseignement.
23. Il importe de créer des synergies avec d'autres organisations internationales à ce sujet. C'est pourquoi l'Assemblée invite l'Alliance des civilisations des Nations Unies à coopérer plus étroitement avec le Conseil de l'Europe, notamment en mettant en place des programmes d'action communs. À cet égard, l'Assemblée invite le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe à rechercher un financement supplémentaire pour ces activités auprès des Etats membres et à faciliter le détachement réciproque d'agents entre les deux organisations.
24. L'Assemblée invite l'Organisation Islamique pour l'éducation, les sciences et la culture (ISESCO) et l'Organisation de la Ligue arabe pour l'éducation, la culture et les sciences (ALECSO) à collaborer avec le Conseil de l'Europe pour lutter contre l'islamisme et l'islamophobie ou toute autre forme de discrimination religieuse, ainsi que pour promouvoir le respect des droits de l'Homme universels. L'ISESCO et l'ALESCO peuvent jouer un rôle particulièrement important, en veillant à ce que leurs membres respectent le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) de l'Organisation des Nations unies.
25. À cet égard, l'Assemblée déplore que certains gouvernements membres de l'ISESCO et de l'ALECSO aient adopté une législation nationale fondée sur une interprétation de la charia ou aient mené des politiques nationales contraires au PIDCP et au PIDESC : infliger de lourdes peines, voire la peine de mort, à des personnes qui souhaitent adopter une autre religion que l'islam est incompatible avec l'article 18 (2) du PIDCP ; infliger de lourdes peines à des personnes qui critiquent l'islam, ou prononcer à leur encontre des décrets publics de condamnation à mort est incompatible avec l'article 19 du PIDCP ; appeler à la « guerre sainte » ou à la violence contre d'autres pays ou leurs citoyens et glorifier les terroristes en les qualifiant de « saints martyrs » est incompatible avec l'article 20 (2) du PIDCP; apprendre aux enfants à haïr ou à combattre les adeptes d'une religion autre que l'islam est incompatible avec l'article 13 (1) du PIDESC.
26. Il convient de favoriser les contacts entre les Européens musulmans et non musulmans et les musulmans d'Afrique du Nord, du Proche-Orient et d'Asie, notamment chez les jeunes, les étudiants et les enseignants. L'Assemblée invite par conséquent le Forum européen de la jeunesse à étendre ses activités dans ce domaine. Il importe de soutenir la coopération entre les établissements éducatifs et culturels, ainsi qu'entre les villes du bassin méditerranéen, par exemple dans le cadre de la Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l'enseignement supérieur dans la région européenne (STE n° 165) et de la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (STE n° 106).
Annexe 4 - Recommandation 1927 (2010) - L'islam, l'islamisme et l'islamophobie en Europe
1. Se référant à sa Résolution 1743 (2010) sur l'islam, l'islamisme et l'islamophobie en Europe, l'Assemblée parlementaire souligne l'importance particulière que revêt, pour le Conseil de l'Europe et ses États membres, le renforcement de l'action qu'ils mènent dans ce domaine. Le Statut du Conseil de l'Europe lui donne pour mission prioritaire d'oeuvrer en faveur de la liberté de pensée, de conscience et de religion, tout en luttant contre l'intolérance religieuse et la discrimination ainsi que contre les attaques de ses valeurs au nom de la religion. Il convient que les États membres s'inspirent de la présente recommandation et de la Résolution 1743 (2010).
2. Pour pouvoir édifier jour après jour une société démocratique régie par l'Etat de droit et les droits de l'homme universels, le Conseil de l'Europe doit redoubler d'efforts de manière à inscrire ces valeurs dans la culture européenne. L'action culturelle et éducative menée par le Conseil de l'Europe est une condition indispensable, d'une part, à l'intégration européenne fondée sur des valeurs communes et, d'autre part, à la parfaite compréhension et au respect scrupuleux des droits de l'homme, notamment les droits et libertés politiques, sociaux et culturels. Le Conseil de l'Europe devrait également s'employer à encourager d'autres parties du monde à adopter et promouvoir les valeurs qu'il défend.
3. Du fait de son Statut, de sa compétence territoriale et de son expérience, le Conseil de l'Europe devrait tenir lieu de tribune paneuropéenne pour l'examen des stratégies communes de renforcement de la stabilité démocratique, confrontée à l'islamisme, à l'islamophobie et aux autres extrémismes politiques en Europe. Aussi l'Assemblée demande-t-elle au Comité des Ministres :
3.1. de veiller, à l'aide du budget général et des contributions volontaires, à assurer le financement adéquat des activités normatives, d'assistance et de coopération exercées au profit des États membres et des régions voisines dans les domaines de la culture et de l'éducation, ainsi que des migrations et des réfugiés ;
3.2. de renforcer leurs activités afin de veiller à ce que la connaissance de l'islam et d'autres croyances soit enseignée à l'école et au moyen d'une éducation dispensée tout au long de la vie, et que les établissements d'enseignement supérieur et de recherche en Europe fassent de l'islam une matière d'enseignement afin de former des universitaires, des enseignants ainsi que des responsables religieux ;
3.3. d'oeuvrer pour étendre géographiquement les traités du Conseil de l'Europe portant sur la culture et l'éducation, en les ouvrant à la signature d'Etats tiers, notamment d'Eurasie, d'Afrique du Nord et du Proche-Orient ; cela vaut tout particulièrement pour la Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l'enseignement supérieur dans la région européenne (STE n° 165), la Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE n° 199), la Convention européenne sur la télévision transfrontière et le Protocole portant amendement à celle-ci (STE n° 132 et 171) ;
3.4 d'étudier les possibilités d'ouverture du champ d'application géographique de la Convention culturelle européenne (STE n° 18) aux États non européens, par exemple en rédigeant un protocole sur l'éducation aux droits de l'homme et à la démocratie à cette convention ;
3.5 d'oeuvrer activement en faveur de l'adhésion des États d'Afrique du Nord et du Proche-Orient au Centre européen pour l'interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) du Conseil de l'Europe et de renforcer notamment les programmes portant sur l'égalité entre les femmes et les hommes, en particulier la lutte contre toutes les formes de violence à l'égard des femmes et la promotion de la participation des femmes dans la prise de décision publique. Dans ce contexte, l'Assemblée se félicite de l'adhésion du Maroc et du Cap Vert au Centre Nord-Sud ;
3.6 d'envisager d'ouvrir la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) à la participation d'Etats tiers, notamment d'Afrique du Nord, du Proche-Orient et d'Eurasie ;
3.7 d'envisager d'ouvrir la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (STE n° 106) à la signature des États tiers, notamment d'Afrique du Nord, du Proche-Orient et d'Eurasie ;
3.8 de mettre en place des programmes d'action communs au Conseil de l'Europe et à l'Alliance des civilisations des Nations Unies ;
3.9 de poursuivre l'action importante qu'il mène en faveur du dialogue interculturel et de sa dimension religieuse, notamment les « Rencontres du Conseil de l'Europe sur la dimension religieuse du dialogue interculturel » qu'il organise régulièrement, et d'accroître la participation de l'Assemblée afin d'intensifier le rôle de la coopération interparlementaire dans ce processus ;
3.10 d'inviter les États membres qui ne l'ont pas encore fait à signer et à ratifier la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (STE n° 93) et la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE n° 144) ; l'intégration sociale et politique des migrants et des ressortissants étrangers, qui sont bien souvent musulmans, sont une condition essentielle de la cohésion et la stabilité démocratiques ;
3.11 d'oeuvrer à l'élaboration, par tous les États membres, d'approches politiques communes à l'égard des États non européens qui soutiennent l'islamisme en Europe et d'inviter, à cet égard, les États membres qui ne l'ont pas encore fait à signer et ratifier la Convention européenne pour la répression du terrorisme et le Protocole portant amendement à celle-ci (STE n° 90 et 190), ainsi que la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196), en vue de renforcer la coopération politique et juridique dans ce domaine ;
3.12 d'inviter la Suisse à adopter un moratoire sur son interdiction générale de la construction des minarets de mosquées et à abroger dès que possible cette interdiction, qui constitue une discrimination à l'égard des communautés musulmanes au regard des articles 9 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5) ; la construction des minarets doit être possible, au même titre que celle des clochers, et soumise au respect des conditions de sécurité publique et d'urbanisme ;
3.13 d'inviter les États membres à ne pas adopter une interdiction générale du port du voile intégral ou d'autres tenues religieuses ou particulières, mais à protéger les femmes contre toute violence physique et psychologique ainsi que leur libre choix de porter ou non une tenue religieuse ou particulière et de veiller à ce que les femmes musulmanes aient les mêmes possibilités de prendre part à la vie publique et d'exercer des activités éducatives et professionnelles; les restrictions légales imposées à cette liberté peuvent être justifiées lorsqu'elles s'avèrent nécessaires dans une société démocratique, notamment pour des raisons de sécurité ou lorsque les fonctions publiques ou professionnelles d'une personne lui imposent de faire preuve de neutralité religieuse ou de montrer son visage ;
3.14 de redoubler d'efforts afin qu'une convention sur la lutte contre la violence faite aux femmes, y compris la violence domestique, voit le jour le plus rapidement possible ;
3.15 d'inviter les États à garantir la liberté d'expression des femmes en sanctionnant d'une part toute forme de contrainte, d'oppression ou de violence obligeant les femmes à porter le voile ou le voile intégral, en créant d'autre part les conditions sociales et économiques permettant aux femmes d'opérer des choix éclairés par la promotion de politiques effectives d'égalité des chances entre les femmes et les hommes, qui incluent notamment l'accès à l'éducation, la formation, l'emploi et le logement.
Annexe 5 - Résolution 1749 (2010) - La gestion de la pandémie H1N1 : nécessité de plus de transparence
1. L'Assemblée parlementaire est alarmée par la façon dont la grippe pandémique H1N1 a été gérée non seulement par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) mais aussi par les autorités de santé compétentes tant au niveau de l'Union européenne qu'au niveau national. Elle s'inquiète notamment de certaines répercussions de décisions et d'avis ayant entraîné une distorsion des priorités au sein des services de santé publique à travers l'Europe, un gaspillage de fonds publics importants et l'existence de peurs injustifiées relatives aux risques de santé encourus par la population européenne en général.
2. L'Assemblée fait état d'un grave manque de transparence dans les prises de décisions liées à la pandémie, qui soulève des préoccupations concernant l'influence que l'industrie pharmaceutique a pu exercer sur certaines décisions parmi les plus importantes concernant la pandémie. L'Assemblée craint que ce manque de transparence et de responsabilité ne fasse chuter la confiance accordée aux conseils des grands organismes de santé publique. Cela pourrait se révéler désastreux en cas d'une nouvelle maladie de nature pandémique qui pourrait être beaucoup plus grave que la grippe H1N1.
3. L'Assemblée rappelle ses précédents travaux sur la bonne gouvernance dans le secteur de la santé publique dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, en particulier les Recommandations 1725 (2005) sur l'Europe face à la grippe aviaire - mesures préventives dans le domaine de la santé et 1787 (2007) sur le principe de précaution et la gestion responsable des risques. Dans la Recommandation 1908 (2010) sur le lobbying dans une société démocratique (Code européen de bonne conduite en matière de lobbying), l'Assemblée note que les activités de lobbying non réglementées ou occultes peuvent constituer un danger et miner les principes démocratiques et la bonne gouvernance.
4. Au niveau des aspects positifs, l'Assemblée salue le processus d'examen et d'évaluation de la gestion de la crise H1N1 lancé récemment - ou sur le point de l'être - par l'OMS, par les institutions européennes s'occupant des questions de santé et par un certain nombre de gouvernements et de parlements nationaux. L'Assemblée encourage vivement toutes les parties concernées à poursuivre et à renforcer le dialogue entre organismes de santé publique, à tous niveaux, et à procéder à l'avenir à des échanges plus réguliers sur la bonne gouvernance dans le secteur de la santé.
5. Malgré la volonté affichée de l'OMS et des organismes européens de santé publique concernés d'engager un dialogue et de lancer une enquête sur la gestion de la pandémie, l'Assemblée déplore sérieusement leur réticence à partager certaines informations essentielles et, en particulier, à publier les noms et déclarations d'intérêt des membres du Comité d'urgence de l'OMS et des organes consultatifs européens directement responsables des recommandations relatives à la gestion de la pandémie. Par ailleurs, l'Assemblée regrette que l'OMS n'ait pas été réactive à réviser ou réévaluer sa position quant à la pandémie et les véritables risques de santé encourus, malgré l'évidence écrasante que la gravité de la pandémie avait été largement surestimée par l'OMS au départ. En outre, l'Assemblée déplore l'attitude hautement défensive prise par l'OMS, que ce soit en ne voulant pas reconnaître le changement apporté à la définition de la notion de pandémie, ou par un manque de volonté à réviser son pronostic de la pandémie.
6. A la lumière des préoccupations largement répandues qui ont été soulevées par la gestion de la grippe H1N1, l'Assemblée en appelle aux autorités sanitaires au niveau international, européen et national - et notamment à l'OMS - afin de répondre de manière transparente aux critiques et inquiétudes émises pendant la pandémie H1N1 :
6.1. en modifiant le mandat de leurs organes de gouvernance générale et organes consultatifs spéciaux dans tous les cas nécessaires, en vue de garantir la plus grande transparence et le plus haut niveau de responsabilité démocratique dans le domaine des décisions de santé publique ;
6.2. en s'accordant, de manière transparente, sur un ensemble commun de définitions et de descriptions relativement aux pandémies de grippe, avec le concours d'un groupe d'experts varié, en vue d'une compréhension cohérente de tels événements dans le monde entier ;
6.3. en modifiant et en actualisant les lignes directrices existantes sur la coopération avec le secteur privé ou, en l'absence de lignes directrices, en en élaborant, afin de garantir :
6.3.1. qu'un large éventail d'expertises et d'avis soient pris en compte, y compris les avis contraires d'experts particuliers et les avis d'organisations non gouvernementales ;
6.3.2. que les déclarations d'intérêt des experts concernés soient rendues publics sans exception ;
6.3.3. que les organisations externes participantes soient tenues de préciser leurs liens avec les leaders d'opinion ou avec d'autres experts susceptibles d'être exposés au risque de conflits d'intérêts ;
6.3.4. que quiconque exposé au risque de conflits d'intérêts soit exclu des prises de décisions sensibles ;
6.4. en améliorant les stratégies de communication dans le domaine de la santé publique en tenant compte du contexte social actuel, caractérisé par un large accès aux nouvelles technologies, et en collaborant étroitement avec les médias pour éviter de donner dans le sensationnel et les discours alarmistes en matière de santé publique ;
6.5. en balisant et en préparant le terrain en vue d'un usage adéquat du principe de précaution sanitaire à l'avenir, notamment par l'élaboration de stratégies de communication pleinement transparentes et assorties de mesures d'éducation et de formation ;
6.6. en partageant les résultats des enquêtes sur la pandémie de grippe H1N1 de façon la plus transparente et complète possible entre les parties prenantes concernées, notamment l'OMS, les institutions européennes (l'Union européenne et le Conseil de l'Europe), les gouvernements et parlements nationaux, les organisations non gouvernementales et le public européen dans son ensemble, afin de tirer les leçons de cette expérience, veiller à ce que les responsabilités soit assumées pour toute erreur commise et restaurer la confiance dans les décisions et les conseils de santé publique.
7. L'Assemblée invite en outre l'OMS et, le cas échéant, les institutions sanitaires européennes concernées, à s'engager dans des échanges européens de manière plus régulière sur la question de la bonne gouvernance dans le secteur de la santé :
7.1. en participant à des débats plus réguliers de l'Assemblée parlementaire sur des sujets en rapport avec la bonne gouvernance dans le secteur de la santé publique ;
7.2. en contribuant activement aux travaux intergouvernementaux entrepris au niveau du Conseil de l'Europe en matière de bonne gouvernance dans le secteur de la santé publique.
8. L'Assemblée en appelle également aux Etats membres afin::
8.1. d'user de leurs moyens de contrôle démocratique, par le biais des systèmes de gouvernance internes de l'OMS et des institutions européennes, pour garantir la bonne mise en oeuvre de la présente résolution ;
8.2. de lancer des processus d'évaluation critique au niveau national si ce n'est déjà fait ;
8.3. d'élaborer des systèmes de garantie contre l'influence abusive d'intérêts particuliers, si ce n'est déjà fait ;
8.4. d'assurer un financement stable pour l'OMS ;
8.5. d'envisager l'établissement d'un fonds public pour soutenir des études, des essais et des avis d'experts indépendants, qui pourraient être financés par le biais d'une contribution obligatoire de l'industrie pharmaceutique ;
8.6. de garantir que le secteur privé ne tire pas un profit abusif des alarmes de santé publique et ne parvienne à se dégager de ses responsabilités en vue de privatiser ses gains, tout en partageant les risques. A cette fin, les Etats membres devraient être disposés à élaborer et à faire appliquer des lignes directrices nationales claires régissant les relations avec le secteur privé, ainsi qu'à coopérer entre eux dans le cadre des négociations avec les grandes firmes internationales chaque fois qu'il y a lieu.
9. L'Assemblée invite les parlements nationaux à soutenir les politiques nationales visant à améliorer les systèmes de gouvernance dans le secteur de la santé publique et à garantir leur participation aux processus nationaux appropriés d'évaluation et d'élaboration des politiques afin de maintenir un niveau de responsabilité démocratique aussi élevé que possible.
10. Enfin, l'Assemblée invite l'industrie pharmaceutique, sociétés et associations comprises, à réviser leurs règles et leur fonctionnement en matière de coopération avec le secteur public, en vue de garantir le plus haut degré de transparence et de responsabilité sociale de la part des entreprises lorsque de grandes questions de santé publique sont en jeu.
* 1 Recommandation n° 1203 (1993) relative aux Tsiganes en Europe
* 2 Recommandation n° 1557 (2002) sur la situation juridique des Roms en Europe
* 3 Recommandation n°1908 (2010) sur le lobbying dans une société démocratique
* 4 Résolution n° 1651 (2009) sur les conséquences de la crise financière mondiale
* 5 Amendement cosigné par Mmes Annick Girardin (Saint-Pierre-et-Miquelon - SRC) et Christine Marin (Nord - UMP) et MM. Georges Colombier (Isère - UMP), François Loncle (Eure -SRC) et André Schneider (Bas-Rhin - UMP)
* 6 Résolution n°1289(2002) sur le contrôle parlementaire des institutions internationales
* 7 Résolution n°1689 (2009) sur l'avenir du Conseil de l'Europe à la lumière de ses soixante années d'expérience
* 8 Recommandation n° 1162 (1991) relative à la contribution de la civilisation islamique à la culture européenne
* 9 Résolution n°1605 (2008) et Recommandation n°1831 (2008) sur les communautés musulmanes européennes face à l'extrémisme
* 10 Résolution n°1715 (2010) sur le fossé salarial entre les femmes et les hommes
* 11 Recommandation n° 1731 (2006) sur la prévention des incendies de forêts