N° 685

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 29 juillet 2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 juillet 2010

Dépôt publié au Journal Officiel - Édition des Lois et Décrets du 30 juillet 2010

RAPPORT

de la commission d'enquête (1) sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1)v , créée sur la demande du groupe Communiste, Républicain et Citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, dont la Conférence des Présidents a pris acte le 10 février 2010, en vertu de l'article 6 bis, alinéa 3, du Règlement du Sénat.

Tome I : rapport

Président

M. François AUTAIN,

Rapporteur

M. Alain MILON,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. François Autain, président ; M. Alain Milon, rapporteur ; MM. Claude Domeizel, Jean-Jacques Jégou , vice-présidents ; Mmes Odette Herviaux, Christiane Kammermann, secrétaires ; M. Gilbert Barbier , Mme Marie-Christine Blandin , MM. Christian Demuynck , Marcel Deneux , Guy Fischer , Bruno Gilles , Jean-Pierre Godefroy , Michel Guerry , Mme Marie-Thérèse Hermange , MM. Alain Houpert , Serge Lagauche , Marc Laménie , Jacky Le Menn , Mme Patricia Schillinger , M. Alain Vasselle .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La commission d'enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1)v est la première à avoir été créée à la demande d'un groupe de l'opposition sénatoriale, en l'occurrence celle de nos collègues du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Il convient de saluer cette première application des dispositions de l'article 6 bis -1 du Règlement du Sénat 1 ( * ) , qui sont un nouvel instrument au service des traditions anciennes de notre assemblée, qui a toujours privilégié le travail accompli en commun dans un esprit de dialogue et de respect mutuel.

Tout au long de ses travaux, à travers les informations recueillies à l'occasion des quarante-huit auditions auxquelles elle a procédé, de ses déplacements à Londres, à Genève, à Varsovie, à Madrid et à Berlin, la commission d'enquête s'est efforcée d'explorer les questions soulevées par la résolution qui l'a créée mais aussi de suivre la chronique d'une pandémie annoncée, puis d'une pandémie déclarée qui n'a pas eu la gravité redoutée mais dont elle n'oublie pas qu'elle a endeuillé, en France, plus de trois cents familles.

Depuis une dizaine d'années, l'éventualité d'une pandémie de grippe aviaire virulente et à propagation rapide a suscité d'intenses efforts de préparation qui ont coïncidé, au niveau de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), avec la construction de la dynamique d'alerte et d'action organisée par le nouveau Règlement sanitaire international (RSI), adopté en 2005 et qui devait entrer en vigueur en 2007.

Dans tous les Etats qui s'y sont associés, cette préparation s'est traduite par une « mise en ordre de bataille », soutenue, dans le cadre de l'Union européenne, par un effort de coordination et d'harmonisation des réponses nationales.

C'est au niveau européen, notamment, que se sont organisés les efforts pour élaborer une procédure accélérée de mise sur le marché des vaccins pandémiques dans le respect d'une exigence élevée de sécurité sanitaire.

Toujours annoncée, la pandémie de grippe aviaire a-t-elle fini par être attendue ?

Insensiblement, semble-t-il, tous les spécialistes de ce domaine un peu étroit ont commencé à ne plus se demander si la pandémie allait arriver mais quand elle arriverait, avec les lourdes conséquences qui devaient s'y attacher.

Inévitablement, la pandémie déclarée le 11 juin 2009 ne fut pas celle qu'on attendait. La déclaration de la pandémie de grippe A (H1N1)v, considérée d'emblée comme de gravité modérée, a surpris puis suscité de nombreuses critiques à l'encontre de l'OMS, soupçonnée à tout le moins d'avoir surestimé le risque et engagé les Etats membres dans des dépenses qui auraient pu être mieux employées.

Ces critiques sont d'abord venues de médecins qui s'étonnaient que l'on consacre une telle attention et tant de moyens à lutter contre une maladie qui n'est pas la pire menace qui pèse sur l'état sanitaire mondial.

C'est d'ailleurs un médecin, ancien membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui a saisi de la question cette assemblée.

Il en est résulté un rapport très critique sur l'action de l'OMS et sur son fonctionnement interne, qui serait caractérisé par une certaine opacité et un souci insuffisant de gérer les conflits d'intérêts.

Relayées par d'autres analyses, étayées par l'étude que l'on peut faire de certains documents et méthodes de travail de l'OMS, ces critiques méritent d'être entendues.

Elles doivent l'être, en premier lieu, par l'OMS elle-même et lui inspirer le souci de juguler un certain « lobbying » interne qui peut être très préjudiciable à son action et à son image.

L'Organisation n'y arrivera pas, cependant, sans le soutien des Etats membres qui doivent, tout d'abord, veiller à lui donner les moyens suffisants pour ne pas devenir excessivement dépendante de financements privés, mais aussi s'impliquer davantage dans ses travaux, ce que la France ne fait sans doute pas suffisamment.

La commission d'enquête s'est par ailleurs étonnée, tout comme celle de l'Assemblée nationale, du peu d'empressement que semblent avoir les responsables de l'OMS pour dialoguer avec les parlementaires nationaux.

La chronique de la pandémie déclarée et de sa gestion nationale ont soulevé des interrogations sur l'importance des moyens prévus pour combattre la grippe A (H1N1)v, ainsi que sur l'adéquation du plan national « Pandémie grippale » à une situation qui n'était pas a priori celle à laquelle on s'était préparé.

Son existence même offre cependant un espoir, celui de disposer désormais d'un outil nous permettant de construire une autre culture de la gestion des crises sanitaires et de solder ainsi les passifs de douloureux événements qui ont marqué notre mémoire collective et qui ne donnent pas à nos dirigeants les meilleurs atouts pour gérer sereinement, avec l'appui de l'opinion, les inévitables tragédies qui peuvent, sans crier gare, affecter la communauté nationale.

La réussite de cette première expérience reposait avant tout sur l'expertise sanitaire chargée de mettre sa capacité de veille et d'analyse au service de la réactivité de l'action publique.

Au cours de ses auditions, la commission d'enquête a pu mesurer la qualité des experts dont a disposé le Gouvernement. Elle se demande toutefois s'il ne conviendrait pas de repenser l'organisation des instances où ils s'expriment. Peut-être cette organisation est-elle trop complexe. Peut-être ces instances souffrent-elles à la fois d'une certaine lourdeur et d'un manque de moyens également préjudiciables à leur bon fonctionnement.

Et peut-être, enfin, cette expertise devrait-elle s'ouvrir davantage. La commission d'enquête a pu s'inquiéter de certaines tendances à la « pensée unique » ou à la « pensée de groupe » qui peuvent être génératrices de biais dangereux. L'expertise ne peut pas vivre en vase clos.

Elle devrait s'ouvrir en premier lieu aux hommes de terrain dont l'absence, qu'eux-mêmes ont pu percevoir comme une relégation, a lourdement pesé sur l'organisation de la réponse à la pandémie H1N1 qui, heureusement, s'est avérée jusqu'à ce jour modérée.

Elle devrait s'ouvrir aussi à d'autres spécialités, même si elles paraissent éloignées de la santé publique et de la médecine, si elles sont utiles au Gouvernement pour guider son action, y compris dans l'urgence, quand la moindre erreur d'analyse peut avoir des conséquences graves.

Enfin, les polémiques qui ont pu se faire jour autour de la pandémie ont remis en cause la crédibilité même de l'expertise et montré avec force la nécessité de renforcer le contrôle des conflits d'intérêts qui peuvent naître des travaux des experts dans l'industrie pharmaceutique.

La commission d'enquête a bien perçu ce que ce sujet peut avoir de blessant pour ceux qui ont l'impression qu'on met ainsi en cause l'intégrité que chacun pourtant leur reconnaît.

Mais ils ne peuvent, et nous ne pouvons pas non plus, avoir le moindre doute à ce sujet : la recherche de la transparence est le meilleur moyen de protéger les experts, de prévenir les soupçons infondés et d'asseoir la légitimité des décisions publiques prises sur le fondement d'expertises.

La première application du plan « Pandémie grippale » a montré ce que nous pouvons attendre, en matière de protection de la santé publique, de moyens simples et efficaces.

Elle a révélé aussi, malheureusement, un problème qui s'est également manifesté dans la plupart des pays voisins et qui est très inquiétant.

Il tient à la manière dont les gouvernements ont géré, ou plutôt n'ont pas géré, leurs rapports avec les fournisseurs de vaccins. L'étude des contrats passés entre les autorités sanitaires et les industriels, en France comme ailleurs, peut conduire à se demander si les autorités publiques se sont montrées assez soucieuses de garder la maîtrise de la gestion des crises qui doit être la leur.

Il semble en effet qu'aient été acceptées des clauses qui n'auraient pas dû l'être et qui font craindre que les gestionnaires de certaines entreprises aient un peu oublié la conscience aiguë des problèmes de santé publique qui caractérisait autrefois le secteur du vaccin, pour laisser prévaloir des considérations excessivement commerciales.

Il faut se demander par ailleurs si les autorités publiques ont, de leur côté, eu un souci suffisant de la rédaction de documents contractuels dont la rigidité pouvait leur interdire d'adapter leur action à l'évolution de la réalité du terrain.

Trois points ont été, à cet égard, particulièrement problématiques :

- l'impossibilité de réviser les contrats en fonction de l'évolution du schéma vaccinal ;

- le transfert à l'Etat de la responsabilité des producteurs, qui semble être plus large qu'on ne l'avait souhaité ;

- l'absence totale de maîtrise des approvisionnements, dont la prévisibilité et la régularité insuffisantes auraient pu, dans une autre situation, avoir des conséquences sérieuses.

Compte tenu des différences de culture et de pratique juridiques entre les Etats membres de l'Union européenne, ce n'est sans doute pas à ce niveau que l'on pourra régler concrètement ce problème mais c'est en tout cas à ce niveau qu'il faudra le poser, confronter les expériences et identifier les clarifications indispensables.

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* 1 « Chaque groupe a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire. »

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