II. LA CAMPAGNE DE VACCINATION
La vaccination ne figurait qu'en quatrième position dans la stratégie sanitaire de réponse à la pandémie définie par le plan national « Pandémie grippale », après l'organisation générale du système de soins, les mesures d'hygiène et de protection individuelle, le recours aux antiviraux et autres médicaments - et cette place était logique puisqu'elle ne pouvait être mise en oeuvre immédiatement.
Elle a cependant monopolisé l'attention et pris d'emblée une place prépondérante dans le débat sur la politique de lutte contre la pandémie et sur la perception publique de l'action gouvernementale.
C'était sans doute inévitable. Même s'il avait, comme on l'a vu, été préparé aux niveaux international, européen et national, le volet vaccinal de la lutte contre la pandémie ne pouvait être totalement anticipé : il exigeait, au moment même de l'émergence de la pandémie, des décisions lourdes, qui devaient de surcroît être prises très rapidement.
En France - comme dans tous les pays concernés de l'hémisphère Nord, la stratégie de réponse vaccinale a été préparée « sur la base du scénario le plus défavorable 118 ( * ) » , dans l'urgence et sous la pression de l'événement.
C'est dans ce contexte que le Gouvernement a dû prendre sa décision, tout à fait défendable.
Au demeurant, ce n'est pas tant la stratégie vaccinale initialement retenue qui a été critiquée que sa rigidité, son décalage grandissant avec une réalité qui s'est - heureusement - assez vite éloignée de la catastrophe annoncée. Ces reproches sont mérités, cependant ils ne doivent pas s'adresser uniquement au Gouvernement, empêtré dans des contrats déséquilibrés, mais aussi aux producteurs de vaccins, qui lui ont imposé des achats démesurés.
Enfin, la faible adhésion à la campagne de vaccination - qui n'a pas été, loin de là, une exception française - tient sans doute, en grande partie, à une appréciation très juste du caractère « globalement bénin » de la pandémie. Mais elle tient aussi à d'autres facteurs - l'incompréhension face à une campagne de santé publique à laquelle n'étaient pas associés les médecins, une inquiétante désaffection à l'égard de la vaccination - auxquels il faut porter l'attention qu'ils méritent.
Il faudra, sans que cela remette en cause les choix effectués l'an dernier, s'efforcer de tirer tous les enseignements de cette première expérience « en vraie grandeur » de vaccination antigrippale pandémique, dont l'efficacité paraît avoir été relative, et de mieux cerner, pour l'avenir, le « bon usage » de la vaccination dans la lutte contre les pandémies grippales.
A. UNE STRATÉGIE VACCINALE DÉFINIE EN COHÉRENCE AVEC UNE SITUATION INCERTAINE ET LE TRAVAIL DE PRÉPARATION RÉALISÉ DANS LA PERSPECTIVE D'UNE PANDÉMIE H5N1
La signature des contrats et avenants aux contrats dormants passés avec les quatre entreprises finalement retenues pour la fourniture de 94,05 millions de doses de vaccins pandémiques s'est échelonnée entre le 8 juillet et le 10 août 2009 119 ( * ) .
Mais les négociations et les arbitrages qui ont débouché sur leurs conclusions se sont déroulés sur une période plus courte, pour l'essentiel avant le 15 mai.
Le choix de la stratégie vaccinale retenue a été validé le 3 juillet par le Premier ministre : il s'est traduit par la décision de procéder à des commandes de l'ordre de 90 millions de doses permettant de vacciner, en fonction d'un schéma vaccinal à deux injections, toutes les personnes qui le souhaiteraient, dont le nombre était estimé, en l'absence d'outils adaptés, à environ 75 % de la population nationale.
Dans ce délai contraint, on peut comprendre que le Gouvernement ait cru devoir adopter une position prudente.
1. Les justifications du choix français
Effectué sans « visibilité » suffisante sur la gravité de la pandémie dans l'urgence - et sous une certaine pression des fournisseurs -, le choix français, comme l'a souligné la ministre de la santé et des sports devant la commission d'enquête, n'apparaît pas aberrant 120 ( * ) . Il n'est pas non plus isolé : d'autres pays ont également décidé d'offrir la possibilité de se faire vacciner à l'ensemble de leur population : le Canada, le Royaume-Uni, la Suisse, la Norvège, la Suède, les Pays-Bas, la Belgique... et ont acquis en conséquence un nombre de doses permettant de vacciner entre 75 % et 100 % de leur population.
a) Les incertitudes
L'on ne disposait, ni en mai - avant même la déclaration de la pandémie - ni au début du mois de juillet, d'aucune indication nette sur la gravité de la pandémie, sur la définition des populations à risque, sur le délai dans lequel une situation épidémique pouvait s'installer en France - où les premières apparitions du virus avaient été décelées le 1 er mai.
Pourtant, des informations rassurantes étaient déjà disponibles dès le tout début du mois de mai. L'analyse du virus avait permis de déterminer que le virus A (H1N1)v ne comportait pas les principaux marqueurs de virulence du virus qui avait été à l'origine de la grippe espagnole ni du virus aviaire H5N1. La « nouveauté » assez relative du H1N1 pandémique laissait aussi envisager que certains individus pourraient bénéficier d'immunités croisées susceptibles de les protéger.
Cela aurait dû tempérer les craintes que le virus H1N1 recèle des facteurs de virulence inconnus ou qu'il connaisse des mutations aggravantes. Ces hypothèses n'étaient peut-être pas les plus plausibles, mais elles pouvaient se comprendre d'autant plus facilement que l'on vivait depuis dix ans dans l'attente d'une nouvelle « grippe espagnole ».
La définition des populations à risque devait encore être affinée, mais s'écartait déjà des catégories habituelles.
La vitesse de propagation du virus semblait élevée et pouvait peser lourdement sur la morbidité et la mortalité. Lors de la réunion interministérielle du 3 juillet, la ministre de la santé avait ainsi pu évoquer l'éventualité de 20 millions de malades et de 20 000 décès en France : il circulait alors, il faut s'en souvenir, des chiffres nettement plus alarmistes, en France ou dans les pays voisins. Cet alarmisme ne laisse pas d'étonner quand on sait par ailleurs que l'InVS, dès le mois de juin, indiquait « qu'il se confirme que la majorité des cas sont bénins et la létalité du même ordre de grandeur que celle de la grippe saisonnière. La pandémie est qualifiée de « modérément grave » sur l'échelle de l'OMS (sic) . Les hypothèses les plus pessimistes sont abandonnées ».
b) L'urgence
Les contrats « dormants » de 2005 pour la fourniture de vaccins H5N1 contenait une clause d'achat ferme de vaccins « prépandémiques » 121 ( * ) .
Le plan national « pandémie grippale » prévoyait que ces vaccins puissent être utilisés, en fonction de leur efficacité constatée, à partir des phases prépandémiques 5A et 5B (extension de la transmission interhumaine à l'étranger), dans l'attente d'un vaccin pandémique. Ils ne pouvaient en revanche être d'aucune utilité dans le cadre d'une pandémie H1N1 et il était donc indispensable de passer les commandes de vaccins pandémiques très rapidement pour être assuré d'être approvisionné dans les meilleurs délais, compte tenu de la limitation des capacités de production.
Une forte pression s'exerçait par ailleurs de la part des fournisseurs avec lesquels la France n'avait pas de réservation : la société GSK, à qui la France souhaitait acheter 50 millions de doses, a ainsi exigé, comme l'a précisé à la commission d'enquête M. Didier Houssin, directeur général de la santé, que la France « confirme son intérêt pour leur produit » avant le 12 mai à minuit 122 ( * ) . Lors de l'audition des représentants de GSK France 123 ( * ) , le président directeur général de la société, M. Hervé Gisserot, est convenu que les autorités françaises avaient pu avoir le sentiment d'avoir été soumises à des contraintes de temps, mais que celles-ci s'expliquaient par le souci de la société d'assurer ses premières livraisons à la même date dans tous les pays.
* 118 Rapport sur l'« Evaluation de la stratégie de vaccination H1N1 de la Suisse », établi par un groupe d'experts, à la demande de l'Office fédéral de la santé publique et en collaboration avec Ernst et Young (avril 2010).
* 119 8 juillet 2009 : signature de l'avenant au marché passé avec Sanofi Pasteur (28 millions de doses) ; 10 juillet 2009 : signature du contrat avec GlaxoSmithKline (50 millions de doses) ; 29 juillet 2009 : signature de l'avenant au marché Novartis (16 millions de doses) ; 10 août 2009 : signature du contrat avec Baxter (50 000 doses).
* 120 Audition du 30 juin 2010.
* 121 Ces achats représentent environ 1,185 million de doses de vaccin prépandémique Novartis en seringues préremplies (livrées en août 2009) utilisables jusqu'au 30 avril 2014, et 1,1 million de doses de vaccin Sanofi stockées en vrac chez le producteur.
* 122 Audition du 30 juin 2010.
* 123 Audition du 30 mars 2010.