EXPOSÉ GÉNÉRAL

« Une armée entière de critiques
ne saurait arrêter les sondages
»

George Gallup, 1949

Mesdames, Messieurs,

La commission des lois du Sénat a décidé de créer en son sein, le 14 octobre 2009, une mission d'information sur les sondages en matière électorale et de désigner deux co-rapporteurs issus de la majorité et de l'opposition.

Notre commission renoue ainsi avec une longue tradition marquée par le vif intérêt que ses membres portent à la question des sondages et à son encadrement juridique.

En effet, la première loi sur les sondages, celle du 19 juillet 1977, résulte d'une proposition de loi du Sénat, déposée par nos regrettés collègues MM. Etienne Dailly et Gaston Pams 1 ( * ) , et la seconde, promulguée le 19 février 2002, a largement repris les termes de la proposition de loi, présentée par nos collègues MM. Daniel Hoeffel, Patrice Gélard et Charles Jolibois, adoptée par notre assemblée le 17 mai 2001 2 ( * ) .

Un sondage se définit comme une opération visant à donner une indication quantitative des opinions, attitudes et comportements d'une population par l'interrogation d'un échantillon représentatif de celle-ci. Cette opération repose soit, comme presque toujours en France, sur la méthode des quotas , fondée sur un échantillon proportionnellement similaire à la population de référence, soit sur la méthode aléatoire qui implique une sélection au hasard d'un nombre élevé de personnes appartenant à la population de référence.

Créés aux États-Unis en 1935 par George Gallup, les sondages font leur apparition en France dans les années 1960 et se développent rapidement au point que notre pays semble aujourd'hui un des plus gros consommateurs de sondages au monde , en particulier de sondages politiques.

Ces derniers jouent un rôle de plus en plus important dans la vie politique : ils sont ainsi régulièrement invoqués pour défendre ou combattre une réforme, pour connaître la cote de popularité des principales personnalités politiques, pour évaluer la « prestation » du Président de la République lors d'une séance de questions-réponses avec des Français, pour promouvoir un candidat au sein d'une formation politique, seul capable de remporter les élections présidentielles...

Si on peut regretter une telle évolution, un responsable politique devant avant tout faire ce qui lui paraît juste et non agir en fonction de ce que l'opinion pense de ses idées, il n'en demeure pas moins qu'il convient d'en prendre acte, tout en veillant à l'objectivité et à la sincérité des sondages. Eu égard à leur influence sur les comportements politiques et électoraux, ces derniers doivent être aussi objectifs et neutres que possible.

Or, au cours des nombreuses auditions 3 ( * ) auxquelles ils ont procédé et après un examen très attentif des rapports d'activité de la commission des sondages, vos rapporteurs ont constaté que non seulement la sincérité des sondages politiques n'est pas toujours garantie, mais encore que l'information de la population et des journalistes sur les conditions de leur élaboration est souvent notoirement insuffisante. Enfin, il apparaît que la commission des sondages dispose aujourd'hui de moyens d'action limités, dont, par surcroît, elle fait un usage timide.

I. LA « RÉPUBLIQUE DES SONDAGES »

A. UN CONSTAT SANS APPEL, DES EXPLICATIONS COMPLEXES

1. Un constat sans appel

Les sondages sont apparus aux Etats-Unis pendant la période de l'entre-deux-guerres. C'est en 1935 que George Gallup a créé l'institut de sondage qui porte son nom. L'élection présidentielle américaine de 1936 apporta une démonstration éclatante de la validité des sondages préélectoraux.

Le sociologue Jean Stoetzel, très impressionné par ces résultats, introduisit les sondages en France dés 1938 en fondant l'IFOP (Institut français de l'opinion publique). Le premier sondage politique publié en France porta sur les accords de Munich : 57 % des personnes interrogées les approuvaient.

Depuis, les sondages n'ont cessé de se développer dans notre pays, au point que son appétit est connu et incontestable . Dans son ouvrage intitulé « L'ivresse des sondages » 4 ( * ) , le professeur de sciences politiques Alain Garrigou souligne qu'entre 1980 et 2000, le nombre de sondages publiés a doublé en France pour s'élever aujourd'hui à plus d'un millier par an (soit trois sondages par jour calendaire). Ce mouvement semble s'être stabilisé depuis le début des années 2000.

Le marché des sondages, très concurrentiel, compte huit acteurs principaux , à savoir les instituts BVA, CSA, IFOP, Ipsos, LH2, Opinion Way, TNS-Sofres et Viavoice.

Le tableau ci-dessous souligne que les sondages politiques ne représentent qu'une faible part, voire une part marginale, du chiffre d'affaires de ces instituts 5 ( * ) . Toutefois, la visibilité de ces sondages est telle qu'ils leur servent aujourd'hui de vitrine .

Effectifs et chiffres d'affaires des principaux instituts de sondages

Instituts de sondages

Nombre de salariés

(au 31/12/2009)

Chiffre d'affaires
en 2009

(en millions d'€)

Part des sondages politiques dans le chiffre d'affaires*

(en %)

BVA

230

53

1 %

CSA

106

32

16 %

IFOP

159 (au 30/04/10)

35,2

20 à 25 %

IPSOS

574

98,7

1 %

LH2

95

19

3 à 5 %

Opinion Way

45

9,1

6 %

TNS-Sofres

559**
(en 2006)

126**
(au 31/12/2008)

NC

Viavoice

NC

0,8**

25 %

* données communiquées à vos rapporteurs par les instituts

** source Infogreffe

NC = non communiqué à vos rapporteurs


* 1 Proposition de loi n° 83 (1972-1973) tendant à interdire la publication et la diffusion de certains sondages d'opinion en période électorale.

* 2 Proposition de loi n° 57 (2000-2001) ; le Gouvernement avait préféré présenter son propre texte (projet de loi n° 3540 de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur), déposé le 16 janvier 2002 à l'Assemblée Nationale plutôt que d'engager cette dernière à examiner le texte adopté par le Sénat le 17 mai 2001, pourtant très proche du projet de loi.

* 3 Cf. annexe 1 : liste des personnes entendues.

* 4 Edition La Découverte, 2006, page 6.

* 5 La grande majorité des enquêtes réalisées par les instituts de sondage relèvent du marketing et des études de marché. Au final, les consommateurs sont beaucoup plus souvent sondés que les citoyens.

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