4. Les spécificités statutaires de la SNCF
a) Un établissement public historique dont le statut est critiqué par la Commission européenne car jugé trop protecteur

Dans une lettre du 11 février 2010, la Commission européenne a contesté l'avantage concurrentiel que confèrerait à la SNCF son statut d'Établissement public industriel et commercial (EPIC). En effet, la Commission juge que ce statut induirait une garantie financière illimitée par l'État de la dette de la SNCF, ce qu'elle estime contraire aux règles européennes de la concurrence et notamment à la réglementation en matière d'aide d'État.

Le Gouvernement estime que ce débat, récurrent à l'égard des EPIC français, n'a pas lieu d'être car il n'y a pas dans le droit national de principe de garantie financière illimitée par l'État de la dette de ces établissements. En outre, à l'occasion d'une autre procédure sur La Poste, les autorités françaises ont saisi le 2 avril dernier le Tribunal de l'Union européenne. Ce recours porte notamment sur le principe de garantie illimitée par l'État de la dette des EPIC soutenu par la Commission.

Quoi qu'il en soit, le Gouvernement rejette catégoriquement l'idée de modifier le statut d'EPIC de la SNCF. En outre, à la suite de l'examen des comptes 2009 et de la situation financière de la SNCF, l'agence de notation financière Standard & Poor's a abaissé sa note de AAA (qualité maximale) à AA+ (bonne qualité), alors que l'État français, comme d'ailleurs Réseau ferré de France (RFF), conservent leur triple A, ce qui montre implicitement que la garantie de l'État à l'égard de la SNCF n'a pas les conséquences dénoncées par la Commission européenne. Par ailleurs, la direction de la SNCF souhaite réduire la dette de l'entreprise publique, qui avoisine les 8,6 milliards d'euros en 2010, contre 4,5 milliards en 2007. L'objectif est de ramener, d'ici 2015, la dette à un niveau acceptable au regard des agences de notation dans une approche par branche. La notation recherchée serait de BBB+/BBB (à périmètre constant).

b) Mais qui pâtit de frais de structure et d'encadrement pénalisants

Les frais de structure et d'encadrement représentent un quart du chiffre d'affaires de Fret SNCF et 20 % des coûts totaux, notamment en raison du poids très important des structures régionales qui gèrent le wagon isolé 22 ( * ) .

En outre, la proportion de conducteurs de locomotives par rapport à l'effectif total est beaucoup plus faible à la SNCF que chez ses concurrents , comme l'a souligné M. Alain Thauvette, directeur général d'Euro Cargo Rail devant votre groupe de travail. Il a indiqué que son entreprise comptait 500 conducteurs de locomotives sur un total de 730 salariés. De même, chez Europorte, on compte 125 conducteurs pour 190 salariés, soit une proportion de 65 %. La direction de la SNCF a confirmé l'information selon laquelle les conducteurs ne représentent qu'un tiers des effectifs de la branche fret.

Selon le rapport Bain précité, on a observé une augmentation plus rapide des coûts salariaux à la SNCF par rapport au transport routier . Entre 2003 et 2008, le salaire annuel moyen chargé a augmenté de 6,2 % à la SNCF, hors intégration industrielle de la traction au sein du fret, contre 3 % pour le mode routier. S'agissant du positionnement de la SNCF vis-à-vis des acteurs privés, le même rapport Bain indique que les coûts salariaux de la SNCF, pour l'exploitation, sont quasiment le double de ceux observés chez VFLI, filiale privée de la SNCF, en 2009 : 300 euros par journée de service productive, contre 167 euros pour VLFI. Par ailleurs, un tractionnaire Fret SNCF conduit en moyenne 160 jours par an contre 210 jours chez VFLI 23 ( * ) .

Votre groupe de travail n'a pas pu disposer de documents de synthèse permettant de faire la comparaison entre les conditions sociales des cheminots de la SNCF, et celles des salariés des entreprises privées. Il s'est donc livré à un travail de synthèse à partir d'informations disparates afin de voir ce que recouvre le surcoût de 30 % de la main d'oeuvre des cheminots SNCF par rapport aux agents de VFLI . De fait, le rapport Bain susmentionné explique que cette différence de coût s'explique premièrement par des écarts de productivité liés à la polyvalence, au salaire moyen moindre et an nombre de jours travaillés plus importants des agents de VFLI ; deuxièmement par des coûts de structure et d'encadrement deux fois plus importants à la SNCF que chez VFLI (25 % contre 12 %), et enfin par des charges spécifiques à la SNCF (taxe professionnelle et taux de charges sociales) 24 ( * ) .

Au préalable, il convient de préciser certaines notions juridiques. De par l'acte dit loi du 3 octobre 1940, la durée et l'aménagement du temps de travail des cheminots sont fixés par un décret 25 ( * ) spécifique à la SNCF. Quant aux salariés des entreprises privées, leur temps de travail relève du code du travail complété par l'accord collectif de branche de 2007, élément de la future convention collective en cours de négociation, et qui ne s'applique pas à la SNCF 26 ( * ) . Cette différence réglementaire de régime de travail ne doit pas être confondue avec l'existence du statut des cheminots, qui porte, lui, sur des éléments du cadre social autres que le temps de travail : garantie de l'emploi, régime de retraite, évolution salariale...

Schématiquement, l'UTP et de nombreux observateurs estiment que le statut de cheminot de la SNCF demeure globalement plus attractif que celui de salariés dans les entreprises concurrentes pour les raisons suivantes: l'emploi est de facto garanti à vie, la progression de carrière est assurée, le taux de la pension de retraite est avantageux, les cotisations sociales sont moindres que dans le secteur privé, et les avantages en nature liés à la carte de circulation sur le réseau SNCF ne sont pas assujettis à l'URSSAF. En revanche, la comparaison est plus difficile à établir entre les deux régimes s'agissant de la durée du travail et du salaire.

Selon la SNCF, c'est principalement la différence de régime de travail qui explique le surcoût de la main d'oeuvre des cheminots SNCF par rapport au secteur privé. La réglementation du travail des cheminots prévoit par exemple pour les conducteurs 164 jours de repos par an (comprenant les repos hebdomadaires, jours fériés, congés obligatoires, etc....), contre 142 dans le secteur privé. Dans le même sens, les règles en matière de repos journalier hors résidence répondent à des logiques différentes : un cheminot SNCF ne peut pas passer plus d'une nuit hors de son domicile par semaine, contre 2 à 3 pour un salarié du secteur privé, avec des jours de repos de compensation. Toutefois, l'UTP estime que le nombre de jours de repos à la SNCF est en réalité du même ordre de grandeur que dans le secteur privé.

Concernant les salaires, ils sont plus importants dans le secteur privé pour les personnes en début de carrière, et plus élevés à la SNCF en fin de carrière. En effet, selon les informations fournies par l'UTP, le salaire minimum, pour un jeune conducteur, oscille entre 22 et 23 000 euros annuels à la SNCF, contre 25 à 30 000 euros dans le privé. Toutefois, les cheminots perçoivent de nombreux compléments de rémunération à leur salaire de base, sur lesquels il n'a pas été possible à votre groupe de travail d'avoir une vision claire et exhaustive.

En définitive, la SNCF considère qu'il existe bien des différences notables et décisives, d'ordre législative et réglementaire, en matière de durée du travail, entre les cheminots SNCF et les salariés des entreprises concurrentes, d'autant qu'il semblerait que les cheminots de l'entreprise publique effectueraient moins d'heures par semaine que ce qu'imposent les textes, et que l'organisation du travail soit perfectible.

Votre groupe de travail considère que la réforme du statut des cheminots constitue un problème de fond, car il existe un écart de coût entre la SNCF et les autres entreprises de transport ferroviaire, lié aux différences en matière de règlementation du travail, écart qui a un impact décisif sur la compétitivité de l'activité fret de la SNCF.


* 22 Cf. le rapport Bain, op. cit , p. 31.

* 23 Id , p. 104-105.

* 24 Cf . le rapport Bain, op. cit, pp. 96-97.

* 25 Cf . le décret n° 99-1161 du 29 décembre 1999 relatif à la durée du travail du personnel de la Société nationale des chemins de fer français.

* 26 Il convient de noter qu'un accord sur la classification et la qualification est en cours de négociation.

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