TROISIÈME PARTIE :
QUELS FACTEURS D'ÉMANCIPATION ?
CHAPITRE I : UNE RÉALLOCATION DE LA
VALEUR AJOUTÉE AU SERVICE DE LA CROISSANCE ET DE LA RELANCE DU CONTRAT
SOCIAL ?
RÉSUMÉ DU CHAPITRE Dans un contexte où les Etats sont de moins en moins capables de piloter la sphère économique et sociale, les marges sont étroites et la reconquête d'un espace de liberté suppose de prendre acte de ce que le bon niveau d'action ne peut plus être réduit au niveau national . Les obstacles majeurs à surmonter sont celui des excès de concurrence entre espaces économiques, le court-termisme d'un capital mis à même de se réallouer à tout moment ainsi que de faibles perspectives de croissance attribuables à des politiques économiques non coordonnées . Un nouvel équilibre macroéconomique conciliant incitations au travail, dynamisme de la demande et renforcement de la qualité de l'offre s'impose. Symétriquement la complexification des structures et l'accélération des changements requièrent des méthodes d'action plus décentralisées , passant par le recours à une information mieux partagée et à des instruments de négociation adaptées.
Tout en respectant les mécanismes de marché dans
toute la mesure où ils sont compatibles avec une amélioration de
la croissance potentielle
, l'Etat s'attacherait à conduire
toutes les politiques nécessaires à la production des biens
publics
Un partage de la valeur ajoutée plus adapté à la reconnaissance du rôle du travail et plus favorable à la croissance suppose de tendre vers un rééquilibrage de l'économie contemporaine dans laquelle évolue l'économie française afin de desserrer les contraintes qu'elle recèle, quand ces contraintes sont contreproductives, pour mieux en saisir les opportunités. Cette entreprise est un préalable à toute relance du contrat social . Dans la mesure où elle est conditionnée par l'adhésion de nos partenaires, ou de certains d'entre eux, elle a un caractère « héroïque ». Elle suppose un vigoureux effort de diplomatie économique. La priorité doit être de retrouver le sens, et de restaurer les conditions, de véritables progrès de productivité . A cet effet, disposer d'une grille de lecture de l'économie contemporaine plus pertinente serait un premier pas qu'il faudrait faire suivre par des actions tendant à ce que les conditions du progrès économique et social soient à nouveau réunies . Sur le premier point , une double confusion devrait être dissipée : celle qui assimile compétitivité (notamment microéconomique) et performance économique ; celle qui voit dans l'économie contemporaine une tendance univoque vers l'accentuation des concurrences, même si celle-ci n'est pas récusable. Il faut ajouter que la financiarisation et la mondialisation des économies ne doivent pas être sous-estimées, au nom d'indicateurs trop partiels qui en nuancent d'autant plus le poids qu'ils sont construits de sorte d'être insusceptibles d'en saisir tous les effets 254 ( * ) . Sur le second point , il faut savoir admettre que les mécanismes de marché, malgré leurs vertus, peuvent ne pas avoir toute l'efficacité théorique qu'on leur prête parfois, et qu'il doit exister une place, soit pour les restaurer, soit pour les stabiliser. Enfin, en écho à la prégnance grandissante de la globalisation - qui ne concerne pas seulement les rapports Nord-Sud mais aussi, et probablement surtout, les économies développées entre elles -, il faut bien reconnaître que le système économique et social est lui-même pris dans des dynamiques globalisantes qui conduisent à marginaliser le rôle de régulateurs de plus en plus intégrés au système. Sans compter que le bon niveau de pilotage - le niveau international - n'a pas les pilotes qu'il faudrait - et l'Europe en témoigne malheureusement -, il faut aussi reconnaître que les Etats ont de plus en plus de mal à s'imposer. C'est en partie affaire de volonté, en partie affaire d'institutions. Sous ce dernier angle, outre les nécessaires traités coopératifs qu'il faudrait conclure entre Etats pour être en mesure de défendre des politiques économiques, financières et sociales respectant les équilibres nécessaires à la prospérité, on peut mentionner la nécessité de rénover les modalités de l'action publique. En dehors, ce qui a été mentionné sur le caractère stratégique de la diplomatie économique - une diplomatie qui pourrait parfois être utilement repensée -, d'autres innovations consistant à mieux informer et mobiliser les éléments du corps social doivent être envisagées. |
I. UN IMPÉRATIF DE LUCIDITÉ
La représentation d'une économie où, pour être importantes, la financiarisation et la mondialisation seraient des phénomènes de second ordre est susceptible de faire écran en occultant la dimension structurante de ces deux tendances.
Par ailleurs, l'assimilation entre compétitivité microéconomique des entreprises, compétitivité macroéconomique des Nations et productivité, entretient une confusion sur les facteurs de richesse des Nations.
Ces conclusions ont été largement abordées dans les premières parties du présent rapport, qui le seront ici en mettant l'accent sur les conséquences qu'elles devraient avoir en termes de conception de l'action publique.
A. NE PAS SOUS-ESTIMER LES GRANDES TENDANCES EN COURS DANS L'ÉCONOMIE CONTEMPORAINE
Il existe une tendance 255 ( * ) à présenter la financiarisation et la mondialisation des économies comme des phénomènes importants mais de second ordre. Or, cette tendance est dangereuse car elle entretient l'illusion du « pré-carré » et une vision erronée des phénomènes réellement à l'oeuvre.
A titre d'exemple de cette minoration, on peut citer :
- s'agissant de la financiarisation , le discours récurrent sur la relative modestie de la capitalisation boursière en France et l'importance des financements bancaires, comme si ceux-ci étaient fondamentalement autonomes, c'est-à-dire régis par des logiques différentes de celles des marchés d'actions ; on peut également s'étonner que le processus de diffusion des stratégies financières des entreprises faisant appel aux marchés sur les autres entreprises soient systématiquement négligé ;
- s'agissant de la mondialisation , tant ses effets sur l'emploi (qui, généralement, sont calculés à partir de définitions restrictives) que son ampleur (usuellement mesurés à travers des taux d'ouverture, mais négligeant trop souvent la répartition internationale du stock de capital et du chiffre d'affaires des entreprises) sont trop souvent sous-estimés.
En bref, la diffusion de ces deux contraintes n'est pas correctement appréciée sauf, sans doute, par les « décideurs », notamment privés, qui en mesurent concrètement la valeur et paraissent concevoir leur action dans ces deux termes.
Ce constat n'est pas anecdotique. Si l'on présume que ces tendances se renforceront encore à l'avenir, le scénario le plus probable étant que cette accentuation se produira et sera suivie d'une stabilisation relative non sans que des crises de plus en plus aiguës surviennent, on s'expose à ne pas pouvoir infléchir ce scénario et à en subir le pire.
* 254 A cet égard, certaines estimations des incidences sur l'emploi national de la restructuration de l`économie mondiale sont plus qu'étonnantes par les biais de méthode qui conduisent à des effets systématiquement minorés.
* 255 Assez française, semble-t-il, si l'on veut bien se fier aux impressions de vos rapporteurs qui relèvent que ces deux dimensions de l'économie contemporaine sont plus pleinement prises en compte dans des pays proches, le Royaume-Uni et l'Allemagne, par exemple.