CHAPITRE II : TROUVER UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE AUTONOMIE ET SÉCURITÉ POUR LES SALARIÉS
RÉSUMÉ DU CHAPITRE Une inflexion sociale du management et de l'organisation du travail ? Outre une plus grande implication des salariés dans la « conduite du changement » et des formations au management sensibilisant au besoin de respecter et soutenir les collaborateurs, l'intéressement du « top management », exclusivement financier, pourrait être diversifié au profit d'indicateurs de « performance sociale ». Cette démarche s'assortirait d'une responsabilisation financière des entreprises pour leurs externalités sociales négatives , notamment en termes de chômage ou de maladie. Un procédé de labellisation pourrait avertir les clients de la conformité des conditions de production à certains standards sociaux, par exemple dans le cadre de la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE). Ces évolutions pourraient amorcer un reflux de la « tyrannie des clients » sur l'organisation du travail, ces derniers pondérant le rapport qualité-prix des biens et services par la réputation sociale des entreprises. Un objectif d'employabilité réellement poursuivi ? D'importants efforts seraient déployés pour placer les salariés en situation d'assumer financièrement et professionnellement les conséquences des mobilités requises dans une économie ouverte, adaptable et compétitive. A coté de l'assurance chômage et d'un accès au logement facilité, l' employabilité des personnes deviendrait l'axe majeur d'une « flexisécurité » de pointe, qualifiable de « mobication 274 ( * ) ». Un véritable pilotage de la formation professionnelle française serait organisé en vue d'optimiser continuellement l'employabilité des salariés et des chômeurs. Le système donnerait toute sa mesure pour les personnes à faible « capital humain » (sur le marché du travail), atténuant les phénomènes de mobilité subie par des « outsiders » à l'employabilité souvent déclinante. Aiguillonnées, le cas échéant, par une obligation juridique de préserver l'employabilité de leurs salariés, les entreprises s'orienteraient, en synergie, vers une gestion plus responsable des emplois et des formations de leurs salariés via une authentique GPEC. Dans ce scénario, le volontarisme politique s'étendrait à l'Europe car seule une politique de croissance coordonnée, basée sur la consommation et l'investissement, parviendrait à résorber un fort chômage « keynésien ». Sans quoi certains seront toujours moins « employables » que d'autres... |
Ces trente dernières années, les leviers déterminant l'équilibre entre sécurité et autonomie des salariés dans l'entreprise ont évolué. On peut, au prix d'une certaine schématisation, avancer la représentation suivante :
• Dans la régulation fordiste, la
sécurité des salariés résidait dans la
sécurité de l'emploi globalement procurée par des
entreprises soucieuses de les fidéliser et l'existence d'une forte
demande de main d'oeuvre peu qualifiée, ainsi que des
rémunérations dont les pouvoirs publics s'employaient à
organiser l'orientation à la hausse.
Cette évolution des salaires était permise par les gains de productivité engendrés par le progrès technique et des économies d'échelle, avec la prégnance d'organisations du travail de type taylorien caractérisées par une faible autonomie des salariés.
Ces gains de productivité suffisaient à garantir la compétitivité globale d'un appareil productif encore peu inclus dans la mondialisation et soumis à de moindres exigences financières.
• Dans le mode de régulation actuel,
l'exposition croissante de l'appareil de production à une concurrence
internationale aguerrie s'est accompagnée de la diffusion
d'organisations du travail à flux tendus afin de procurer la
flexibilité nécessaire à la réalisation de nouveaux
gains de productivité.
La souplesse et l'intelligence requise de la part de ces organisations productive requièrent toute l'implication et les capacités d'initiative du personnel, qui dispose à cet effet de nouvelles marges d'autonomie et se voit parallèlement fixer des obligations de résultat en lieu et place d'obligations de moyens.
L'accélération des mutations des combinaisons productives ne permet plus de garantir l'emploi au sein d'entreprises pérennes, dont le contrôle étroit des coûts de production par des détenteurs de capitaux plus mobiles et soucieux de rentabilité à court terme, tend au versement - hormis pour les qualifications les plus rares - de rémunérations moins progressives, évolution qui apparaît cohérente d'un point de vue aussi bien microéconomique (les rapports de force sur le marché du travail deviennent globalement plus favorables aux entreprises) que macroéconomique (les exportations peuvent constituer un débouché massif).
• Dans ce nouveau paradigme, les leviers
d'action sur l'équilibre du salarié, c'est-à-dire sur les
degrés respectifs d'autonomie et de sécurité dont il
jouit, connaissent un
déplacement.
D'une part, la sécurité ne peut plus résulter de carrières et d'emplois plus ou moins garantis, mais du maintien de l' employabilité , dont la réalité repose d'abord sur des initiatives publique et conventionnelles, une entreprise n'étant pas spontanément encline à endosser une responsabilité coûteuse - les formations sont chères - dont le bénéfice se situerait globalement en dehors de son périmètre.
Cette inflexion des politiques, de la protection de l'emploi du salarié à la protection de son employabilité, peut être désignée sous le vocable de « flexisécurité », concept largement indéterminé comme on le verra.
D'autre part, une certaine autonomie a du être accordée aux salariés afin de permettre, corrélativement, leur responsabilisation progressive sur les résultats. Aujourd'hui, le débat ne se situe plus tant autour de la responsabilisation des salariés que sur la réalité de leur autonomie dans des organisations qui tendent à les enserrer dans un faisceau de contraintes étroites pour garantir l'adaptation d'une production fréquemment renouvelée de biens ou services à une demande fluctuante, tout en satisfaisant à diverses exigences normatives, de reporting ou de coordination.
L'organisation du travail et le management se trouvent ainsi au coeur de la tension entre flexibilité de la production et autonomie du salarié.
RÉSULTANTE DE LA NOUVELLE
RÉGULATION
POUR L'ÉQUILIBRE DU SALARIÉ
Source : services des études économiques du Sénat
Ainsi, pour conjurer l'approfondissement du « mal-être » des salariés sans s'abstraire des impératifs concurrentiels, deux leviers principaux, constituant autant de facteurs d'émancipation du scénario tendanciel , sont susceptibles de rééquilibrer leur situation : d'une part, les pratiques attenantes à l' organisation du travail , dont certaines s'avèrent dommageables et, d'autre part, les politiques orientées vers la flexisécurité .
I. UNE INFLEXION SOCIALE DU MANAGEMENT ET DE L'ORGANISATION DU TRAVAIL ?
On recensera ici les voies d'amélioration susceptibles d'être empruntées afin de préserver l'autonomie et la dignité de salariés oeuvrant au sein d'entreprises soumises à des impératifs de productivité et de flexibilité que des organisations du travail « au plus juste », assorties d'un management obnubilé par des objectifs financiers, sont souvent destinées à satisfaire. Elles tournent autour des thématiques de reconnaissance et de participation.
A. UNE IMPLICATION DU PERSONNEL DANS LA « CONDUITE DU CHANGEMENT »
Bien que, selon la doxa managériale d'aujourd'hui, l' instauration autoritaire de nouvelles organisations s'avère généralement néfaste pour les salariés -et donc décevante pour les entreprises 275 ( * ) - ( supra ), aucun texte ne débouche sur une implication incontournable du personnel sur les choix organisationnels, la plupart des employeurs estimant qu'ils ressortissent au champ de leurs prérogatives exclusives.
Pourtant, d'aucuns estiment qu'une implication, voire une association systématique des représentants du personnel à la réflexion sur les évolutions envisagées dans l'entreprise serait préférable. Par exemple, Henri Rouilleaut 276 ( * ) estime que « l' association des salariés directement concernés et des représentants du personnel à la conduite du changement sous des formes variables selon les types d'entreprise est une nécessité .
« Au-delà de la capitalisation des bonnes pratiques de certaines entreprises, la négociation d'un accord-cadre interprofessionnel sur la conduite du changement, à décliner dans les branches et les entreprises , serait bienvenue ».
L'association des salariés n'est pas sans exemple à l'étranger et l'on indiquera qu'en Allemagne, « en ce qui concerne les changements d'organisation du travail, l'employeur ne peut pas prendre une décision ayant des conséquences sur le travail des salariés sans l'accord préalable du comité d'entreprise. Le comité d'entreprise participe ainsi aux décisions relatives aux heures de travail, pauses et d'éventuelles heures supplémentaires. Le comité d'entreprise peut par ailleurs, lors d'un changement dans la nature de l'activité, dans le processus de fabrication ou de l'environnement de travail, entraînant une charge de travail supplémentaire, réclamer des mesures appropriées pour supprimer, atténuer ou compenser cette charge » 277 ( * ) .
Une telle perspective ne s'avèrerait réellement porteuse de changement qu'à la condition d'être accompagnée d'une modification des modalités et des équilibres de la négociation sociale. A cet égard, il serait souhaitable que les représentants , notamment syndicaux, soient formés aux questions de changements organisationnels , sans que ces derniers doivent recourir systématiquement à des experts 278 ( * ) .
En effet, ce type d'intervention compliquerait singulièrement la démarche et pourrait les conduire à amalgamer, dans une certaine confusion, mission d'expertise et défense des intérêts des salariés.
Enfin, au quotidien, le management devrait expliquer systématiquement , le cas échéant, les raisons conduisant à imposer aux salariés des contraintes nouvelles , quelles qu'elles soient.
* 274 Mobilité et éducation ; concept ayant récemment émergé au Danemark, « patrie » de la flexisécurité.
* 275 Les réorganisations sournoises sont encore plus décevantes et déstabilisantes pour l'ensemble organisationnel qu'elles frappent.
* 276 Membre du Centre d'analyse stratégique, auditionné dans le cadre du présent rapport.
* 277 Contributions annexées des ambassades.
* 278 Il existe d'ailleurs une tyrannie de l'expertise manifestée par le recours parfois cosmétique à des consultants extérieurs dont l'intervention au service des seules directions tend à être déséquilibrant car, probablement assez souvent, exclusivement communicationnelle et ignorante des contraintes réelles imposées aux salariés. On relève ici que le rapport « Lachmann » précité sur le bien-être et l'efficacité au travail, préconise de mesurer l'impact et la faisabilité humaine du changement pour tout projet de réorganisation ou de restructuration.