b) Des contraintes physiques qui évoluent plutôt qu'elles ne s'amoindrissent
La tertiarisation de l'économie et les progrès continus de la robotique peuvent laisser supposer que les contraintes physiques subies dans le travail seraient en voie de régression.
Pourtant, dans « Les désordres du travail » 93 ( * ) , Philippe Askénazy estime que le problème de l'accroissement de la charge physique supportée au travail serait encore plus alarmant que pour la charge mentale. Avec des postures pénibles, des poids à porter, de longs déplacements à pied etc., les nouvelles méthodes de production , en favorisant la polyvalence , sont en effet de nature à accroitre la charge physique , leurs exigences en la matière se cumulant ou s'ajoutant à des contraintes mentales.
De fait, une étude de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles intitulée « Accidents et conditions de travail » 94 ( * ) établit que, non seulement l'intensité du rythme de travail, mais aussi son imprévisibilité, accroissent le risque d'accident. En revanche, contrairement à certaines théories managériales, disposer de marges de manoeuvre pour organiser son travail ne constitue pas un facteur apparaissant comme nettement protecteur. Par ailleurs, le soutien du collectif de travail -qui tend à s'estomper dans les nouvelles formes d'organisation- et de la hiérarchie protège du risque d'accident.
Prenant, pour sa part, l'exemple, dans les années quatre-vingt-dix aux Etats-Unis, de la multiplication des accidents constatée chez les chefs de rayons, conduits à assumer des tâches de manutention pour rentabiliser le temps gagné grâce aux TIC sur leurs travaux habituels, Philippe Askénazy note que « l'optimisation passe par l'utilisation de l'ensemble de la disponibilité et des capacités des salariés, qu'elles soient cognitives ou physiques ».
Au total, les accidents du travail et maladies professionnelles d'ordre physique, qui sont corrélés à la charge physique supportée au travail, ont augmenté ces dernières années, notamment 95 ( * ) sous la forme de troubles musculo-squelettiques (TMS) classés en maladies professionnelles, principalement liés à l'usage des terminaux informatiques, en forte augmentation en Europe -même si la tendance recouvre aussi une meilleure reconnaissance de la maladie. Bien entendu, le stress développé par ailleurs peut aussi contribuer au développement de symptômes physiques, tels que des maladies cardiovasculaires ou, précisément, des TMS.
DE PLUS EN PLUS D'ARRÊTS DE TRAVAIL POUR MALADIE PROFESSIONNELLE
Sources : Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Repères statistiques sur les dimensions économique, sociale et environnementale de la société française (Conseil économique, social et environnemental, 2009)
La quatrième enquête européenne sur les conditions de travail montre qu'en 2005, près de la moitié des travailleurs (46 %) utilisent un ordinateur pendant au moins un quart de leur temps de travail. Plus généralement, 35% des travailleurs questionnés indiquent que leur travail nuit à leur santé.
LA QUALITÉ DU TRAVAIL COMPARÉE AU SEIN DE
L'EUROPE DES QUINZE :
Nathalie Greenan, Ekaterina Kalugina et Emmanuelle Walkowiak, du Centre d'études de l'emploi, ont réalisé une évaluation de l'évolution de la qualité du travail entre 1995 et 2005 sur la base des études européennes sur les conditions de travail menées en 1995, 2000 et 2005. Leur travail 96 ( * ) se fonde ainsi sur des données harmonisées, qui leur permettent d'approcher quatre dimensions de la qualité du travail jugées essentielles : les conditions physiques de travail , qui rejoignent la question de la santé et de la sécurité au travail, l' intensité du travail, qui se subdivise en deux dimensions - l'intensité des contraintes techniques et l'intensité des contraintes de marché - et, enfin, la complexité du travail . Elles partent du postulat que la qualité du travail s'améliore avec celle des conditions physiques de sa réalisation ainsi qu'avec sa complexité, tandis qu'elle se détériore à mesure que les contraintes techniques ou de marché se font plus intenses. Le risque maximal de souffrance au travail se manifeste donc lorsque les conditions physiques sont mauvaises, l'intensité haute et la complexité basse, ce qui est notamment le cas de la Grèce et, dans une moindre mesure, de la Finlande et du Portugal. D'après cette étude originale, la situation de la France serait globalement stable de 1995 à 2005, tandis que celle de l'Europe des quinze se dégraderait dans son ensemble , avec une baisse de la qualité, une hausse de l'intensité et une baisse de la complexité ressentie (malgré Lisbonne...), ce dernier mouvement n'étant pas, d'ailleurs, aisément explicable 97 ( * ) . Il semble que l'Allemagne et l'Italie soient particulièrement concernées par cette tendance globale, néfaste pour les salariés. |
* 93 Seuil, avril 2004.
* 94 INRS, Documents pour le Médecin du travail, n°11, 3 ème trimestre 2007.
* 95 Les TMS sont devenus la première cause de déclaration de maladie professionnelle en France (74 % en 2008). En augmentation de 17 % par an depuis 10 ans, 36 900 nouveaux cas de TMS ont été indemnisés en 2008.
* 96 Trends in quality of work in EU-15: Evidence from the European Working Conditions Survey (1995-2005), avril 2010.
* 97 Une surqualification croissante ou une certaine habitude du changement pourraient contribuer à expliquer ce ressenti.