M. Emmanuel GABLA, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)
Ainsi que vous l'avez dit, la question de la neutralité des réseaux a été débattue en premier lieu de l'autre côté de l'Atlantique, puis le débat s'est transporté en Europe. J'ai autrefois participé à la négociation de directives dans le domaine des communications électroniques. Le débat a toujours été centré sur les réseaux, thème de la seconde table ronde.
Il nous apparaît toutefois indispensable de s'intéresser au contenu. Pourquoi ? Ce phénomène de convergence dont on nous rebat les oreilles arrive enfin. L'apparition des téléviseurs connectés va complètement changer la donne de la révolution numérique.
Premier constat : personne ne conteste que de plus en plus de contenus audiovisuels sont consultés sur Internet. Aux États-Unis, 36,5 milliards de vidéos ont été vues sur Internet en juillet 2010, soit une croissance de plus de 70 % par rapport à juillet 2009. En France, plus de la moitié des internautes ont consulté des vidéos Internet en juin 2010. C'est un des très grands usages d'Internet. Que doit-on en déduire face à notre système de régulation ou de réglementation ?
Je l'ai dit, le développement des téléviseurs dits connectés progresse énormément dans notre pays. Près d'un quart des téléviseurs vendus en 2010 sont connectés ; à l'horizon 2013 ou 2014, la quasi-totalité des téléviseurs le sera.
Jusqu'à présent, le monde de l'Internet et celui de l'audiovisuel étaient bien distincts. L'arrivée du téléviseur connecté fait se télescoper ces deux univers. Ce n'est pas totalement une nouveauté : les « box » des opérateurs permettaient déjà d'accéder via le téléviseur à une partie d'Internet davantage des services gérés que de l'Internet en général. Dorénavant, la totalité des contenus Internet va être disponible sur le téléviseur.
Quel est l'impact sur le secteur audiovisuel ? Quelle conception et quelle approche avons-nous de ce concept de neutralité des réseaux et de l'Internet ? Je préfère parler de neutralité des réseaux plutôt que de neutralité de l'Internet, la neutralité devant selon moi concerner également les services gérés.
Du point de vue du régulateur audiovisuel, du fait des téléviseurs connectés, les enjeux d'accès au contenu se déplacent au niveau de l'accès Internet. Il pourrait en effet y avoir une éventuelle question de contrôle, de filtrage ; ceci pose directement la question de la liberté laissée au consommateur de contenu audiovisuel.
La seconde question est relative à la qualité de service. Les contenus audiovisuels vont-ils pouvoir être vus avec une qualité de service équivalente pour tous ? Le consommateur aura-t-il bien accès de manière non discriminatoire à tous les contenus audiovisuels dans des qualités qui ne seront pas dégradées ?
Ce sont des questions complexes. Le CSA n'a pas totalement arrêté sa position, contrairement à l'ARCEP - mais nous allons lancer une série de consultations et d'auditions.
On peut déjà souligner trois points forts.
Sur le plan juridique, on touche clairement à la défense de la liberté de communication. Ceci est déterminant pour le CSA, garant du pluralisme de l'information politique. Il est indispensable pour nous que tout internaute puisse envoyer le contenu qu'il souhaite, le recevoir et puisse utiliser l'ensemble des services et des applications disponibles.
Par ailleurs, nous devons à tout prix éviter la marginalisation de certaines sources d'information. C'est indispensable pour la liberté d'expression et constitue un des fondements principaux de notre démocratie.
A ce stade, je voulais saluer l'initiative du ministère des affaires étrangères qui va tenir la semaine prochaine une conférence sur Internet et la liberté d'expression. Il est vraiment important qu'Internet soit un vecteur et favorise cette liberté d'expression. C'est vrai dans certains pays totalitaires mais aussi dans notre pays. Le CSA veillera à être le garant de cette liberté d'expression et évitera la marginalisation de certaines sources d'information par le filtrage ou la diminution d'une qualité de service.
Le second point est plus économique. Il apparaît dans les principes édités par l'ARCEP. Je tiens d'ailleurs à remercier l'ARCEP de nous avoir inclus dans cette réflexion ; cette question de neutralité des réseaux est un excellent exemple de coopération entre les deux régulateurs.
On peut certainement accepter certains aménagements au principe de neutralité en permettant aux opérateurs de mettre en place quelques mesures de gestion du trafic adaptées afin de répondre à des exigences de service en temps réel et rendre plus attractive certaines offres d'accès à l'Internet public qui vont indirectement financer l'établissement de nouvelles infrastructures. On a tous conscience qu'il faut développer de nouveaux réseaux. Développer la fibre optique, c'est aussi faciliter l'accès à des contenus audiovisuels.
Qui va financer ces infrastructures ? Si le contenu visionné doit participer au financement des infrastructures, il faut aussi pérenniser notre système de financement de contenus.
Ce concept de neutralité ne doit pas se traduire par un appauvrissement du flux qui viendra financer la création de nos contenus. C'est pourquoi la neutralité ne doit pas aboutir à une banalisation de certains acteurs. Je ne cherche pas à prêcher pour la chapelle des éditeurs de contenus audiovisuels mais toujours est-il que ce sont eux qui, pour l'instant, financent la création. Il faudra bien que, dans la multiplicité des contenus qui vont être visionnés, quelques mécanismes apparaissent pour continuer à financer la création.
Enfin, la neutralité doit aussi s'appliquer aux moteurs de recherche. Pourquoi ? On voit apparaître de nouveaux services comme Apple TV ou Google TV, qui va être fondé sur un moteur de recherche. Pour faciliter la visualisation de contenus d'origine française ou européenne, il faut être certain que ces moteurs de recherche soient relativement neutres afin de ne pas favoriser des contenus venus d'outre-Atlantique.
Il va donc falloir aller plus avant dans ce concept de neutralité, ce qui n'a pas encore été fait et qui ne fera pas forcément plaisir à l'ensemble des acteurs, même si on nous affirme que tout est transparent.
M. Pierre LOUETTE, secrétaire général d'Orange
La neutralité des réseaux est un sujet assez neuf pour moi ; depuis mon arrivée dans le groupe France Télécom, je n'ai toutefois cessé de penser qu'il allait prendre de l'ampleur et devenir un sujet de débats.
Première réflexion liminaire : on souhaiterait que ce sujet ne devienne pas un de ces grands débats à la française où l'on s'envoie des anathèmes, chacun parlant de son point de vue ! Les uns vont accuser les autres de vouloir manipuler les réseaux et les contenus et certains diront qu'il faut que prévalent définitivement une totale liberté et une totale gratuité de tout ce qui circule sur l'Internet.
Selon une phrase que j'ai trouvée sur Internet et qui définit assez bien la façon dont le débat a été posé, la neutralité de l'Internet signifierait que tous les paquets de données sont libres et égaux en droit. Tout ce qui a été mis en ligne sur le réseau devrait donc y avoir une existence parfaitement légale. Ce principe est aux origines d'un réseau fondé sur l'échange des connaissances et le développement du savoir tel qu'il a été imaginé au départ.
Le groupe de télécommunications que je représente - Bruno Retailleau ainsi que d'autres l'ont évoqué - doit gérer la montée en puissance des contenus sur des réseaux qui se développent et dans lesquels France Télécom Orange investit jusqu'à 12 % de son chiffre d'affaires tous les ans. Ce sont des milliards d'euros qui sont mobilisés chaque année pour continuer à faire monter ces réseaux en puissance et nous devons faire face au danger de saturation.
Nous devons donc nous situer entre deux enjeux, la circulation des paquets de données d'une part et la garantie d'en permettre l'accès à tous d'autre part.
Les chiffres sont assez largement connus mais on ne cesse de rappeler à quel point le trafic augmente. La consommation de données sur le réseau mobile a été multipliée par 2,5 entre 2008 à 2009. Un milliard de vidéos sont regardées par jour sur YouTube. Il existait, en 2009, 5 milliards de téléphones mobiles, dont 400 millions de Smartphone, qui consomment autant de données que les 4,6 milliards d'autres téléphones !
Or, on sait que les achats et les utilisations de Smartphone se développent énormément. Les iPhones se vendent très bien et ont en outre une vertu du point de vue des opérateurs : ils développent les revenus par abonné et limitent énormément le désabonnement ! En Angleterre, ceux qui adoptent ce téléphone sont de moins en moins prompts à se désabonner. En outre, le système d'Apple est assez fermé - avec des monopoles ou des exclusivités de distributions accordées ici ou là...
Tout l'objectif des travaux auxquels le Sénat nous convie et auxquels le Parlement sera appelé à concourir dans les années à venir est de trouver ce point d'équilibre entre les deux impératifs. Les opérateurs de télécommunications vont donc devoir continuer à développer leurs réseaux, y héberger et y faire circuler tous les contenus produits en nombre croissant.
Je me souviens avoir entendu un responsable de Google, lors d'une conférence en Espagne, déclarer à propos de la coopération entre Google et les opérateurs : « A vous de construire les réseaux ; nous, nous prendrons les profits ! ». Depuis lors, Google a évolué plus vite qu'on ne l'aurait imaginé vers des modes de coopération. L'accord avec Verizon - que certains ici pourront contester - est une première indication de cette volonté de se rapprocher des opérateurs.
Comment arriver à concilier tout cela ? Nous allons favoriser le maintien de services garantis de télévision et de vidéo à la demande sur les réseaux Internet car, si l'on devait en effet adopter une posture totalement passive, on aurait tôt ou tard des risques de voir certains services moins bien gérés qu'avant dans l'incapacité de satisfaire leur utilisateurs - y compris payants !
On réfléchit également, au niveau européen, à la possibilité d'étudier la capacité à gérer l'accès à des services professionnels. L'importance des paquets de données relatifs à la santé revêt-il la même importance que tout autre type de contenu ? Selon moi, certainement pas et l'on doit pouvoir organiser des formes de priorité - sans porter préjudice aux autres contenus.
Ne pas en tenir compte serait dangereux ; un éminent responsable d'une autorité indépendante se demandait ce matin, paraphrasant Lénine, si la gratuité n'était pas la maladie infantile de l'Internet. On peut se poser la question, le système de pseudo gratuité, de neutralité et de passivité ne permettant pas d'assurer au mieux le service qu'attendent les utilisateurs.
M. Alain LE DIBERDER, conseiller « Création interactive » au conseil d'administration de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)
Je saisis l'occasion qui m'est donnée pour déplorer que la question des rapports entre créateurs, auteurs, artistes et Internet ait été ces dernières années trop souvent caricaturée. Certains aiment la réduire à une opposition entre un vieux monde qui serait déboussolé face aux innovations, cramponné à des privilèges et qui ne verrait en Internet qu'une porte ouverte sur le pillage de ses oeuvres.
C'est tout à fait injuste car le monde de la création a été l'un des premiers - le second après le monde de la science et de l'université - à se ruer sur Internet. Pour les auteurs et créateurs, Internet n'est pas qu'une offre : c'est de plus en plus le lieu de la formation de la demande. A ce titre, tous les gens qui côtoient la culture savent qu'il n'y a pas une seule compagnie de théâtre, pas une seule troupe de danse, pas un seul film qui n'ait son site Internet, son blog, sa page Facebook !
Internet a démultiplié le rôle du bouche à oreille. Bien avant les critiques ou le marketing, le bouche à oreille et les réseaux sociaux sont le ferment où se forme la demande de biens culturels et d'oeuvres.
La neutralité d'Internet réside d'abord dans la possibilité d'accès à ces informations. Rien ne nous inquiéterait plus de savoir que certaines informations disponibles chez Orange ne le sont pas chez SFR !
Pour créer et diffuser nos oeuvres, les auteurs ont besoin d'Internet ; nous sommes des acteurs d'Internet, nous aimons Internet et nous n'apprécions pas que l'on nous renvoie l'image de dinosaures qui voudraient en limiter le développement alors que c'est tout le contraire !
Il existe un second point qui concerne la distinction entre les contenus légaux et ceux qui ne le sont pas. Les auteurs peuvent parfois décider de mettre gratuitement leur oeuvre à la disposition du public sur Internet. C'est leur droit mais il faut tout autant défendre leur droit à ne pas partager cet avis.
Le créateur qui vit de son travail est libre de décider que son oeuvre est payante ; ce n'est pas au consommateur de décider ce qui doit être gratuit ou qui ne doit pas l'être. Il est de la liberté de l'auteur de choisir un modèle économique qui lui permette de payer son loyer !
Il n'y a donc pas d'hésitation à avoir entre deux systèmes de régulation, l'un qui garantit l'exercice de notre liberté et l'autre qui ne la garantit pas. On préférera toujours celui qui, par une régulation, une intervention des pouvoirs publics ou d'acteurs privés, garantit cette liberté. La liberté de voir nos oeuvres disponibles sur le réseau de manière payante est une liberté fondamentale. Après tout, les grands auteurs du XVIII e siècle ont pensé que c'était là le début de la civilisation marchande, le droit de ne pas se faire voler. Nous sommes donc pour un système qui défend vigoureusement et efficacement cette liberté, qui n'est pas contradictoire, pour certains auteurs, avec la décision de diffuser gratuitement leur oeuvre.
Le troisième et dernier point concerne l'écologie de la création : avec le temps, suivant différents tempéraments nationaux, s'est mis en place un système de rémunération de la création par l'aval. Certains pays font plus confiance aux contrats, d'autres à la loi mais, dans le monde entier, une salle de cinéma reverse 50 % de sa recette pour financer le film. N'importe quelle chaîne de télévision reverse entre un quart et un tiers de sa recette pour financer les oeuvres qu'elle diffuse ; il en va de même pour le DVD ou le jeu vidéo.
Aujourd'hui, avec les téléviseurs connectés, les services de VOD, les tablettes, Internet au sens large vient prolonger l'offre existante et la remplacera peut-être un jour. Ce sont la technologie et les consommateurs qui décident mais nous avons deux exigences...
La première, c'est le maintien des réglementations nationales. Elles sont harmonisées au niveau européen dans le cadre de directives, ce ne sont pas les mêmes dans tous les pays mais elles respectent toutes ce principe qui veut que l'aval finance l'amont. Quand un consommateur dépense un euro, une fraction significative doit financer les oeuvres.
Il est inadmissible qu'un opérateur régulier soit concurrencé injustement par ceux qui, au Luxembourg, n'adhèrent pas à l'écosystème de la création. Si le principe de neutralité de l'Internet - dont nous ne sommes pas spécialistes - venait s'opposer à ce principe, nous préférerions qu'un certain nombre de limites soient fixées.
Nous savons qu'il existe des désintermédiations et que la chaîne de valeur doit et est en train de changer, que les pourcentages, les modalités de perception et de versement doivent s'adapter. Cependant, ces règles de financement ne se sont pas créées toutes seules. Ces réglementations n'ont pas été décidées arbitrairement par des gens qui n'auraient pas étudié la question. Elles sont le produit de l'histoire, de la politique, de la technologie et bénéficient à tout le monde. De ce point de vue, les auteurs sont attentifs aux conséquences de la déformation de la chaîne de valeur des différentes options de régulation qui seront prises.
On ne peut concurrencer d'anciens systèmes qui financent la création à 50 % de leurs recettes par d'autres qui n'y consacreraient que 5 ou 10 %. Il y a sans doute des marges de discussions mais il existe une grande inquiétude quant à l'écroulement général de systèmes qui n'empêchent pas TF1 ou M6 de faire des profits importants, dont une partie sert à financer les oeuvres que ces chaînes diffusent !
M. Giuseppe de MARTINO, président de l'Association des services Internet communautaires (ASIC)
L'ASIC, l'Association des services Internet communautaires, est une exception qui n'existe nulle part ailleurs qu'en France. Cette association regroupe des géants de l'Internet comme Facebook, Google, Microsoft, des champions locaux assez modestes comme Price Minister ou Dailymotion, des associations mondiales comme Wikimedia ou des micros startups comme La Cartoonerie.
En France, en 2007, pour la première fois au monde a eu lieu une véritable atteinte à la neutralité du Net. C'est Dailymotion qui, à l'époque, en a été victime du fait d'une négociation difficile avec un FAI sur le peering payant. Nous refusions de passer sous ses fourches caudines et de payer des tarifs prohibitifs. En rétorsion, le débit sur notre service a été réduit. Nous nous en sommes sortis mais les acteurs de l'industrie communautaire ont décidé de se regrouper pour montrer que nous avions des intérêts communs et un message à faire passer.
Le credo que nous avions à l'époque et qui n'a pas évolué depuis est la transparence : nous exigeons que le fournisseur de réseau soit transparent, qu'il existe une non-discrimination, verticale ou non, au sein du groupe ou non. Nous avons la chance de lancer notre association avec des géants américains comme Google, qui aurait pu décider de payer un fournisseur de réseau pour obtenir un meilleur service que le nôtre.
Nous comprenons cependant que les opérateurs aient besoin de décongestionner les réseaux. La France est une exception dans le cadre du « triple play » ; nous souhaitons que le fournisseur de réseau puisse assurer la décongestion de son réseau au sein d'un « play » sans en favoriser un autre.
Nous lançons cette association fin 2007 et nous nous mobilisons très vite mais, rapidement, nous sommes submergés par des questions qu'on ne pose pas ailleurs, comme la taxation de notre activité d'industrie d'Internet ou le fait de savoir si nous sommes éditeurs et hébergeurs. Nous oublions un peu ce débat sur la neutralité de l'Internet et suivons de plus ou moins loin l'adoption du « paquet télécom ». On se satisfait que la notion de transparence soit inscrite dans ce paquet, un peu moins que la notion de non-discrimination n'y figure pas et on oublie, pour tout dire, ce qui faisait l'objet de la création de l'association, nos relations avec les FAI se passant de mieux en mieux.
A l'automne 2009, nous découvrons le caractère polysémique de l'expression de neutralité du Net à l'occasion d'un colloque organisé par une association de protection de l'enfance avec les opérateurs de réseaux américains et européens. On nous décrit durant quelques heures les abominations que pourrait représenter la neutralité du Net qui, en empêchant de pouvoir toucher au contenu des services transitant par les réseaux, serait susceptible de mettre en danger nos chères têtes blondes en leur permettant d'accéder à n'importe quel contenu !
Nous nous sommes alors dit qu'il était temps de réagir. La neutralité du Net, l'Internet ouvert, n'est au départ pour nous qu'une question économique afin que les relations entre opérateurs de réseau et fournisseurs de services se déroulent sur une base gagnant-gagnant.
L'ASIC s'est donc mobilisée : grâce à l'appui du sénateur Retailleau, nous avons pu organiser des colloques et faire de la pédagogie auprès des médias. Aujourd'hui, nous sommes satisfaits du travail réalisé par l'ARCEP. Il reste beaucoup de choses à faire pour faire comprendre que 40 % de nos coûts sont de l'investissement réseau : bande passante, matériels, peering payant avec les FAI. Nous participons donc au développement des réseaux. Si on nous demande de participer davantage, pourquoi ne pourrait-on pas profiter davantage des abonnements ? Si l'on s'abonne aujourd'hui, c'est aussi pour bénéficier de nos services : vidéo, moteurs de recherche, etc. !
Pour en revenir au caractère polysémique, Bernard Kouchner, avec qui j'ai eu une discussion à ce sujet, voit plutôt la neutralité du Net comme une défense du cyberdissident chinois. Les affaires étrangères souhaiteraient en effet qu'il existe dans chaque ambassade un correspondant Internet afin que l'on sache comment se passe localement la connexion et pourquoi nous sommes interdits en Tunisie ou en Syrie. Personne, dans les ambassades, n'est capable de nous aider à trouver des solutions...
On a dénombré, lors du colloque de l'ARCEP, pratiquement plus de lobbyistes de l'industrie du contenu que de l'industrie des opérateurs réseau. Pourquoi ? On a compris que le débat sur la neutralité du Net devenait de plus en plus un débat philosophique, mais surtout juridique, autour de la question de savoir si la neutralité du Net permet de lutter contre Hadopi. Nous n'avons pas d'avis sur cette question mais nous n'imaginions pas, en 2007, que la question de la neutralité du Net serait reprise sous cette forme !
On voit également poindre aujourd'hui la question de la neutralité du Net sous l'angle du rempart contre la directive sur le commerce électronique, ce qui nous paraît hasardeux. Cette directive permet d'encadrer la responsabilité des acteurs, qui s'exerce a posteriori . Il y a certainement des liens avec la neutralité du Net mais ce n'est pas ainsi que l'on pourra remettre en cause cette directive, mise en place à la fin des années 2000 pour aider les acteurs Internet à lutter contre l'hégémonie américaine. Les géants de l'Internet sont tous américains ; les modestes acteurs locaux que nous sommes avaient à l'époque besoin de ce texte pour se lancer.
Le caractère polysémique existe aussi en matière de supports : aujourd'hui, le constructeur de tablettes a le choix de mettre en avant tel ou tel service. Nous pensons qu'il a une obligation de transparence par rapport au monde économique.
Enfin, nous sommes ravis d'assister à l'essor des téléviseurs connectés. On n'a plus besoin de fournisseurs d'accès ! Aujourd'hui, nous sommes des produits d'appel pour les « widgets » mais, demain, qui empêchera Apple ou autre géant américain de payer pour être mis en avant par les constructeurs et éradiquer ainsi des acteurs locaux sans moyens financiers ? Nous ne le savons pas ! Il est bon, d'ores et déjà, de se poser la question !
Mme Catherine MORIN-DESAILLY, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »
Certains ont anticipé la deuxième table ronde ; il est vrai que tout est lié mais je rappelle que l'objectif est de parler de la chaîne de valeur et des modèles économiques émergents.
M. Frédéric GOLDSMITH, délégué général de l'Association des producteurs de cinéma (APC)
J'ai appris récemment qu'il s'est échangé plus d'informations entre 2003 et aujourd'hui que depuis le début de l'humanité jusqu'à 2003. Cela donne une idée du phénomène dans lequel nous nous situons, de la masse d'informations et de la problématique à laquelle nous sommes confrontés. Il est donc normal que l'on se pose de nombreuses de questions.
On peut constater aisément que tout le monde est devenu d'un coup spécialiste du droit d'auteur, alors que ce sujet était confidentiel à une certaine époque.
Chacun a son idée sur le sujet mais il faut revenir aux fondamentaux.
Je crois que le débat sur la neutralité du Net est une opportunité à cet égard.
Je rappelle que la neutralité du Net n'est pas antagoniste à la propriété intellectuelle. C'est un point fondamental. La neutralité du Net ne signifie pas la libre violation des droits de la propriété intellectuelle. Nous sommes dans un cadre constitutionnel au sein duquel la propriété intellectuelle est un droit fondamental et tous les moyens juridiques, respectueux des libertés fondamentales, doivent être mis en oeuvre pour faire respecter ce droit.
Certes, nous attachons beaucoup d'importance à l'Internet et au développement des réseaux électroniques mais il s'agit ici de l'avenir de la création et de l'exploitation des oeuvres. On ne peut donc traiter ce sujet comme on colmate une brèche. La loi Hadopi a jeté des bases à travers la création d'une autorité administrative indépendante.
D'autres aspects sont importants, au premier rang desquels la neutralité au regard de la régulation, qui doit rester cohérente quelles que soient les technologies utilisées. Il faut que les règles que nous avons initiées dans le domaine matériel se retrouvent dans le domaine immatériel, même si des adaptations peuvent être nécessaires.
Ainsi, le modèle français du cinéma est un modèle que tout le monde nous envie. C'est un écosystème disposant d'un équilibre global, constitué d'une série d'éléments qui, mis ensemble, permettent aux acteurs de vivre et de croître.
On nous dit que, si l'Internet n'est pas régulé, cela n'empêchera pas la création d'exister. En Italie, le fait de ne pas réguler la télévision a fait disparaître une grande partie du cinéma italien. Une absence de régulation peut donc aboutir très rapidement à une destruction de la capacité de production, qui est essentielle pour que les citoyens aient accès à des services de qualité à travers les infrastructures.
A l'inverse, la France, lors de l'apparition de la télévision, a constaté que le cinéma était un produit d'appel. Il y a donc eu régulation des services de télévision pour faire en sorte que ceux qui utilisent les oeuvres comme produits d'appel investissent dans celles-ci.
La régulation des services en ligne est prévue quant à elle par le décret SMAD (Services de médias audiovisuels à la demande) qui est en cours de finalisation. Cette régulation vise également l'exposition des films car, si nous voulons garder notre capacité de production, il faut qu'il existe une régulation dynamique des oeuvres dans toute leur diversité. C'est ce dont le public a besoin.
Des expériences marketing ont été menées dans le domaine des produits de grande consommation. Ainsi, lorsque seules trois marques de confiture sont disponibles pour les consommateurs, les parts de marché sont également réparties entre les trois marques ; lorsqu'il y en a 15, une seule marque récupère une majorité du marché ! Quand il y a pléthore de contenus, sans qu'il existe de possibilités de les sérier, le public se concentre sur celle qui bénéficie du plus fort « marketing ».
Or, nous sommes dans un phénomène de profusion. Il est essentiel que la régulation s'intéresse à la diversité et à la mise en avant des contenus, faute de quoi ils disparaîtront purement et simplement face à la puissance « marketing ». Il y a donc nécessité d'avoir cette régulation des services, dans le cadre de la chronologie des médias. Cette chronologie, qui établit une organisation des exploitations des oeuvres dans leurs différentes versions, permet de préserver ceux qui investissent, d'amener de nouveaux opérateurs à investir, sans détruire la valeur de la chaîne d'exploitation.
Elément nouveau, certains services peuvent aller à l'étranger ; ceci a amené le CSA à rendre un avis quelque peu abrupt sur le projet de décret SMAD.
Notre premier problème concerne la TVA : il est très choquant qu'un service situé au Luxembourg applique un taux de TVA déloyal vis-à-vis de ses voisins européens. Il y a là un problème politique majeur. On ne peut laisser se développer de telles distorsions. C'est une absurdité à laquelle il faut mettre fin.
Suivi des oeuvres et transparence sont également des éléments importants. Il existe des initiatives pour dynamiser le marché dont le Parlement, entre autres, pourrait dresser un état des lieux avec les ayants droit, les plates-formes, les opérateurs de réseaux, etc. Il est important que les pouvoirs publics apportent leur soutien financier (grand emprunt, etc.) aux projets émergents.
Enfin, la question de la régulation des flux par les opérateurs dépasse les contenus mais les concerne cependant. Nous avons le sentiment d'avoir déjà beaucoup donné pour accroître l'effet de club et le nombre d'abonnés aux réseaux électroniques. Il serait choquant qu'on nous demande de contribuer encore au développement de ces réseaux dans l'optique de passer à un modèle économique rentable.
Nous sommes en revanche très ouverts aux nouveaux modèles économiques à valeur ajoutée qui vont permettre le déploiement de services gérés. Nous sommes très favorables à des partenariats avec les opérateurs mais il faut que le partage de la valeur soit équitable.
Nous sommes confrontés à un phénomène nouveau. L'audiovisuel et le cinéma sont des produits d'appel pour développer de nouvelles infrastructures et justifier un investissement. Toutefois, la valeur n'est plus seulement dans les services ; elle s'est largement déportée vers les terminaux et les réseaux. Que pouvons-nous faire pour que les acteurs économiques concernés contribuent à l'investissement dans les oeuvres dont ils bénéficient ? C'est une question qu'on ne peut éluder. Il existe en outre des systèmes technologiquement fermés que l'on ne peut interdire mais dont on doit faire en sorte qu'ils bénéficient aux contenus. C'est un sujet délicat sur lequel il importerait également de se pencher pour trouver des solutions.
Débat avec la salle
Mme Catherine MORIN-DESAILLY, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »
La parole est à la salle...
M. Olivier ESPER, directeur des relations institutionnelles de Google France
Comment se présente Google TV, que M. Gabla a évoqué ? L'idée est de mettre un navigateur dans la télévision, de la même manière que l'Internet mobile a réellement pris son essor avec l'arrivée de l'iPhone et du système d'exploitation Androïd, qui consiste à mettre un navigateur permettant d'accéder à tout l'Internet depuis son téléphone. C'est un facteur d'ouverture qui va permettre à la télévision connectée de se développer.
On retrouve là les enjeux d'Internet : il faut une offre riche pour qu'elle soit la plus présente possible sur les téléviseurs connectés.
Quant à la neutralité des moteurs de recherche, elle ne se situe pas dans le même monde que la neutralité des réseaux. Changer de moteur de recherche ne demande pas la même démarche que changer de fournisseur d'accès.
Il ne s'agit pas non plus du même métier. Tirer au sort le classement des résultats est difficilement envisageable. En revanche, l'exhaustivité est bien l'objectif des moteurs de recherche : il s'agit d'indexer la plus grande partie du web pour fournir les résultats les plus pertinents.
Nous sommes dans un monde qui évolue vite ; aujourd'hui, les moteurs de recherche sont des algorithmes mais, avec l'Internet mobile, l'internaute accède aux contenus directement à travers des places de marché d'application. Quant à l'Internet social, on recourt de plus en plus aux recommandations de ses « amis ».
Comme sur Internet, il faut que les acteurs français soient proactifs et proposent l'Internet via le téléviseur, de la même manière qu'on le propose via l'ordinateur ou le téléphone.
M. Bruno RETAILLEAU, vice-président des groupes d'études « Médias et nouvelles technologies » et « Postes et télécommunications »
N'y a-t-il pas une bonne et une mauvaise télévision connectée ? La bonne intégrerait, sui generis , un navigateur qui permettrait de rechercher les contenus que l'on souhaite et la moins bonne serait un système fermé, avec un univers verrouillé. J'ai conscience du caractère polémique de ma question...
M. Emmanuel GABLA, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel
Il existe en effet deux sortes de téléviseurs connectés. Jusqu'à présent, on parlait beaucoup de ceux que vous avez cités en second. L'apparition de Google TV ouvre le jeu et donne complètement accès à l'Internet. Ceux que vous qualifiez de mauvais modèles organisent certes des centres d'exclusivité ou des silos mais garantissent aussi un certain financement des contenus. Le modèle de Google TV risque fort d'emporter la mise mais comment assure-t-on un mécanisme de financement ?
Nous sommes favorables à une contribution des éditeurs de SMAD pour financer la création. Il faut laisser le temps à ces acteurs de se développer de façon que les parts de marché ne soient pas totalement grignotées par des opérateurs étrangers qui ne financent pas la création. L'objectif est bien de mettre en place des mécanismes qui fassent que ces nouveaux fournisseurs de contenus contribuent au financement de la création en France et en Europe. Il va donc falloir réfléchir à la façon de faire contribuer les acteurs. Qui doivent-ils être ? Les éditeurs de télévision, les distributeurs ou faut-il descendre dans la chaîne de valeur pour s'appuyer sur celui qui reste sur notre territoire ? C'est une question que l'on devra se poser...
M. Arnaud BRUNET, directeur des relations extérieures et des affaires juridiques de Sony France
J'avais plutôt compris que la mauvaise télévision était ouverte et que la bonne offrait un contenu référencé, choisi, la création étant finalement rémunérée grâce au contenu financé soit par la publicité, soit par la VOD.
Je pense que tout ceci est faux car on va offrir un continuum entre la télévision historique, broadcastée, le flux et le monde de l'Internet, avec des solutions progressives et variées. Il s'agira alors plutôt d'un monde d'opportunité pour tout le monde !
M. Frédéric GOLDSMITH, délégué général de l'Association des producteurs de cinéma (APC)
Je ne crois pas que nous ayons été, pour ce qui nous concerne, contre le principe de montée en charge qui existe dans la régulation audiovisuelle. Ce qui nous choque, c'est le cumul avec le fait de prévoir un seuil de 10 millions d'euros d'exonération totale de régulation ! Un dispositif de montée en charge vaut pour tout le monde ! Pourquoi un seuil en-deçà duquel les gens ne subissent aucune forme de régulation ?
Cela amène les acteurs à se différencier vers le bas et c'est par ailleurs assez troublant pour les acteurs étrangers. Je pense que c'est contreproductif. Le principe de montée en charge a déjà été expérimenté mais la régulation s'applique à tout le monde.
M. Stéphane LARCHER (Cités numériques)
Ne conviendrait-il pas d'évoquer à nouveau la licence globale pour assurer le financement de la création et la rémunération des auteurs ?
M. Alain LE DIBERDER, conseiller « Création interactive » au conseil d'administration de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)
Notre propos est ici de rappeler les principes : contribution au financement, respect des réglementations et attachement des auteurs au développement d'Internet sous toutes ses formes et notamment sous l'angle de la formation de la demande - sujet très peu traité mais essentiel pour nous.
La licence globale n'est qu'un moyen qui a été contesté dans son efficacité. Si cette proposition comporte un élément positif - le fait de contribuer à la création - un autre élément nous paraît moins bon : le fait de savoir qui décide.
La liberté de proposer son oeuvre de manière payante ou non doit être laissée à l'ensemble de ceux qui concourent à la création. Cela nous semble un principe de philosophie politique. L'inconvénient de la licence globale est de retirer cette possibilité.
Je ne me prononcerai pas sur l'efficacité financière mais c'est un moyen qui nous semble mauvais sur le plan de la philosophie politique, car il prive les détenteurs de la propriété intellectuelle d'un droit fondamental.
Mme Catherine MORIN-DESAILLY, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »
La question avait fait beaucoup débat au moment de la loi DADVSI 1 ( * ) , il y a quelques années.
On voit qu'avec l'arrivée des téléviseurs connectés, de nouveaux formats sont plus que jamais nécessaires. Les réalisateurs, les producteurs et les auteurs en sont-ils conscients, en amont et en aval des programmes habituels ?
M. Emmanuel GABLA, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel
Il n'est pas impossible qu'un certain nombre de contenus actuellement diffusés sur nos chaînes de télévision et qui ne proviennent pas forcément de notre territoire soient demain proposés directement aux consommateurs ; les studios américains peuvent très bien décider de faire un jour chez nous ce qu'ils ont fait pour les séries de télévision avec Hulu ou de créer une plateforme de VàD qui proposerait l'ensemble de leurs films.
Les chaînes doivent donc essayer d'avoir leur contenu propre et de créer avec les producteurs et les réalisateurs français des contenus spécifiques, comme Canal Plus l'a fait avec « Maison Close » ou « Braquo ».
Le CSA a mené il y a peu, sous la houlette de Michel Reiser, une étude sur la fiction. Contrairement à d'autres pays, notre pays plébiscite la fiction américaine dans les dix premières audiences alors qu'au Royaume-Uni, il s'agit de séries britanniques, en Allemagne de séries allemandes et en Italie de séries italiennes.
Il y a donc un vrai travail à mener avec les auteurs ; le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) en a conscience et travaille de plus en plus sur ces ateliers d'écriture afin de les financer. Il est également nécessaire de refonder nos contenus français et de faire en sorte qu'ils soient vus par les téléspectateurs. C'est une réflexion commune aux auteurs, réalisateurs, producteurs, CNC, CSA. Il va falloir que la télévision s'adapte sous peine d'aboutir à une éviction totale des chaînes françaises qui, en France, font vivre le cinéma et la fiction.
M. Pierre LOUETTE, secrétaire général d'Orange
La neutralité de l'Internet se caractérisera de plus en plus par la loi de la demande. La compétition sera de plus en plus largement ouverte.
L'enquête dont il est fait ici mention est extrêmement intéressante : on a un système de production bien financé et ces productions sont les plus regardées !
Après bien des déboires, le cinéma italien est réapparu et le cinéma allemand, qui n'a jamais vraiment été aidé, s'est révélé assez vivant ces dernières années. La profusion des subventions ne conduit donc pas à elle seule à la qualité.
M. Alain LE DIBERDER, conseiller « Création interactive » au conseil d'administration de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)
Il convient de distinguer au moins deux formes de télévision. Les programmes premium - exclusivités sportives, films de cinéma, grandes séries de fiction et documentaires d'événements - ont une économie assez particulière et fragile car il s'agit de produits coûteux. Par nature, ils sont financés par le régime de l'exclusivité. La défense de l'originalité, les enjeux culturels, industriels et réglementaires de cet univers sont différents des autres.
Les autres, ce sont de petites émissions de services, des rediffusions. Les acteurs ne sont pas les mêmes. On a globalisé les choses à plusieurs reprises, le dernier grand moment durant lequel on a réfléchi à la régulation à la télévision remontant aux années 1980, à la loi Lang de 1985 et à la loi « communication et liberté » de 1986. Cette réflexion sur la télévision a pris un peu de retard. Il était alors légitime de considérer l'audiovisuel comme un tout. Il faut peut être y introduire davantage de subtilité.
La télévision de services - météo, circulation, formation, etc. - n'est pas menacée par les offres étrangères. En revanche, la télévision des oeuvres premium est confrontée à un marché mondial et se révèle plus importante pour la vitalité du tissu créatif français. Prendre en compte ces deux univers qui obéissent à des lois différentes serait un grand progrès.
M. Pierre LOUETTE, secrétaire général d'Orange
Le consommateur raisonne en termes de navigation et va pouvoir de plus en plus basculer, avec la même télécommande, d'un service de VOD à un service de télévision payante par Internet. Cette navigation est encore une fois une invitation pour le législateur à être particulièrement créatif et subtil puisqu'il va falloir gérer une forme de décloisonnement juridique dans des univers qui font pour l'instant l'objet de champs de réglementation et de législation très séparés.
Je sais que vous êtes à même de relever les défis les plus complexes ; c'est pourquoi je vous lance cette invitation !
M. Bruno RETAILLEAU, vice-président des groupes d'études « Médias et nouvelles technologies » et « Postes et télécommunications »
Imaginez-vous la fusion des régulateurs ? ( Rires ).
M. Pierre LOUETTE, secrétaire général d'Orange
Je n'esquiverai pas la question : on a beaucoup procédé par adjonctions successives d'autorités indépendantes et de régulateurs. Face à la fusion des services, il faudra réfléchir à une fusion des entités. Cela ne me paraît pas aberrant. Il n'existe pas d'autorité qui ne porte pas sa fin en elle. On peut imaginer les redécouper autrement - mais il ne m'appartient pas de le dire.
M. Emmanuel GABLA, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel
Une série quelque peu violente ne doit pas être diffusée avant 22 heures 30 et il faut y adjoindre un pictogramme. Avec la télévision connectée, vous pouvez voir le même contenu à n'importe quel moment et sans aucune protection pour les mineurs ! Le législateur va devoir se pencher sur la question...
Mme Catherine MORIN-DESAILLY, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »
Le Sénat avait émis l'hypothèse d'un CSA de l'Internet ; on en est encore loin mais c'est une préoccupation.
M. Claude KIRCHNER, délégué général à la recherche et au transfert pour l'innovation à l'Institut national de recherche en informatique et automatique (INRIA)
Vous avez présenté le téléviseur connecté comme une nouveauté technologique. Il s'agit plutôt d'un ordinateur avec une télécommande élaborée ! Le problème est un peu biaisé car il ne s'agit pas uniquement de télévision.
Par ailleurs, Internet présente des contenus bien plus divers que les contenus artistiques : comment en assurer la neutralité ? C'est une question qui déborde largement ce qui a été abordé.
Enfin, la localité de l'information n'étant plus assurée, faut-il s'assurer de la non-neutralité du réseau, de façon à pouvoir garantir une certaine neutralité de contenu ? Comment positionner les choses d'un point de vue international ?
M. Frédéric GOLDSMITH, délégué général de l'Association des producteurs de cinéma (APC)
Dans l'état de notre corpus institutionnel, la régulation est territoriale ainsi que les droits. Chacun souhaite une régulation européenne harmonisée - voire mondiale - mais il s'avère que nos garanties constitutionnelles et démocratiques sont en grande partie territoriales ; d'ailleurs, l'économie spécifique de nos industries culturelles est territoriale et un décret anti-contournement est en cours de publication ; il vise les services étrangers qui s'adressent au public français.
La notion de grande licence paneuropéenne est totalement dévastatrice pour le tissu de production local car on a besoin d'acteurs locaux pour financer les millions d'euros que coûte une oeuvre cinématographique. Un budget moyen de film s'élève à 5 millions d'euros. Il faut donc raisonner dans cette perspective internationale en tenant compte de la régulation.
Il existe également des standards de marché : quelqu'un qui s'intéresse au marché français doit s'y impliquer pour conquérir réellement les consommateurs. C'est là un subtil équilibre entre la régulation, les autorités de régulation et les professionnels.
* 1 Loi DADVSI n° 2006-961 du 1 er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.