B. LA MULTIPLICITÉ DES SECTEURS

Les normes, on le sait, n'épargnent aucun des domaines d'intervention des collectivités territoriales. C'est notamment pour essayer d'identifier les matières sur lesquelles mettre l'accent en priorité qu'ont été consultées les associations d'élus (à l'initiative du Premier ministre) et les commissions permanentes du Sénat directement concernées (à l'initiative de M. le Président Gérard LARCHER).

1. Des secteurs multiples mentionnés par les associations d'élus...
a) Les secteurs pointés par l'Association des Maires de France

L'AMF cite en premier lieu les normes relatives à l'accessibilité des bâtiments par les personnes en situation de handicap, tout en précisant que ses adhérents n'en remettent pas en cause le bien-fondé. Elle souhaite seulement que l'État prenne la mesure des « efforts financiers considérables » qui leur sont ainsi imposés et qui pourraient nécessiter une aide de sa part à certaines communes.

L'AMF cite également, sans entrer dans le détail, les normes de sécurité relatives aux bâtiments et celles prises dans les secteurs de l'environnement, de l'enfance et de l'urbanisme. Elle ajoute cependant que « là encore, partout où les normes sont prévues pour le bien et la sécurité des personnes, leur légitimité n'est pas mise en cause » .

En définitive, les doléances de l'AMF se concentrent sur « un sujet majeur de mécontentement des maires et présidents d'EPCI » : les prescriptions édictées par les fédérations sportives.

b) Les secteurs pointés par l'Association des Départements de France

L'ADF dresse une liste, qualifiée de non exhaustive, de quatre secteurs :

- le secteur social et médico-social ;

- la sécurité civile, à propos de laquelle l'ADF dénonce les « conséquences financières particulièrement onéreuses » des textes de nature statutaire, ou relatifs aux équipements et matériels ou à l'organisation interne des services départementaux d'incendie et de secours ;

- les installations et équipements sportifs, régis par des normes imposées par les fédérations ;

- les établissements accueillant du public, à propos desquels les normes ne se révèlent pas seulement coûteuses du fait des dispositifs d'accessibilité. L'ADF cite aussi la fréquence des contrôles techniques des installations ainsi que les coûts indirects résultant, par exemple des changements de programmes pédagogiques.

c) Les secteurs pointés par l'Association des Régions de France

L'ARF insiste tout particulièrement sur le secteur des transports (mise en accessibilité des quais de gare, suppression des passages à niveaux, procédures d'homologation des matériels roulants entre pays frontaliers...).

Le second point qu'elle développe concerne la formation. Elle mentionne la mise en accessibilité des établissements de formation. Elle s'arrête plus longuement sur les coûts indirects générés en la matière par :

- les normes relatives aux référentiels de formation, qu'elles concernent le contenu (un changement de programme du baccalauréat professionnel, par exemple, peut nécessiter l'achat de nouveaux matériaux et la construction d'ateliers) ou la durée ;

- les modifications du statut financier des étudiants (régimes des bourses étudiantes, rémunération des stagiaires...).

2. ...qui ne coïncident pas entièrement avec ceux pointés par les commissions du Sénat
a) La contribution de la commission des Lois

Le Président de la commission des Lois identifie trois pistes sur lesquels il conviendrait de mettre l'accent :

(1) Le droit des sols

Sur ce point, la commission dénonce « une sédimentation contraire à la lisibilité de la loi » . Sa contribution sur les normes en la matière peut se résumer en trois mots : pléthoriques, incohérentes et complexes.

- pléthoriques : la commission des Lois juge trop nombreux les types de documents d'urbanisme (directives territoriales d'aménagement, SCOT, PLU, POS, cartes communales, servitudes d'utilité publique diverses...) ;

- incohérentes : la commission soulève la question de l'articulation entre eux de documents qui peuvent se multiplier sur un même périmètre : PLU ou POS ou cartes communales qui doivent parfois être combinés avec des plans de prévention des risques contenant des prescriptions relevant de ces documents (notamment des règles de constructibilité) ;

- complexes : la commission cite d'abord l'exemple de la préemption, dont elle dénombre au moins sept dispositifs différents ; elle mentionne également les règles de délivrance des autorisations d'urbanisme, soulignant que chaque type (permis de construire, permis d'aménager, déclaration de travaux...) répond à des règles spécifiques.

(2) La protection civile

Sur ce point, la commission des Lois en appelle à un examen du stock des spécifications techniques des matériels et des équipements. Elle souligne par ailleurs la difficulté pour un SDIS de respecter l'obligation d'emploi de 6 % de travailleurs handicapés.

(3) L'outre-mer

Le droit ultra-marin se caractérise par « un ordonnancement complexe » à plusieurs titres.

D'abord, la simple identification de la norme en vigueur peut être difficile. Les DOM, par exemple, dont le régime est pourtant moins complexe que celui des autres collectivités d'outre-mer (COM), ne savent pas si, lorsqu'existe une norme antérieure à la départementalisation (1946), c'est cette norme ou le droit commun qui s'applique.

Ensuite, de nombreux textes ne sont rendus applicables aux COM qu'avec retard « parce que, parallèlement à leur élaboration, l'extension de ces normes à l'outre-mer n'a pas été déterminée » .

Le droit applicable en outre-mer est parfois obsolète, à l'image du statut des communes en Nouvelle-Calédonie. Il est souvent complexe, du fait notamment d'une imbrication des compétences et des responsabilités, sans parler des difficultés d'application et d'adaptation du droit communautaire dans les COM concernées.

b) La contribution de la commission des Finances

Se référant au dernier rapport annuel de la CCEN (2009), la commission des Finances souligne que les coûts les plus significatifs ont résulté, en 2009, des normes relevant de trois ministères :

- fonction publique (330,6 millions d'euros de coût pour les collectivités territoriales) ;

- secrétariat d'État au logement (87 millions, du fait notamment des règles d'urbanisme) ;

- l'écologie (37 millions).

La contribution de la commission des Finances comprend une double analyse.

Tout d'abord, une analyse par prescripteur, puisque, en citant les normes issues des fédérations sportives, des collectivités territoriales elles-mêmes et de l'Union européenne, elle met en avant le fait que l'État (Parlement ou Exécutif), n'est pas l'unique responsable de l'inflation normative.

Ensuite, la commission des Finances se livre à une analyse par secteur. Elle mentionne cinq domaines dans lesquels les normes se révèlent particulièrement coûteuses pour les collectivités :

- les SDIS, avec la tendance du ministère de l'Intérieur à édicter des normes sans impact pour son propre budget mais grevant les finances locales (à l'image de la récente décision d'exiger que chaque SDIS dispose désormais d'un pharmacien pompier professionnel, ce qui entraîne un surcoût par rapport au recours au volontariat) ;

- l'accessibilité. Sans remettre en cause le principe de normes en ce domaine, la commission indique que certaines d'entre elles semblent appliquées avec une rigidité excessive. Elle s'interroge ainsi, à titre d'exemple, sur l'obligation à laquelle a dû faire face une petite commune de prévoir un ascenseur pour accéder à la cabine du projectionniste de sa salle de cinéma, au cas où le poste serait occupé par une personne handicapée ; elle cite également le cas d'un maire d'une autre petite commune qui a dû en faire élargir les trottoirs au cas, hautement improbable, où deux fauteuils roulants seraient appelés à se croiser ;

- les normes de sécurité, notamment dans le domaine de l'aménagement urbain : au nom de la lutte contre les incendies dans les zones rurales, l'obtention d'un permis est soumis au respect d'un diamètre minimal pour les conduites d'eau... dont les pompiers, qui disposent de leur propres citernes, n'ont en pratique pas besoin. Des normes drastiques et d'un intérêt « très limité » s'appliquent aux surveillances de nuit dans les maisons de retraite, avec un impact sur le coût des prestations offertes aux pensionnaires âgés. Les taux d'encadrement des élèves exigés pour les heures de piscine ou pour les activités périscolaires sont parfois modifiés sans prise en compte des conséquences pratiques qui peuvent en résulter pour les collectivités, alors même que l'apport des modifications décidées au regard de la sécurité reste à démontrer (comme le montre l'exemple précité porté par Mme DES ESGAULX a la connaissance de la commission des Finances) ;

- la règlementation des travaux publics, parfois excessivement stricte, à l'instar de l'obligation déjà mentionnée de prévoir systématiquement une barque en cas de chantiers portant sur des ponts ;

- les plans d'urbanisme, en particulier en ce qui concerne les règles de publicité. La commission des Finances évoque ainsi la possibilité de voir un PLU annulé pour le motif « futile » selon lequel il n'aurait fait l'objet que d'un affichage en mairie au lieu de trois affichages successifs exigés par les règles en vigueur.

c) La contribution de la commission des Affaires sociales

La contribution de la commission des Affaires sociales porte sur deux secteurs :

(1) La politique du handicap

La commission rappelle d'abord le non respect par l'État de ses engagements à propos des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Elle souligne que la proposition de loi de M. Paul BLANC, adoptée par le Sénat le 25 octobre dernier, et qui apporterait des réponses à ces difficultés, est toujours en attente d'examen à l'Assemblée nationale ; elle regrette au passage la suppression au Sénat, contre l'avis du rapporteur, de la disposition prévoyant d'exonérer les MDPH du paiement de la taxe sur les salaires.

La commission des Affaires sociales met ensuite l'accent sur :

- le droit à scolarisation des enfants handicapés, soulignant les efforts d'aménagements réalisés par les communes (pour les écoles maternelles) et départements (pour les collèges) et espérant que l'échéance de 2015 sera tenue ;

- l'obligation d'emploi de 6 % de travailleurs handicapés, applicable aux collectivités territoriales depuis 2005. La commission souligne leur « réelle implication » , mais suggère un assouplissement des obligations de recrutement pour certaines « professions exigeant des conditions d'aptitude particulières » , en l'occurrence les pompiers (via, propose-t-elle, une disposition neutralisant les effectifs opérationnels des SDIS dans le décompte de l'obligation d'emploi) et les assistantes maternelles (dont l'agrément est conditionné à leur état de santé physique) ;

- l'accessibilité des bâtiments, moins problématique pour les nouveaux bâtiments que pour ceux qui existent déjà. La commission estime que les attentes des personnes handicapées sont légitimes, mais en appelle à la cohérence des normes en la matière : ainsi, il convient de veiller à ce que l'extension d'un bâtiment n'oblige pas à démolir le bâtiment initial au motif que, pour celui-ci, ont été édictées des normes d'accessibilité sur la largeur des couloirs différentes (parfois de quelques centimètres) de celles qui prévalaient à l'origine.

(2) La politique de la petite enfance

A propos des crèches, tout d'abord, la commission des Affaires sociales constate un certain zèle des services de PMI des départements et propose que les communes soient informées du fait que, depuis la loi portant création des maisons d'assistantes maternelles du 9 juin 2010, les PMI ne peuvent plus rendre les normes nationales plus contraignantes.

A propos des maisons d'assistantes maternelles, la commission souligne qu'il s'agit, dans l'immense majorité des cas, de petites structures montées par les assistantes maternelles elles-mêmes. Le coût de l'application des normes d'accessibilité à ces établissements peut rendre le projet impossible, car trop onéreux. Dans les communes qui ne peuvent elles-mêmes financer des crèches, il en résulte que les familles se retrouvent sans solution de garde (solution d'autant plus absurde qu'il n'y a parfois aucun parent, voire aucune personne à mobilité réduite dans la commune). La commission suggère donc que les maisons d'assistantes maternelles soient considérées non pas comme des établissements recevant du public, mais comme des prolongements des domiciles des assistantes maternelles.

d) La contribution de la commission de l'Économie

Pour la commission de l'Économie, ce sont plus particulièrement trois secteurs qui comportent des normes « lourdes et exigeantes financièrement » pour les collectivités :

(1) La construction

La commission se réfère sur ce point à la note de l'AMF dans ses observations sur l'accessibilité des bâtiments par les personnes en situation de handicap (cf. supra). Elle rappelle que le coût de travaux de mise en accessibilité se chiffrerait, selon Dexia, à 15 milliards d'euros.

Elle cite également les contraintes résultant des normes liées à l'environnement (haute qualité environnementale, bâtiments basse consommation) ou à la sécurité (électricité, gaz...).

(2) L'urbanisme

Comme la commission des Lois, la commission de l'Économie appelle de ses voeux une simplification des documents d'urbanisme et de l'instruction des permis de construire. Elle cite en outre la mise en oeuvre de la loi montagne et de la loi littoral.

La commission indique cependant que, sur ces points, des améliorations peuvent être attendues après que, d'une part, le Grenelle II a habilité le Gouvernement à apporter des simplifications en matière d'urbanisme et, d'autre part, le secrétaire d'État au logement a mis en place des groupes de travail dont les conclusions sont attendues pour mars prochain.

(3) L'environnement

Se référant à une enquête de l'AMF, la commission considère que devraient prioritairement être examinés les domaines suivants :

- l'assainissement non collectif (élaboration du zonage, incidences financières et techniques des normes en matière d'équipement, visites diagnostic des installations) et collectif (conséquences de la loi sur l'eau sur les réseaux existants) ;

- les normes de qualité de l'eau potable ;

- la création de réserves d'eau (lutte contre les incendies et alimentation du bétail) ;

- les inventaires des zones humides et la gestion des pistes et sentiers forestiers.

La commission appelle également de ses voeux une « réduction des contraintes qui freinent, voire qui bloquent, la réalisation des projets » , en allégeant le « parcours du combattant » des porteurs de projets : la multiplicité des études, des consultations et enquêtes publiques.

e) La contribution de la commission de la Culture

La commission de la Culture insiste tout particulièrement sur les normes décidées par les fédérations et les ligues sportives.

Le débat auquel elle a procédé dans la perspective de sa contribution a cependant mis en avant d'autres sources de préoccupation telles que celle, déjà mentionnée, relative à l'encadrement des élèves lors des séances de piscine. Notre collègue Françoise CARTRON a jugé cette activité mise en péril par la récente publication d'un décret qui, en renforçant les exigences en la matière, lui semble devoir conduire à un nombre insuffisant d'adultes formés à cette fin. Pour sa part, M. Jean-Pierre LELEUX s'est inquiété des changements, quasiment chaque année, des normes applicables aux jeux d'enfants.

Pour sa part, M. Pierre MARTIN a apporté un témoignage soulignant que, au-delà des prescriptions de fond, c'est également la manière dont elles sont mises en oeuvre qui peut parfois être difficile à supporter pour une collectivité territoriale : le fait que des commissions de sécurité demandent la modification d'équipements installés trois ans auparavant, le fait qu'il ait pu être nécessaire de faire appel à un bureau de contrôle (avec les coûts que cela implique) pour obtenir un certificat de conformité aux normes d'une installation...

Conclusion sur les contributions des commissions :

Quatre commissions citent directement ou indirectement (via les problèmes que cela pose pour les SDIS) les normes relatives à l'accessibilité, tout en reconnaissant leur nécessité sur le fond.

Sont mentionnées par au moins trois commissions les normes concernant les SDIS et l'urbanisme.

L'environnement, le sport et les règles de sécurité constituent également un champ d'inquiétude, implicite ou exprès, pour les commissions.

Dans une contribution écrite personnelle accompagnant celle de la commission de la Culture, M. Jean-François VOGUET s'est inquiété de l'éventuelle mise en place d'une « règlementation low-cost », estimant notamment inconcevable de remettre en cause des normes de sécurité, d'hygiène ou de santé publique. Tel n'est pas, loin de là, l'objectif de votre Délégation qui partage le point de vue de notre collègue sur l'importance d'une règlementation en ces domaines (et en d'autres) ; ses observations, qui montrent la pertinence de certaines normes, mettent ainsi le doigt sur une troisième série de difficultés, qu'il convient à présent d'aborder.

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