D. LE LEURRE D'UNE TRANSITION VERS UNE ÉCONOMIE DE SERVICES
1. La disparition de l'industrie n'est pas inexorable
a) L'indéniable montée en puissance d'une économie de services
La croissance de l'économie de services au détriment de l'économie industrielle prend plusieurs formes.
D'une part, le secteur des services a développé de nouvelles activités , dans lesquelles la France a su valoriser ses atouts naturels ou construire des champions mondiaux : c'est notamment le cas du tourisme ou des travaux publics.
D'autre part, les entreprises externalisent des opérations traditionnellement exercées en interne . Comme on l'a vu précédemment, ces emplois et cette production ne devraient pas être compris dans la mesure de la désindustrialisation, car ils concernent des activités peu susceptibles de délocalisation. Le phénomène d'externalisation correspond toutefois à une volonté de flexibilité des entreprises et peut avoir pour effet, notamment dans le secteur de l'entretien, d'accroître la précarité des emplois.
Enfin, les services constituent une part croissante de la création de valeur au sein même des produits industriels . M. Xavier Timbeau, directeur du département « Analyse et prévision » de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), lors de son audition devant la mission, a pris l'exemple du téléphone portable dont le prix de vente est cinq fois supérieur au coût de production.
b) Les contre-exemples européens
Si les États-Unis ont fait le choix de l'économie de services et de l'innovation technologique, laissant au reste du monde la production, l'Europe demeure une société largement industrielle 26 ( * ) . Les produits européens, s'ils reposent moins que les produits américains sur des innovations de rupture, parviennent à conserver une image de qualité largement reconnue. L'Europe n'est donc pas devenue une société de services et rien n'indique qu'elle ait intérêt à le devenir.
Ainsi certains pays, tels que l'Allemagne ou l'Italie, parviennent-ils à préserver la place de l'industrie dans leur économie, selon des modalités variées. L'industrie représente environ 25 % de la valeur ajoutée en Allemagne et 21 % en Italie, contre moins de 14 % en France 27 ( * ) .
Comme l'a dit le commissaire européen M. Antonio Tajani à Paris le 6 janvier 2011 : « la désindustrialisation ne peut être une option pour l'avenir - ni en Europe, ni ailleurs dans le monde. Les services ne peuvent être un substitut à l'industrie, mais doivent être considérés comme complémentaires à celle-ci » 28 ( * ) .
2. L'industrie est à l'origine de la création de nombreux emplois dans le secteur tertiaire
La notion de société de service est particulièrement inappropriée au cas français dans la mesure où de nombreux emplois de service dépendent en fait de la présence d'acteurs industriels.
Le développement important des services aux entreprises, qui représentent 17 % du PIB, ne peut se concevoir, dans le cas des entreprises industrielles, sans la proximité géographique avec les unités de production.
De manière plus générale, l'industrie est fortement consommatrice de services, ce qui lui donne un rôle majeur de développement des territoires : construction de bâtiments et d'infrastructures, nettoyage, services aux personnes pour les salariés...
3. La contribution essentielle du secteur de l'industrie à la croissance
a) Par le commerce extérieur
Dans les années 1990, la contribution des exportations à la croissance a parfois atteint ou dépassé trois points du PIB. Elle était, au cours de ces années-là, supérieure à celle de la consommation des ménages ou de l'investissement. Cela n'a plus été le cas à partir de 2000, les importations augmentant plus vite que les exportations et la croissance se trouvant depuis lors ralentie par le déficit de notre commerce extérieur.
Or l'industrie joue un rôle fondamental dans l'équilibre de nos échanges extérieurs, puisque les biens manufacturés (hors énergie et industries agro-alimentaires) représentent, à eux seuls, près des deux tiers (64 % en 2009) de nos exportations et de nos importations (63,2 %).
Cette proportion était de l'ordre de 80 % en 2000.
b) Par les investissements
Par ailleurs, la contribution de l'industrie à la croissance s'apprécie en fonction des résultats non seulement de notre commerce extérieur mais aussi de ceux que traduit l'évolution des investissements dans notre pays.
Depuis la fin des grands programmes énergétiques des années 80 (construction des centrales nucléaires et équipement en réserves de transport d'électricité), la part de l'industrie dans l'investissement national total a certes baissé (elle n'est plus que d'environ 20 %), mais elle bénéficie des investissements réalisés en vérité pour son compte par les entreprises de la branche des services marchands 29 ( * ) .
c) Des effets induits sur l'activité des autres branches
Selon l'INSEE, l'industrie est la principale utilisatrice de consommations intermédiaires fournies par les autres branches d'activité. Elle consomme ainsi plus de 40 % de l'ensemble des biens et services et près du quart des services marchands.
En définitive, le déclin économique de l'industrie s'explique donc, pour une part notable, par une prise en charge de certaines de ces activités traditionnelles (nettoyage et gardiennage des locaux...) et nouvelles (utilisation de l'informatique...), par le secteur des services avec les effets statistiques qui en résultent.
D'autre part, le phénomène de désindustrialisation est relatif : l'industrie, sauf en temps de crise, continue de créer de la valeur même si sa part dans la valeur ajoutée totale diminue (sans compter ses effets induits sur l'activité des autres secteurs).
Enfin, l'industrie est, dans une large mesure, pour ainsi dire victime de ses performances et de ses succès puisque ce sont ses gains de productivité et les baisses des prix relatifs des produits industriels en résultant qui provoquent une déformation, à son détriment et au profit de la consommation de services, de la structure et la demande intérieure.
* 26 Voir Lionel Fontagné, Quelle spécialisation optimale pour la France ?, Esprit, juin 2007.
* 27 Données Eurostat, 2008 Valeur ajoutée brute de l'industrie, y compris l'énergie, en pourcentage de l'ensemble des branches.
* 28 Intervention de M. Antonio Tajani vice-président de la Commission européenne, commissaire à l'industrie et à l'entreprenariat, au symposium « Nouveau Monde, Nouveau Capitalisme », Paris, 6 janvier 2011.
* 29 Plus des deux tiers (67,1 % en 2006) des investissements des entreprises françaises concernent des services marchands et 25 %, plus particulièrement ceux qui sont rendus à l'industrie.