Audition de MM. Erick
Roser,
doyen de l'inspection générale de l'éducation
nationale (IGEN),
et Thierry Bossard, inspecteur
général,
chef du service de l'inspection
générale de l'administration
de l'éducation nationale
et de la recherche (IGAENR),
ministère de l'éducation
nationale, de la jeunesse et de la vie associative
(1 er mars 2011)
M. Thierry Bossard, inspecteur général, chef du service de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) au ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative .- Le sujet de vos travaux qui concerne l'évolution du système éducatif, notamment dans sa dimension territoriale, met en avant le nécessaire renforcement de la collaboration entre les pratiques pédagogiques et les pratiques administratives. Dans cette perspective, j'aimerais, à titre liminaire, rappeler l'évolution récente de la répartition des compétences : d'une part, les établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) bénéficient de plus d'autonomie, et d'autre part, les échelons déconcentrés, notamment les rectorats, ont de plus en plus de responsabilités.
S'agissant des établissements scolaires, l'accroissement de leur autonomie s'est notamment traduit par l'augmentation de leurs responsabilités pédagogiques : la mise en place de l'accompagnement éducatif, ou de l'aide personnalisée, a été ainsi conduite par les établissements qui ont également une plus grande marge de manoeuvre dans l'organisation des cours. Je rappelle que dans le cadre de la réforme du lycée, dix heures d'enseignement peuvent être réparties librement par les établissements. Les nouvelles marges d'autonomie ne sont pas ainsi seulement centrées sur des actions périphériques mais aussi sur des actions centrales. En matière de gestion, une évolution s'est également produite puisque les établissements sont désormais responsables du recrutement des assistants d'éducation, de la ventilation des heures supplémentaires et, en partie, de l'organisation de la formation des maîtres via les stages d'accueil.
S'agissant de l'échelon académique, on observe une montée en puissance qui témoigne du resserrement du champ d'action de l'administration centrale, essentiellement chargée de répartir les moyens entre les académies. Le recteur a désormais un rôle crucial dans la conduite du système scolaire. La relation recteur-inspecteur d'académie a sensiblement évolué et le rectorat détient dorénavant une place importante dans la formation des personnels enseignant mais aussi des cadres administratifs. En outre, il convient de souligner la responsabilité de l'académie dans le pilotage des ressources, puisqu'elle procède à la définition des dotations horaires attribuées à chaque établissement et développe des outils contractuels grâce à son réseau d'inspecteurs d'académie.
Le rapprochement des préoccupations pédagogiques et de gestion est en cours, comme en témoigne le schéma d'emplois pour l'année scolaire 2010-2011. Toutefois, il s'agit encore d'une phase de transition que souligne la persistance d'une logique de déclinaison nationale. La question est alors de savoir si les rectorats restent de simples lieux d'application locale de schémas nationaux ou si les politiques académiques définissent, par agrégation, un schéma national, comme cela pourrait être le cas en matière de formation des enseignants.
En ce qui concerne l'expérimentation, deux champs doivent être distingués : les expérimentations d'idée conçues au niveau national et les expérimentations résultant d'initiatives locales. Sur ce dernier point, l'accroissement des compétences des académies ne peut être que le corollaire d'une plus grande autonomie des établissements : la revalorisation de l'échelon académique ne peut se justifier que par la nécessité de renforcer l'établissement en tant que tel.
M. Erick Roser, doyen de l'inspection générale de l'éducation nationale (IGEN) ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative .- Dans le prolongement de l'introduction faite par mon collègue, je souhaiterais insister sur l'élargissement de l'espace d'initiative pédagogique. Le caractère contraignant du cadre pédagogique est aujourd'hui moindre. Cette structure éducative qui a été pensée nationalement dans les moindres détails est aujourd'hui sensiblement assouplie. L'affirmation des marges d'autonomie a conduit les corps d'inspection à changer de posture : ils ont désormais moins un rôle de préconisation qu'un rôle de conseil, de régulation et d'accompagnement.
Pour ce qui est des expérimentations dites nationales, il convient de souligner la professionnalisation du ministère dans ce domaine. Prenons l'exemple de l'expérimentation impulsée par le pouvoir central s'agissant de l'enseignement intégré de sciences et de technologie au collège. Afin de promouvoir une certaine transdisciplinarité et d'assurer la cohérence des enseignements, trois disciplines scientifiques sont préparées collectivement par trois enseignants mais seul l'un d'entre eux dispense le cours devant une classe. La mise en place de cette opération a bénéficié de l'expertise de l'inspection générale et de l'Académie des sciences. Elle est évaluée par la direction de l'évaluation et de la prospective. Le rôle de l'inspection générale, notamment eu égard à la question de l'extension ou non de cette expérimentation, réside dans l'appréciation des conditions de réussite du dispositif et de l'opportunité de proposer ce dernier aux enseignants.
Du point de vue de l'établissement, la question de l'expérimentation est moins celle des initiatives que ce dernier prend que les réponses qu'il apporte aux difficultés rencontrées. Or, toutes ces réponses ne correspondent pas nécessairement à des initiatives innovantes. L'enjeu réside ainsi dans la capacité du système à faire connaître aux équipes pédagogiques les outils qu'elles peuvent mettre en place. Techniquement, cet accès à l'information peut se faire via des sites internet institutionnels, mais aussi par des sites personnels, ce qui est préoccupant car leur contenu n'a pas toujours fait l'objet, à nos yeux, d'une réflexion suffisamment poussée.
M. Serge Lagauche, président . - Les besoins ou les manques identifiés au niveau national qui justifient le lancement d'une expérimentation globale ne se retrouvent pas forcément dans tous les établissements. Comment choisit-on ou invite-t-on les établissements à participer à une initiative nationale ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Vous nous avez confirmé que l'autonomie des établissements allait croissante dans le secondaire. Mais qu'en est-il du primaire, où il n'existe pas d'établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) ? Est-ce que le défaut de statut juridique des écoles est un obstacle à l'expérimentation en primaire ? Y a-t-il au niveau des académies et nationalement un recensement complet des expérimentations ? Font-elles l'objet de partenariats avec les collectivités territoriales ? S'agissant spécifiquement des expérimentations relevant de l'initiative propre des établissements, procédez-vous à une évaluation systématique ?
M. Erick Roser . - Certaines des initiatives des établissements sont dès l'origine accompagnées par le rectorat et plus spécifiquement par les MAPIE (Missions académiques pédagogie innovation expérimentation) placées auprès des recteurs depuis le milieu des années 90. Elles sont alors évaluées et analysées pour en identifier les conditions de réussite et d'extension. Elles peuvent concerner une discipline particulière ou être liées à des problématiques éducatives plus larges, comme la lutte contre l'absentéisme. Elles peuvent impliquer les collectivités territoriales partenaires et font l'objet d'une remontée systématique au niveau national. Afin de permettre la reprise des expérimentations réussies dans d'autres établissements, il est procédé à un cadrage méthodologique précis afin d'économiser les errements inévitables de la mise en place empirique initiale. A côté de ces initiatives bien encadrées, il existe tout un ensemble d'initiatives non signalées qu'il appartient au recteur et aux inspecteurs de repérer a posteriori . Cette floraison d'initiatives spontanées témoigne d'une évolution importante du système scolaire où se développe une culture du travail par induction à partir du terrain plutôt que par application d'un schéma national. La mission des corps d'inspection territoriaux pourrait évoluer parallèlement, pour se concentrer sur le repérage des problématiques éducatives auxquelles répondent les expérimentations spontanées et sur la modélisation des réponses construites dans les établissements.
M. Serge Lagauche, président . - Ne constatez-vous pas parfois des effets de mode au profit de certains dispositifs qui n'apparaissent pas nécessairement, à la réflexion, très utiles ou fructueux ?
M. Thierry Bossard . - Je souhaite revenir sur le statut des écoles primaires. Les établissements du secondaire bénéficient de la personnalité juridique et disposent donc de jure de l'autonomie. Il n'appartient pas aux inspections générales de prescrire au législateur le statut qu'il devrait retenir pour les écoles. Cependant, à l'occasion de notre rapport de suivi de la réforme de l'école primaire, nous avions pointé en creux les défauts du non-statut des écoles. Si l'on souhaite donner la personnalité juridique aux écoles, il conviendra de s'interroger sur la taille des établissements. A l'évidence, toutes les écoles ne pourraient pas devenir des établissements publics, notamment en milieu rural.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Je peux comprendre que la percolation progressive d'initiatives de terrain permette par capillarité de faire progresser pédagogiquement l'ensemble du système éducatif. Le cadre posé par l'éducation nationale s'est beaucoup assoupli au cours des dernières années, faut-il vraiment aller plus loin ? Selon vous, quels seraient les avantages d'une autonomie accrue ? Comment permettrait-elle de résoudre les problèmes de notre système éducatif, notamment les sorties sans qualification, l'orientation par défaut et par l'échec, les inégalités de destin scolaire encore récemment pointées par le test PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) ?
Mme Maryvonne Blondin . - L'organisation des établissements a évolué. Mais qu'en est-il des programmes ? Ils demeurent nationaux, mais sont-ils désormais bien structurés autour du socle commun de connaissances et de compétences ? Comment s'articulent-ils avec le livret de compétences ? Gardons-nous l'objectif de remplir annuellement les exigences disciplinaires des programmes ou bien commençons-nous à privilégier une approche pluriannuelle transversale et multidisciplinaire ? Les implications sur le métier d'enseignant sont potentiellement très importantes. En outre, comment les inspections générales travaillent-elles avec les chercheurs en sciences de l'éducation ? Enfin, j'aimerais dire qu'il est parfois difficile pour les collectivités territoriales de travailler avec les inspections académiques sur les projets pédagogiques des établissements. Je le regrette.
Mme Françoise Cartron . - Le déroulement de la séquence expérimentation - extension - généralisation se heurte parfois aux moyens disponibles. Nous devons rester conscients que les expérimentations qui réussissent ont souvent bénéficié de moyens supplémentaires importants. L'extension n'en est donc pas toujours possible. Je pense en particulier aux expérimentations « cours le matin, sport l'après-midi » ou aux internats d'excellence. S'agissant de l'autonomie des établissements, comment nous prémunir des effets pervers de la concurrence entre les établissements, chacun essayant de se rendre plus attractif que les autres sur le « marché » ? De plus, l'autonomie pédagogique des équipes n'est pas toujours respectée. Ainsi, il a été décrété nationalement que le soutien scolaire sous une certaine forme était la bonne méthode quel que soit l'endroit, quel que soit le niveau, sans que les équipes locales aient pu développer elles-mêmes leurs propres visions de ce dispositif. Enfin, je souhaitais vous interroger sur l'expérience du Calvados où l'inspecteur d'académie a décidé de pénaliser financièrement les établissements qui pratiquent le redoublement. Que pensez-vous de cette méthode de gestion ?
M. Thierry Bossard . - La question centrale est celle de la compatibilité de l'accroissement de l'autonomie des établissements et du maintien d'une éducation nationale. En d'autres termes, l'autonomie ne va-t-elle pas à l'encontre de l'équité ? Les inspections générales sont garantes du caractère national de l'éducation par les évaluations auxquelles elles procèdent. Nous devons cependant admettre que la diversité des établissements est déjà une réalité malgré la centralisation, l'uniformisation et le maintien de cadres nationaux très forts depuis des décennies. S'il y a bien une histoire de l'école, il faut admettre également une géographie de l'école révélant de fortes disparités. La question est donc de savoir comment maintenir la cohésion nationale. Le meilleur moyen est-il de répéter ad nauseam des préconisations nationales rigides ou de s'appuyer sur les compétences pédagogiques que recèle chaque établissement ? C'est un fait que dans les comparaisons internationales, les systèmes scolaires qui obtiennent les meilleurs résultats sont ceux qui laissent le plus d'autonomie aux établissements. L'étude récente du cabinet McKinsey sur les systèmes ayant le plus progressé ces dernières années au test PISA révèle que pour passer de résultats faibles à des résultats moyens, la centralisation est efficace, mais que pour passer de résultats moyens ou bons à de très bons résultats, la responsabilisation et l'autonomie des équipes locales sont les bonnes réponses. Il faut mettre les établissements dans les conditions où ils peuvent prendre eux-mêmes les initiatives qui correspondent le mieux aux problèmes qu'ils rencontrent. A cet égard, la réforme en cours du lycée est essentielle. Jusqu'ici, l'autonomie concernait uniquement la périphérie des enseignements, le coeur restant régi par des prescriptions très détaillées et très strictes. Maintenant, c'est sur l'enseignement des disciplines lui-même, sur les modalités pédagogiques, que l'initiative est laissée aux établissements. Dès lors, il ne faut pas s'étonner de toutes les différences entre les établissements. En revanche, il faut surveiller le moment où les différences pourraient se transformer en divergences au sein du système scolaire. La clef reste l'évaluation des performances. Il faut noter que la France est quasiment le seul pays d'Europe où il n'existe pas d'évaluation systématique, rigoureuse, transparente et publique des établissements.
M. Erick Roser .- L'inquiétude est celle d'un système qui divergerait. Or, je crois qu'aujourd'hui nous avons des gardes fous efficaces :
- premièrement, même si l'écriture des programmes a évolué - elle fait davantage place à la progressivité de l'apprentissage -, même si l'on s'est affranchi des prescriptions pédagogiques, les programmes sont assortis de documents annexes qui permettent d'accompagner les choix des enseignants en exposant certaines solutions pédagogiques ;
- deuxièmement, l'acquisition des compétences ne s'opère pas pour chacun de nos élèves au rythme de la présentation du programme. Cette disjonction a justifié, en 2005, la création du livret de compétences qui permet de s'assurer que l'élève maitrise les compétences requises à la fin d'un cycle ;
- troisièmement, les diplômes nationaux sont également un élément important de convergence, qui permet de s'assurer de l'atteinte des objectifs définis nationalement en fin de scolarité.
M. Thierry Bossard .- Comme chacun d'entre vous, nous avons pris connaissance de la décision du recteur du Calvados tendant à lier les moyens des établissements au taux de redoublement des élèves. Je ne connais pas tous les tenants et les aboutissants de cette affaire ; mais je crois que si l'on souhaite faire évoluer le système et promouvoir les initiatives, il faut se garder de juger a priori .
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Le problème c'est la sanction...
M. Thierry Bossard .- Encore une fois, il me semble que cette décision devrait être suivie et évaluée avant d'être dénigrée...
M. Jean-Claude Carle , rapporteur .- L'autonomie, qui a ses nécessités, n'a-t-elle pas aussi des limites ? La taille de l'établissement ou la pertinence de l'offre de formation ne sont-elles pas ainsi des freins à l'autonomie ? S'agissant de l'éducation nationale, l'architecture budgétaire repose sur une unité de compte qui est faiblement lisible, à savoir les heures/emploi ? Ne pourrait-on pas disposer d'une unité de compte monétaire et, par exemple, connaître précisément le budget des établissements scolaires masse salariale incluse ?
M. Thierry Bossard .- S'agissant de l'autonomie des établissements, je souhaite insister sur le fait que, selon l'OCDE, nous sommes un des pays les moins décentralisés en matière scolaire... on est loin de l'atomisation ! Et notre première garantie réside bien dans le maintien de diplômes et de programmes nationaux. En revanche, il serait opportun de modifier nos modalités pédagogiques pour atteindre les objectifs que nous nous fixons. Il est certain que la taille de l'établissement influence le degré d'autonomie qui peut lui être accordé, en particulier dans l'enseignement secondaire.
Vous faires référence à l'euro éducatif dont l'utilisation se justifie notamment par le fait qu'il peut exister une déconnexion entre le plafond d'emplois et le plafond en euros des dépenses de personnel. Je crois, comme vous, qu'une des premières évolutions à concrétiser serait que chaque établissement puisse présenter un budget global, incluant non seulement la masse salariale mais aussi la contribution des collectivités territoriales.
M. Erick Roser .- L'unité de compte en heures est particulièrement opportune car les heures d'enseignement n'ont pas toutes le même coût. A ce titre, cette unité de compte apparait comme la clé de répartition la mieux adaptée au regard du service rendu aux élèves.
M. Jean-Claude Carle , rapporteur .- En France, on regarde d'abord combien coûte le système scolaire ; à l'étranger, ils définissent préalablement le montant de l'investissement avant de le répartir ensuite...ce sont deux logiques différentes...
M. Thierry Bossard .- J'attire votre attention sur un point : le transfert de la masse salariale aux établissements scolaires, par exemple à l'instar de ce qui s'est passé pour les universités, impliquerait une autonomie de gestion particulièrement importante...