Audition de MM. Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne et Laurent Cros, délégué général de l'association « Agir pour l'école »
(1er mars 2011)
M. Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne . - Je vous remercie de la confiance que vous nous témoignez en nous demandant de venir présenter le fruit de nos réflexions. Nous avons essayé de nous concentrer sur l'organisation territoriale et l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation.
Je souhaite rappeler quelques éléments « macro » qui caractérisent notre système éducatif et plus particulièrement l'école primaire. Ces faits, malheureusement connus, ont été rappelés au mois de décembre dernier.
Le niveau de difficultés consolidé est inquiétant à l'échelle d'une génération puisque 40 % des élèves disposent d'acquis fragiles ou très fragiles à la sortie du CM2. Nous constatons que l'école primaire ne parvient pas à réduire les difficultés rencontrées au CP. Dès lors, sur les 40 % d'élèves en grande difficulté à l'entrée en classe de sixième, 20 % ne maîtrisent pas la lecture.
Le classement PISA (« Programme for International Student Assessment ») 2009 est venu souligner ces difficultés assez spécifiques à la France et soulever des évolutions que nous considérons comme inquiétantes. Je les résumerai en deux points. Premièrement, le niveau des élèves les plus faibles continue de baisser puisqu'il s'est réduit d'un tiers en l'espace d'une décennie : nous sommes passés de 15 à 20 points de grandes difficultés dans notre pays. Deuxièmement, notre système éducatif est toujours aussi prédictif puisque notre pays est l'un de ceux où les résultats enregistrés en primaire sont les plus corrélés à la situation sociale des élèves et de leur famille.
Cependant, nous pouvons nous réjouir de l'augmentation de la part des excellents élèves entre 2000 et 2009. Néanmoins, la part des élèves en grande difficulté à 15 ans n'a cessé d'augmenter. Les conséquences de ce décrochage sont connues. Le taux de sortie sans qualification s'avère anormalement élevé pour un pays développé qui figure au cinquième rang des pays les plus riches du monde. De même, le taux de chômage des non diplômés est beaucoup plus élevé que pour ceux qui ont obtenu un diplôme. Les coûts sociaux afférents sont conséquents, en termes d'allocations chômage, de minima sociaux, mais aussi de correction de la délinquance et de l'illettrisme.
Nous considérons que l'éducation actuelle n'est pas suffisante pour une grande puissance comme la France. Il suffit de sortir du seul cadre hexagonal pour constater que certains pays ont réussi à assurer une remontée spectaculaire de leurs résultats. Par exemple, les États-Unis nous ont dépassés en lecture dans le classement PISA 2009. Plus près de nous, l'Allemagne et les Pays-Bas, mais aussi le Japon, la Corée du Sud et la Chine - dont les résultats sont excellents en mathématiques - ont ainsi réussi à inverser la tendance.
Pour conclure, les caractéristiques principales du système d'enseignement français sont les suivantes :
- des moyens financiers et humains supérieurs à la plupart des pays de l'OCDE ;
- des résultats systématiquement inférieurs à la moyenne de l'OCDE ;
- des résultats en baisse ;
- des difficultés scolaires anormalement élevées (15 % des élèves à la sortie du primaire) ;
- un système inégalitaire ;
- un fort taux de sortie sans qualification, ce qui pénalise notre pays dans l'économie de la connaissance ;
- des coûts sociaux-économiques conséquents liés à l'illettrisme.
Dès lors qu'un certain nombre de stratégies ont été tentées, nous avons le sentiment qu'il faut changer de stratégie de réformes. Nous devons accepter le regard des classements internationaux tels que PISA et PIRLS (Programme international de recherche en lecture scolaire). Il faut désormais réfléchir à la manière dont les politiques publiques peuvent nous permettre de rejoindre le peloton de tête dans un délai le plus court possible. En effet, dans un pays où chaque année 160 000 jeunes sortent du système éducatif sans diplôme, nous ne pouvons pas nous permettre de faire attendre dix ans nos concitoyens pour améliorer les performances du système.
Nous pensons que la mesure répétée des performances permettra aux acteurs de prendre conscience des carences du système et des progrès qui restent à fournir. Nous ne devons pas nous contenter de 60 % de lecteurs à la fin du CP, mais assurer le passage de 60 à 95 %, sachant que les performances doivent être similaires en mathématiques, matière qui a le plus souffert entre 2003 et 2009 dans le classement PISA.
Comment innover dans les programmes pédagogiques ? Comment être innovant dans la généralisation de l'évaluation du niveau des élèves ou dans la généralisation par étapes des programmes les plus porteurs ? Nous entrons là dans la dimension territoriale.
M. Laurent Cros, délégué général de l'association « Agir pour l'école » . - Je représente l'association loi de 1901 « Agir pour l'école », créée à la suite des travaux de l'Institut Montaigne sur l'éducation, dont les conclusions ont été rappelées à l'instant par son directeur.
Nous voulons détecter les bons leviers de changement du système éducatif français grâce à une expérimentation locale bien évaluée. Il s'agit de diffuser les bonnes pratiques d'enseignement et, en particulier, soutenir la recherche en psychologie cognitive et en économie de l'éducation. Tout ceci n'est possible qu'en partenariat avec le ministère de l'éducation nationale. Nous avons donc commencé à tisser des liens avec la direction générale de l'enseignement scolaire, que vous receviez tout à l'heure. Notre travail consiste à répondre à la question suivante : quelle(s) réforme(s) permettraient de diviser par deux la grande difficulté scolaire en CM2 ? Rappelons que la difficulté scolaire est acquise très tôt.
L'expérimentation en matière d'éducation est une matière relativement récente puisqu'elle date d'une vingtaine d'années. Elle s'inspire toutefois d'une matière plus ancienne qui est l'expérimentation médicale. La méthodologie est similaire :
- il s'agit de constituer deux groupes d'élèves identiques au départ (par tirage au sort) ;
- nous modifions une dimension, par exemple la taille des classes ou la pédagogie, dans le groupe d'intervention. Dans l'autre groupe, nous ne modifions rien ; c'est le groupe témoin ;
- nous comparons les résultats des élèves à la fin de l'expérimentation, au bout d'un à trois ans.
Nous mesurons l'ampleur de l'effet. Si nous rapportons l'ampleur de cet effet à ce que l'on attend d'une grande réforme nationale de l'éducation, nous pouvons évaluer si cette réforme est à la hauteur des enjeux. Il convient de noter que le passage à grande échelle risque de diminuer l'effet, donc nous devons nous attacher à des réformes qui, dans le cadre de l'expérimentation, donnaient lieu à des résultats supérieurs à ceux dont nous avons besoin dans des réformes à grande échelle. L'évaluation des projets porte sur une vingtaine de classes. Une fois l'expérimentation déployée sur une centaine de classes, nous pouvons la généraliser progressivement sur la base des résultats obtenus et des moyens définis au cours de l'expérimentation.
Le programme « Parler bambin » de Michel Zorman, pratiqué dans les zones d'éducation prioritaire (ZEP) de l'académie de Grenoble sur la fin de maternelle et le début de primaire dans huit classes entre 2005 et 2008, a permis de réduire l'échec scolaire par deux par rapport aux classes témoins. La proportion d'élèves en grandes difficultés scolaires était extrêmement élevée ; elle a été réduite de 25 à 12 %. Quant aux élèves forts, leur nombre a doublé en volume dans l'échantillon. Les élèves avaient rattrapé la moyenne nationale, fait rare pour des élèves de ZEP. Certains ont trouvé ces résultats miraculeux : or, ils sont fondés sur vingt ans de recherches en psychologie cognitive. Le Docteur Michel Zorman s'est inspiré fortement de la plus grande synthèse de la recherche mondiale sur les compétences clés à développer chez l'enfant pour le mettre dans de meilleures conditions d'apprentissage. Cette recherche avait été menée par le National Institute of Child Health and Human Development (NICHD) à la demande du Congrès américain et faisait la synthèse de plus de 100 000 recherches sur les politiques de lutte contre l'illettrisme.
Nous pouvons beaucoup apprendre de ces recherches anglo-saxonnes car le passage de l'oral à l'écrit en français au CP est très proche de l'anglais. Le programme « Parler » montre que les recherches donnent toujours les mêmes résultats sur :
- les compétences à travailler de façon prioritaire : la phonologie, le code alphabétique et la compréhension des textes ;
- la façon de travailler la plus performante : une approche structurée et le travail en petits groupes de niveaux homogènes.
Il faut intervenir le plus tôt possible. L'important est de bien réussir son CP et son CE1. Il faut donc axer le travail sur la prévention et non sur le remède. Une recherche américaine a montré qu'avec le même protocole, il fallait trois fois plus de moyens en CM2 qu'en CE1 pour parvenir aux mêmes résultats, ce qui est inaccessible à grande échelle. En France, il faut donc intervenir dès la maternelle ou le CP, voire la crèche.
Une autre recherche française a montré que les niveaux de langage pouvaient fortement évoluer grâce à une action intensive sur le langage dès l'âge de 2 ans.
Cependant une expérimentation plus ancienne est allée dans le sens contraire. Il s'agit du projet ECLEC (Action en ÉCriture LECture), développé en 1989 par un chercheur renommé, J. Fijalkow, dans l'Aude et la Haute-Garonne. Ce projet centré sur la lecture et l'écriture reposait sur une approche hybride :
- de petits groupes d'élèves hétérogènes. Les enfants étaient regroupés en fonction de leur capacité à travailler ensemble ;
- une pédagogie fondée sur l'accompagnement plutôt que sur l'enseignement.
Ce programme a été expérimenté sur 48 classes de CP, dont 19 classes d'intervention et 29 classes témoins. Or ce dispositif, qui avait remporté une large adhésion auprès des enseignants, n'a eu que peu d'impact en dictée et en compréhension écrite. Bien qu'il n'ait pas donné de résultats probants sur les dimensions centrales de la recherche, il a montré des résultats intéressants en matière de production écrite, sur laquelle la recherche se focalise peu. Par ailleurs, ce programme a mis en évidence un résultat intéressant : les enseignants, comme les parents, ont des difficultés à évaluer le niveau des élèves. En effet, la corrélation entre l'avis des acteurs et la réalité est faible. Il est difficile d'évaluer le niveau des élèves. C'est pourquoi il faut doter les enseignants d'outils d'évaluation fidèles au niveau des élèves.
M. Serge Lagauche , président . - Merci. Il est intéressant de constater qu'une expérimentation a priori bien inspirée peut ne pas se révéler concluante. Les jugements quant aux bons ou aux mauvais résultats des expérimentations ne sont peut-être pas suffisamment cadrés. Nous étudierons ce point grâce à l'audition suivante.
M. Jean-Claude Carle , rapporteur . - Merci pour cette présentation très claire.
Vous avez dit qu'un certain nombre de pays avaient réussi à inverser la tendance. Comment y sont-ils arrivés ?
L'organisation actuelle du système éducatif vous paraît-elle optimale ? Peut-on envisager des mesures contractuelles avec les acteurs locaux, qu'il s'agisse des collectivités locales ou des autres partenaires du système éducatif ?
Nous avons beaucoup parlé d'expérimentation et d'autonomie. Elles ne posent pas de problème au niveau du secondaire. Ne pensez-vous pas qu'il est temps de régler le vide juridique du primaire pour réaliser plus d'expérimentations dans le cadre d'une autonomie plus grande des établissements ?
M. Laurent Cros . - Le récent rapport McKinsey montre qu'un certain nombre de régions mondiales ont progressé. Néanmoins il convient de se méfier des raisons avancées, plus souvent issues d'entretiens que des faits. La Floride a énormément progressé en 2005 car elle a vu le niveau de ses populations minoritaires, notamment hispanophones, progresser bien plus rapidement que le niveau national. Leur niveau a ainsi rattrapé celui des populations blanches. Ce progrès a été fondé sur des leviers semblables à ceux de la recherche de Michel Zorman et la méta-étude américaine. En effet, il s'agissait de mettre à la disposition des enseignants les meilleures pédagogies (méthode structurée) et d'évaluer sans relâche les enseignants et les écoles avec des niveaux à atteindre. Ce programme mis en oeuvre sur dix ans a permis d'obtenir des résultats exceptionnels.
M. Jean-Claude Carle , rapporteur . - Qu'entendez-vous par « méthode structurée » ?
M. Laurent Bigorgne . - Une méthode structurée est une méthode qui tient compte du niveau initial de chaque élève et non du niveau moyen de la classe. Une connaissance n'est apportée que si elle repose sur la connaissance immédiatement précédente et si l'élève peut la comprendre. Le niveau de l'élève est donc contrôlé en permanence pour savoir si l'on peut aller plus loin. Cette méthode très répétitive pour les élèves de faible niveau l'est moins pour les élèves forts puisqu'elle s'adapte au niveau de chacun. Elle ne laisse rien au hasard : chaque notion doit être transmise puis évaluée. Elle est idéale pour de petits groupes de cinq élèves. Par exemple, l'expérimentation de Michel Zorman portait sur de petits groupes à raison d'une heure trente par jour répartie en trois sessions d'une demi-heure. Le reste de la classe était placé en autonomie. L'intérêt de cette méthode est de faire participer chaque élève, ce que ne permet pas l'enseignement en classe qui est sans doute adapté au centre ville mais irréalisable en ZEP. La méthode structurée s'applique parfaitement à la lecture.
Les méthodes structurées ne doivent pas être confondues avec la méthode traditionnelle de l'enseignement, qui est moins répétitive et se focalise moins sur le niveau de chaque élève. Dans le cadre de la méthode structurée, nous visons davantage les élèves qui risqueraient d'échouer si cette méthode n'était pas appliquée. Dès lors, la gratification de l'enseignant consiste en la réussite de tous les élèves.
L'Allemagne a renforcé le nombre d'heures d'enseignement en réduisant le nombre d'heures consacrées au sport l'après-midi. Cette méthode est elle-même fondée sur la recherche.
Je pense que l'exemple de la Floride est assez pertinent pour la France.
M. Laurent Cros. - Notre pays a un mal fou à penser le continuum de sa petite enfance. Le maillage complexe du passage de la crèche à la maternelle puis à l'élémentaire n'est pas en mesure aujourd'hui de mobiliser les adultes d'un territoire autour d'une cause commune.
Par ailleurs, nous manquons d'indicateurs territoriaux. Je suis frappé de constater que les maires en charge de l'enseignement scolaire avec lesquels nous discutons ignorent le taux d'illettrisme de leur territoire. En effet, il est extrêmement rare que nos interlocuteurs aient conscience de ces indicateurs, alors même qu'ils existent. Ils ne sont donc pas utilisés comme des éléments leviers de marqueurs éducatifs.
M. Jean-Claude Carle , rapporteur . - Pourquoi ne sont-ils pas utilisés ?
M. Laurent Bigorgne . - Ils ne sont pas exploités car ce sont généralement des outils statistiques aux mains de l'éducation nationale et des inspecteurs d'académie. Parfois, les inspecteurs d'académie les communiquent librement. Dans certains territoires moins marqués par les difficultés scolaires, les acteurs ont moins le sentiment d'une urgence à communiquer ces indicateurs. Or je pense que la communication est nécessaire à la mobilisation.
Enfin, l'enchevêtrement des dispositifs, déjà souligné par un certain nombre de travaux réalisés au Sénat, est ingérable pour les acteurs. Nous travaillons sur des protocoles de recherche qui sortent des domaines de l'éducation dans certaines communes de Seine-Saint-Denis. A Clichy et Montfermeil, nous nous intéressons au logement, à la sécurité, au rapport au religieux etc. Lors de mes discussions avec les acteurs en charge de la mise en oeuvre des dispositifs de rattrapage scolaire, j'ai pu constater la multiplicité des outils, voire leur enchevêtrement et le caractère parfois ubuesque des procédures à mettre en oeuvre au service de la réussite éducative. Le maillage territorial ne fonctionne pas de manière optimale. Or les maires sont les plus intéressés par la réussite de leurs élèves. Ces questions sont essentielles dans un pays où 95 % des enfants de trois ans sont scolarisés. Nous ne savons donc pas utiliser pleinement le maillage territorial dans la lutte contre l'illettrisme.
S'agissant de l'expérimentation et de l'autonomie, sachez que les établissements n'ont pas besoin d'être autonomes pour expérimenter. En tant qu'observateurs des politiques publiques, nous devons nous interroger sur la meilleure utilisation de la capacité politique de nos gouvernants. En effet, certaines réformes requièrent une capacité politique au-delà de l'imaginable. Par exemple, le problème de la place des directeurs dans le système éducatif a été soulevé depuis des décennies par des gouvernements de toutes tendances politiques mais n'est toujours pas résolu. Compte tenu de l'urgence de la situation et de la proportion de 40 % de grandes difficultés relevée à 15 ans (en cumulant les niveaux 1 et 2 de PISA) ainsi que des 20 points d'incapacité à maîtriser la lecture, l'écriture et le calcul, devons-nous passer un temps maximum à former des enseignants, initier des recherches qui nous permettront de créer des outils de lutte contre la difficulté scolaire ou devons-nous faire de la question du statut une priorité ?
Compte tenu du nombre et du rythme des réformes imposées à l'éducation depuis deux décennies, je me demande dans quelle mesure il ne serait pas utile de se fixer une seule priorité et de s'y tenir à l'échelle d'un mandat. Ma réponse est peut-être trop simpliste mais je pense que nous ne pourrons pas résoudre tous les problèmes simultanément.
M. Laurent Cros . - Les recherches ont rarement montré que le déploiement de l'autonomie des établissements permettait d'obtenir des résultats de grande ampleur. En revanche, il existe des centaines d'exemples de résultats importants liés à la pédagogie. Les résultats des établissements autonomes ne sont pas nécessairement supérieurs à ceux des établissements publics.
Les États-Unis ont testé à grande échelle l'autonomie par l'intermédiaire des charter schools mais cela ne leur a pas permis de réaliser de grands progrès. L'autonomie peut certes constituer un levier de facilitation à un moment donné mais n'est pas à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes confrontés.
Mme Françoise Cartron . - Votre dernière analyse conforte les propos de certains concernant l'importance de la pédagogie par rapport à la structure et à l'organisation. Il convient de changer la pédagogie si nous voulons lutter contre l'échec scolaire.
Vous avez dit que la France dépensait plus en matière d'éducation que les autres pays, pour un résultat moindre. Or j'ai lu un rapport qui montre que la France offre un taux d'encadrement bien inférieur aux autres pays. Nous pouvions penser que ce supplément de dépense était dû à un plus grand nombre de professeurs, alors que d'autres pays ont plus d'enseignants par rapport au nombre d'élèves. Pouvez-vous nous communiquer une analyse plus fine de l'origine de notre plus forte dépense, alors que nous employons moins d'enseignants ?
En outre, je me réjouis de l'importance donnée à l'école maternelle dans l'apprentissage de la langue. En effet, il convient de s'y prendre le plus tôt possible pour rompre la spirale de l'échec en lecture. Nous sommes d'ailleurs plusieurs sénateurs à partager ce diagnostic. Nous constatons que ce sont les pédagogies les plus innovantes qui rencontrent le plus le succès. La production d'écrit et la connaissance du livre sont plus efficaces que la lecture silencieuse. Ces pratiques ne sont pourtant pas perçues comme les premières à enseigner ; l'accent est plutôt mis sur le code alphabétique.
M. Laurent Cros . - Je me suis mal exprimé. Le premier objectif de cette recherche était la lecture : or, il n'a pas été atteint puisque le résultat s'avère négatif pour la dictée et l'écrit. La recherche de Michel Zorman s'est révélée probante sur ces mêmes dimensions. Le code alphabétique est donc une dimension majeure, de même que la compréhension orale et écrite. Les autres dimensions, moins importantes, sont celles qui remportent les meilleurs résultats, à savoir la production d'écrit et la connaissance du livre. Il faut d'abord se concentrer sur la dictée et la compréhension.
Mme Françoise Cartron . - Comment accompagner les enseignants vers l'adoption de nouvelles pratiques pédagogiques ?
M. Serge Lagauche, président . - Nous recenserons une série de questions par écrit.
Mme Catherine Procaccia . - Vous dites qu'il vaudrait mieux que les élèves sortent du CP en sachant lire et écrire, plutôt que de développer des actions de rattrapage par la suite. Ne pensez-vous pas que l'étalement du CP sur un an et demi ou deux ans permettrait de résoudre le problème ?
En Floride, les difficultés sont-elles beaucoup plus nombreuses chez les enfants d'immigrés ? Que fait-on pour les enfants d'immigrés qui arrivent à l'âge de 8 ans et ne passent pas par une classe de transition ? Ils ne sont pas passés par la phase du CP. Avez-vous connaissance d'expériences réussies pour intégrer les élèves ne parlant pas français ?
Ces expérimentations sous forme de petits groupes sont-elles applicables à l'échelle de l'éducation nationale française, compte tenu de la lourdeur de son système et de la difficulté de le réformer ?
Mme Maryvonne Blondin . - Je souhaite revenir sur le taux d'encadrement. Nous comptons 5 enseignants pour 100 élèves dans le primaire, contre 7,5 enseignants au collège, tandis que certains pays disposent de 9,5 enseignants pour 100 élèves.
Concernant le socle commun et les tests d'évaluation effectués en primaire, avez-vous pu mesurer une progression ou une stagnation des résultats ? Certains enseignants ne renseignent pas toujours les évaluations ou font preuve de nombreuses réticences.
Au cours des auditions précédentes, nous avons évoqué les initiatives spécifiques à certains établissements. Ces expérimentations sont menées en lien avec l'éducation nationale.
Vous avez évoqué les difficultés liées à l'enchevêtrement territorial. Or le dispositif des contrats urbains de cohésion sociale rassemble les divers acteurs du territoire et offre un lieu unique de discussion et d'échanges. Je suppose que les contrats urbains de cohésion sociale ne fonctionnent pas de la même manière sur tous les territoires. De plus, leur budget a diminué jusqu'à 50 % selon les zones. Dès lors, il deviendra très difficile de mener des actions sur la réussite éducative. L'école n'est plus le seul lieu apprenant.
M. Alain Dufaut . - J'ai beaucoup apprécié vos exposés. La généralisation de l'évaluation à toutes les classes me paraît essentielle pour fournir aux enseignants des outils d'évaluation pertinents.
Je voudrais évoquer l'échec d'une expérience partant du principe que la réussite était possible avec des classes hétérogènes. Or, il ne faut pas hésiter à maintenir les effectifs du quartier sur les établissements car les diriger vers d'autres établissements créerait des difficultés considérables pouvant mener à la fermeture des établissements. Les classes hétérogènes ne font pas progresser l'éducation.
M. Yannick Bodin . - J'ai également été très intéressé par cette présentation.
Vous avez beaucoup insisté sur l'importance qu'il faut accorder à la petite enfance. En vous écoutant j'avais l'impression de vivre dans un monde un peu virtuel puisque j'ai lu que les enfants de moins de 3 ans étaient moins nombreux dans les maternelles. Pensez-vous que cela peut avoir une répercussion sur les prochaines évaluations ?
Vous voulez éviter les ruptures. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait remettre en cause l'unité de temps basée sur neuf mois ? Faut-il continuer à parler « d'année scolaire » ? Nous pourrions passer de 9 à 15 mois par exemple.
En matière de pédagogie, vous avez dit qu'il fallait choisir une priorité. Il s'agit peut-être de la formation des maîtres. En effet, depuis des siècles, nous n'avons jamais réglé le problème. Durkheim disait qu'être savant ne signifie pas que l'on possède l'art d'enseigner.
Il ne s'agit pas d'enseigner une discipline à une classe mais d'enseigner, au sein d'une équipe pédagogique, une discipline à des élèves, c'est-à-dire à des enfants. Je pense que ce n'est pas la même logique.
M. Laurent Cros . - Concernant les moyens alloués au système éducatif, une étude intéressante de l'OCDE a montré que le coût d'un élève dans le primaire est très faible. Le coût d'encadrement est très faible : nous manquons d'enseignants. C'est le contraire au lycée, par l'intermédiaire des options. Nous avons donc misé sur le lycée, alors qu'une bonne partie de la génération s'est déjà évaporée. Miser sur le début de la scolarité permettrait d'obtenir les plus grands bénéfices. Je ne pense pas que nous ayons fait le bon choix historiquement. Il faut envisager une redistribution des moyens. Nous devons nous intéresser à trois dimensions : le salaire des enseignants, la taille des classes et le nombre d'heures d'enseignement par an. Nous atteignons des records en termes de temps d'enseignement, ce qui permet de compenser le manque d'enseignants.
S'agissant de la généralisation des expérimentations à une plus grande échelle, nous avions esquissé une étape intermédiaire à 100 classes. Nous devons évaluer les résultats de l'expérimentation par étape de généralisation. Toutes les maternelles de France travaillent déjà en petits groupes. Or aucun CP ne travaille selon cette méthode. Les enseignants enseignent comme les professeurs d'université, devant la classe. Il faut continuer à travailler en atelier au-delà de la maternelle, au rythme de deux heures par jour. Les enseignants savent le faire lorsqu'ils sont formés en ce sens. Les bénéfices du travail en petits groupes sont importants notamment pour les classes hétérogènes.
Nous devons déployer ces dispositifs à plus grande échelle en investissant dans la formation continue qui ne représente aujourd'hui qu'un à deux jours par an par enseignant. La demande de formation continue des enseignants est extrêmement forte. En effet, plus des deux tiers des enseignants demandent des outils nouveaux pour traiter les difficultés scolaires. Il faut donc former les enseignants aux contenus issus des nouvelles expérimentations pour faire progresser le système éducatif. La crédibilité du système éducatif repose sur celle de ses enseignants.
Les recherches ont bel et bien démontré qu'il n'existait aucun lien entre être savant dans sa discipline et être un très bon pédagogue. Or nous recherchons de très bons pédagogues, en particulier dans l'enseignement primaire. Seule l'expérience permet de savoir si un savant est bon pédagogue. Par conséquent, une formation en alternance des enseignants serait adaptée. La formation continue améliore la capacité à être un bon pédagogue. Par ailleurs, certains enseignants ne sont pas faits pour ce métier et doivent en prendre conscience.
S'agissant de l'autonomie des établissements, il ne faut pas réinventer tous les jours la manière d'enseigner mais conserver des pratiques validées. Les initiatives des établissements peuvent s'avérer intéressantes pour l'innovation si elles restent marginales. Dès lors qu'une expérimentation semble porter ses fruits, il faut rapidement la tester à plus grande échelle pour vérifier ses résultats.
Par ailleurs, l'hétérogénéité constitue sans doute un handicap pour une classe mais peut être gérée dès lors que de petits groupes de travail sont constitués. Il faut se poser une question fondamentale : peut-on réellement enseigner dans une classe qui comporte dix élèves en grande difficulté scolaire ? La réponse est négative. Si un travail important a été fourni en amont, c'est-à-dire en maternelle, il serait peut-être possible de réduire la proportion d'élèves en difficulté au CP. Dans le cas contraire, la solution est peut-être celle proposée par Luc Ferry qui consiste à donner aux enseignants un nombre d'élèves en difficulté raisonnable, à savoir trois ou quatre. Il faut donc constituer des classes plus petites lorsque les élèves sont majoritairement en difficulté. La dernière solution envisagée par les États-Unis est le busing qui consiste à amener les élèves en difficulté dans les classes des centres villes. Cette initiative a été tentée à petite échelle dans la politique de la ville mais est compliquée à mettre en oeuvre. En effet, ces élèves sont stigmatisés à leur arrivée dans l'école. C'est pourquoi cette solution est difficilement envisageable à grande échelle.
Par conséquent, il faut confier un nombre raisonnable d'élèves en difficulté aux enseignants et ne pas constituer des classes homogènes d'élèves faibles car cela diminue le niveau général d'ambition de l'école. L'enseignant qui n'a que des élèves en difficulté n'a pas d'ambition et c'est normal. Il s'habitue à la difficulté scolaire et n'atteindra plus la moyenne nationale. L'hétérogénéité est essentielle et il faut limiter le nombre d'élèves dans les classes en grande difficulté pour que leur cas puisse être traité.
La variable immigration est souvent rapportée comme un frein à la réussite scolaire dans la mesure où les élèves n'ont pas le français comme langue maternelle. Or les études contredisent cet a priori puisqu'elles montrent que la variable catégorie socio-professionnelle (CSP) est déterminante. C'est la CSP qui explique les difficultés scolaires et non l'immigration. Lorsque nous essayons de discerner les effets spécifiques de la langue parlée à la maison ou de l'origine, nous observons parfois des effets contre-intuitifs. Par exemple, les enfants d'origine maghrébine en CP progressent plus lorsqu'ils sont fils d'ouvriers que les fils d'ouvriers français de souche. Il ne faut donc pas surestimer la variable immigration. Cette variable n'apporte rien à condition d'arriver tôt dans le système scolaire. La maternelle vient contrer le fait que le français n'est pas la langue maternelle de ces enfants. Dès lors, aucune difficulté spécifique ne se posera par la suite.
Lorsque l'on évoque les CSP en difficulté, nous parlons rarement des enfants arrivés en cours de scolarité qui représentent une faible proportion des élèves en difficultés scolaires. Or tous les établissements ne sont pas suffisamment équipés pour accueillir les élèves en cours d'année.
M. Laurent Bigorgne . - Il faudra revenir à un moment donné sur le choix historique qui a été fait en faveur du lycée d'enseignement général et du baccalauréat par rapport au primaire. Il s'agit d'une vraie question politique.
La France n'a pas l'appareil de recherche nécessaire en matière d'éducation car nous avons décidé d'internaliser cette recherche auprès du ministère. De plus, nous n'avons pas jugé utile de développer les recherches scientifiques dans un grand nombre d'organismes de recherche. Or, nous avons besoin de psycho-cognitivistes. Il est étonnant que la France ne compte qu'un ou deux laboratoires en mesure de proposer des solutions.
Enfin, il faudra que nous nous posions collectivement la question de savoir jusqu'à quel point financer un système éditorial qui se contente de vendre des livres faiblement utilisés dans les écoles. Aujourd'hui, nous pouvons proposer des systèmes beaucoup plus modernes. En outre, l'appareil de la formation continue est sinistré. Nous devons investir dans un écosystème de recherche performant, financé à la fois par le public et le privé, contribuant à la diffusion des bonnes pratiques. Contribuer à la recherche dans l'éducation serait normal pour un pays comme le nôtre.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Cela signifie que le système de R&D n'est pas obligatoirement intégré à l'éducation nationale.
M. Laurent Bigorgne . - Il n'est en aucun cas intégré à l'éducation nationale car il doit pouvoir être évaluable par l'extérieur, sous peine de se stériliser.