TABLE RONDE SUR L'AVENIR
DE LA
PRODUCTION AUDIOVISUELLE EN FRANCE
-
OBLIGATIONS DE PRODUCTION, QUOTAS DE
DIFFUSION, PRODUCTION INDÉPENDANTE :
LA RÈGLEMENTATION
RÉPOND-T-ELLE
AUX OBJECTIFS QUI LUI SONT ASSIGNÉS ?
M. Roland HUSSON, sous-directeur de l'audiovisuel à la direction générale des médias et des industries culturelles au ministère de la culture et de la communication (DGMIC)
Merci, Monsieur le président. La règlementation poursuit des objectifs de politique culturelle. C'est la loi de 1986 qui fixe l'obligation d'investissement des services de télévision dans la production audiovisuelle. Ce mécanisme est complémentaire des quotas de diffusion et des mécanismes de soutien à la production que sont les crédits du CNC. Nous avons réussi à faire adopter cet objectif de politique culturelle par l'Europe, par l'intermédiaire de la directive Télévision sans frontières de 1989 qui introduit les notions de quotas de diffusion et d'obligation d'investissement dans la production.
La mise en oeuvre de cet objectif de politique culturelle a suivi différents cycles depuis 1990, époque des premiers décrets modifiés par les décrets dits « Tasca » en 2001. En 2009 et 2010, ces décrets ont de nouveau été modifiés afin de mettre à jour la règlementation compte tenu du succès de la TNT lancée en 2005 et de la constitution de groupes ayant plusieurs chaînes diffusées en hertzien terrestre. Par ailleurs, dès 2007 le législateur avait exprimé la volonté d'un recentrage des obligations sur les oeuvres patrimoniales. Le gouvernement a fait le choix de missionner MM. Kessler et Richard pour déterminer les orientations de l'adaptation des décrets au nouveau paysage audiovisuel. Au-delà des axes que je rappelais à l'instant, il s'agissait de privilégier la négociation interprofessionnelle afin de déterminer la meilleure façon de mettre en oeuvre l'objectif fixé par la législation, sous le contrôle des pouvoirs publics et du pouvoir réglementaire.
Les accords ont été conclus entre l'automne 2008 et le début de l'année 2010. La loi du 5 mars 2009 a ainsi modifié la loi de 1986 pour que la contribution des éditeurs de services puisse porter « entièrement ou de manière significative » sur la production patrimoniale et permis la prise en compte de certaines dépenses au titre des obligations de production audiovisuelle, notamment les dépenses liées à la formation des auteurs. Il fallait permettre aux chaînes de télévision, y compris appartenant à un même groupe, de mutualiser les obligations qui leur incombent. Les décrets qui ont suivi sont d'une complexité immense, que le Conseil d'État n'a pas manqué de nous faire remarquer. Nous avions pourtant pour objectif de simplifier la règlementation.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Ce sujet nous préoccupe.
M. Roland HUSSON, sous-directeur de l'audiovisuel à la direction générale des médias et des industries culturelles au ministère de la culture et de la communication (DGMIC)
Les décrets de 2009 et 2010 reposent sur un certain équilibre issu des négociations interprofessionnelles : une baisse du taux des obligations des chaînes avec en contrepartie un recentrage des obligations sur les oeuvres patrimoniales, c'est-à-dire essentiellement la fiction, l'animation et le documentaire.
Nous avons pris quatre décrets. L'un d'entre eux concerne l'obligation des chaînes analogiques et devenait sans objet avec le passage à la télévision tout numérique à la fin de l'année. Le décret de juillet 2010 fixe les obligations de l'ensemble des chaînes diffusées sur la TNT gratuite ou payante tandis que le décret d'avril 2010 fixe les obligations des chaînes du câble et du satellite. Enfin, le décret de juin 2009 établit les obligations de production de France Télévisions au sein de son cahier des charges. La loi prévoit expressément que ce sont les chaînes privées et publiques qui contribuent à la production. Les chaînes publiques connaissent ainsi également une augmentation très forte des obligations d'investissement dans les oeuvres patrimoniales.
Il est un peu tôt pour tirer les premières conclusions. Néanmoins, nous avons réussi à traverser la crise sans subir de diminution des investissements. L'objectif de soutien à la production audiovisuelle en France est donc atteint. Les baisses d'investissement constatées sur les chaînes privées sont inférieures à celles observées sur leurs recettes. L'effet de l'intervention de France Télévisions est visible.
Désormais ce cadre réglementaire est fixé. L'intervention des pouvoirs publics doit être adaptée aux évolutions auxquelles nous sommes confrontés, concernent à présent essentiellement le compte du soutien du CNC. Ce compte a récemment fait l'objet d'une adaptation par le décret dit « Web COSIP » qui ouvre le soutien automatique à l'audiovisuel aux oeuvres conçues pour les nouveaux médias. Les défis auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés concernent plutôt la création elle-même et visent donc davantage les comportements des professionnels que l'intervention des pouvoirs publics.
La fiction constitue l'un des enjeux les plus identitaires au sein de notre politique culturelle. Il est frappant de constater que la France continue de connaître de vrais succès en matière d'animation et de documentaire. Nous sommes en effet la première puissance européenne en matière d'animation. Il est vrai cependant que notre fiction se comporte moins bien que celle de nos voisins. Pierre Chevalier vient de remettre un rapport sur l'évolution de la fiction. Il aborde la question de l'intervention des pouvoirs publics, à travers le CNC et les obligations de France Télévisions mais souligne également la responsabilité des professionnels et l'importance pour eux de travailler ensemble afin de garantir la réussite de la fiction française.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Merci Monsieur Husson. Nous donnons à présent la parole à Lagardère Entertainment en la personne de Takis Candilis.
M. Takis CANDILIS, président de Lagardère Entertainment
Je dirige Lagardère Entertainment qui est le premier groupe français de production audiovisuelle. La taille de notre groupe est importante en France mais il existe au moins une dizaine de groupes plus importants que nous en Angleterre ou en Allemagne. En outre, de petits pays comme la Hollande ont exporté des groupes de production tels qu'Endemol beaucoup plus importants que les nôtres. En France, le système de la production audiovisuelle a toujours été émietté.
La loi de 1986 visait à garantir une exposition des programmes français, renforcer le financement des productions, développer un tissu de sociétés de production indépendantes et promouvoir la circulation des oeuvres. Le bilan s'avère plutôt mitigé, sauf en ce qui concerne l'exposition des programmes. Il y a cinq ans, parmi les 100 meilleures audiences, nous dénombrions 156 fictions françaises et 4 fictions américaines, contre 63 fictions américaines et 4 fictions françaises en 2009. Du fait de la multiplication des systèmes de diffusion et de l'arrivée massive de programmes américains ou achetés, la fiction française n'a plus trouvé son public. C'est pourquoi il faut encourager l'innovation.
Nous devons investir dans de nouveaux modes de diffusion et de nouveaux programmes. Outre les programmes courts, nous devons développer la nouvelle fiction de 52 minutes. La nouvelle loi qui autorise deux coupures de publicité au cours d'un programme de 90 minutes a fait basculer la production vers le 90 minutes, ce qui n'est favorable ni à l'exportation ni à l'industrialisation de la production. Il convient également de développer la fiction de day time . Plus belle la vie , diffusée sur France 3, en est malheureusement le seul exemple. Toutefois, divers appels d'offres ont été lancés. Si l'on cantonne ces programmes dans les quotas de diffusion aux horaires de grande écoute, il sera difficile pour certaines chaînes de rivaliser avec d'autres programmes à succès. Il faut peut-être envisager un assouplissement des quotas de diffusion.
Nous devons également soutenir les productions européennes et internationales en ouvrant davantage les quotas de diffusion aux oeuvres d'expression européenne. En outre, il nous semble important de permettre le développement des oeuvres internationales qui ne peuvent pas accéder au COSIP, malgré le lourd investissement que cela représente. Il faudrait poursuivre l'effort entrepris vers les projets innovants.
Par ailleurs, nous devons également encourager l'émergence de nouveaux modes de financement. A l'inverse des échanges entre pays pratiqués quelques années auparavant, il s'agit maintenant de produire des oeuvres hors d'une chaîne leader et de faire participer un certain nombre d'acteurs au financement de chaînes diverses. Nous devons faciliter l'arrivée de nouveaux investisseurs, notamment par l'intermédiaire des crédits d'impôt. Malheureusement, les crédits d'impôts pratiqués sur le sol français se sont retrouvés en concurrence avec d'autres crédits d'impôt beaucoup plus incitatifs. De plus la loi TEPA, qui a permis d'aider un certain nombre de firmes cinématographiques et quelques entreprises de télévision, se trouve aujourd'hui en suspens.
Lagardère Entertainment n'est pas seulement un conglomérat de production mais aussi une société de distribution. Il faut impérativement permettre l'arrivée de groupes de distribution importants et continuer à concentrer le système. Nous devons permettre aux sociétés de disposer des moyens nécessaires pour se développer et créer de nouveaux programmes. Le nerf de la création réside dans le talent d'écriture des auteurs. Il faut que les sociétés, en dehors de l'aide des diffuseurs, puissent créer des programmes par elles-mêmes.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Je vous remercie. Je laisse la parole à Stéphane Le Bars.
M. Stéphane LE BARS, délégué général de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA)
Merci, Monsieur le président. Je tiens à rappeler que le passage des décrets Tasca aux accords Albanel en 2008-2010 marque un changement profond de méthode de négociation orchestré par MM. Kessler et Richard. Les accords interprofessionnels visaient non seulement les chaînes privées mais aussi France Télévisions, les chaînes de la TNT ainsi que les chaînes du câble et du satellite. Le marathon de négociations a permis de refonder les relations entre producteurs, diffuseurs et auteurs. Nous avons cherché à responsabiliser les acteurs de la filière. La SACD, la SCAM, l'USPA, le SPFA, rejoints dans par la suite par le SPECT, ont choisi de négocier avec les diffuseurs pour rechercher les voies d'un nouvel équilibre.
Nous avons débattu avec une centaine de chaînes. Toutes ces chaînes ont des attentes différentes car elles n'ont ni le même positionnement ni les mêmes besoins. Par conséquent les accords conclus s'avèrent complexes. Ils respectent la volonté du législateur de porter une attention toute particulière à la production patrimoniale en créant une obligation dédiée, y compris pour les chaînes de la TNT gratuite et les chaînes du câble et du satellite. Cette notion d'oeuvre patrimoniale a été choisie pour faire face à la porosité de la définition de l'oeuvre audiovisuelle.
Ces accords ont parfois précédé des évolutions majeures de notre paysage audiovisuel. Ils ont ainsi préparé l'extinction de l'analogique en matière d'obligations de production, en connectant le système d'obligations des chaînes de la TNT à celui des chaînes historiques. Ils ont marqué l'apparition de la notion « d'accord groupe ». Ces accords ont également fait apparaître la notion de « couloir européen » destiné à ouvrir la production française au marché international. Nous avons traité les questions de la catch up TV , de la VOD et de la SVOD. Par rapport au décret, la méthode de la discussion bilatérale présente l'avantage d'avoir permis de traiter toutes ces questions qui sont aujourd'hui des évidences.
Ces accords peuvent être évolutifs. Certaines organisations ont déjà signé quatre avenants à l'accord de 2008 avec le groupe TF1. Face aux évolutions technologiques et aux modifications des usages des consommateurs qui réclament une réactivité accrue, la méthode de la négociation prouve son efficacité.
En 2009, première année d'application de ces accords, les acteurs historiques ont consacré 95 % des 700 millions d'euros investis à la production inédite. A cette époque, l'USPA et le SPFA avaient considéré que la meilleure réponse à la production inédite était le marché. En effet, nous imaginons mal aujourd'hui les chaînes de télévision en concurrence frontale, approvisionnant leurs grilles avec des rediffusions. Les premiers chiffres nous montrent que nous avions raison sur ce sujet.
Il est un peu tôt pour tirer un bilan de ces accords, notamment car les chaînes privées ont traversé ces deux ou trois dernières années de grandes perturbations sur le marché publicitaire. Il faudra certainement attendre les bilans des chaînes au titre de l'exercice 2011 pour se faire une idée plus juste de l'impact des modifications réglementaires.
La fiction française traverse incontestablement un trou d'air. Il ne faut pas oublier qu'elle a pourtant longtemps été au firmament des audiences de la télévision française, avant d'être confrontée depuis trois ou quatre ans à une concurrence extrêmement forte de la part de la production américaine notamment. L'expérience montre que la fiction française peut tenir le choc en matière d'audience. Depuis deux ans, un travail en profondeur a été effectué par l'ensemble de la filière - producteurs, auteurs, diffuseurs - pour remédier à cette crise passagère. Nous devons engager une réforme d'ampleur. Le rapport Chevalier souligne la nécessité de renforcer le couple producteur/auteur pour faire face à ce défi. Un certain nombre d'autres éléments devront également être mobilisés : le compte de soutien, la production de day time et la refonte de nos coûts de production. Il n'y a pas de fatalité.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Merci Monsieur Le Bars. Monsieur Candilis nous a indiqué des chiffres consternants qui nous ont inquiétés. Nous pensons également qu'il n'y a pas de fatalité ; encore faut-il que nous puissions partir sur les bonnes pistes. Monsieur Rogard, nous vous écoutons.
M. Pascal ROGARD, directeur général de la société des auteurs-compositeurs dramatiques (SACD)
Merci, Monsieur le Président, et merci au Sénat de s'intéresser à ce sujet important.
Nous avons connu des changements très significatifs. Grâce au Sénat, nous sommes passés d'une définition floue de l'oeuvre audiovisuelle à une définition plus stricte qui est celle des oeuvres patrimoniales. Comparer le système d'obligations en vigueur cinq ans auparavant et le système actuel n'a pas de sens puisque le périmètre n'est pas le même.
Il est trop tôt pour faire un bilan pour une raison très simple : nos mécanismes fonctionnent sur des pourcentages de chiffre d'affaires. Nous appliquons le chiffre d'affaires de l'année précédente, or chacun sait que 2009 a été pour les télévisions privées une année de déprime publicitaire. Si l'on ajoute à cela la modification du périmètre des obligations, la tendance est légèrement dépressive. Il appartient cependant au CSA de vérifier si les chaînes ont bien respecté l'ensemble de leurs obligations.
Je pense que nous bénéficierons d'une meilleure visibilité du système au début de l'année prochaine puisque l'année 2010 a été une année de reprise des investissements publicitaires. Certains des accords que nous avons conclus avec les chaînes, en particulier TF1 et M6, prévoyaient en cas d'augmentation significative de leur chiffre d'affaires une augmentation des taux d'obligations. Par exemple, TF1 passera de 12,5 à 13 % de son obligation en termes d'oeuvres patrimoniales cette année.
La coproduction européenne implique l'utilisation de la langue anglaise. Pour le moment, je n'ai pas noté une forte audience sur ce type de programme. Les difficultés actuelles se présentent pour une partie seulement de la fiction. En effet, une fiction courte comme Plus belle la vie rencontre un grand succès. Si elle avait été produite sur une chaîne privée, elle aurait été considérée comme un échec industriel puisque la chaîne aurait certainement supprimé le feuilleton au bout de trois semaines par manque d'audience. Or, le service public a eu le courage de tenir. La fiction courte de M6 est également un succès. Nous devons mettre l'accent sur le travail des auteurs, des scénaristes et mettre en place des systèmes qui favorisent leur travail sans les précariser. Ceux-ci ne bénéficient pas des droits sociaux des intermittents ni de l'assurance chômage. S'ils ne disposent pas d'une certaine visibilité, ils sont, et c'est normal, tentés de travailler sur plusieurs projets et peuvent moins se consacrer à des projets dont le développement a plus de chances d'aboutir à une réalisation.
Nous avons introduit dans les accords la possibilité d'inclure dans les dépenses de production des dépenses de formation des auteurs. Je rends hommage au service public et en particulier à Rémy Pflimlin qui a permis la mise en oeuvre de ce mécanisme. Nous avons signé un accord avec Canal+ et sommes en discussion avec M6 et TF1. Nous disposons désormais des premiers fonds nécessaires pour former les auteurs et favoriser le développement.
Je pense que le système n'est pas encore parfait. Les accords professionnels, qui sont par définition complexes, car portant sur des chaînes de nature différente, sont difficilement transposables dans des décrets. Nous ferions mieux d'étendre les accords professionnels, le décret n'intervenant qu'à défaut d'accord professionnel. Je pense que nous n'avons pas été au bout de la logique très positive du rapport Kessler-Richard. Le Conseil d'État a d'ailleurs souligné la complexité des décrets. Nous avons réussi à passer des accords professionnels avec toutes les chaînes. La ministre de la culture Christine Albanel et son cabinet nous ont beaucoup accompagnés dans la négociation.
Par ailleurs, il est important pour l'exposition des oeuvres de maintenir les obligations de diffusion, même si nous pouvons envisager des adaptations entre les heures de forte écoute et les autres.
Le paysage est en complet changement. Le développement de la TNT fait apparaître de nouvelles chaînes qui portent atteinte à l'audience des chaînes principales. Nous en avons tenu compte dans nos accords de groupe. Il importe que les nouvelles chaînes de la TNT puissent ne pas seulement être des diffuseurs d'oeuvres qui ont été produites par d'autres mais puissent aussi participer au financement de la création.
Nous disposons en France de talents formidables. Il faut que les chaînes laissent les auteurs s'exprimer et ne formatent pas a priori les cerveaux des faiseurs de projets. Nous verrons ensuite si ce qu'ils ont écrit peut être adapté aux cases et aux programmations des différentes chaînes. Nous rencontrons actuellement un problème non résolu concernant les rapports entre les diffuseurs, les producteurs et les auteurs. C'est à cela que s'est attachée la mission Chevalier. Je pense qu'il serait intéressant que vous l'auditionniez car il a réfléchi de façon indépendante et fait des propositions de très grande qualité.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
L'audition est prévue.
Je donne à présent la parole à Yves Rolland puis à Christian Vion.
M. Yves ROLLAND, secrétaire général de France Télévisions
Merci Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs. Je partage plusieurs considérations exposées par Pascal Rogard.
Les règles relatives à la production audiovisuelle telles qu'elles ont été mises en oeuvre par les décrets de 1990 poursuivaient un double objectif de politique industrielle et de politique culturelle. Il s'agissait à la fois de développer un tissu de producteurs indépendants via la mise en oeuvre du COSIP et les règles d'indépendance entre les producteurs et les diffuseurs mais aussi d'éviter que le développement des nouvelles chaînes de télévision de l'époque ne se fasse au profit de la production américaine. Vingt ans après, le bilan est clairement positif sur le premier objectif puisque le tissu de producteurs audiovisuels est assez développé. S'agissant du deuxième objectif, le bilan est beaucoup plus mitigé en ce qui concerne la fiction mais est davantage réussi en ce qui concerne les documentaires et l'animation.
Ce premier bilan tend à montrer que les effets volume liés aux obligations de production et de diffusion ne suffisent plus ; il faut aussi mettre l'accent sur l'aspect qualitatif des programmes. France Télévisions s'est engagée, en relation étroite avec les professionnels, sur la formation des auteurs, la mise en oeuvre d'une charte de développement et une politique active d'innovation avec un budget pour la première fois clairement identifié. Nous avons eu beaucoup trop tendance dans le passé à souhaiter que le service public investisse davantage chaque année dans la production audiovisuelle. Cela a abouti à un effet pervers : très souvent, nous produisons tous les programmes qui ont été commandés. L'objectif de l'élaboration d'une charte de développement - dans la droite ligne des recommandations du rapport Chevalier - est de faire en sorte que l'on puisse mieux travailler la phase d'écriture et de développement avec les auteurs et les producteurs, pour ne produire que des programmes dont nous sommes parfaitement convaincus du succès potentiel et de leur conformité à la ligne éditoriale propre à chaque chaîne.
France Télévisions maintiendra son effort en faveur de la création française, en témoigne le contrat d'objectifs et de moyens que nous sommes en train de négocier avec le ministère de la culture. Cet engagement doit évidemment s'effectuer en adéquation avec la ligne éditoriale des chaînes qui est en cours de redéfinition dans le cadre du plan stratégique 2011-2015. L'un des avantages des accords professionnels par rapport aux décrets est d'ailleurs de permettre que les obligations soient adaptées en fonction des lignes éditoriales de chaque chaîne au sein d'un groupe et notamment entre chaînes privées et publiques.
Ces lignes éditoriales consistent à développer les séries, les mini-séries et les feuilletons. Rémy Pflimlin - qui est à l'origine de Plus belle la vie - souhaite installer un feuilleton de day time sur France 2, ce qui ne signifie absolument pas la suppression de l'unitaire. Il faut aussi favoriser la diversité des sujets abordés, proches des préoccupations contemporaines des téléspectateurs. Cela ne signifie pas que nous n'adapterons plus d'oeuvres du patrimoine littéraire ou de sujets historiques. En matière de fiction, il convient de développer des productions internationales et notamment européennes avec les grandes chaînes du secteur public. S'agissant des documentaires, nous devons renforcer les coproductions internationales et européennes en multipliant les accords tels que ceux que nous avons signés récemment avec la NHK ou la BBC.
A plus long terme, la production audiovisuelle française devra faire face aux enjeux considérables que représente la télévision connectée. Nous sommes convaincus qu'elle ne pourra affronter de façon positive ces enjeux que par une forte alliance entre les producteurs et les diffuseurs. Les grands diffuseurs historiques ont l'avantage de détenir une marque puissante au niveau national ou européen, ce qui n'est pas le cas des producteurs. Le secteur public peut être le fer de lance de la présence des programmes français sur la télévision connectée. Cela implique une réflexion sur un partage plus équilibré des recettes commerciales d'exploitation des programmes français et par un consensus sur l'utilisation de la marque de chaque programme. C'est dans cette perspective que nous avons souhaité renforcer le rôle de France Télévisions Distribution.
Je vous remercie.
M. Christian VION, directeur général adjoint en charge de la production et des moyens des antennes de France Télévisions
Merci, Monsieur le Président. L'avenir de la production est évidemment lié à l'évolution des contenus produits. La télévision publique a une vocation d'universalité et de diversité. Nous observons une tendance à la fragmentation des goûts et des consommations. Dans l'univers d'hyperchoix qui s'annonce avec les télévisions connectées, notre rôle est bien de répondre à l'ensemble des attentes. Ce défi est passionnant pour nous et pour nos partenaires producteurs car la créativité est le moteur de l'activité de production. Ce défi est difficile car il ne s'agira pas simplement de faire mieux et plus, mais de faire autrement.
En 2012, France Télévisions produira plus de 400 millions d'euros de programmes de création, en application du cahier des charges. 20 % du chiffre d'affaires sera consacré à la production. Cette proportion pourra progresser de manière proportionnelle à l'évolution des ressources de France Télévisions. Tel est l'enjeu de la discussion autour du contrat d'objectifs et de moyens.
Nos cinq chaînes représentent tous les genres. Les lignes éditoriales sont diverses et le sont de plus en plus à travers l'effort actuel d'identification des chaînes. Nous souhaitons néanmoins introduire davantage de diversité dans nos programmes pour certains genres, pour certains publics ou parce que les nouveaux usages nous y obligent. Nous voulons développer une fiction plus orientée vers la série. Elle doit pouvoir se développer en journée, sur de nouvelles chaînes - en particulier France 4 et France Ô. Je pense qu'il faudra que la production puisse inventer de nouvelles formes de programme pour les usages numériques. Les webfictions et les webdocs existent déjà. Il faudra trouver des modes d'écriture susceptibles d'intéresser le jeune public, encore sous-représenté sur nos antennes. Cette diversité des contenus implique une diversité des économies et des modes de production. L'économie de France 4 et France Ô, bien qu'appelée à se développer, ne sera jamais celle de France 2 ou de France 3.
L'exposition des oeuvres est un sujet fondamental. Nous souhaitons que les oeuvres que nous produisons occupent une place croissante sur l'ensemble de nos grilles des programmes, alors qu'elles sont encore cantonnées en première partie de soirée. La négociation menée il y a deux ans nous a permis d'acquérir des droits importants, comme la télévision de rattrapage. Nous devons continuer à nous concerter pour faire évoluer ces droits. France Télévisions entend rester un acteur essentiel de l'écosystème de la création.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Vous avez parlé de qualité et de diversité. La presse avait pourtant donné des nouvelles un peu inquiétantes sur la disparition de la fiction habillée. Une série comme Maupassant a séduit de nombreux Français. L'idée que les séries de ce type puissent disparaître pourrait signifier un recul. Nous resterons vigilants à ce sujet.
Je passe la parole à Karine Blouët puis à Francine Mariani-Ducray.
Mme Karine BLOUËT, présidente de Paris Première et secrétaire générale du Groupe M6
Merci Monsieur le Président. Les diffuseurs sont dans une situation de grande incertitude. La question de la création audiovisuelle est avant tout une question de financement et de droits.
S'agissant du financement, nous sommes des diffuseurs gratuits, dont les ressources viennent de la publicité. Il faut rester vigilant quant à l'équilibre du secteur audiovisuel gratuit, la très grande majorité du financement de la production audiovisuelle reposant sur la télévision gratuite. Or, la télévision gratuite a subi des bouleversements très importants depuis cinq ans. En effet, nous sommes passés de 6 à 18 chaînes gratuites. La durée d'écoute, c'est à dire la consommation par les téléspectateurs, a augmenté de 10 minutes et le marché publicitaire a augmenté de 3,5 %, ce qui signifie une régression en euros constants. Nous sommes dans un marché de répartition de l'offre publicitaire : quand on crée une nouvelle chaîne, la durée d'écoute n'augmente pas de façon extensive. Par conséquent, le financement de l'ensemble du secteur n'augmente pas non plus de façon extensive. Il est donc très important que le législateur préserve ces équilibres.
Le Parlement a été un acteur essentiel de la réforme du secteur public. Vous avez pu constater à quel point il est difficile d'anticiper l'évolution à moyen terme du marché publicitaire. Il a été décidé pour diverses raisons dont politiques de reporter à 2016 une partie de la réforme du secteur public. Je tiens à signaler que c'est pourtant essentiellement la part de publicité après 20 heures venue du secteur public qui a permis la croissance du marché, notamment de la TNT. Face à l'incertitude totale sur l'évolution du marché à laquelle nous sommes confrontés, il apparaît nécessaire de ne pas déséquilibrer davantage le secteur.
Un autre point qui nous menace est l'arrivée des télévisions connectées. Nous aurons demain un débat sur le sujet au CSA, vous-mêmes vous y étant déjà intéressés. Faisons très attention à ce qu' Apple TV et Google TV ne profitent pas des offres que nous avons contribué à financer pour l'essentiel. En effet, l'évolution des supports numériques pose la question fondamentale des droits avec d'autant plus d'acuité. Nous avons trouvé au sein des syndicats de producteurs des interlocuteurs avertis, de même avec les auteurs.
Nous avons tendance à penser que l'indépendance prévue par les accords ne permet pas aux groupes audiovisuels d'acquérir suffisamment de structures de production. Néanmoins, nous pouvons créer des modèles de production dépendants sur le papier mais qui, en pratique, nous font travailler avec des producteurs indépendants. Par exemple, notre fiction à succès Scènes de ménage programmée à 20h10 est une production dépendante puisque M6 est coproducteur délégué. Cependant, la chaîne fait travailler une société indépendante extérieure à M6 qui est également coproducteur délégué et producteur exécutif. Elle emploie elle-même en permanence un pôle d'une vingtaine d'auteurs dont de jeunes talents. Le fait de maîtriser les droits sur cette fiction nous a permis de prendre beaucoup plus de risques que nous l'aurions fait avec une production dépendante, de lancer une campagne publicitaire dans les cinémas, d'innover et de décliner cette fiction sur différents modèles. Il est donc possible de prendre des chemins divers entre la pure production indépendante et la production dépendante au sens où elle appartient totalement à la chaîne.
Autre exemple avec une série d'animation qui est également une coproduction : Le Petit Nicolas repose sur un apport créatif par une société indépendante d'animation française et des financements extérieurs de la part de chaînes européennes.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Vous nous donnez envie de regarder Scènes de ménage !
Le CSA organise demain un colloque important sur la télévision connectée. La commission sera évidemment représentée.
Peut-on entendre la parole du CSA ?
Mme Francine MARIANI-DUCRAY, présidente du groupe de travail sur la production audiovisuelle au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)
Merci Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les sénateurs.
Le CSA s'est beaucoup réjoui de la méthode de discussion interprofessionnelle employée pour adapter les décrets. Elle mérite d'être déclinée à d'autres secteurs où l'économie et la culture sont intimement liées.
Il a été dit que la loi et les décrets sont porteurs d'objectifs culturels et économiques. A cet égard, le CSA se réjouit que les engagements de financement aient pu être pris au niveau des groupes, de manière à favoriser l'émergence et la croissance de groupes solides, et indirectement le développement d'une capacité de production et son exportation.
Les engagements de financement sont proportionnels à la taille des groupes. Il convient d'assurer une diversité de diffusion par service de télévision, de manière à garantir la pluralité de l'offre, ce que font les décrets.
Nous notons des avancées intéressantes en termes d'aide à la formation, à l'écriture et au développement.
Pour assurer la stabilité juridique et mesurer l'effet réel de la règlementation, il convient de s'octroyer un délai, nécessaire pour examiner ses résultats. Nous aurons une vision plus complète à la fin de l'année puisque la traversée de la crise économique a grandement perturbé les ressources publicitaires qui constituent l'essentiel des ressources du secteur privé. Nous devons nous réjouir de la stabilité de la télévision publique.
Le CSA a travaillé l'année dernière sur la question de la circulation des oeuvres dans l'audiovisuel, et a désigné le médiateur Dominique Richard ici présent. Il y va de la diversité d'exposition et de la possibilité de générer des ressources qui renouvellent la capacité d'investissement des producteurs. Nous nous réjouissons que des groupes se soient engagés dans des clauses de libération anticipée des droits dès que la quantité de diffusions à laquelle ils avaient souscrit est atteinte.
A l'avenir, nous devrons assurer une certaine clarté dans la rédaction et dans l'application de la règlementation. La stabilité des textes est d'ailleurs un facteur de clarification des modalités d'application. Il faut peut-être réfléchir sur la question du croisement des financements entre productions indépendantes et productions partiellement dépendantes d'autres groupes. Il faut également réfléchir à l'incidence des pratiques transmédias et à la capacité de trouver des productions innovantes aptes à répondre à l'intérêt du public à travers les différents canaux de diffusion. Dans tous les cas, nous devrons veiller à ce que la règlementation ne représente pas un frein à la diversité des formats des télévisions car elle est une condition de la pluralité de l'offre, à laquelle le CSA est également très attaché.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Nous serons heureux d'entendre tout à l'heure Dominique Richard.
Monsieur Storch et Madame Nallet, vous avez la parole.
M. Laurent STORCH, directeur des programmes de TF1
Bonjour à tous. La fiction est un genre emblématique d'un groupe comme TF1 : Joséphine ange gardien , Camping Paradis , Section de recherches et Clem sont des succès que les gens de la rue identifient assez facilement. Nous contribuons massivement au financement de ce système. Pour l'instant, les chaînes de la TNT qui nous font souffrir tant en termes d'audience que financièrement ne sont pas encore de grandes contributrices de fiction.
Il est évident que la création est l'axe majeur. Nous sommes légitimes à intervenir en tant que médiateur entre le grand public, les annonceurs et les créateurs. Je pense que la contrainte n'est pas nécessairement rejetée par les créateurs ; même Picasso a peint Guernica sur commande ! Je tiens à souligner enfin l'importance de l'harmonie. Cloisonner auteurs, producteurs et diffuseurs est un mauvais combat.
Aujourd'hui, nous considérons que le renouveau de la fiction française est en marche. En effet, nous connaissons de vrais succès depuis près de deux ans. Le jeudi, nous sommes largement leaders grâce à des fictions procédurales et souvent policières, ainsi que le lundi grâce aux comédies.
Nous sommes confrontés à un défi de rentabilité inquiétant pour une chaîne comme la nôtre, qui vit de ses recettes publicitaires. Le pourcentage que nous allouons au système est prélevé sur notre chiffre d'affaires. La fiction française remporte moins l'adhésion du public que la fiction américaine en ce moment - en particulier, les cibles commerciales qui sont plutôt féminines et jeunes. Par ricochet, les annonceurs boudent plus la fiction française que d'autres genres. Cependant, comme l'a dit Takis Candilis, cela a été le contraire pendant vingt ans. Nous avons pour défi de rendre cette fiction française plus agréable pour le grand public et en particulier pour les cibles commerciales. Nous nous y employons ; cela prend beaucoup de temps. Sachez que, lorsque nous diffusons une fiction française, nous perdons de l'argent car les recettes publicitaires ne compensent pas le coût unitaire de la fiction. Appliquer un prorata numeris est difficile puisque nous avons du mal à rediffuser cette fiction.
Même en cas de succès, il est difficile de décliner la fiction en 15 ou 20 épisodes comme le font les Américains. Le rapport Chevalier met d'ailleurs en exergue le défi que représente la série pour les auteurs et les producteurs. Nous devrons être capables de décliner nos fictions en plusieurs épisodes. Sur Section de recherches , nous y sommes parvenus, non sans difficulté. Il faut industrialiser quelque peu le système.
Je laisse la parole à Céline Nallet.
Mme Céline NALLET, directrice des opérations de la direction de la fiction de TF1
Bonjour à tous. Notre règlementation est la plus complexe et la plus lourde d'Europe : quotas de production assis sur le chiffre d'affaires des chaînes, définition très restrictive de l'indépendance, lourds quotas de diffusion... Pourtant, la France produit beaucoup moins de fictions que nos voisins européens et la fiction nationale y est moins performante.
En revanche, l'évolution de la règlementation en 2009 a permis d'instaurer un véritable dialogue entre tous les partenaires. Nous avons réussi à signer des accords interprofessionnels. Il importe de poursuivre le dialogue afin d'adapter notre règlementation aux évolutions rapides du marché.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Merci Madame. Passons la parole aux producteurs indépendants et à Jérôme Caza en particulier.
M. Jérôme CAZA, président Télévision du Syndicat des producteurs indépendants (SPI)
Monsieur le Président, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, au nom des 150 sociétés de production audiovisuelle adhérentes au SPI, dont un tiers sont établies en région, croyez-en notre reconnaissance devant le travail accompli par cette honorable Chambre afin d'améliorer dans la mesure du possible les dernières réformes des décrets audiovisuels et de France Télévisions.
2009 fut une année de crise dans la production audiovisuelle. Selon le guide numérique publié par le CSA le 11 mars dernier, TF1 a désinvesti 71 millions d'euros dans la production d'oeuvres audiovisuelles, ce qui représente une cinquantaine de fictions et 39 millions d'euros dans la production indépendante, avec des critères assouplis en faveur des diffuseurs. M6 a conservé un niveau d'engagement dans la production audiovisuelle supérieur à son obligation mais n'a pas rempli ses obligations d'investissement dans les oeuvres indépendantes patrimoniales, soit un manque à gagner de 21 millions d'euros pour le secteur. Canal+ n'était pas en reste avec un désinvestissement de 30 millions d'euros dans la production inédite, tout en respectant cependant ses obligations. La chute globale cumulée s'élève à 116 millions d'euros, soit l'équivalent de 600 documentaires.
La création a souffert d'une double peine : la baisse des obligations en valeur relative des diffuseurs est calculée sur une assiette qui, du fait de la crise, a elle-même diminué. Il convient de souligner que le secteur a toutefois pu surmonter cette crise et ce contrecoup grâce au service public, qui a augmenté ses investissements au cours de la même période. En 2010, nous sommes sortis de la crise. Il convient de féliciter TF1, M6 et Canal+, dont le chiffre d'affaires est en hausse : +11 % pour TF1, +6 % pour M6 et +3 % pour Canal+. Nous en sommes ravis puisque les obligations sont calculées sur le chiffre d'affaires.
Nous ne devons pas pour autant afficher un optimisme béat. En effet, la tendance à la baisse du financement de la création des chaînes privées perdure. S'il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur les réformes, nous pouvons relever, selon le bilan de la production audiovisuelle aidée publié par le CNC, que les investissements des chaînes privées historiques en la matière sont en régression de 7 % en 2010 par rapport en 2009, soit une baisse de 21 millions d'euros. Cependant, le CNC a observé une progression de 4 % du financement global, essentiellement due aux chaînes publiques.
Les chaînes de la TNT représentent 20 % de l'audience et un quart du marché publicitaire mais seulement 1 % des apports totaux des diffuseurs, soit moitié moins que les télévisions locales. Force est de constater que ces chaînes ne suppléent pas aux aides d'investissement des chaînes privées historiques.
Les décrets, qui sont le bras armé de la fameuse exception culturelle, n'assument pas ou plus suffisamment l'équilibre du secteur et ne permettent pas le renouveau de la création et des talents. France Télévisions représente 70 % des documentaires et environ 60 % de la fiction. Il est crucial de lui assurer une certaine pérennité en garantissant son budget. La dotation budgétaire incertaine, de l'ordre de 400 millions d'euros, ne doit pas servir de variable d'ajustement.
Nous pensons que les pouvoirs publics et le législateur peuvent participer au rehaussement des obligations des chaînes privées historiques et de la TNT et instaurer un niveau minimum d'investissement dans les oeuvres vraiment inédites en soirée. Il faut permettre au public français le plus nombreux le soir de regarder les oeuvres audiovisuelles du patrimoine français. Il faut probablement limiter la mutualisation des obligations car elle représente un obstacle à la circulation des droits et redéfinir l'indépendance. Les nouveaux critères sont contraires à la directive « Télévision sans Frontières » censée favoriser l'émergence d'un tissu d'entreprises de production indépendantes.
Il faut aider le secteur par une réflexion commune, par la négociation intersyndicale et interprofessionnelle. Nous n'avons pas été invités à toutes les tables. L'audiovisuel n'a pas encore connu la véritable révolution numérique. Cette menace a déjà un nom : la télévision connectée. Elle peut cependant constituer un nouvel eldorado. Dans cet univers, qui verra triompher l'hyperchoix, nous verrons qu'il sera possible de participer à des communautés en temps réel qui permettent d'interagir en direct. Néanmoins, nous serons probablement sollicités par la publicité. De nombreux acteurs économiques entreront sur le marché (FAI, fabricants de téléviseurs et de consoles de jeux) ; ils auront pour objectif de contrôler l'accès au service par les usagers. Les diffuseurs historiques risquent de connaître des difficultés du fait de l'apparition d'un nouveau modèle économique déterritorialisé, beaucoup plus concurrentiel, dématérialisé et déréglementé.
C'est pourquoi les producteurs indépendants et les distributeurs préparent activement la création d'une plateforme de numérisation des oeuvres patrimoniales. Ce projet intersyndical nous permettra de les rendre accessibles au marché international et au public. Nous initions à cette occasion un système numérisé de réédition des comptes audiovisuels destiné à tous les ayants droit, qui permettra d'organiser une traçabilité de la consommation non linéaire des oeuvres. Merci.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Madame Blouet souhaite répondre à vos propos.
Mme Karine BLOUËT, présidente de Paris Première et secrétaire générale du Groupe M6
Ces chiffres sont faux. Tout le monde sait que l'année 2009 a été très perturbée et que nous avons eu beaucoup de difficultés pour remplir notre obligation. Cependant nous le faisons depuis 2010 sans faillir.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Je donne la parole à Monsieur Rony.
M. Hervé RONY, directeur général de la société civile des auteurs multimédia (SCAM)
Merci Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs. Le documentaire est un programme très riche mais souvent moins abordé que la fiction dans les enceintes professionnelles. Toutefois, la fiction connaît actuellement des difficultés que ne connaît pas le documentaire. 90 % des documentaires diffusés le sont sur le service public et sur Arte, malgré les efforts entrepris sur TMC et NRJ12. Il faut bien distinguer le documentaire de création du documentaire qui devient un peu la « tarte à la crème » de tout programme de télévision qui ne serait pas du flux.
La négociation interprofessionnelle mérite d'être recommandée. Il faut cependant veiller à ne pas donner un alibi aux pouvoir publics pour se dessaisir d'une matière dans laquelle l'intervention législative reste essentielle. Si la SCAM est plutôt satisfaite de l'ensemble des dispositifs existants, il faut cependant essayer de développer autant que possible les aides à l'écriture, comme Rémy Pflimlin l'avait souligné. Notre dispositif « Brouillon d'un rêve » permet de distribuer des bourses d'aide à l'écriture, même si la production n'a pas été programmée. Cependant, 80 % des projets concernés finissent par être diffusés.
Conclure aujourd'hui sur l'ensemble des dispositifs est évidemment prématuré. Je pense que le SPI effectue une analyse un peu pessimiste. Il faudra établir le bilan des dispositifs à l'aune également du dossier des canaux compensatoires. Même si la loi est claire, nous sommes favorables à ce que le service public ne diffuse plus de publicité dans la journée. Faire des bilans dans un paysage audiovisuel qui ne se stabilise jamais n'est pas simple.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Merci Monsieur. Votre message a été entendu. Monsieur Viret pourrait-il nous communiquer la position du Groupe NRJ ? Ensuite, je passerai la parole à Monsieur Gisbert.
M. Gérald-Brice VIRET, directeur délégué au Pôle Télévision du Groupe NRJ
Je suis particulièrement heureux de m'exprimer ce matin sur ce sujet. J'interviens en ma qualité d'éditeur de chaîne issue de la génération TNT 2005. Si nous représentons aujourd'hui 20 % de l'audience, il ne faut pas oublier que ce chiffre englobe près de 17 chaînes qui ont beaucoup d'obligations communes avec leur chaîne mère comme TMC, NT1 ou W9.
NRJ 12 est une chaîne indépendante, non affiliée à un groupe historique. Nouvelle, indépendante et isolée sont trois qualités qui revêtent leur importance dans notre vision de la production audiovisuelle et en particulier originale, qui est et sera la clé de notre réussite. Cette production inédite nous procure trois avantages indispensables et indiscutables :
• la distinction de notre ligne
éditoriale : seules nos productions propres pourront être
mémorisées par les téléspectateurs et permettront
de fidéliser le public, à l'aune de la télévision
connectée ;
• la maîtrise de nos coûts de
grilles : les prix de nos acquisitions sont soumis aux tensions sur le
marché des droits et toutes les chaînes, notamment de la TNT, se
disputent les mêmes produits. Cependant, même si la production
inédite coûte plus cher au départ, elle ne subit pas de
phénomène inflationniste anormal, d'autant plus que nous avons
appris à produire des programmes de qualité et
concurrentiels ;
• un accomplissement du quota favorisé. Des
acteurs historiques privés et publics nous ont accordé des
fenêtres qui ont permis d'agir en ce sens. Merci également au CSA
et au Sénat.
La règlementation n'est pas la clé de la réussite en matière de production audiovisuelle mais constitue un passage obligé. Nous avons d'ailleurs signé les accords avec beaucoup d'enthousiasme. Dès sa deuxième année d'existence, NRJ12 a commencé à surinvestir dans la production originale, dans une proportion sans égale avec toute autre chaîne de la TNT. De 2006 à 2009, NRJ 12 a ainsi dépensé cinq fois plus (39 millions d'euros) dans la production inédite que sa convention CSA ne l'exigeait. Aujourd'hui, nous faisons travailler plus de 50 producteurs dont la moitié sont nés avec les nouvelles chaînes de la TNT.
Nous produisons :
• des magazines documentaires - près de 600
heures ont été commandées ces trois dernières
années ;
• de la fiction. Notre première fiction
longue, 4x52 minutes, a débuté en 2009. Cette année, nous
nous apprêtons à conclure des conventions de développement
sur quatre productions françaises, avec pour objectif de diffuser notre
première série quotidienne dès le premier trimestre 2012.
Nos productions inédites sont indispensables à l'alimentation des
antennes ainsi qu'à la bonne santé de la production
française. Nous devons générer des formats capables de
s'exporter.
Les chaînes de la TNT n'ont pas forcément pour rôle d'investir en production inédite de la même manière que les chaînes historiques, c'est-à-dire en production lourde de prime time . La TNT a vocation à investir en programmation de journée et de début de soirée. Ce sont ces vocations différentes qui assureront la diversité de la production française.
Peut-être est-il temps de réfléchir à la révision de la notion d'heures de grande écoute (18 heures-23 heures) dans les quotas de diffusion, lorsque l'explosion de l'usage Internet de la télévision de rattrapage ou de la VOD révolutionnent les modes de consommation. C'est l'investissement financier des éditeurs de télévision qui importe et pas toujours les horaires auxquels sont consommés les oeuvres. Nous pourrions ainsi envisager un mécanisme d'élargissement des horaires de grande écoute en compensation par exemple d'un surinvestissement financier.
Nous ne pouvons plus laisser dire que les chaînes de la TNT sont uniquement des canaux de rediffusion. Elles sont là pour créer. La mutualisation des obligations de production introduite par la loi du 5 mars 2009 est un avantage considérable mais qui ne bénéficie qu'aux éditeurs de télévision disposant de plusieurs chaînes TNT. NRJ Groupe a besoin d'une deuxième chaîne TNT nationale pour rester un moteur de la production française. Il faut donner aux nouveaux entrants de 2005 les moyens de diversifier leur offre éditoriale envers le public et leur offre publicitaire envers les annonceurs afin de consolider leur position globale et de maintenir le pluralisme des opérateurs.
Plus les producteurs audiovisuels auront de chaînes et de guichets, plus ils pourront créer de nouveaux programmes et exploiter leurs droits de diffusion en faisant jouer la concurrence entre leurs clients éditeurs. Le phénomène de concentration actuelle est gravement contraire aux intérêts de nos amis producteurs.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Après cette magnifique défense des chaînes de la TNT, je donne la parole à Monsieur Gisbert. Je cèderai ensuite la présidence à Catherine Morin-Desailly car une obligation impérative m'oblige à vous quitter et je le regrette.
M. Vincent GISBERT, délégué général du Syndicat de producteurs et créateurs d'émissions de télévision (SPECT)
Même si les discussions ont été longues, il me semble que le passage des décrets Tasca et des accords, qu'on les appelle Albanel ou Kessler-Richard, démontre une certaine maturité du secteur. « C'est à la fin du bal que l'on paie les musiciens », disait mon grand-père : il est prématuré de tirer un bilan de ces accords mais les premiers retours apparaissent positifs.
Les chaînes de la TNT commencent à faire de plus en plus appel à des producteurs indépendants notamment dans le domaine des programmes dits de « flux », pour de vraies réussites artistiques. A titre d'exemple, on peut citer le JT Ajité, journal télévisé en rap diffusé sur W9, qui connaît une forte audience auprès des jeunes.
Nous nous sommes rapprochés de la SPFA et de l'USAPA afin de fonder la CPA. Il s'agissait de permettre aux producteurs indépendants de mieux peser dans les discussions. L'industrialisation de la production indépendante doit permettre de faire de la production française un acteur majeur à l'échelle européenne voire mondiale. La diffusion de la production indépendante permet d'enclencher une dynamique vertueuse en donnant leur chance à un certain nombre de formats originaux français. Une fois qu'un format original est diffusé sur une chaîne nationale, il a toutes les chances de connaître un succès à l'international. Par exemple, le succès de Panique dans l'oreillette sur France 2 a permis de le vendre à l'étranger.
Les formats originaux ont connu une augmentation de 25 % de leur exportation en 2009 par rapport à 2008 rejoignant presque le niveau des exportations de fiction. Intervilles est non seulement l'émission préférée du général de Gaulle mais aussi de 180 millions de Chinois. Aujourd'hui Little Big Prod , société de production française, réalise toutes ses émissions de plateau pour Al Jazeera Children. En termes de soft power , disposer de producteurs français capables de proposer des émissions sur une telle chaîne n'est peut-être pas anodin.
Les exemples de succès d'audience sur France Télévisions et à l'international ( Tout le monde veut prendre sa place , Le 4e Duel , Tout le monde en parle ) sont bénéfiques à l'ensemble de la filière. Nous pensons que c'est le producteur indépendant qui est le mieux à même de vendre son programme à l'étranger. Certaines émissions permettent le débat politique, comme Le Grand Journal . La règlementation doit permettre à tous de s'exprimer.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Merci à vous d'avoir évoqué le soft power et l'exportation. Je laisse maintenant la parole à Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine MORIN-DESAILLY, vice-présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »
Merci Monsieur le Président. Je donne la parole à Marc du Pontavice. L'animation est un secteur qui se renouvelle de façon constante.
M. Marc du PONTAVICE, président du Syndicat des producteurs de films d'animation (SPFA)
J'observe avec satisfaction que l'animation est souvent citée en termes d'exception par rapport aux difficultés rencontrées par la fiction ou d'autres secteurs de la production audiovisuelle. Cependant, l'animation n'est pas moins réglementée que les autres secteurs.
Au début des années 90, l'animation française représentait à peine 20 à 25 % de l'offre des programmes diffusés sur les antennes françaises pour les enfants, alors très largement dominée par les programmes américains et japonais. Vingt ans plus tard, l'animation française représente plus de 50 % de l'offre des programmes d'animation sur les chaînes françaises. Le volume de production en fait le premier producteur européen.
Ce secteur est réglementé comme les autres malgré ses spécificités. Le coût de production est quasiment égal à celui d'un programme de fiction diffusé en prime time alors qu'il est diffusé en day time . Dès lors, les producteurs de films d'animation doivent davantage travailler dans une logique entrepreneuriale puisqu'ils doivent trouver des financements hors du marché primaire.
La règlementation a été complétée ces dernières années par trois thèmes principaux :
• augmenter la capacité de financement du
marché français sur les programmes d'animation pour lui donner
les moyens de se battre à armes égales contre les géants
qu'étaient les États-Unis, le Japon et le Canada. Les obligations
de préfinancement sont apparues : les diffuseurs doivent investir
entre 0,6 et 1 % de leur chiffre d'affaires dans les programmes
d'animation. Ce n'est pas le montant de l'investissement qui est le plus
important mais la régulation des contreparties accordées par
rapport à cet investissement. Dans l'animation, l'enjeu de notre
modèle économique est le marché secondaire,
c'est-à-dire le marché international. Par conséquent, il
est essentiel que les accords limitent les droits acquis par le
diffuseur ;
• garantir l'exposition des programmes sur les
antennes françaises par les quotas de diffusion. Certains voulaient
réserver l'animation à des chaînes dédiées,
ce qui aurait été une catastrophe puisque la
pénétration du câble et du satellite n'aurait pas permis de
toucher l'ensemble de la population enfantine ;
• une forte incitation à la localisation
française des dépenses d'animation. Le marché de l'emploi
dans l'animation française a augmenté de façon
spectaculaire dès lors que les producteurs français ont pris le
contrôle de leur patrimoine. L'animation française
représente désormais 30 à 40 % du volume des
exportations de programmes audiovisuels français.
Cette règlementation nous a permis de remporter deux enjeux :
• un enjeu culturel : aujourd'hui les enfants
regardent principalement des programmes français, ce qui est
également vrai à l'international puisque nos programmes
s'exportent dans plus de 150 territoires dans le monde, y compris aux
États-Unis ;
• un enjeu industriel.
Il faut toujours se méfier des raisonnements sur les effets de taille. Je pense que, s'il faut réfléchir aux moyens donnant la possibilité aux entreprises de production françaises de prendre plus de risques, il ne faut certainement pas s'imaginer qu'une intégration verticale diffuseurs/producteurs serait favorable à la diffusion et à la création des programmes. C'est le créateur ou le producteur, à travers sa démarche entrepreneuriale, qui sera à l'initiative de programmes innovants.
Mme Catherine MORIN-DESAILLY, vice-présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »
Je vous remercie. Je passe la parole à Yann Le Prado.
M. Yann LE PRADO, directeur général adjoint et responsable des acquisitions de Direct Star / Direct 8
Les chaînes de la TNT participent à l'écosystème de la production audiovisuelle. Nous sommes activement engagés dans tout dispositif destiné à développer la production audiovisuelle puisque cela fait six ans maintenant que Direct 8 existe. Nous diffusons sept heures de programmes inédits par jour.
Depuis un an et demi, nous nous sommes engagés à diffuser un minimum de 20 spectacles vivants par an (pièces de théâtre, spectacles humoristiques, concerts), ce qui représente un effort très significatif pour une chaîne de notre taille. A l'instar de NRJ 12, nous avons largement dépassé les obligations qui sont les nôtres en termes d'investissement, y compris sur la fiction. Citons le téléfilm de prime time , Tempêtes, diffusé sur France 3. Nous avons préacheté ce téléfilm, démontrant notre volonté de développer une politique d'investissement dans la fiction lourde. Notre apport financier a été dix fois supérieur à ce que l'on investit habituellement dans l'achat d'un téléfilm sur le second marché.
En outre nous investissons fortement dans les documentaires. Direct Star existe depuis sept mois. Nous avons coproduit 30 documentaires de 52 minutes pour nos primes. Nous travaillons avec des producteurs de grande taille mais aussi avec des producteurs indépendants. Nous avons par ailleurs monté une structure de production cinématographique qui s'appelle Direct Cinéma dont le budget d'investissement dépasse 3 millions d'euros par an. Depuis le mois de septembre, nous avons déjà investi 1,2 million d'euros dans cinq films.
TF1 a mis en exergue la difficulté de trouver les programmes de fiction susceptibles de plaire à l'audience cible. Nous rencontrons la même problématique pour d'autres types de programmes. Notre offre documentaire sur les métiers de l'extrême connaît un vif succès. J'ai fait le tour des producteurs en France pour chercher à coproduire et préacheter ce type de documentaire mais aucun n'a voulu le faire. Je suis obligé de me rabattre sur des producteurs étrangers, notamment anglais et américains. En outre, j'ai parfois du mal à faire qualifier certains programmes de « documentaires », le CSA préférant le terme de « magazines ». Je rencontre donc parfois des difficultés à remplir mon quota d'oeuvres patrimoniales.
Chaque année, à l'approche du mois de décembre, nous courons un peu après les contrats pour atteindre les seuils qui nous sont imposés. Nous pouvons ainsi être amenés à nous engager pour de mauvaises raisons sur des programmes qui ne correspondent pas aux attentes du grand public. Je pense qu'il serait nécessaire d'instaurer un peu de souplesse dans certains quotas et qualifications.
Mme Catherine MORIN-DESAILLY, vice-présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »
Je cède la parole à Frank Soloveicik. Nous connaissons vos positions souvent réaffirmées sur la circulation des oeuvres. Peut-être pourriez-vous aujourd'hui concentrer votre propos sur la difficulté de la production française à l'international.
M. Frank SOLOVEICIK, président du Syndicat des entreprises de distribution de programmes audiovisuels (SEDPA)
Je tiens à vous remercier car la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat fait preuve d'une persévérance et d'une vigilance en matière de production et de distribution assez rares pour être notées. Vous essayez de réunir autour d'une table tous les acteurs de la production audiovisuelle, y compris les distributeurs, ce qui à mon sens est la seule manière d'entraîner un cercle vertueux.
La distribution est la guerre de la production par d'autres moyens. Plus l'on conquiert des marchés extérieurs, plus nous rentabilisons nos programmes. Plus nous faisons circuler nos programmes à l'intérieur, plus nous parvenons également à les amortir. Il s'agit d'un double effet de cliquet vertueux.
La limitation des droits ne se fera pas sans l'identification et la valorisation de chacun des droits. Les nouvelles technologies nous invitent à nous montrer particulièrement vigilants à cet égard. La possibilité de pouvoir rediffuser des programmes unitaires est un élément indispensable. Lorsque France 2 a réouvert la case du documentaire animalier du dimanche après-midi, elle avait affecté de manière théorique 100 000 euros par programme pour cette heure-là, sachant pertinemment que cela ne suffisait pas pour réaliser 52 émissions dans l'année. C'est en ayant recours aux achats que France Télévisions a pu financer la production inédite. Dès lors la péréquation entre l'achat et la production peut être vertueuse.
Au sujet de la distribution audiovisuelle, le sénateur Jean Cluzel évoquait le « syndrome d'Azincourt ». Malgré la qualité ou le volume de nos productions, nous avons connu un certain nombre de revers. Toutefois nous arrivons à conquérir des marchés grâce par exemple à Julie Lescaut, Joséphine ange gardien ou encore Boulevard du Palais .
Famille d'accueil , série emblématique de France Télévisions, a été diffusée à la fois sur France3 et NRJ12 à la fin de l'année 2010. Les scores d'audience sur les anciens épisodes de 90 minutes sur NRJ12 attestent de la faveur du public. France 3 a diffusé en janvier et février derniers les nouveaux épisodes de la série en 52 minutes. Les scores d'audience, à raison de deux épisodes par soir, étaient respectivement de 17 et de 18 % de parts de marché. Cela peut signifier que ces programmes ont été visionnés par le même public ou comme je le crois, par le public de NRJ. Cet écho prouve qu'un bon programme, même dans la rediffusion, est capable non seulement de subsister mais aussi de gagner des publics. C'est la seule manière de rentabiliser nos productions dans des cadres budgétaires contraints.
Si l'on veut faire en sorte que nous soyons dans un cercle plus vertueux, il faut que nous instaurions la fin automatique des droits un, deux ou trois mois après la dernière diffusion contractuelle. Il faudrait que nous réinstaurions le crédit d'impôt à la distribution puisqu'il nous permettait de libérer des droits d'archive pour l'export et de donner des à-valoir aux producteurs de nature à conforter leurs financements.
Je comprends la nécessité de certains de considérer l'intérêt du marché. Je ne suis cependant pas sûr que les filiales des chaînes soient les mieux placées pour faire circuler les programmes. Je ne suis pas convaincu que le droit de première option tel qu'il est configuré soit le mieux-disant pour les producteurs. Les règles financières qui sont dévolues ne me paraissent pas propices pour mettre en relation de manière saine l'ensemble des concurrents. En effet, il appartient in fine au producteur de déterminer le mieux-disant en termes de distribution.
Je ne vous cache pas ma joie lorsque j'entends l'unanimité des propos élogieux quant à la circulation des programmes ! Ce chemin n'est toutefois pas achevé.
Mme Catherine MORIN-DESAILLY, vice-présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »
Dominique Richard, vous avez le mot de la fin.
M. Dominique RICHARD, médiateur du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pour la circulation des oeuvres
David Kessler et moi-même avons été missionnés par Christine Albanel début octobre 2007. Nous avons voulu faire partager un constat de faiblesse relative de l'industrie audiovisuelle. Le Groupe TF1, présenté comme un monstre, n'est que le 24 e groupe éditeur de services de télévisions à l'échelle mondiale. La France compte 1 200 sociétés de productions, dont près de 700 émargent au CNC. L'acte de production dans notre pays est essentiellement financé par les éditeurs directement ou via le COSIP qu'ils financent.
Nos six préconisations ont été un succès. Nous avons réussi à engager le dialogue entre les acteurs de la production audiovisuelle et à faire admettre le passage de la réglementation à la régulation. En outre nous souhaitions nous recentrer sur la notion d'oeuvre patrimoniale, dans un souci de simplification et introduire la proportionnalité des droits : lorsqu'un éditeur investit, il peut avoir un intérêt à faire circuler son programme. Le développement de la fiction en access prime time a fait l'objet d'un débat qui a prospéré depuis. Enfin nous souhaitions mettre en place des incitations à l'innovation et redéfinir l'indépendance.
Aujourd'hui il convient de mettre en relation le monde du broadcast qui est hexagonal et réglementé et du broadband , c'est-à-dire les nouveaux acteurs de la télévision connectée, qui sont internationaux, surpuissants et déréglementés.
Nous devons nous poser plusieurs questions. Premièrement, nous devons mettre en place un financement équilibré et loyal du secteur. Aujourd'hui l'accès à la ressource publicitaire est inégal. Il faut également redéfinir l'espace publicitaire car la télévision connectée entraîne une superposition de la publicité et du programme. Est-il normal que seuls les éditeurs - et maintenant les FAI - financent le COSIP alors que les fabricants de téléviseurs deviennent des distributeurs et que les nouveaux entrants utilisent de façon surévaluée de la bande passante sans participer au financement ?
Deuxièmement, nous devons nous interroger sur l'intégrité du signal. Quelle est la force juridique de la charte signée par les éditeurs ? Le législateur ne devra-t-il pas s'en saisir ?
Par ailleurs, il faudra encourager la série, qu'elle soit de fiction ou documentaire, sur la base d'un effort soutenu, le temps de l'installation à l'antenne puis d'une dégressivité des aides. Nous devons valoriser le rôle des auteurs dans notre pays (formation initiale et continue, tutorat, etc.). Nous devrons également favoriser l'innovation.
Se pose la question du second marché, pour lequel nous devrons peut-être adopter une politique de petits pas, plutôt que de vouloir régler toutes les problématiques de la même façon.
Enfin, ce qu'il faut avant tout retenir, c'est que les éditeurs, les producteurs et les auteurs devront travailler de plus en plus de concert pour affronter le monde hyperpuissant de l'Internet.