2. Un aménagement du territoire au service d'une économie maritime forte
Les ports concurrents disposent d'un atout supplémentaire : un aménagement du territoire au service de l'économie maritime . Les économies de l'Europe du Nord sont historiquement « tournées vers la mer » et vers le commerce, ce qui valorise d'emblée leurs ports maritimes : cet avantage « culturel » explique la priorité donnée à ces ports maritimes (et fluviaux) dans l'aménagement du territoire national, en particulier pour l'organisation des dessertes, et l'intérêt constant que les nations concernées ont porté au développement portuaire (et à la logistique en général).
Le constat de cet avantage « culturel » doit nous aider à progresser, plutôt que servir à justifier nos retards : nos ports maritimes, et plus largement les autorités publiques françaises, peuvent gagner beaucoup de temps en s'inspirant de ce qui se fait de mieux à nos portes.
Nous avons identifié ici deux mouvements complémentaires qui dynamisent les ports concurrents - et qui, parce qu'ils sont contradictoires chez nous, freinent le développement de nos ports maritimes :
• les ports concurrents sont reconnus pour leur valeur économique et pour leur contribution écologique à l'économie nationale (ou régionale, ou européenne) ;
• forts de cette double reconnaissance, ils concilient plus facilement développement de l'activité et protection de la nature .
a) Les ports sont reconnus pour leur valeur économique et maîtrisent leur politique foncière
En visitant des ports concurrents, nous avons perçu combien la notion d'économie maritime manquait à notre pays. C'est évident au Benelux, où chacun sait que l'activité s'est développée par la mer : il n'est nul besoin que les ports y soient propriété d'État, pour que leur développement soit une priorité nationale.
En Europe du Nord, le port est considéré comme un outil économique, adossé à des zones industrielles et à des zones logistiques à forte valeur ajoutée : l'image du port n'est pas d'abord balnéaire, mais bien économique, et les autorités portuaires savent très bien faire valoir le poids économique de leurs installations.
Le port de Rotterdam , communique sur son poids économique déterminant à l'échelle du pays. L'ensemble de l'activité portuaire représenterait, directement et indirectement, 22 milliards d'euros (3,3 % du PIB) et 145 000 emplois directs et indirects , selon les documents officiels. Le projet stratégique pour 2030 ( Vision 2030) propose des objectifs très ambitieux : en vingt ans, le tonnage global progresserait de 63 % (de 430 à 700 Mt), le trafic conteneurs de 72 % (de 11,6 à 20 millions d'EVP) et les autorités tablent sur 25 000 emplois supplémentaires . Dans ce scénario, l'économie maritime est loin de se résumer au trafic de conteneurs et le résultat recherché ne ressemble pas à un territoire seulement couvert de vastes zones logistiques. La zone industrielle du port de Rotterdam raffine annuellement 50 millions de tonnes de pétrole, ses centrales produisent 15 % de l'électricité nationale, le site est le premier pôle pétrochimique du Benelux et le projet Vision 2030 prévoit de renforcer le pôle industriel : sur les 1 000 hectares supplémentaires d'activité de Maasvlakte 2, le tiers ira à l'industrie, avec notamment une nouvelle centrale à charbon. Le projet stratégique du port estime qu'en vingt ans, l'activité portuaire en développement entraînerait 25 à 35 milliards d'euros d'investissements internationaux : le port est bien un moteur pour l'ensemble de l'économie néerlandaise.
Cette orientation maritime se double de politiques ambitieuses d'aménagement du territoire, ancrées dans l'histoire nationale et particulièrement bien adaptées au développement portuaire : la « planification à la hollandaise » voit loin, réserve du foncier pour des opérations à venir, et mobilise la société dans une négociation en continu, qui fait participer les opposants et qui privilégie la délibération collective.
Ainsi le plan stratégique Vision 2030 du port de Rotterdam est-il soumis à un large débat public, avec une négociation véritable sur certains des objectifs et des compensations liées à l'extension de l'activité économique. Cette méthode est avantageuse pour les ports, qui demandent des investissements dans la durée ; elle est également un atout pour associer la population au développement de l'activité économique, d'autant que l'opinion publique est devenue plus exigeante en matière d'environnement.
b) Une conciliation réussie entre le développement de l'activité et la protection de l'environnement
En valorisant leur contribution écologique à l'économie en général, les ports d'Europe du Nord ont très bien négocié le « tournant écologique » de l'économie européenne et ils justifient plus facilement les investissements qu'ils mobilisent - et qui les renforcent. Alors que les réseaux de transports terrestres sont saturés, l'intérêt de la société tout entière coïncide avec celui des ports : il faut faciliter l'accès des marchandises aux bassins de populations par de bonnes dessertes, par une valorisation sur place, par des zones de logistiques « en profondeur » - autant d'éléments qui renforcent le succès du port, donc sa capacité à massifier davantage. Rotterdam, Anvers, Hambourg et les plus grands ports du Nord de l'Europe jouent d'autant plus facilement la carte « outil de développement durable », que les trafics qu'ils accueillent déjà représentent une menace d'encombrement supplémentaire pour les réseaux terrestres - en particulier routiers.
Ici encore, le port de Rotterdam est exemplaire, d'autant que la ville aspire à devenir la capitale mondiale pour l'énergie sans carbone ( World Capital of CO 2 free energy ). En 2007, la Rotterdam Climate Initiative est signée par la ville, le port, les industriels, l'université et des associations environnementales : l'objectif est de réduire en 2025 les émissions de CO 2 de moitié par rapport à 1990, malgré le développement de l'activité. Le programme est confié à une personnalité politique de premier plan. Entre 2007 et 2010, près de 50 millions d'euros sont consacrés au développement de l'éolien, du solaire et de la biomasse, à la capture et au stockage du carbone, à des programmes d'études sur la biodiversité - environ 30 millions supplémentaires sont prévus d'ici 2014. Le projet stratégique du port se sert clairement de l'enjeu écologique comme d'un levier de développement : l'industrie de demain devra être « propre », le port doit y parvenir pour ses installations industrielles et renforcer à cette occasion son poids dans l'économie générale : il produit aujourd'hui 15 % de l'électricité nationale, l'objectif est d'en produire 30 % en 2030, dans des conditions nouvelles, en particulier avec l'éolien et la biomasse.
La valorisation de l'intérêt écologique des ports dans le développement économique les aide à négocier l'extension des zones consacrées à l'industrie et à l'activité portuaire dans son ensemble.
A Rotterdam, le souci de protéger de la pollution industrielle les zones habitées a fait déplacer d'un kilomètre plus au nord les nouveaux terminaux de Maasvlakte 2 : d'après nos interlocuteurs, le surcoût atteindrait un milliard d'euros. Les associations environnementalistes ont été associées tout au long de la procédure. L'aménagement de zones d'activités nouvelles a donné lieu à deux types de compensation, conformément aux prescription de la directive Natura 2000 : les autorités ont créé une nouvelle zone protégée en mer pour compenser les 2 500 hectares pris sur la mer, et une zone de dunes protégées de 50 hectares, destinée aux loisirs et au développement naturel pour compenser les zones touchées par la pollution à l'azote.