B. DES INVESTISSEMENTS À GRANDE ÉCHELLE ET UN AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE AU SERVICE D'UNE ÉCONOMIE MARITIME FORTE
Second trait marquant des ports que le groupe de travail a visités : les investissements réalisés sont ambitieux et articulés avec un aménagement du territoire au service d'une économie maritime forte . En plus d'être gouvernées comme des entreprises, les autorités portuaires des ports concurrents disposent de moyens importants, financiers et réglementaires, pour développer l'activité.
De fait, les autorités publiques se mobilisent pour le développement de l'économie maritime, elles aident les ports à jouer un rôle bien au-delà de leur circonscription portuaire. A cette échelle plus large, le port apparaît comme un outil performant de création d'emplois et de richesses, mais également un outil indispensable à l'économie durable que les citoyens - et les gouvernements - appellent de leurs voeux : autant de motifs légitimes pour investir à grande échelle et aménager le territoire en conciliant développement économique et protection de l'environnement.
1. Des investissements à grande échelle
Les ports que nous avons visités investissent massivement, dans leur circonscription portuaire et bien au-delà, en particulier dans des infrastructures de transport.
a) Des investissements massifs, au service d'objectifs ambitieux
Chez nos concurrents, l'heure est aux investissements de grande ampleur, au Nord comme au Sud de l'Europe : les ports les plus importants sont aussi ceux qui investissent le plus, avec des objectifs de trafic volontaristes.
• Au Nord, Rotterdam investit 3 milliards d'euros dans Maasvlakte 2, une vaste extension de ses installations portuaires : deux mille hectares conquis sur la mer, des terminaux ultramodernes confiés aux opérateurs les plus puissants du monde, avec des obligations contractuelles d'activité élevées. Le premier port européen a bien l'intention de le rester : il manque partout de place, ses voies d'acheminement sont engorgées, mais ses responsables ambitionnent de développer l'activité de 75 % d'ici 2030, pour atteindre 20 millions d'EVP .
• A Hambourg , le port arrive à saturation. Les autorités portuaires travaillent sur des plans à cinq ans et le montant actuel des investissements prévus, tant pour le maintien d'un haut de niveau des infrastructures que pour leurs développements s'élève à 1 milliard d'euros d'ici 2016, HPA investissant à lui seul 150 millions d'euros chaque année . Des projets de remblaiement de bassins pour gagner des terre-pleins pour le stockage sont à l'étude, ainsi que l'approfondissement de l'Elbe. « Ile au milieu des habitations » selon l'expression du capitaine du port, le port est pris en tenaille dans la ville hanséatique. Ses 76 000 hectares représentent 10 % de la superficie de la ville. Dès lors, toute opération d'aménagement sur un quai exploité, comme le terminal historique de Buchardkai, s'apparente à une véritable gageure, à une « opération à coeur ouvert ». L'an passé, HPA a investi davantage que les 150 millions d'euros prévu, afin de doubler le trafic de conteneurs dans les années à venir (objectif : 16 millions d'EVP).
• Au Sud, Algésiras, premier port espagnol, conquiert également de nouveaux terminaux sur la mer et investit 775 millions d'euros (425 millions de fonds publics et 350 millions de fonds privés) ; en 2010, le port met en service un nouveau terminal de conteneurs, ultramoderne, qui est aussi le premier de Méditerranée à automatiser le chargement et le déchargement des navires. Le trafic est actuellement de 2,8 millions d'EVP, pour une capacité d'environ 5 millions, mais les travaux actuels fixent comme objectif une capacité de 7 millions d'EVP . Les investissements visent également à créer de nouvelles aires logistiques et à améliorer les dessertes du port.
• Sur la façade sud de la Méditerranée, Tanger Med mobilise 3 milliards d'euros : en trois ans, le trafic conteneurs y atteint celui de notre champion national , mais sa capacité est déjà double, et son objectif pour 2016 est supérieur à celui de l'ensemble de nos ports à la même date .
Ces investissements ne sont possibles que s'ils sont soutenus par des financements publics. Jusqu'il y a peu, la ville-État d'Hambourg avait institué une politique d'autofinancement des projets portuaires par le port : le « port finance le port ». Autrement dit, le port devait financer le développement des infrastructures par les redevances portuaires et de l'emprunt. Mais cette politique a été abandonnée par la nouvelle équipe municipale en place, car HPA s'est rapidement aperçu que ses ressources propres étaient insuffisantes. C'est pourquoi la ville-État d'Hambourg accorde chaque année une dotation de 150 millions d'euros au port .
b) Des investissements bien au-delà des circonscriptions portuaires
Les ports concurrents investissent à une échelle géographique bien plus large que la circonscription portuaire, ils peuvent intervenir dans toute la chaîne logistique, sans contrainte géographique ni institutionnelle.
Le port de Rotterdam, par exemple a cofinancé, avec l'État néerlandais et la ville d'Amsterdam, la Betuwe line , voie ferroviaire de 160 km dédiée au fret, entre le port et le réseau ferré allemand. Mise en service en 2009, après dix ans de travaux (et un coût évalué à 4,7 milliards d'euros) cette ligne achemine près de 200 trains quotidiens de marchandises : l'objectif total est d'y faire transiter 50 millions de tonnes par le rail.
Les ports espagnols investissent eux aussi bien au-delà de leur circonscription administrative, à travers des prises de participation notamment. Le montant des prises de participation des ports espagnols dans des sociétés privées dépasse 100 millions - notamment dans le World Trade center Barcelona, l' European Bulk Handling Installation ou encore la Valencia Plataforma intermodal et logistica.
Avec ces investissements, les ports ont toute leur place dans l'aménagement du territoire : ils sont évidemment des payeurs, mais aussi des décideurs, très en amont de la réalisation des opérations concernant leur seule circonscription portuaire. Ils investissent « tous azimuts » pour servir leurs intérêts, comme le font les autres opérateurs de la logistique : leur action est « décloisonnée », elle n'est restreinte ni par leur statut, ni par une circonscription d'action administrative - leur cadre, c'est le développement de l'outil portuaire.