N° 635
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 2012 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois (1) sur l'application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, pour l' égalité des droits et des chances , la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ,
Par Mmes Claire-Lise CAMPION et Isabelle DEBRÉ,
Sénatrices.
(1) Cette commission est composée de : M. David Assouline, Président ; M. Philippe Bas, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Claire-Lise Campion, Isabelle Debré, M. Claude Dilain, Mme Muguette Dini, M. Ambroise Dupont, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Gaëtan Gorce et Louis Nègre, Vice-Présidents ; Mme Corinne Bouchoux, MM. Luc Carvounas et Yann Gaillard, secrétaires ; MM. Philippe Darniche, Robert del Picchia, Mme Catherine Deroche, MM. Félix Desplan, Yves Detraigne, Pierre Frogier, Patrice Gélard, Mme Dominique Gillot, MM. Pierre Hérisson, Jean-Jacques Hyest, Claude Jeannerot, Philippe Kaltenbach, Marc Laménie, Jacques Legendre, Jean-Claude Lenoir, Jacques-Bernard Magner, Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, Mme Isabelle Pasquet, MM. Jean-Claude Peyronnet, Gérard Roche, Yves Rome, Mme Laurence Rossignol, MM. François Trucy et René Vandierendonck.. |
SYNTHÈSE
Aboutissement de trois années de réflexions partagées entre les gouvernements successifs, le Parlement et les associations, la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a profondément modifié la politique en faveur des personnes handicapées. Très ambitieuse, la loi dite « Handicap » entend couvrir tous les aspects de la vie des personnes handicapées . Cette approche transversale constitue sa force, mais aussi sa faiblesse car elle exige un travail important de pilotage et de mise en oeuvre qui, sept ans après son adoption, n'est pas encore achevé. D'un point de vue strictement réglementaire, le bilan est très positif puisque 99 % des textes d'application ont été publiés (220 décrets et arrêtés). En revanche , l'objectif, fixé par la loi, d'une publication intégrale de toutes les mesures réglementaires dans les six mois suivant sa promulgation, n'a pu être tenu en raison des expertises juridiques nécessaires et des concertations menées. Compte tenu du champ très vaste de la loi, vos rapporteurs ont décidé de se concentrer sur ses quatre principaux axes. * 1. La compensation du handicap Les maisons départementales des personnes handicapées : un projet ambitieux, confronté aux réalités du terrain Pour mettre fin au traditionnel « parcours du combattant » des personnes handicapées et leurs familles, la loi a créé des « guichets uniques », les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), appelées à devenir les lieux d'accueil, d'information, d'orientation et d'évaluation de leurs besoins. Opérationnelles depuis 2007, les MDPH constituent une innovation majeure dans l'architecture institutionnelle de la politique du handicap. Même si de nombreuses difficultés de fonctionnement persistent, elles ont apporté un réel progrès en termes de service public en permettant l'accès à un interlocuteur unique de proximité, une simplification des démarches administratives, une certaine « humanisation » de l'instruction des dossiers et une forte implication des associations dans la prise de décision. Mais, six ans après leur création, les MDPH font face à une inflation d'activité qui se révèle préjudiciable à la qualité du service rendu : les délais de traitement sont encore trop longs, l'approche globale des situations individuelles est mise à mal, et le suivi des décisions n'est pas toujours assuré. Il en résulte un profond sentiment de mécontentement et de déception chez un grand nombre d'usagers. On constate, par ailleurs, de très fortes disparités dans les pratiques des MDPH , menaçant l'équité de traitement des personnes handicapées sur le territoire. Les efforts déployés jusqu'ici par la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) n'ont pas permis de résorber les écarts entre départements, prouvant ainsi la nécessité d'aller beaucoup plus loin dans l'harmonisation des pratiques. Dans le contexte de raréfaction des ressources publiques, le principal sujet d'inquiétude est d'ordre financier : comment garantir aux MDPH des moyens pérennes leur permettant d'assumer pleinement leurs missions ? En prévoyant la signature de conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens, la loi « Paul Blanc » du 28 juillet 2011 devrait offrir les conditions d'une meilleure visibilité financière, à supposer toutefois que ses textes d'application, en cours d'élaboration, respectent les intentions du législateur. Au-delà de leur avenir financier, les MDPH s'interrogent sur le sens même de leur mission : resteront-elles cantonnées à des tâches purement opérationnelles ou pourront-elles mettre à profit leur connaissance des publics et de leurs besoins à des fins plus stratégiques ? Certaines s'engagent déjà dans une démarche d'observation et d'analyse des besoins territoriaux . La prestation de compensation du handicap : un dispositif innovant, mais inachevé La reconnaissance d'un droit à la compensation des conséquences du handicap par la solidarité nationale constitue l'avancée majeure de la loi de 2005 . Très concrètement, la prise en charge des surcoûts de toute nature liés au handicap est assurée par la prestation de compensation du handicap (PCH). Prestation « cousue main », la PCH a permis une nette amélioration de la couverture des besoins , tant par le montant que par la diversité des aides attribuées. Après un démarrage assez lent, le nombre d'allocataires ne cesse d'augmenter ; il est passé de 8 900 en 2006 à 159 000 en 2010. La PCH demeure cependant incomplète au regard des objectifs initiaux : son périmètre ne prend pas en compte les aides humaines, la suppression des barrières d'âge pourtant inscrite dans la loi n'a pas été réalisée, la prestation accordée aux enfants se révèle inadaptée à leurs besoins. Sachant que les dépenses de PCH pèsent déjà pour 1,4 milliard d'euros dans les budgets des conseils généraux, la mise en oeuvre de ces mesures se heurte inévitablement à un obstacle financier . Les principales propositions de vos rapporteurs - Le transfert des compétences de notification et de fabrication de la carte européenne de stationnement aux directions départementales de la cohésion sociale ; - La simplification des démarches administratives pour les demandes de renouvellement ; - L'intensification des actions de la CNSA en matière d'harmonisation des pratiques des MDPH afin de garantir l'équité de traitement sur le territoire ; - La suppression de la limite d'âge actuellement fixée à soixante-quinze ans pour demander la PCH, pour les personnes qui étaient éligibles avant soixante ans ; - La pérennisation des fonds départementaux de compensation , dont l'action est indispensable pour diminuer les restes à charge des personnes handicapées et de leurs familles. 2. La scolarisation des enfants handicapés L'accès à la scolarisation en milieu ordinaire : un engagement très fort du législateur La loi de 2005 reconnaît à tout enfant handicapé le droit d'être scolarisé dans l'école de son quartier ; la scolarisation en milieu ordinaire constitue désormais le droit commun . Elle peut prendre deux formes : la scolarisation dite « individuelle » dans les classes ordinaires avec accompagnement par un auxiliaire de vie scolaire, la scolarisation dite « collective » dans les classes adaptées. Le parcours de scolarisation repose sur une approche globale et pluridisciplinaire mise en oeuvre par la MDPH à travers le projet personnalisé de scolarisation . Une avancée quantitative indéniable Le constat est unanime : la loi de 2005 a permis un réel mouvement d'ouverture de l'école de la République sur le monde du handicap . Preuve en est l'augmentation d'un tiers du nombre d'enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire depuis 2006 , soit 55 000 enfants supplémentaires accueillis. Ces bons résultats doivent cependant être nuancés car on estime à 20 000 le nombre d'enfants handicapés sans solution de scolarisation . Ce chiffre est toutefois à prendre avec précaution dans la mesure où il n'existe pas d'outil statistique national permettant de chiffrer précisément le nombre d'enfants handicapés scolarisables. Sur le terrain, encore de nombreuses difficultés pour les familles Force est de constater que cette avancée quantitative ne s'est pas accompagnée d'une avancée qualitative de même ampleur. Ainsi, on observe : - une extrême diversité des situations vécues par les familles selon les départements : les temps hebdomadaires de scolarisation sont très aléatoires, les projets personnalisés de scolarisation sont de qualité hétérogène voire inexistants ; - l'existence de ruptures dans les parcours de scolarisation du fait de la difficulté à poursuivre la scolarité en milieu ordinaire dans le second degré et d'un accès encore très limité à l'enseignement supérieur ; - l'échec de l'accompagnement en milieu ordinaire : le recours croissant aux assistants de vie scolaire (AVS), qui sont insuffisamment formés et recrutés sur des contrats précaires, ne permet pas de répondre de manière pertinente aux besoins ; - l'insuffisante formation des enseignants au handicap , lesquels se sentent souvent démunis devant le handicap d'un élève ; - un manque de coopération entre le médico-social et l'éducation nationale , qui se caractérise par un cloisonnement des filières préjudiciable à la qualité de la prise en charge. Les principales propositions de vos rapporteurs : - L'élaboration d'un outil statistique national permettant d'évaluer précisément le nombre d'enfants handicapés scolarisables ; - La mise en place de référentiels communs entre académies et entre MDPH pour garantir l'équité de traitement ; - La réactivation, dès le mois de septembre prochain, du groupe de travail sur les AVS afin de définir un véritable cadre d'emploi et d'améliorer leurs débouchés professionnels ; - Le renforcement de la problématique du handicap dans la formation initiale et continue des enseignants ; - La promotion de la coopération entre les sphères médico-sociale et éducative. 3. La formation et l'emploi des personnes handicapées Le profond renouvellement de la politique de l'emploi des personnes handicapées La loi de 2005 consacre un changement de paradigme dans la question de l'emploi des personnes handicapées : traditionnellement appréhendée à partir de l'incapacité de la personne, elle s'apprécie désormais à partir de l'évaluation de ses capacités. L'intégration professionnelle des personnes handicapées devient alors un élément à part entière de leur citoyenneté. L'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH) est maintenue pour tous les employeurs, privés et publics, ayant vingt salariés ou plus, dans la proportion de 6 % de l'effectif total , même si ces derniers peuvent s'en acquitter selon diverses modalités. Surtout, la loi étend aux employeurs publics le dispositif de contribution annuelle financière pour compenser le non-respect de l'obligation d'emploi, en créant le fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). Elle prévoit, par ailleurs, la mise en oeuvre de politiques régionales concertées d'accès à la formation et à la qualification professionnelles des personnes handicapées, et charge les MDPH d'évaluer leur employabilité et de les orienter vers le marché du travail . Un bilan en demi-teinte Cette politique à la fois incitative et coercitive porte ses fruits comme en témoignent les chiffres suivants : - dans le secteur privé : 65 % des établissements assujettis employaient directement au moins un travailleur handicapé en 2009 contre 53 % en 2006 ; la proportion d'établissements dits « à quota zéro » est passée de 35 % à 11 % sur la même période ; le nombre d'établissements contribuant à l'Agefiph est en constante diminution depuis 2006 ; - dans le secteur public : entre 2007 et 2011, le nombre d'employeurs contribuant au FIPHFP a diminué de 13 % ; sur la même période, le nombre annuel de recrutement de personnes handicapées a plus que doublé, passant de 6 000 à 14 000. Malgré ces constats encourageants, le taux d'emploi demeure en deçà de l'objectif des 6 % : il ne s'établit qu'à 2,7 % dans le privé, tandis qu'il est de 4,2 % dans le public. Le taux d'emploi global des personnes handicapées est, quant à lui, nettement inférieur à celui de l'ensemble de la population active (35 % contre 65 %), et le taux de chômage deux fois plus important (20 % contre 10 %). Le principal obstacle à l'accès et au maintien dans l'emploi des personnes handicapées est leur faible niveau de qualification : 83 % d'entre elles ont aujourd'hui une qualification égale ou inférieure au CAP ou au BEP. Vos rapporteurs ont identifié plusieurs leviers d'action, parmi lesquels : - Relever le niveau de qualification des personnes handicapées pour permettre une meilleure adéquation entre l'offre et la demande, ce qui suppose d'agir prioritairement en direction des jeunes (leur faciliter l'accès aux études supérieures, mieux les informer sur les parcours d'études possibles, les rapprocher du monde de l'entreprise, etc.) ; - Permettre un réel accès à la formation professionnelle en rendant les lieux et le contenu des formations accessibles, en accompagnant les travailleurs handicapés tout au long de leur parcours professionnel, en accélérant la mise en oeuvre des politiques régionales concertées ; - Rendre effective l'obligation d'accessibilité des lieux de travail posée par la loi de 2005 en publiant l'arrêté nécessaire ; - Encourager les entreprises à mettre en oeuvre des actions positives comme l'aménagement des postes de travail, la prévention des licenciements pour inaptitude, l'amélioration de la qualité des accords « exonératoires ». 4. L'accessibilité à la cité Un chantier d'une ambition sociétale considérable Jusqu'alors très restrictive, car limitée à la seule question du handicap moteur, la notion d'accessibilité a été étendue par la loi de 2005 à tous les types de handicap et à tous les domaines de la vie en société. On parle désormais d' accessibilité universelle pour désigner le processus visant à éliminer toutes les barrières qui peuvent limiter une personne dans l'accomplissement de ses activités quotidiennes. Cette démarche s'adresse non seulement aux personnes atteintes d'une déficience, mais aussi à toute personne pouvant être confrontée, un jour ou l'autre, à une situation de handicap, qu'elle soit temporaire ou durable. Au regard du vieillissement de la population, cette approche transversale constitue un enjeu considérable . La loi pose un principe général d'accessibilité du cadre bâti, des transports et de la voirie , dans les dix ans suivant sa publication, et se fixe pour objectif la pleine participation des personnes handicapées à la vie en société . Un chantier qui, malgré des avancées certaines, accuse un sérieux retard Le premier constat est celui d'une absence criante de données sur l'état d'avancement de la mise en accessibilité , dans la mesure où la loi n'a pas prévu de remontées d'informations obligatoires de la part des acteurs publics ou privés concernés. Même l'Observatoire interministériel de l'accessibilité et de la conception universelle n'est pas en mesure de dresser un bilan exhaustif de ce chantier. A défaut d'éléments chiffrés incontestables, la deuxième tendance qui se dégage est celle d' un important retard pris, en dépit de réels progrès . Le baromètre de l'accessibilité de l'association des paralysés de France (APF) affiche, certes, des résultats en forte progression, mais seuls 15 % des établissements recevant du public (ERP) seraient actuellement accessibles . Du côté des services publics , les établissements les plus avancés sont les mairies, les théâtres, les équipements sportifs, les piscines et les bureaux de poste. En revanche, la situation est nettement moins favorable pour les transports en commun et la voirie ; il faut dire que les schémas directeurs d'accessibilité des transports collectifs ont été élaborés avec trois ans de retard sur le calendrier prévu et que 5 % seulement des plans d'accessibilité de la voirie ont été adoptés . Du côté du secteur privé , les centres commerciaux et les cinémas ont réalisé d'importants travaux, tandis que les commerces de proximité et les cabinets médicaux ou paramédicaux sont encore très en retard. Les propositions de vos rapporteurs pour donner un nouvel élan à l'accessibilité A trois ans de l'échéance fixée par la loi, force est de reconnaître que la mise en accessibilité de l'ensemble du cadre bâti, de la voirie et des transports ne sera très probablement pas réalisée . Si cette date peut sembler ambitieuse au regard de l'ampleur de la tâche à accomplir et des contraintes techniques, financières et administratives qui y sont associées, la fixation d'un délai à moyen terme était indispensable pour tirer les leçons des résultats décevants de la loi de 1975, éveiller les consciences et engager une nouvelle dynamique en faveur de l'accessibilité. Plusieurs facteurs expliquent le retard pris : - l'échelonnement, sur plusieurs années, de la publication de la quarantaine de textes réglementaires nécessaire , retardant d'autant la mise en oeuvre concrète des mesures ; - un portage politique insuffisant : autant la loi de 2005 a été voulue et soutenue au plus haut sommet de l'Etat, autant la mise en oeuvre de son volet « accessibilité » n'a pas mobilisé les pouvoirs publics autant qu'elle aurait dû. Preuve en est les tentatives de dérogations législatives ou réglementaires pour le bâti neuf ; - une appropriation insuffisante, sur le terrain, de l'objectif d'accessibilité aussi bien chez les décideurs publics que chez les acteurs privés. En tout état de cause, reculer la date de 2015 n'est pas envisageable, ni souhaitable : ce serait un très mauvais signal envoyé aux personnes handicapées et à leurs familles, chez qui la loi de 2005 a suscité un formidable espoir ; cela aurait un effet contreproductif, en démobilisant les acteurs et en décalant les travaux en cours ou programmés. Une telle décision serait, à coup sûr, interprétée comme une forme de renoncement à un chantier, certes très ambitieux, mais dont l'enjeu sociétal justifie que l'on s'y attèle véritablement. Aussi, vos rapporteurs estiment qu'il est indispensable d'impulser, dès à présent, une nouvelle dynamique en : - créant les conditions d'un meilleur pilotage national des enjeux de l'accessibilité ; - mettant en place, avant l'échéance de 2015, un système de remontées d'informations obligatoires ; - dressant, d'ici 2015, un bilan exhaustif de l'état d'avancement du chantier de l'accessibilité sous la forme d'un rapport remis au Président de la République ; - lançant une véritable démarche d'acculturation à la notion d'accessibilité universelle. * Jamais une loi n'aura à ce point structuré l'ensemble d'une politique publique. De l'avis de tous, la loi du 11 février 2005 est « une très belle loi » , qui affirme à la fois de grands principes et pose les jalons pour mettre en oeuvre une politique forte en faveur des personnes handicapées. Certes, des avancées majeures ont été réalisées dans tous les domaines, mais, comme toute réforme ambitieuse, le bilan reste, sept ans après, en-deçà des espoirs initialement soulevés. La loi de 2005 reste donc à déployer . |