III. LES PERSPECTIVES : CONSOLIDER POUR APPROFONDIR
Au terme de l'évaluation qu'ils ont menée, vos rapporteurs sont convaincus que la réelle difficulté à dégager des économies visibles ne remet pas en cause la pertinence du concept sur lequel était basée la réforme du soutien. Sans cette réforme, les coûts n'auraient pas pu être maîtrisés comme ils l'ont été.
Comment doit-elle désormais être menée jusqu'à son terme, en 2015 ?
Le nouveau gouvernement se trouve placé devant une alternative, entre deux scénarios possibles :
- le scénario de la « remise à plat » , qu'on pourrait qualifier de scénario « à l'anglaise », qui consisterait à enclencher une « réforme de la réforme », essentiellement dans le but de dégager de nouvelles économies, dans un contexte budgétaire tendu ;
- le scénario de la continuité , qui ne veut pas dire l'immobilisme, et qui consiste à poursuivre la réforme pour lui faire produire les résultats attendus. Moins spectaculaire, moins générateur d'effets d'annonce médiatiques, ce scénario est pourtant, d'après vos rapporteurs, la voie qui doit être privilégiée.
Le Président de la République, chef des armées, le Premier ministre et le ministre de la défense ont en définitive 8 leviers en mains, dans les mois qui viennent, pour la conduite de la réforme du ministère.
Certains sont à notre avis de fausses pistes, ce sont ceux qui conduiraient à déstabiliser le système sans produire d'effets positifs, d'autres sont au contraire de vrais leviers pour poursuivre la modernisation.
A. FAUT-IL DIMINUER LE NOMBRE DE BASES DE DÉFENSE ?
La Cour des comptes a mené un contrôle en 2010 dans les bases de défense, alors que la réforme était en cours de déploiement. Ses observations définitives, adoptées en février 2011, basées sur des constats effectués pendant la période expérimentale, ont eu l'effet d'un véritable coup de tonnerre .
En effet, la Cour y remettait en cause la trop faible taille des bases de défense, dont elle considérait que les périmètres avaient parfois été définis selon « des critères relevant davantage de l'aménagement du territoire que des nécessités de la défense nationale ». Ainsi relevait-elle que 14 bases sur 51 en métropole soutenaient moins de 3000 personnels.
Pour pallier ces insuffisances, la Cour préconisait de limiter à une vingtaine le nombre de bases de défense en métropole.
Cela reviendrait à une concentration bien plus importante du soutien, avec moins d'une base de défense par région administrative française. Les principes d'organisation du soutien et les relations avec les unités soutenues en seraient naturellement bouleversés.
Partout, lors de leurs visites de terrain, vos sénateurs ont pu constater l'effet « démoralisateur » de ce chiffre, sur des personnels engagés dans une réforme de grande ampleur, dont le quotidien était affecté par la multiplication des changements et qui avaient au contraire le sentiment de contribuer de façon très substantielle au redressement des comptes du ministère. Ils ont pu constater, aussi, que ce chiffre était unanimement jugé comme irréaliste et en quelque sorte déconnecté de la réalité du soutien en base de défense aujourd'hui.
Le rapport de la Cour, qui a, sur d'autres aspects de la réforme, su mettre en lumière des difficultés réelles, et qui a d'ailleurs conduit le ministère de la défense à lancer de nouvelles réflexions, a eu, aux yeux de vos rapporteurs, deux apports intéressants sur la question du dimensionnement des bases :
- d'une part, il a mis l'accent sur l'indéniable rapport entre la taille des bases et le volant d'économies réalisées ;
- d'autre part, il a eu le mérite de poser la question de l'existence des états-majors de soutien en relation avec celle du nombre de bases : dans le raisonnement suivi par la Cour, plus les bases sont denses et peu nombreuses, moins ces états-majors sont nécessaires.
1. Si le schéma actuel ne permet sans doute pas d'effectuer toutes les rationalisations possibles...
a) Les économies sont d'autant plus importantes que l'assiette de la base de défense est large
Les tous premiers retours d'expérience à la suite de l'expérimentation des bases de défense l'ont immédiatement montré : le volume d'économies dégagé est d'autant plus important que la base de défense est de grande taille.
Ce constat, détaillé dans son rapport par la Cour des comptes, est également celui qui a été fait dès avril 2010 par l'inspection des armées, qui estimait que le chiffre de 500 personnes par groupement de soutien de base de défense était le volume minimum pour permettre de tirer tout le bénéfice de la mutualisation des soutiens.
Compte tenu d'un ratio gérants/gérés d'environ 1 soutenant pour 10 soutenus, c'est donc à 5.000 personnes qu'était estimée la taille critique minimale pour une base de défense.
On peut relever toutefois que 20 bases seulement conduiraient à une moyenne de 14 à 15 000 soutenus par base, bien au-delà de l'objectif implicite des 5 000.
C'est d'ailleurs pour mieux tendre vers cet objectif que l'effort de densification conduit par le ministère de la défense a été amplifié entre les premières expérimentations et la généralisation, le conduisant à dépasser les objectifs initiaux de la réforme. Le regroupement de formations opéré a permis d'atteindre un effectif moyen supérieur à 4.000 personnes par base de défense (sans compter les grosses bases de Brest, Toulon et Paris), 5.200 en incluant les bases de type 3 .
Il est vrai que les bases de défense sont plus denses que la « fourchette » initialement fixée entre 2500 et 4000, et moins nombreuses (60 au lieu de 90) qu'initialement prévu par la RGPP.
La question est de savoir quelle est réellement la « taille critique » : si elle a pu être située autour de 3 000 par le ministère, elle serait plus vraisemblablement, d'après la Cour des comptes et l'inspection des armées, autour de 5 000.
Ce que vos rapporteurs ont pu observer sur le terrain, c'est que les possibilités de mutualisation dans de grosses bases comme celle de Toulon sont naturellement sans commune mesure avec celles qui soutiennent entre 1000 et 4000 personnes.
b) Le schéma actuel ne satisfait que partiellement à ces critères
La « moyenne » de 5200 soutenus par base masque en fait une grande diversité, qui laisse subsister un nombre important de « petites » bases . Leur démembrement en antennes vient encore accroitre ce phénomène.
En définitive, dans leur format actuel, les bases de défense ne constituent pas de grosses bases « à l'américaine » regroupant sur un même site un volume important d'unités ; mais plutôt une circonscription territoriale du soutien, qui s'organise en antennes sur les principaux sites de son périmètre.
(1) Un nombre important de bases n'atteint sans doute pas la taille « critique »
Comme illustré dans le schéma ci-dessous (qui ne comprend pas les 3 grosses bases de type 3) :
- une dizaine de bases de défense n'atteint pas 1800 personnes ;
- 14 bases sur 51 en métropole soutiennent moins de 3000 personnes ;
- 34 bases sur 51 sont en dessous du seuil des 5000.
Cela explique d'ailleurs le nombre important de bases « monocolores », qui soutiennent des unités d'une seule armée.
(2) Certaines bases « en olive » sont éclatées entre de nombreuses antennes
Certaines bases sont très éclatées entre plusieurs implantations, ce sont les bases dites « en olive ».
Le nombre d'antennes pour une même base peut aller jusqu'à 7 voire 9, pour les bases à la plus forte dispersion géographique (cf. carte des bases de défense ci-dessus).
En termes d'élongation, le critère maximal d'une heure 30 masque des disparités : ainsi l'école militaire de haute montagne de Chamonix est-elle située à 220 km du groupement de soutien de Varces, près de Grenoble.
La carte des bases de défense résulte donc d'un compromis, nécessairement imparfait, entre la taille critique augmentant les économies et la proximité nécessaire à la qualité du soutien .
Pour « imparfaite » qu'elle soit nécessairement au regard du seul critère des possibilités de mutualisation, vos rapporteurs jugent pourtant que l'heure n'est pas venue pour une réduction drastique du nombre de bases.
2. ... le bilan coût-avantage d'une densification supplémentaire des bases serait, à ce stade, négatif.
Le bilan coût-avantage d'une nouvelle réduction du nombre de bases de défense, serait, à ce stade, défavorable.
Il pourrait s'envisager dans deux hypothèses, mais dans les deux cas il serait négatif :
- à plan de stationnement inchangé des forces sur le territoire, la « réduction » du nombre de bases se traduira de fait par la transformation d'actuelles bases en antennes, et leur rattachement à une base « mère », compte tenu de la faible dématérialisation et faible convergence des processus, elle ne produira que très peu d'économies ;
- envisager une nouvelle vague de fermetures ou de déménagements d'unités serait un nouveau traumatisme territorial, avec un coût collectif, pour les collectivités territoriales qui financent à 75% la reconversion économique, pour l'État qui apporte le quart restant, et pour la défense qui supporte les coûts de rénovation des infrastructures et les coûts d'accompagnement du personnel. Outre le fait qu'elle serait difficilement supportable sur le plan territorial et financier, cette réflexion ne peut-être conduite hors du cadre des nouveaux contrats opérationnels des forces armées.
En définitive, cette réflexion est à intégrer dans le cadre de la révision du livre blanc sur la défense et la sécurité nationales. Un arbitrage ne concernant que le seul dimensionnement des bases n'aurait, aujourd'hui, guère de sens.
a) Le « traumatisme » territorial a, lui aussi, un coût important
Les impacts territoriaux des restructurations militaires ont déjà été très largement décrits ci-dessus.
A Charleville Mézières, par exemple, où vos rapporteurs se sont rendus, le poids économique local de la base de défense est très important : c'est le deuxième employeur après Peugeot...
Quand on connaît les difficultés que doit affronter le secteur automobile en ce moment, on peut tout de suite mesurer l'enjeu que représente le maintien du régiment pour le tissu économique local.
Ce sont au total 1,1 milliard de crédits qui ont été mobilisés pour la revitalisation économique, l'État n'en apportant que 285 millions, pour des résultats en termes de création d'activités économiques et d'emplois pérennes qu'il faudra évaluer dans la durée, mais qui ne seront sans doute pas à la hauteur du tissu économique détruit par le départ des unités.
b) Aucune solution n'émerge avec la force de l'évidence
Dans sa récente revue des « attendus RGPP », le ministère de la défense fait observer à juste titre qu'à l'exception de quelques rares implantations comme Dieuze, Bitche ou Varenne sur Allier « qu'il n'a pas été possible de quitter » (sous-entendu : pour des raisons d'aménagement du territoire), il n'existe plus d'implantations isolées de moins de 1 000 personnes (attendu n°14.2 de la RGPP). Seule une dizaine de bases de défense n'atteint pas 1800 personnes (attendu n° 14.4 de la RGPP) ; elles sont soit situées à l'étranger, soit il s'agit des bases de Saint-Christol ou Charleville-Mézières, « qui n'ont pu être fermées ».
La question de l'existence des bases de type 1 a souvent été posée devant vos rapporteurs, parfois même dans ces bases, où les personnels peuvent avoir l'impression -surtout depuis le rapport de la Cour des comptes ?- d'être « en sursis ».
Par construction, ces bases, mono-formations, ne permettent pas de tirer tous les bénéfices de la mutualisation. Pour autant, elles ont quand même consenti les réductions d'effectifs appliquées aux autres groupements de soutien : elles ont donc contribué à la réforme, qui a pesé sur les personnels qui se retrouvent en charge de multiples « casquettes ».
Force est de constater que la densification des bases -à stationnement inchangé des unités- relève désormais du « casse-tête » et qu'aucune solution évidente n'émerge clairement .
Ainsi le cas de la Corse est-il fréquemment cité : deux bases de type 1 y ont été maintenues, l'une à Calvi, l'autre à Solenzara. Leur regroupement, s'il peut paraître intellectuellement séduisant, vu de loin, sur une carte, se heurte en fait à des difficultés pratiques (temps de transport) et culturelles (la légion à Calvi, la base aérienne à Solenzara) qui, additionnées aux faibles gains à escompter de ce rapprochement, conduisent, de fait, à abandonner cette idée.
c) Actuellement, les économies complémentaires ne seraient que résiduelles
(1) L'immaturité des systèmes d'information et l'absence de convergence des processus limitent les mutualisations
Dans l'état actuel de déploiement des outils informatiques, « regrouper » des bases de défense reviendrait de fait à transformer certaines en antennes d'autres bases de rattachement.
Le principe est que les antennes des groupements de soutien assurent au plus près des unités le soutien de proximité, comme par exemple la restauration, qu'il n'est pas envisageable de délocaliser. Logiquement, la dématérialisation progressive des procédures administratives devrait permettre une réduction significative des contacts humains nécessaires pour certaines autres tâches, rendant possible la concentration des structure en charge de ces services.
Ainsi, par exemple, le traitement administratif des frais de déplacement de l'ensemble des personnels du ministère est aujourd'hui centralisé à la CAMID à Brest, ce qui ne pose aucune difficulté.
Pour l'instant, et notamment en matière de ressources humaines, qui est l'activité des groupements de soutien où cette logique est la plus susceptible de s'appliquer, ce schéma est largement théorique.
Vos rapporteurs sont convaincus qu'en l'état actuel, l'immaturité des systèmes d'information et l'absence de convergence des procédures sont des freins à la mutualisation au moins aussi importants que la « faible » taille des bases de défense.
(2) Le contrat opérationnel et le plan de stationnement des forces configurent la carte du soutien
La carte du soutien par les bases de défense n'est naturellement pas indépendante de celle du stationnement des unités, qui résulte elle-même d'une part de l'histoire, et d'autre part du contrat opérationnel, qui impose le format global des armées.
On peut certes distinguer la cartographie des bases de défense et la carte de stationnement des forces sur le territoire, c'est d'ailleurs le principe même de la mutualisation du soutien. Toutefois, le lien ne peut-être distendu à l'infini, s'agissant de prestations de proximité.
En conclusion : vos rapporteurs estiment que c'est en fonction du nouveau contrat opérationnel et donc du futur format global des armées, duquel découlera le plan de stationnement des forces sur le territoire, qu'il faudra décider d'une éventuelle nouvelle carte du soutien, plus resserrée.
Pour l'instant, faisons fonctionner correctement les bases existantes, qui viennent juste d'être mises en place, et conduisons la réforme à son terme.