C. FAUT-IL RENFORCER LE RÔLE DES COMMANDANTS DE BASE DE DÉFENSE ?

Les commandants de base peuvent-ils être des « arbitres », véritables acteurs de la réforme ? C'est peu ou prou le schéma envisagé par la Cour des Comptes qui, parallèlement à la suppression des échelons intermédiaires, proposait d'étendre l'autorité hiérarchique des commandants de base de défense.

1. Faut-il étendre le pouvoir hiérarchique des commandants de base de défense aux soutiens spécialisés ?

Aucun des commandants de base de défense rencontrés par vos rapporteurs n'a jugé que la solution des problèmes qu'il rencontrait résidait dans l'octroi d'un pouvoir hiérarchique sur les soutiens spécialisés.

a) Le commandant de base de défense ne « commande » qu'une partie des soutiens

Comme cela a déjà été décrit précédemment, le commandant de base de défense a un rôle de coordination des soutiens spécialisés, qu'il ne commande pas, notamment en matière informatique ou en matières d'infrastructures (qui relèvent du Secrétariat général pour l'administration), domaines clés de succès de la réforme compte tenu des nombreux déménagements en cours, nécessitant des adaptations d'infrastructure, et de la nécessité de déploiement de systèmes d'information pour porter la modernisation.

Cette organisation particulièrement complexe se caractérise, il est vrai, par un grand nombre de structures, au niveau local, régional ou central. Cet éclatement des structures crée nécessairement de la complexité.

Les responsables locaux de ces soutiens spécialisés relèvent uniquement de leur hiérarchie de chaîne, comme illustré par le schéma suivant, qui montre le commandant de base de défense entouré des « tuyaux d'orgues » verticaux des soutiens spécialisés, qui lui échappent, et sur lesquels il n'a qu'un pouvoir de coordination   :

Certains analysent cette situation comme une véritable anomalie , relevant même qu'elle a pu dans certains cas constituer une régression par rapport à la situation antérieure : ainsi, par exemple, dans le cas d'une base aérienne transformée en base de défense, le commandant de base dispose de moins de pouvoir vis-à-vis de ces soutiens que dans la situation avant réforme où ces structures relevaient à la fois de leur commandement fonctionnel vertical et du commandant de base.

En revanche, le commandant de base de défense participe à la notation de ces responsables locaux : peut-être que cet aspect, parfois oublié, peut-être de nature, dans la durée, à donner tout son poids à son rôle « d'intégrateur » des soutiens.

b) L'extension de son autorité remettrait en cause les logiques de réorganisation verticales

L'organisation retenue pour le ministère avec la réforme de 2008 privilégie clairement une logique de rationalisation par chaînes verticales.

Dans ce contexte, vos rapporteurs se demandent s'il serait vraiment pertinent que le commandant de base de défense soit le chef hiérarchique de tous les soutiens, y compris spécialisés, prenant la responsabilité du bon fonctionnement de chaînes si diverses que l'informatique, les infrastructures, la santé, par ailleurs elles-mêmes en plein bouleversement.

Par contre, il lui revient de bien connaître et de programmer les différents besoins de soutien dans sa base, de réaliser si nécessaire les arbitrages de priorité entre les besoins des entités soutenues, de veiller à la bonne intégration des différents services de soutien concourant ensemble à un besoin complexe, de faire un retour d'expérience permanent et d'adapter la programmation, ou de prévoir les éventuelles urgences.

Il est donc forcément positionné en interlocuteur central dans le domaine du soutien, en tant que garant du service apporté aux entités soutenues.

c) Le constat : un rôle plus net dans les grandes bases et en cas de « multi casquette »

Vos rapporteurs ont pu observer que cette problématique de l'éclatement des soutiens était moins prégnante dans la base de Toulon que dans les autres bases visitées, de moyenne ou petite dimension.

En effet, dans les bases de type 3, le commandant de base est aussi, du fait de ses multiples casquettes, le supérieur hiérarchique des formations et des soutiens spécifiques, du fait du cumul dans un seul état major des fonctions de commandement liées suivant les cas à la préfecture maritime, au commandement territorial et à la base de défense (sous l'autorité directe ou indirecte du commandant de la zone maritime atlantique, CECLANT, à Brest, à Toulon sous l'autorité du commandant en chef pour la Méditerranée, CECMED, à Paris sous l'autorité du Gouverneur militaire de Paris...) et il a, de ce fait, un pouvoir d'arbitrage plus important.

Sa fonction d'intégrateur des soutiens s'en trouve naturellement grandement facilitée.

2. Faut-il augmenter le périmètre budgétaire des commandants de base de défense ?
a) Un budget contraint dans un périmètre étroit et asséché par une pénurie de crédits

L'organisation financière mise en place avec la réforme du soutien tendait, dans une logique conforme à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), à globaliser les budgets pour permettre à chaque responsable de réaliser des arbitrages et d'optimiser l'emploi des fonds publics. Un budget opérationnel de programme (BOP) unique a été créé pour le soutien, regroupant pour chaque base de défense ou unité opérationnelle (UO) l'ensemble des moyens fongibles sur lequel le commandant de base de défense a un pouvoir d'arbitrage.

L'idée était de responsabiliser les acteurs en leur confiant tous les moyens humains et financiers nécessaires à l'exercice de leurs missions.

De la sorte, chaque responsable de base de défense pouvait optimiser sa gestion et réaliser des économies en exploitant les possibilités de fongibilité des crédits ouvertes par la loi organique sur les lois de finances.

Pour ce faire, les budgets de soutien commun des unités ont été « remontés » au niveau des bases de défense, limitant l'autonomie budgétaire des formations à leur plus juste besoin (dépenses d'urgence ou de proximité, droit de tirage sur les dépenses de fonctionnement courant).

Le principe sous-jacent est clair : en confiant un périmètre de crédits aussi large que possible au commandant de base, on lui permettait de réaliser des arbitrages et d'optimiser l'emploi des fonds.

Ce schéma théorique est très éloigné de la réalité.

En effet, le périmètre budgétaire confié au commandant de base s'est finalement trouvé assez limité . En effet, ce périmètre s'est attaché à respecter les impératifs de rationalisation « métier » et ne s'étend pas, par exemple, aux systèmes d'information non plus qu'à l'infrastructure.

En outre, les dépenses qui lui sont confiées sont budgétairement contraintes : le commandant de base est finalement condamné à traiter ces inéluctables, sans capacité de manoeuvre. Dans l'ensemble des bases visitées, 90% des dépenses sont contraintes, 60% sont des fluides. La seule dépense qu'on peut réguler est celle de l'essence ou du fioul : ce qui conduit, quand les crédits sont insuffisants , comme cela a été le cas en 2011 et 2012, à des expédients, comme couper le chauffage avant l'heure....

Cette situation amène d'ailleurs parfois à prendre des décisions irrationnelles. Ainsi par exemple, pour cause de « régulation » des dépenses de carburants des véhicules « blancs » de la gamme commerciale, un déplacement sera plutôt réalisé avec des véhicules « verts », qui consomment pourtant plus d'essence, mais sur lesquels il reste des crédits de carburant....

b) Des « marges de manoeuvre » quasi nulles : l'exemple des infrastructures et de l'accidentologie locale

Constatant le poids prépondérant des dépenses inéluctables dans le budget dont disposent les commandants de base de défense, vos rapporteurs se sont interrogés sur leurs réelles marges de manoeuvre.

Deux exemples ont alors été cités, qui illustrent le caractère quelque peu illusoire de leur soi-disant autonomie budgétaire.

(1) L'accidentologie locale : un poste de coûts difficilement « maîtrisable »

Dans cette logique de « responsabilisation », a-t-il été affirmé à vos rapporteurs, les coûts d'accidentologie locale des véhicules de la gamme commerciale, qui ne figurent pas dans le contrat d'externalisation de ces véhicules, ont été transférés aux bases de défense. Lorsqu'un agent aîime un véhicule, c'est la base qui paie la réparation.

On imagine combien ce facteur est aléatoire et peu maîtrisable pour le commandant de base ! Ce poste de coût a représenté 180 000 € en 2011 à Toulon, 230 000 € en 2012. Des actions de sensibilisation des agents sont conduites, mais la « maîtrise » de ce coût reste faible. Ce poste de dépenses a été cité à Toulon comme à Charleville Mézières comme un « incontournable » au montant imprévisible.

(2) Les infrastructures : une expérimentation qui porte sur moins de 5% du budget, biaisée par l'insuffisance de crédits sur le programme 178

Lors de son audition par vos rapporteurs, le Secrétaire général pour l'administration du ministère de la défense a fait état d'une expérimentation tendant à permettre une certaine fongibilité des crédits d'entretien locatif , aujourd'hui dispersés entre deux programmes budgétaires différents, le programme 178 (pour les bases de défense) et le programme 212 (pour les crédits des établissements de la défense en charge des infrastructures). Cette expérimentation porte toutefois sur des montants relativement faibles : les crédits d'entretien locatif représentent 5% du budget des bases. En outre, on peut se demander si elle n'a pas servi, compte tenu de l'insuffisance des crédits sur le programme 178, à « siphonner » les crédits disponibles sur le programme 212, et non pas à accroître le pouvoir « d'arbitrage » budgétaire du commandant de base....

c) La vraie question : l'élargissement du périmètre budgétaire
(1) Un transfert de crédits permettrait de desserrer l'étau budgétaire sans remettre en cause le pilotage sectoriel des différentes politiques

L'examen d'un budget de base de défense fait apparaître les constantes suivantes :

- une forte inertie des dépenses ;

- le poids prédominant du poste « énergie-fluides »,

- la rigidification opérée par les marchés d'externalisation, qui, lorsqu'ils existent, « gèlent » des crédits qui leur sont fléchés ;

- l'exclusion du périmètre budgétaire des crédits d'alimentation, de maintenance spécialisée des infrastructures, de bureautique ou d'ameublement,

- le cloisonnement total avec la masse salariale, qui ne figure pas dans le budget de la base.

Ces constantes sont illustrées par l'exemple ci-dessous (les dépenses d'infrastructure et de bureautique sont hors du périmètre géré par le commandant de base de défense) :

Vos rapporteurs jugent qu'un élargissement du périmètre budgétaire confié aux commandants de base serait de nature à augmenter leurs marges de manoeuvre, sans pour autant désorganiser les soutiens spécialisés, qui resteraient placés sous l'autorité de leurs chaînes hiérarchiques respectives mais seraient en quelque sorte « opérateurs » au profit du commandant de base.

Cet élargissement viendrait donner tout son sens à son rôle d'intégrateur des soutiens, tout en conciliant deux logiques :

- l'application d'une démarche locale de responsabilisation des commandants de base de défense, dans un contexte de déconcentration de l'administration au plus près du terrain ;

- la démarche nationale et verticale des réorganisations fonctionnelles du ministère, centrée sur une approche « métier ».

Le commandant de base pourrait ainsi influer sur l'application locale des politiques nationales, en fonction du contexte. Par exemple, il pourrait moduler le rythme de renouvellement du parc informatique sur la base, ou du mobilier de bureau, en fonction du contexte local et de ses propres impératifs, et récupérer ainsi un peu d'oxygène sur le plan financier.

Vos rapporteurs estiment en outre que cette solution favoriserait sans doute une politique d'achats plus locale, au profit du tissu économique territorial.

(2) Un mécanisme d'intéressement des commandants de base aux économies produites pourrait être envisagé

Enfin, si la « manoeuvre ressources humaines », d'une grande complexité, doit être pilotée de façon centralisée au niveau du ministère, ce qui rend difficilement concevable de donner la main, sur le plan budgétaire aux commandants de base en ce qui concerne les crédits de personnel (titre 2), des réflexions existent toutefois, au sein du ministère, sur la possibilité de les « intéresser » aux économies complémentaires en personnel qu'ils auraient pu dégager.

L'idée est que tout poste « gagné » localement par rapport aux référentiels en organisation proposés serait « reversé » sous forme de crédits de fonctionnement complémentaires (titre 3) pour la base de défense.

Là encore, ce genre de logique n'est envisageable que sur des assiettes suffisamment larges, et dans des conditions d'exécution budgétaire « normales », qui ne sont pas complètement réunies aujourd'hui compte tenu du phénomène d'impasse budgétaire portant sur un quart des crédits (cf. ci-après).

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