Audition de M. Patrick ROMESTAING, président de la section Santé publique du Conseil national de l'Ordre des médecins (mercredi 5 décembre 2012)
M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions des ordres professionnels avec le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom), représenté par le docteur Patrick Romestaing, président de la section Santé publique et démographie médicale.
La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.
J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.
Je précise à l'attention du Docteur Patrick Romestaing que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative du groupe RDSE, dont notre rapporteur, M. Jacques Mézard, est président, et que notre rapport sera remis début avril 2013.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander au docteur Patrick Romestaing de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Monsieur Patrick Romestaing, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
M. Patrick Romestaing . - Je le jure.
M. Alain Milon , président. - Vous avez la parole...
M. Patrick Romestaing, président de la section Santé publique du Conseil national de l'Ordre des médecins. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, je vous remercie d'avoir invité le Conseil national de l'Ordre des médecins à s'exprimer devant vous, dans le cadre du travail que vous conduisez.
Le Conseil de l'Ordre des médecins est très sensible à la situation dans laquelle peuvent se trouver un certain nombre de patients, ce phénomène étant indiscutable. Il est difficile de quantifier les patients ayant recours à des pratiques différentes des pratiques traditionnelles et se retrouvant ensuite entraînés dans des mouvements à dérive sectaire.
On apprécie également mal le nombre de professionnels impliqués. Il s'agit là de cas de figure différents : on est parfois en présence d'un médecin qui exerce une pratique non conforme et qui peut ensuite donner lieu à des dérives sectaires...
Le Conseil de l'Ordre des médecins n'a aucun pouvoir d'enquête. Nous sommes régulièrement interrogés, dans le cadre du Conseil national et de sa section Santé publique ; soit par des médecins interpellés par les pratiques de certains confrères, soit par des patients ou des familles de patients, ainsi que par les conseils départementaux. J'assume la présidence du Conseil départemental du Rhône - quatrième département de France - où travaillent 10 000 médecins.
Il est par ailleurs difficile de recueillir des preuves ou des témoignages utilisables en justice. Les conseils départementaux se retrouvent en outre en situation d'échec lorsqu'ils veulent diligenter certaines actions, notamment dans le cas d'exercice illégal de la médecine. Généralement, les sanctions décidées par les juridictions sont en effet d'une extrême légèreté et consistent parfois en un euro de dommages et intérêts, ce qui ne motive guère les conseils départementaux à engager des actions. Ils baissent donc quelque peu les bras, bien que nous essayions de les motiver...
La frontière est indiscutablement très floue entre les pratiques non conventionnelles, qui relèvent encore un peu de l'art de la médecine, les pratiques non conventionnelles qui dérivent et l'exercice illégal de la médecine débouchant sur une dérive sectaire.
Que fait le Conseil national de l'Ordre des médecins ? Quand il est saisi et qu'il s'agit d'un médecin, il prévient la section Santé publique du Conseil départemental afin qu'elle reçoive le médecin et recueille ses explications. Il est très difficile d'obtenir le témoignage des personnes qui nous saisissent, qui ne le désirent généralement pas. Cela ne facilite guère la suite...
S'il s'agit d'un médecin et que nous estimons qu'il existe une infraction au code de déontologie, nous saisissons la chambre disciplinaire. Quand il s'agit d'un exercice illégal de la médecine, nous saisissons le Procureur de la République. Là encore, ce n'est pas toujours très facile.
Notre territoire connaît actuellement une vague de médecine chinoise pour laquelle le Conseil national de l'Ordre a diligenté une action et interpellé l'ensemble des conseils départementaux, estimant qu'il s'agit là d'une pratique illégale de la médecine. Cette pratique est en effet réalisée dans des locaux bien blancs, aseptisés, qui font penser à un local médical, avec des « praticiens » revêtus d'une blouse blanche - que beaucoup de médecins ne portent d'ailleurs plus - utilisant des stéthoscopes et des caducées sur leur porte, voire sur leur voiture. On nous l'a rapporté mais on n'en a pas encore de preuves...
Nous avons diligenté des actions dans tous les départements de France, demandant aux présidents des conseils départementaux de porter un oeil sur les noms que nous avions examinés pour savoir si ceux-ci étaient inscrits, et de saisir le Procureur et le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS). Neuf fois sur dix, on nous a fait valoir qu'en France, selon un avis du Conseil d'Etat, le terme de « médecin » est protégé par la loi mais non celui de « médecine » ! Nous en sommes là...
Cependant, le Conseil national de l'Ordre a demandé à chaque conseil départemental d'avoir un référent « dérives sectaires » et d'être le correspondant pour les patients ou les médecins qui souhaiteraient être entendus sur le sujet. Le Conseil national de l'Ordre a organisé il y a un an une journée de rencontres et de formation pour sensibiliser l'ensemble des conseils départementaux à la pratique des mouvements à dérive sectaire. La Miviludes est intervenue, ainsi que des magistrats et la présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (Unadfi), Mme Catherine Picard. Quatre-vingt-deux conseils départementaux étaient présents.
C'est dire si nous essayons de sensibiliser et de mobiliser les conseils départementaux sur un sujet de santé publique qui nous préoccupe...
Parallèlement, nous travaillons avec la gendarmerie et sa cellule de veille consacrée à la cybercriminalité, qui est très active et qui a des pouvoirs d'enquête que nous n'avons pas. Nous échangeons toutes les semaines avec elle...
Par ailleurs, le premier numéro de l'année du bulletin du Conseil national consacrait six pages aux dérives sectaires afin de sensibiliser à ce sujet les 200 000 médecins qui reçoivent cette brochure. Un numéro identique était déjà paru en 2008 ou 2009. C'est dire si nous y accordons de l'importance. Nous avons cependant besoin d'être motivés car les mouvements sectaires changent aisément de nom, passent les frontières et reviennent quelques années plus tard. Quant aux médecins, ils préfèrent se radier d'eux-mêmes avant d'être sanctionnés par la chambre disciplinaire, afin de ne pas être poursuivis par l'Ordre.
M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Cette commission d'enquête est aussi un moyen de motiver le Conseil national de l'Ordre des médecins et de renforcer l'action que vous menez face aux dérives sectaires dans le domaine de la santé.
Avez-vous une évaluation du nombre de médecins « déviants » ? Des chiffres ont été émis en 1996 ou en 1998 ; on parlait à l'époque d'environ 3 000 praticiens. Ce nombre a-t-il augmenté ? Avez-vous le sentiment que ces problèmes soient de plus en plus prégnants ? Constatez-vous une diversification des pratiques à risque ? Notre souci principal est de lutter contre des dérives dangereuses pour la santé de nos concitoyens...
M. Patrick Romestaing. - J'ai débuté mon propos en parlant des patients : c'est donc bien notre souci et une mission de santé publique pour le Conseil national de l'Ordre des médecins.
Nous ne pouvons ni confirmer, ni infirmer le chiffre avancé il y a un certain nombre d'années. On ne sait combien de patients ont recours à ces pratiques, ni combien de professionnels ou de non-professionnels délivrent ce genre de « soins ». Nous ne nous avancerons donc pas.
Le patient trouve indiscutablement un temps et une capacité d'écoute auprès de ces personnes, alors que le professionnel de santé ne remplit plus cette mission. Même les médecins atteints de certaines pathologies vont parfois chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas dans la médecine traditionnelle ! Tous les événements récents qui touchent le domaine sanitaire introduisent le doute dans l'esprit de la population, qui cherche ailleurs ce que les techniques traditionnelles ne semblent plus apporter.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Certaines pratiques non conventionnelles vous paraissent-elles particulièrement dangereuses ? Faut-il attirer l'attention de nos concitoyens sur celles-ci ?
M. Patrick Romestaing. - Une interruption de traitement, avec substitution d'une autre thérapeutique, proposée - voire vendue - par une personne y trouvant un intérêt commercial pose problème et nécessite surtout que l'on s'interroge !
Quant aux pratiques, elles sont si variées et reposent sur tellement d'irrationnel que l'on peut s'étonner de l'écoute qu'elles reçoivent. Quand on est en difficulté ou malade, on recherche toutefois tout et n'importe quoi ! L'irrigation du colon, qui peut paraître anodine, peut aussi être dangereuse. La paroi du colon ayant ses limites, on peut déclencher une péritonite... Tout geste chirurgical, si infime soit-il, comporte des risques.
Un jeûne forcé, accompagné d'une marche à titre de purification ou d'asservissement, censée débarrasser l'individu des mauvaises humeurs - pour parler comme au XVII e siècle - sont extrêmement dangereux. Ne pas boire pendant des heures et accomplir six ou sept heures d'effort n'est pas sans risque !
Pour ce qui est des produits vendus, je ne pense pas qu'ils présentent de toxicité particulière.
Enfin, les manipulations, cervicales ou autres, ne sont pas non plus anodines mais c'est un autre sujet qui concerne l'exercice illégal de la médecine. Je ne crois pas que nous soyons ici pour parler d'ostéopathie ou de chiropraxie !
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez indiqué souhaiter être conforté dans le travail que vous menez pour lutter contre les dérives sectaires. Quel type de mesure souhaiteriez-vous voir adopté ?
M. Patrick Romestaing. - Nous travaillons beaucoup avec la gendarmerie. Les investigations financières sont celles qui ont le plus de portée. Les sanctions doivent être significatives et aller bien au-delà de l'euro symbolique.
Il existe des possibilités d'enrichissement importantes dans le domaine des pratiques susceptibles de favoriser les dérives sectaires. Se pencher sur le train de vie et les comptes bancaires des intéressés permet de leur porter un coup significatif.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - J'ai le sentiment que vous attendez plus de la justice...
M. Patrick Romestaing. - Oui, en effet.
Quand les magistrats délibèrent, ils n'ont pas toujours le sentiment qu'il s'agit d'exercice illégal de la médecine et qu'il existe un risque important de perte de chance pour le patient.
C'est difficile à exprimer, à quantifier et l'on peut comprendre que la justice estime parfois que l'Ordre des médecins est jaloux de ses prérogatives. Là n'est pas la question ! Chacun doit rester à sa place et le travail doit être fait par ceux qui en ont la capacité ! Si l'exercice illégal de la médecine n'est pas clairement condamné, il ne faut pas s'étonner que des mouvements se développent ensuite et déferlent sur le territoire ! Nous aimerions donc que les sanctions soient bien plus lourdes.
L'Ordre des médecins a, à plusieurs reprises, prononcé des radiations. On ne peut faire plus mais je pense que les sanctions peuvent augmenter. Nous l'estimons en tout cas nécessaire...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Certaines dérives proviennent d'influences à caractère sectaire ; d'autres peuvent être purement et simplement motivées par un but spéculatif.
Estimez-vous qu'il y ait conjugaison de ces deux facteurs et que certains professionnels considèrent que c'est un domaine où la rentabilité est plus lucrative ?
M. Patrick Romestaing. - Le risque spéculatif existe indiscutablement. Ce n'est pas un fait majoritaire mais ceux qui mettent en place des stages, des ventes de produits, etc., savent fort bien utiliser le système. Il s'agit bien là d'une pratique commerciale.
Le domaine de la formation professionnelle continue est également très lucratif... Beaucoup de pratiques se développent : coaching, développement personnel... Il n'existe peut-être pas de risque sur le plan de la santé mais l'aspect spéculatif est extrêmement présent dans ce domaine...
Mme Gisèle Printz . - Aucun diplôme n'est nécessaire pour ouvrir un cabinet de formation professionnelle ! N'importe qui peut ouvrir un centre...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Que pensez-vous de l'introduction de certaines techniques non conventionnelles à l'hôpital public ?
M. Patrick Romestaing. - Nous avons été quelque peu surpris de la décision de certains grands hôpitaux de mettre en place à l'intérieur de l'établissement des techniques qui ne sont pas validées par l'enseignement de l'université française. On y retrouve d'ailleurs la médecine chinoise...
Il existe indiscutablement des techniques qui ne sont pas encore officiellement reconnues mais qui y ont leur place. L'hypnose peut apporter un plus au traitement de la douleur, à l'anesthésie, ou être utilisée en pédiatrie.
De même, l'acupuncture est officiellement reconnue par le Conseil national de l'Ordre des médecins pour agir sur les douleurs, la sédation et sans doute aussi sur l'anesthésie. Un médecin peut recourir à l'acupuncture. S'il utilise des aiguilles à usage unique, il n'y a pas de risque et cela amène un plus.
Vouloir obéir à des phénomènes de mode qui ont un impact assez favorable sur les patients ne donne pas forcément une bonne image de la médecine française...
M. Alain Fauconnier . - Constatez-vous une corrélation entre ces pratiques atypiques et la surdensité médicale de certains territoires ?
M. Patrick Romestaing. - Il se passe indiscutablement quelque chose de curieux. On a beaucoup de médecins, en France, à certains endroits... Il se trouve que je préside la section Santé publique et démographie du Conseil national. Il existe un problème de répartition ; un certain nombre d'étudiants s'inscrivent en médecine - 56 000 cette année - mais, au bout du compte, alors que le numerus clausus a doublé en dix ans, une proportion non négligeable ne veut pas pratiquer la médecine, surtout générale, lorsqu'ils sont sur le point de s'installer. Dix mille praticiens exercent aujourd'hui en remplacement et on se demande ce qu'il faut faire pour qu'ils entrent dans la vie professionnelle. Il y a également de nombreux postes disponibles à l'hôpital. Ces jeunes médecins ne privilégient donc pas plus le salariat.
Cet élément existe mais il s'agit plus d'un choix que d'une question de démographie médicale. On trouve plus de médecins hors convention en homéopathie, acupuncture ou chirurgie esthétique dans les grandes métropoles que dans des zones rurales ou de toutes petites villes.
M. Alain Fauconnier . - Un certain nombre de médecins qui interviennent lors de congrès, comme récemment à Lyon, exercent dans des spécialités que l'université n'enseigne probablement pas. Qu'en dit le Conseil de l'Ordre ?
M. Patrick Romestaing. - Il essaie de se faire entendre, ce qui n'est pas toujours facile !
En France, le titulaire d'un doctorat a le droit d'utiliser son titre ; l'usage veut que ce titre soit réservé, dans la pratique courante, aux docteurs en médecine, les autres devant préciser dans leur en-tête et sur leur plaque s'ils sont docteurs en pharmacie, en droit, en lettres.
Or, un certain nombre de personnes affichent ce titre sans en avoir le droit au regard de la pratique française, malgré nos actions en direction des intéressés, de l'Etat et de l'université. C'est pourquoi nous nous interrogeons sur le caractère permanent du titre de docteur en médecine en France...
Il semblerait qu'un avocat, profession réglementée comme la nôtre, lorsqu'il est l'objet d'une sanction lourde, ne puisse plus utiliser son titre. Nous avons donc demandé qu'un docteur en médecine condamné et radié pour faute lourde, y compris pénale, ne dispose plus non plus du droit d'utiliser son titre de docteur. Jusqu'à présent, on nous a toujours opposé le fait que le titre est définitif et qu'on ne peut le retirer. C'est une action qu'il nous semble intéressant de porter dans l'intérêt des patients.
M. Alain Milon , président. - C'est la question que j'allais vous poser. Je pense que le rapporteur pourra proposer de mettre en place des sanctions pénales pour ceux qui feraient un usage public de ce titre après radiation...
Existe-t-il, une coordination européenne des différents Ordres en matière de dérives sectaires, en particulier pour ce qui concerne Internet ?
M. Patrick Romestaing. - Je représentais le Conseil national, jeudi et vendredi dernier, à la conférence du Conseil européen des Ordres des médecins (Ceom). Il existe, dans le cadre du système d'information du marché intérieur (Imi), des actions conjointes dans plusieurs domaines, ainsi qu'une volonté d'échanger un certain nombre d'informations, dans l'intérêt des patients, sur les professionnels objets de sanctions : à partir de quel moment nourrir ce système ? Doit-on le faire quand un professionnel est l'objet d'une plainte ou lorsqu'une sanction a été prononcée ? Doit-on attendre qu'elle soit définitive ?
Le droit européen ne simplifie pas les choses mais il existe un désir des Ordres européens de travailler ensemble. C'est ce que nous faisons en matière de démographie, d'éthique et de déontologie. Un groupe de travail, piloté par le docteur D'Autilia, médecin ordinal italien, va probablement produire un document dans le courant de l'année 2013.