LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

À l'initiative du Sénateur Denis Badré, le Sénat a adopté à l'unanimité une proposition de résolution sur l'application de la directive 96/71 le 11 mai 2011. La résolution n° 111 demandait en premier lieu l'adoption d'un texte venant compléter la directive et destiné à contraindre les États membres à coopérer pour lutter contre les fraudes. Le nouveau dispositif devait permettre de vérifier la réalité de l'activité des entreprises détachant des salariés pour lutter contre le recours à des entreprises « boîte aux lettres ». Cette résolution préconisait par ailleurs l'adoption de sanctions et insistait sur l'introduction d'une clause de solidarité du donneur d'ordre, dès lors qu'un sous-traitant ne respecte pas la législation.

Les abus constatés ont conduit la Commission de son côté, à proposer une amélioration du de la directive 96/71. La proposition de directive d'exécution qu'elle a présentée le 21 mars 2012 s'inscrit dans ce cadre. Le texte répond en fait à une double ambition, qui peut s'avérer, à certains égards, contradictoire : renforcer les moyens de prévention et de lutte contre les abus d'un côté et intégrer dans la norme communautaire les principaux enseignements de la jurisprudence de la Cour de l'autre. Il s'avère pourtant que celle-ci limite grandement la possibilité de consolider les procédures de contrôle. Reste que la lutte contre la fraude semble désormais faire figure de priorité et dépasse le stade de l'échange de bonnes pratiques entre autorités de contrôle des États membres.

Il convient cependant de souligner un changement de cap sur ce sujet de la part de la Commission. Ses deux interventions précédentes dans ce domaine - deux communications de 2006 et 2007 - se concentraient principalement sur l'adéquation des procédures nationales aux arrêts de la Cour de justice. L'ambition affichée était clairement celle d'un allègement des procédures administratives afin de fluidifier un peu plus le marché de la prestation de services. La communication de 2007 est assez révélatrice de cet état d'esprit en négligeant de faire référence aux abus déjà constatés de part et d'autre de l'Union européenne.

La proposition de directive d'exécution faisait à l'origine partie d'un paquet, aux côtés du règlement relatif à l'exercice du droit de mener des actions collectives dans le contexte de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services, dit règlement Monti II. Ce texte soumettait en partie l'exercice du droit de grève au respect de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services dans l'Union européenne. Destiné à répondre aux inquiétudes nées des arrêts Vicking, Laval et Rüffert , ce règlement a finalement été retiré face à l'opposition de plus d'un tiers des parlements nationaux - dont le Sénat français - qui estimaient ce projet contraire au principe de subsidiarité.

UN DISPOSITIF MODESTE...

UNE SOLUTION MÉDIANE AU SERVICE D'OBJECTIFS PARFOIS CONTRADICTOIRES

Les multiples failles du dispositif auraient pu pousser la Commission à proposer une modification de la directive. Le choix d'une option plus modeste, une proposition de directive d'exécution, peut laisser sceptique quant aux réelles ambitions du texte. Il s'avère pourtant que, compte tenu des visions divergentes sur l'ensemble du dispositif au sein du Conseil ou du Parlement, une révision complète du texte aurait pu conduire à une remise en cause, au cours des négociations, de certains de ses acquis, en l'occurrence le « noyau dur » du pays d'accueil que les entreprises doivent respecter. Les premiers échanges au Conseil mettent en effet en avant deux visions antagonistes, géographiquement ciblées, opposant partisans d'une ligne plus protectrice à l'instar de la France, de la Belgique, de l'Espagne, de l'Italie ou du Portugal et à des degrés divers de l'Allemagne, et pays favorables à une correction a minima du dispositif originel à l'image des nouveaux États membres, auxquels se joint le Royaume-Uni. Fort de ce constat, il apparaît que l'option prudente retenue par la Commission d'un texte connexe semble finalement la solution la plus adaptée.

Aux termes de son évaluation de l'impact du texte de 1996, la Commission a ciblé trois types de problèmes .

Le premier tient à la mise en oeuvre, au suivi et au contrôle du respect des conditions de travail applicables aux travailleurs détachés . La Commission pointe l'insuffisance des informations accessibles aux employeurs et aux travailleurs détachés et le manque de protection juridique de ces derniers. Elle souligne dans le même temps l'inefficacité des mesures de contrôle tout en condamnant les obligations administratives et les mesures de contrôle inutiles imposées aux prestataires de services. L'ambiguïté fondamentale de la proposition de directive d'exécution - renforcer les contrôles dans le cadre étroit défini par la jurisprudence - prend ici tout son sens. La Commission regrette enfin les lacunes constatées en matière de coopération administrative.

Le deuxième angle retenu par la Commission est celui de la lutte contre l'utilisation abusive du statut de travailleur détaché en vue de contourner la législation existante ou de l'en soustraire. La Commission vise directement la durée de certains détachements, manifestement permanents ou l'absence de lien de l'employeur avec l'État où son entreprise est enregistrée.

La Commission revient enfin sur l'application des conditions de travail des pays d'accueil , notamment lorsque ceux-ci ne se sont pas dotés d'un véritable noyau dur au niveau législatif ou au niveau conventionnel.

L'ARCHITECTURE DU TEXTE

Le projet de directive d'exécution définit cinq priorités :


• mieux caractériser les situations de détachement ;


• améliorer l'accès à l'information des salariés et des employeurs ;


• renforcer la coopération administrative entre les États membres ;


• garantir aux États membres la possibilité de contrôler les situations de détachement ;


• sanctionner effectivement le non-respect des règles.

La proposition de la Commission tente au préalable de préciser les critères à prendre en compte afin de caractériser les situations de détachement et ainsi détecter plus rapidement les fraudes. L'article 3 prévoit à cet effet que les autorités de contrôle des États membres relèvent un certain nombre d'éléments en vue d'apprécier si l'entreprise qui détache ses salariés exerce réellement une activité substantielle dans le pays où elle est affiliée. Ces éléments sont les suivants : le lieu où est implanté le siège et où elle exerce l'essentiel de son activité commerciale, le lieu de recrutement des travailleurs détachés, le droit applicable aux contrats conclus par l'entreprise avec ses salariés et le nombre de contrats et le chiffre d'affaires réalisés par cette entreprise dans l'État membre d'établissement. Aux fins d'évaluer si le détachement est temporaire, les inspections de contrôle devront évaluer si le travailleur détaché est censé reprendre son activité dans son État d'origine ou si le voyage, la nourriture et l'hébergement sont pris en charge par son employeur. De telles dispositions visent à cibler les entreprises « boîtes aux lettres » ou « coquille vide ».

L'article 5 du projet insiste, quant à lui, sur l'amélioration de l'accès à l'information concernant les conditions de travail et d'emploi . La Commission milite pour que ces informations soient largement diffusées, claires, complètes et facilement accessibles, notamment par voie électronique. Elle invite les États membres d'accueil à présenter les normes qui y sont appliquées, notamment si celles-ci relèvent d'une convention collective. Un accent particulier doit alors être mis sur la présentation des éléments constitutifs du salaire minimal, de la méthode de calcul de la rémunération due et de la grille salariale. L'accent doit bien évidemment être mis sur la traduction de ces différents éléments.

Les articles 6, 7 et 8 du projet de directive sont consacrés au renforcement de la coopération administrative entre les États membres, dont l'efficacité demeure, à l'heure actuelle, toute relative. Les États membres sont désormais tenus de répondre dans les deux semaines qui suivent la réception d'une demande d'information d'un de leur partenaire. Un mécanisme d'urgence impliquant une transmission d'information sous 24 heures est même institué pour les cas où les circonstances d'un dossier l'exigent. Le texte insiste dans le même temps sur l'accessibilité des registres du commerce pour les autres États membres. Les autorités du pays d'établissement sont par ailleurs tenues de fournir à l'État d'accueil tout élément concernant une entreprise si d'éventuelles irrégularités se font jour. Le projet de directive ouvre la possibilité d'un soutien financier aux actions en faveur du renforcement de la coopération administrative.

Alors qu'aucune disposition concernant les contrôles n'était intégrée dans le dispositif de 1996, l'article 9 dresse une liste précise des mesures que peut imposer l'État membre d'accueil à une entreprise étrangère détachant des travailleurs sur son territoire. Ce faisant, la Commission codifie dans le même temps la jurisprudence de la Cour de justice. Ces mesures de contrôle sont au nombre de trois :


• obligation pour une entreprise de déclarer un détachement, au plus tard au début de la prestation. Cette déclaration peut comporter l'identité du prestataire, l'effectif prévu, la durée et le lieu de séjour ainsi que l'objet de la mission. Cette déclaration, déjà mise en oeuvre en France, n'équivaut pas à une demande d'autorisation préalable, jugée non conforme au droit communautaire par la Cour de justice ;


• obligation de conserver ou de fournir pendant toute la durée du détachement le contrat de travail, les fiches de paie, les relevés d'heures, les preuves du paiement des salaires. Ces documents doivent être traduits et conservés sur le lieu de travail.


• obligation de désigner pour la durée de la prestation de service un correspondant, chargé de négocier au nom de l'employeur avec les partenaires sociaux de l'État d'accueil.

Cette liste de mesures est considérée comme fermée, à l'inverse du faisceau d'indices sur la réalité du détachement défini à l'article 3. Ce faisant, la Commission entend alléger la charge administrative pensant sur les entreprises. L'impact de ces mesures sera réévalué au terme d'un délai de trois ans après l'entrée en vigueur de la directive d'exécution.

La proposition de directive met enfin en avant un système de recours et de sanctions en cas de violation de la directive 96/71 (articles 11 à 17). La Commission invite les États membres à se doter de mécanismes de recours permettant au travailleur détaché de porter plainte contre son employeur, lorsqu'il estime avoir subi un préjudice en raison du non-respect des règles applicables. Les salariés lésés doivent pouvoir s'appuyer sur les organisations syndicales pour ester en justice.

Afin de renforcer la protection des travailleurs du secteur de la construction principalement concerné par le phénomène de sous-traitance, l'article 12 du projet de directive institue par ailleurs un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre . Le donneur d'ordre peut ainsi se substituer à son sous-traitant direct et être tenu responsable du non-paiement du salaire minimal, de tout arriéré ou de tout prélèvement indu sur la rémunération du travailleur détaché. Le donneur d'ordre ayant fait preuve de la diligence nécessaire est exonéré de toute responsabilité. Le texte laisse la possibilité aux États membres d'étendre ce dispositif aux autres secteurs.

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