CHAPITRE II - LES DÉFIS À VENIR
Même si l'Association internationale du transport aérien (IATA) a conduit une étude sur les perspectives d'évolution du secteur à très long terme (« Vision 2050 »), les personnes entendues par votre rapporteur estiment que la lisibilité de l'évolution du trafic aérien - et par voie de conséquence, celle des secteurs qui y concourent - ne peut raisonnablement pas aller très au-delà de 2030.
Mais ce « rendez-vous de 2030 » prend toute son importance, pour deux raisons.
D'une part, parce que c'est à cet horizon que l' on peut pointer l'émergence possible de difficultés à assurer la croissance du trafic , que celles-ci portent sur la consommation de carburant (et donc sur l'émission de gaz à effet de serre (GES)), sur la saturation de la navigation aérienne, ou sur la difficulté d'étendre les capacités aéroportuaires à proximité de très grandes villes.
D'autre part, parce que les constantes de temps de développement d'un avion - sans rupture technologique marquée - sont de l'ordre de 10 à 15 ans et que les avions qui viennent d'être lancés ou qui le seront d'ici 2015 (A 320-Neo, Dreamliner, A 350) arriveront à mi-vie.
Se posera alors, pour les avionneurs et leurs clients, le problème de savoir si les nouveaux modèles devront être étudiés sur la base de l'incrémentation habituelle ou en fonction des ruptures technologiques qui auront émergé d'ici là.
Mais, dès à présent, on peut affirmer que les perspectives d'évolution du trafic à cet horizon proposeront un triple défi aux avionneurs, à l' infra structure aéroportuaire et aux autorités de navigation aérienne.
A. LES PERSPECTIVES À LONG TERME
1. L'évolution du trafic
a) Les prévisions
Les principales prévisions d'évolution à l'horizon 2030 (Airbus, Boeing, Bureau du transport aérien de l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI)) sont à peu près convergentes sur l'évolution du trafic passagers et de fret (de 4,6 % à 4,8 % par an).
En diverge notablement, à partir de 2020, la projection effectuée par Georges Ville pour le colloque organisé par l'Académie de l'Air et de l'Espace : « Comment volerons-nous en 2050 ? » :
Le rapport d'Airbus Industries (Perspectives 2030) table sur un accroissement du trafic de passagers dans les vingt prochaines années (4,2 % de 1986 à 2010 - 4,8 % de 2010 à 2030), ce qui aboutirait à un doublement du nombre de passagers en 2030 par rapport à 2010 .
L'évolution du fret aérien (dont une grande part est transportée dans des avions de ligne) suit une courbe parallèle.
Cette progression du trafic va être beaucoup plus substantielle dans les zones Asie-Pacifique (5,7 %/an) qu'en Europe (4 %) dont le marché est en voie de maturation.
Elle reposera sur deux facteurs d'expansion déjà constatés :
- la croissance du PIB (en 2010, l'Asie a représenté 24 % du PIB mondial, elle en représentera 36 % en 2030).
Cette croissance crée mécaniquement une hausse de la propension à voyager en avion :
Sur ces bases et à titre d'illustration, la croissance du PIB/habitant de la Chine de 5 000 $ à 8 000 $ impliquera 500 000 passagers annuels supplémentaires.
- la poursuite de l'urbanisation
Actuellement, plus de 50 % du trafic long courrier passe par les 39 grandes mégapoles qui enregistrent un trafic moyen de plus de 10 000 passagers par jour et 42 % par les mégapoles qui ont un trafic un peu inférieur.
Le développement de l'urbanisation (de 3,6 milliards d'urbains en 2010 à 5 milliards en 2030) va confirmer cette tendance.
Or, la population urbaine de la Chine progressera d'un peu plus de 600 millions d'habitants à 900 millions d'habitants en 2030, celle de l'Inde de près de 400 millions d'habitants à 600 millions d'habitants.
Et de nouvelles grandes villes vont apparaître :
Ce nouveau paysage urbain se traduira par la création de nouvelles routes longs courriers :
b) Des interrogations sur la fiabilité des prévisions
Dans leur ensemble, ces prévisions, qui comme toutes les modélisations, extrapolent les tendances constatées, apparaissent raisonnables.
Mais leur espérance de réalisation demeure dépendante de la levée de trois interrogations : l'effet d'une hausse du prix du carburant, le maintien d'une préférence pour le déplacement, et la montée de la concurrence des lignes ferroviaires à grande vitesse.
• Le prix du carburant
En raison de la raréfaction probable des ressources d'hydrocarbures, la question se pose de savoir si à certains paliers de prix, la demande de transport aérien ne sera pas affectée.
Certes, on peut estimer que la montée d'une offre alternative d'hydrocarbures non conventionnels pourrait être un facteur de détente des prix, comme pourrait également l'être l'exploration de nouvelles ressources conventionnelles.
Dans le même ordre d'idées, les progrès technologiques des biocarburants de deuxième et troisième génération pourraient avoir des effets analogues à partir d'un seuil de rentabilité, qui est actuellement beaucoup plus élevé que le prix actuel du baril.
Demeure que la poussée de la croissance mondiale, en particulier dans les pays émergents, pourrait être de nature à absorber ces dernières offres.
Or, le prix du carburant représente environ 30 % 4 ( * ) de la charge d'exploitation aérienne.
Une augmentation à terme de l'ordre de 50 % du prix du baril (à 150 $ par exemple) pourrait notablement peser sur la demande de transport aérien.
D'où l'importance des gains technologiques de consommation des appareils.
• Le maintien d'une préférence pour la vitesse de déplacement
L'ensemble des simulations effectuées sur le volume du trafic aérien en 2030 repose sur ce que les spécialistes du domaine appellent le couplage.
En d'autres termes, un point de croissance du PIB apporte un point à la distance moyenne parcourue par personne et par an. Ce couplage n'a été possible, compte tenu de la croissance passée du PIB, que par une substitution des modes de transport.
Cette substitution s'est faite selon le schéma suivant.
Très rapidement, pour un mode de transport donné, la distance quotidienne maximale pouvant être parcourue devient asymptotique. Ainsi, les 40 kilomètres de marche par jour ont-ils été remplacés par les possibilités du cheval, puis du chemin de fer, puis de l'automobile et, enfin, par celles de l'avion.
Or, comme les autres modes de transport, le maximum des distances à parcourir pour un avion de ligne devient elle aussi asymptotique. Ce qui revient à dire que les avantages offerts par le transport aérien plafonnent, comme ont plafonné les autres modes de transport.
D'où une incertitude sur la validité de la projection de ce phénomène de couplage : les avantages relatifs du déplacement par avion plafonnant, les passagers potentiels consacreront-ils plus de temps au transport aérien qu'auparavant ?
Certes, il existe les réserves potentielles de consommation en transport aérien, en particulier dans les pays émergents ; il existe aussi des différences culturelles et géographiques de comportements (70 kilomètres parcourus par jour et par personnes aux États-Unis mais 40 kilomètres en France).
Ces données introduisent un doute sur la validité du postulat de couplage qui permet d'asseoir une prévision de long terme sur le volume du trafic aérien.
• Le déploiement des lignes ferroviaires à très grande vitesse
L'expérience acquise 5 ( * ) prouve que la concurrence entre le transport ferroviaire à grande vitesse et le transport aérien se manifeste autour de durées de transport de 3 heures - 3 heures 30.
En l'état, le déploiement de ces lignes est un phénomène européen et asiatique. Mais, à terme, rien n'exclut que l'Amérique du Nord en fasse l'expérience.
Pour ne prendre que l'exemple de l'Europe, le réseau des TGV et des trains à grande vitesse en 2030 pourrait constituer un maillage assez concurrentiel vis-à-vis du transport aérien :
Source : Commission européenne - High speed Europe/A sustainable link between citizens, 2010
Cette concurrence pourrait devenir plus aigüe, si sur la base du réseau actuel, des gains de vitesse supplémentaires de l'ordre de 100 kilomètres/heure pouvaient être obtenus sur le rail.
Il y aura là un frein incontestable à la croissance de la demande de transport aérien.
C'est au demeurant un phénomène que l'on constate au Japon où l'utilisation interne des transports aériens est moindre qu'aux États-Unis et en Europe.
C'est aussi un phénomène que l'on observera en Chine 6 ( * ) , réservoir potentiel de croissance du trafic aérien et où l'état de la navigation aérienne aboutit à des retards de vol très importants.
C'est d'ailleurs pourquoi les experts s'accordent à estimer que les évaluations de la Commission européenne, prévoyant le doublement du trafic de 2020 à 2030 dans l'Union, devraient plutôt viser l'horizon 2040-2050.
* 4 Données variables en fonction des types de vol (court moyen courrier - long courrier) et du « millésime » des avions.
* 5 Par exemple, la diminution du trafic passager de l'aéroport de Strasbourg au fur et à mesure de l'extension de la ligne TGV de Paris.
* 6 En 2012, le réseau de TGV chinois constitue la moitié du réseau de la planète.