D. APPROFONDIR NOTRE RÉFLEXION SUR NOS INTERVENTIONS DANS LES PAYS FRAGILES
La coopération française, à travers l'AFD, a largement professionnalisé et standardisé ses méthodes de travail en cohérence avec les réflexions internationales sur les principes de l'efficacité de l'aide et les procédures liées à son statut d'établissement de crédit.
Or les méthodes de travail et les résultats obtenus varient considérablement selon les catégories de pays. Des pays fragiles comme le Mali, Madagascar ou le Tchad se distinguent à de nombreux égards du groupe des pays de « l'Afrique qui gagne ». Leur situation économique et surtout sociale est médiocre, avec une pauvreté massive et un accroissement vertigineux des inégalités, faisant le lit des idéologies extrémistes. Leur situation de gouvernance politique, économique et financière est très mauvaise, certes avec des oscillations, mais la profondeur de leurs problèmes culturels, institutionnels et sociaux et la faiblesse de leurs capacités humaines et institutionnelles ne permettent pas d'imaginer une évolution rapide de leur situation.
Les programmes de l'AFD dans ces pays soulèvent des interrogations en termes de méthodes et de durabilité. Au Mali, de nombreux observateurs se sont interrogés sur les résultats de plus de cinquante ans de coopération. Des interrogations partagées par les membres du groupe de travail. Qu'a-t-on fait de nos actions en faveur de l'éducation et de la santé, en faveur des infrastructures de transport et d'assainissement ? Que sont devenues nos contributions aux différents plans en faveur de la paix, de la sécurité et du développement dans le nord du Mali ? A ces questions nous n'avons reçu presqu'aucune réponse. Or il nous faut dresser une évaluation de nos actions pour en améliorer l'efficacité. Il ne s'agit pas de jeter la pierre aux acteurs de cette coopération, qui ne ménagent pas leurs efforts, mais de tirer des enseignements.
Il y a un problème d'allocation de nos moyens d'intervention. Sur les dix dernières années, le Mali représente 4 % de notre aide au développement. C'est peu, pour un pays prioritaire de la coopération française dont les besoins sont immenses, et dont nous accueillons sur notre territoire une partie de la population.
Mais, il y a aussi un problème de méthode qui concerne l'ensemble des pays fragiles.
Ces pays appellent une grande souplesse dans le choix des instruments et dans l'exécution, du temps, des agents expérimentés dotés de fortes compétences techniques, diplomatiques et intellectuelles ainsi qu'une forte capacité d'adaptation.
Certes, la France a développé plusieurs outils pour guider son action dans les contextes de fragilité ou de sortie de crise ; des positions ont été élaborées et adoptées en interministériel sur : la gouvernance démocratique (2006) ; les Etats fragiles et les situations de fragilité (2008) ; la lutte contre la corruption (2008) ; la réforme des systèmes de sécurité (2008) ; le DDR (2009) ; la réduction de la violence armée (2012). La stratégie pour les Etats fragiles développée en 2007 est, par ailleurs, en cours de renouvellement. Pour autant, il ne semble pas que les méthodes utilisées soient toujours bien adaptées aux situations particulières.
Gagner la paix au Mali, ou plutôt gagner le développement, est une toute autre affaire que gagner la guerre, une affaire dont la durée s'étend au minimum sur une génération. La construction d'un discours qui porte une vision d'avenir de notre action, de nos partenariats et de nos financements dans ces pays devrait prendre en compte le bilan de notre action passée.
La France occupe dans ces pays presque tous francophones une position délicate car la relation particulière évidente qu'elle entretient avec eux génère deux attitudes contradictoires de la part de ses partenaires : une forme de rejet de l'influence française et une grande attente d'appui ! Ce discours est à bâtir avec les partenaires des pays mais aussi avec les tutelles, les parlementaires, les ONG et les collectivités locales. Il est également à bâtir avec d'autres pays européens qui ne peuvent pas laisser la France dans un tête-à-tête trop étroit. Il doit intégrer les financements des pays émergents qui font partie des problèmes et des solutions.
Il s'agit notamment de partir d'une analyse approfondie du contexte, de privilégier une entrée par les acteurs plutôt qu'une entrée par les secteurs, de viser la préparation de l'avenir plutôt que des résultats importants à court terme, donc d'accorder une véritable priorité au renforcement des capacités et à la promotion du dialogue sur les politiques publiques, de privilégier les projets innovants, pilotes, et les actions d'étude/plaidoyer/débats vectrices d'une influence constructive.
En agissant ainsi, au plus près des acteurs et des enjeux, ce que peu de bailleurs de fonds savent faire, l'AFD répondra à des besoins essentiels avec des budgets limités et un effet de levier maximum. La sélection des partenaires sera cruciale, en fonction de leur engagement et de leurs capacités. Il s'agira de cibler des acteurs d'avenir, dans le privé, la société civile, les collectivités locales ou les administrations de façon très sélective, quitte parfois à contourner l'Etat.
Dans certains cas, il convient de sélectionner les modes d'action et procédures les plus adaptées et les plus simples, notamment en matière de sélection et de passation des marchés, en respectant l'esprit des principes clefs plutôt que la lettre. Confier des maîtrises d'ouvrage déléguées à des opérateurs privés ou non souverains peut constituer une des solutions.
Dans d'autres cas, un partage des tâches entre, d'un côté, la France (AFD et ONG, en partenariat) sur des petits projets pilotes de qualité, c'est-à-dire coûteux en termes d'instruction et de suivi, et, de l'autre, des grands bailleurs de fonds comme l'Union européenne ou la Banque mondiale qui ont vocation à financer leur réplication ou le passage à l'échelle supérieure.
51) Etablir un bilan de nos modes d'intervention dans les pays fragiles à faible maîtrise d'ouvrage et de définir une méthodologie adaptée. |