d) La coopération technique en Afrique, un instrument sacrifié
Si, dès les indépendances, l'aide française s'est donnée une priorité de renforcement des capacités de ses partenaires du Sud avec les assistants techniques et la politique de formation des élites, les réformes successives de l'appareil français de coopération ont entraîné un déclin du déploiement des assistants techniques sans que la politique de coopération technique n'ait fait l'objet d'un nouveau cadrage stratégique, en réponse aux évolutions des besoins des zones d'intervention et des modes opératoires de l'aide.
Non seulement, la présence de nos coopérants, qui a été une des marques de fabrique de la France, est en constante diminution, mais la gestion de l'expertise et de la coopération technique française en Afrique est éclatée entre de nombreux organismes, avec des moyens en diminution et sans stratégie commune.
De fait, la France qui possédait une forte tradition et une forte expérience en matière de renforcement des capacités, institutionnelles et humaines, est de moins en moins présente dans ce domaine pourtant essentiel par rapport à des pays comme l'Allemagne qui en a fait une véritable priorité.
En 1979, les effectifs des assistants techniques s'élevaient à environ 10 976 pour n'atteindre plus que 967 en 2011, soit une division par plus de 10 des effectifs.
Évolution des effectifs d'assistance technique de 1990 à 2011
Dans les années 2000, la France a réduit son dispositif public à l'étranger.
Le recours à l'expertise technique française en Afrique a pris des formes variées avec cependant deux grandes catégories :
- l'assistance technique à moyen-long terme, aussi connue comme « résidentielle », avec la mise à disposition d'agents d'État ou de contractuels par l'État français pour de l'appui aux administrations et le renforcement des capacités locales,
- l'expertise technique de courte durée mise en oeuvre par une multiplicité d'opérateurs privés ou publics sur des marchés ouverts à la concurrence.
L'assistance technique « résidentielle » qui a longtemps été considérée comme une force de la politique de coopération française, tant pour le développement que pour sa visibilité et son influence, a aujourd'hui considérablement diminué.
L'assistant technique français en Afrique : une catégorie en voie de disparition
Sur l'ensemble de la période de 1990 à nos jours, la diminution des effectifs s'explique principalement par l'abandon progressif de la coopération de substitution mise en place dans les années 1960 avec la mise à disposition permanente d'experts techniques, dont une grande partie d'enseignants, auprès de gouvernements ou d'institutions étrangères dans le monde.
Cette évolution correspond à la fois à la volonté politique de mettre fin à un système d'assistance permanente trente ans après les indépendances et à la prise en compte de contraintes budgétaires.
Il s'agissait de rompre avec un système hérité de la période coloniale et de réduire le coût lié au financement d'un personnel permanent, installé auprès des autorités de pays partenaires qui ont eu le temps de se constituer des élites administratives.
Une fois les gros bataillons d'experts techniques supprimés, les suppressions ont eu pour cause la contribution aux contraintes imposées par la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ainsi qu'à l'abandon de projets dont les financements n'étaient plus assurés.
Parallèlement, la responsabilité d'une partie des assistants techniques qui relevaient du ministère des affaires étrangères, dans les secteurs de l'éducation et de la santé notamment, a été transférée à l'Agence française de développement. Le ministère a, quant à lui, conservé la gestion des assistants liés à la gouvernance.
Le recours à l'expertise technique est cependant désormais majoritairement conçu comme des missions temporaires d'experts à haute valeur ajoutée, placés en position de conseillers auprès de décideurs locaux ou affectés à des fonctions d'animation dans le cadre de projets de développement.
La quasi-disparition des assistants techniques dans certains pays et secteurs a fait perdre à la France un atout précieux pour la coopération au développement aussi bien en matière d'efficacité que d'influence. Elle est regrettée par l'ensemble des acteurs sur le terrain.
La récente évaluation de la Cour des comptes sur l'aide au développement 53 ( * ) cite de nombreux témoignages allant dans ce sens.
L'ambassade au Sénégal estimait ainsi que « le dispositif d'assistance technique géré par le Département est très apprécié tant par les administrations sénégalaises que par les partenaires techniques et financiers, en particulier multilatéraux ».
Leur présence se révèle même de nature à renforcer les actions multilatérales, comme au Togo, où, selon l'ambassade, « de nombreux projets européens seraient incapables d'atteindre les objectifs fixés s'ils n'étaient pas appuyés, voire directement mis en oeuvre par l'assistance technique française ».
De même, l'Inspection générale des affaires étrangères pouvait-elle constater, en mai 2009, dans un des pays pauvres prioritaires du Sahel : « La baisse continue des crédits de coopération conjuguée à la fermeture des postes d'assistance technique qui sont comptabilisés dans les équivalents temps plein (ETP) sous plafond dont il convient de réduire le nombre, alors même que leur présence dans ce pays est une action de coopération en soi, finira par rendre notre pays inaudible dans ce pays » 54 ( * ) .
Avec moins de 400 assistants techniques en Afrique subsaharienne, la France y dispose aujourd'hui de moins d'agents que l'Allemagne, dont l'opérateur technique GIZ déploie 1 350 experts expatriés et 11 240 experts nationaux.
C'est pourquoi la commission des affaires étrangères du Sénat considère, depuis plusieurs années, que la France a été trop loin et a sacrifié un instrument de coopération précieux dont l'influence et l'intérêt économique sont pourtant reconnus 55 ( * ) .
Il est vrai que d'autres acteurs ou d'autres modalités de renforcement des capacités des pays africains ont pris le relais.
De très nombreuses collectivités locales ont développé une coopération internationale, parfois à base de projets classiques, mais principalement en mobilisant leurs compétences internes pour appuyer leurs homologues. Des lois autorisent même de prélever jusqu'à 1% du budget des services d'eau, d'assainissement pour mener des actions de coopération avec les collectivités étrangères.
Par ailleurs, l'action des opérateurs de coopération inclut pour sa part des actions de renforcement des capacités, soit dans les modalités de mise en oeuvre, soit en accompagnement de celle-ci. Les financements de l'AFD sont entièrement mis en oeuvre par les bénéficiaires, mais l'Agence assure un dialogue régulier avec les maîtrises d'ouvrage locales et leur apporte une expertise pour leur permettre de faire face aux difficultés pratiques qu'elles rencontrent. Des appuis budgétaires sont généralement accompagnés de mesures de renforcement des capacités
La France est fortement impliquée dans le renforcement des capacités commerciales, pour lequel elle a élaboré un plan spécifique qui associe des contributions multilatérales et un programme bilatéral spécifique, le Programme de renforcement des capacités commerciales (PRCC). L'appui porte à la fois sur la capacité des pays à mieux assimiler les règles qui régissent les échanges internationaux et sur l'amélioration effective de leurs performances à l'exportation. Cela se traduit par des prestations d'assistance technique, de formation et de sensibilisation ; des études sectorielles ou de faisabilité ; voire par le financement de petits matériels ou d'équipements pédagogiques.
Globalement, les moyens pour financer des études ou des prestations d'expertises sont très limités faute de ligne budgétaire bien identifiée, d'acteurs suffisamment légitimes et de stratégies. Pour l'Afrique, l'AFD dispose, avec les ressources du Programme 209 du ministère des affaires étrangères, de crédits d'intervention permettant de financer ce type d'activités. Mais le niveau des subventions allouées par l'Etat à l'AFD et Ia compétition sur son usage entre financement d'investissement et d'accompagnement, notamment dans les pays où I'AFD n'est pas autorisée à prêter, ne permettent pas de répondre à l'ensemble des besoins dans les pays prioritaires d'Afrique Subsaharienne.
La politique de promotion de l'expertise technique passe enfin également aujourd'hui par les opérateurs français publics et privés sur les marchés internationaux d'expertise financés par l'aide multilatérale à laquelle la France contribue largement.
La présence croissante des bailleurs de fonds multilatéraux sur les « marchés » de l'expertise entraîne une demande fondée sur des appels d'offres internationaux, notamment de la Banque mondiale et des fonds communautaires.
Dans ce contexte, la promotion des opérateurs français sur les marchés internationaux constitue une manière de chercher des financements pour pallier la faiblesse des crédits bilatéraux et un retour sur investissement de la part des organisations multilatérales financées par la France.
Or ces opérateurs sont en France nombreux et divisé. Chaque ministère ou presque a, en effet, mis en place un opérateur « métier », pour promouvoir à l'international ses expertises propres, auquel s'ajoute, selon les secteurs, des opérateurs privés.
Comme l'a constaté notre collègue Jacques Berthou dans un récent rapport d'information : « Pour une « équipe France » de l'expertise à l'international » 56 ( * ) la France ne s'est pas dotée d'instruments suffisants pour fédérer ses opérateurs publics afin de faire face à la concurrence internationale en matière d'expertise.
La multiplicité des opérateurs, leur faible taille critique, l'hétérogénéité des modèles économiques pour des métiers pourtant proches, l'hétérogénéité des résultats et des performances, l'absence d'une véritable stratégie commune et les conflits de rôles potentiels ou avérés, semblent conduire à une concurrence stérile et à des réflexes corporatistes nuisibles au rayonnement de l'expertise française en Afrique.
Il existe, en effet, une trentaine d'opérateurs publics d'expertise à l'international, des « opérateurs métiers » (proches des viviers d'expertise) et un opérateur généraliste (FEI). Le volume d'activité cumulé annuel s'élève à environ 80 millions d'euros dont 60 millions d'euros proviennent des 3 plus grosses structures (FEI, ADETEF et CIVIPOL).
Cette situation résulte, d'une part, d'un choix politique, au moment de la réforme de 1998, de ne pas se doter d'un opérateur public dominant qui aurait pu permettre de développer les synergies entre aide bilatérale et expertise technique internationale et, d'autre part, de l'existence d'« expertises métiers » découlant d'une succession de décisions « individuelles » des administrations à s'investir à l'international.
L'État ne semble jouer, ni le rôle d'arbitre, ni le rôle de pilote. Il laisse chaque administration défendre son pré carré, sans d'ailleurs toujours en définir les limites, sans feuille de route commune, sans indicateur cohérent, sans économie d'échelle et avec ce qui peut apparaître, de plus en plus, comme un saupoudrage des moyens publics.
Cette organisation entraîne de véritables difficultés à se positionner sur les appels d'offres internationaux en l'absence de taille critique qui permette une maîtrise des procédures et une capacité de veille suffisante.
À cela s'ajoutent des difficultés à mobiliser le potentiel humain : malgré la proximité affichée des « viviers d'expertise », les opérateurs publics dans leur majorité sont confrontés à la réticence accrue des administrations à mettre à disposition leurs experts, du fait des restrictions en personnel, à des viviers au périmètre restreint à la fonction publique d'État et à l'absence d'une valorisation de l'expérience internationale dans le déroulé de carrière des experts.
Elle contraste avec celle rencontrée en Grande-Bretagne ou en Allemagne où cette compétence revient à un opérateur dominant, le Dfid ou la GIZ, bénéficiant d'un budget conséquent et d'effectifs beaucoup plus importants.
Alors que la France était une référence en matière d'expertise technique, ce recul pénalise notre influence sur les choix politiques d'États africains en pleine transformation.
* 48 Allocation supplémentaire au Fonds mondial annoncée par le Président de la République en septembre 2010.
* 49 Relevé de décisions du CICID du 5 juin 2009
* 50 Déclaration de la secrétaire d'Etat à l'écologie, Chantal Jouanno, le 28 octobre 2010 lors du Sommet international sur la biodiversité à Nagoya
* 51 Conférence de presse du Président de la République lors du Sommet du G8 / G20 de Muskoka le 27 juin 2010. L'engagement du G8 est de consacrer 5 Mds USD de financements additionnels dans les 5 prochaines années à la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants de moins de 5 ans