3. Les accords de partenariats économiques dans l'impasse ?
Sur le plan commercial et du développement, les accords de Yaoundé de 1963 puis de Lomé de 1975, entre la Communauté européenne et les pays ACP, se situaient dans une perspective régionaliste de préférence et de non-réciprocité prenant en compte les asymétries internationales.
Ils visaient à insérer les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique dans des accords préférentiels avec leurs anciennes métropoles s'intégrant à l'espace européen.
Les accords de Cotonou (Bénin) signés en 2000 entre l'Union européenne et les pays ACP ont cependant transformé le partenariat économique qui liait l'Europe à l'Afrique.
A partir de cette date, les accords APC ont perdu beaucoup de force avec l'élargissement de l'Europe à des pays sans passé colonial et avec la réorientation des intérêts vers l'Europe de l'Est depuis la chute du mur de Berlin.
L'ajustement a conduit à fortement rapprocher les doctrines des bailleurs de fonds sous le leadership des institutions de Bretton Woods.
La Commission, seule compétente en matière de politique commerciale extérieure et représentante de l'Union à l'OMC, a mis ses accords en conformité avec les règles de l'OMC qui n'intègrent pas les asymétries internationales. Or, le Système de préférence généralisée prenait précisément en compte les asymétries internationales afin de permettre aux États africains, et en particulier aux pays les moins avancés (PMA), de jouir de l'accès aux marchés européens sans craindre la concurrence des produits venus d'Europe sur leur marché intérieur.
L'accord de Cotonou prévoit la conclusion d'accords de partenariat économique (APE) entre les membres du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et l'Union européenne et ses États membres à compter du 1 er janvier 2008.
Cependant, plusieurs pays n'ont ni pris les mesures nécessaires en vue de la ratification d'un APE, ni conclu de négociations régionales globales. La Commission européenne a proposé donc, qu'à compter du 1 er janvier 2014, les pays qui n'ont pas signé ou ratifié leurs accords soient rayés de la liste des bénéficiaires de cette disposition.
Les 17 pays qui n'ont pas mené à bien jusqu'à présent leur processus de ratification se répartissent en différentes catégories et les conséquences pratiques de cette proposition, dans les circonstances actuelles, dépendraient de leur statut et de l'accord final obtenu lors de la révision du système de préférences généralisées (SPG) :
- le Burundi, les Comores, Haïti, le Lesotho, le Mozambique, le Rwanda, la Tanzanie, l'Ouganda et la Zambie font partie des pays les moins avancés (PMA), qui continueraient à bénéficier de l'accès en franchise de droits et hors contingents, en vertu de l'initiative « Tout sauf les armes » (TSA), et ne seraient donc pas touchés ;
- le Cameroun, les Fidji, le Ghana, la Côte d'Ivoire, le Kenya et le Swaziland retomberaient dans le système de préférences généralisées (SPG) de l'Union, qui prévoit des droits de douane réduits par rapport au taux applicable à la nation la plus favorisée (NPF), mais pas aussi favorables qu'un accès en franchise de droits et hors contingents, ce qui entraînerait une hausse des droits de douane sur la plupart des exportations essentielles ;
- le Botswana et la Namibie, qui sont rangés dans la tranche supérieure des pays à revenu intermédiaire, reviendraient, selon la proposition relative au SPG, au taux NPF, tel qu'il est appliqué à la plupart des pays (y compris par exemple les États-Unis et le Japon).
Cette évolution a conduit aux renégociations en cours des Accords de Partenariats économiques qui devaient initialement conjuguer les deux composantes, commerce et développement, avec les flexibilités nécessaires pour répondre aux spécificités des pays partenaires.
Ces accords avaient été conçus pour être appliqués uniformément à de grandes régions afin de favoriser l'intégration régionale : la CEDEAO pour l'Afrique de l'Ouest, la CEEAC pour l'Afrique Centrale, la SADC pour l'Afrique australe et l'EAC pour l'Afrique de l'Est.
La coexistence de plusieurs régimes d'accès au marché de l'Union Européenne, comme c'est le cas aujourd'hui, constituait un frein à la solidarité régionale. Un des objectifs de la négociation des APE est d'harmoniser les régimes applicables à nos relations commerciales avec les pays ACP et de favoriser l'intégration régionale dont on a vu qu'elle constituait un enjeu économique majeur.
Or, en l'état des négociations, l'effet inverse est en train de se produire, chaque pays négociant seul des accords différents dans le cadre d'un ultimatum qui laisse peu de choix aux pays africains et notamment à ceux qui risquent de se voir imposer un système de préférences généralisées (SPG) de l'Union qui entraînerait une hausse des droits de douane : une situation qui inquiète les partenaires africains de la France.
Les bénéfices commerciaux que l'Union Européenne accorde aux pays ACP sont en effet aujourd'hui appliqués de façon unilatérale dans l'attente de la conclusion des APE intérimaires ou régionaux. La date limite de ratification des APE intérimaires, repoussée au 1 er octobre 2014 grâce notamment à l'action de la France, se rapproche.
A défaut d'accord, et à l'exclusion des PMA qui continueraient à bénéficier du régime « Tout sauf les armes » de l'Union européenne, les pays concernés perdraient leur accès préférentiel au marché de l'Union européenne (le Kenya, le Swaziland, la Cote d'Ivoire, le Ghana, le Cameroun et les iles Fidji, le Botswana et la Namibie seraient ainsi concernés).
Ainsi, à titre d'illustration, sans perspective d'un accord régional au 1er octobre 2014, la Côte d'Ivoire, le Ghana ou encore le Cameroun, pourraient avoir à choisir entre ratifier leur accord de partenariat économique, conclu en 2007, et le mettre en oeuvre de façon bilatérale (mettant ainsi en danger les unions douanières négociées ou en négociations dans leurs régions), ou, de façon alternative, renoncer, au nom de l'intégration régionale, à un APE et donc à certaines préférences de I'UE.
Un certain manque de souplesse de la Commission européenne et les hésitations des pays africains ne permettent pas d'avancer de manière décisive dans des négociations où les demandes africaines sont peu prises en compte.
Comme le Président de la République l'a mentionné dans son discours à Dakar, le 12 octobre 2012, le partenariat entre l'Europe et les pays africains suppose d'établir des relations commerciales plus équitables entre l'Afrique et l'Europe : « La position des pays africains dans la négociation des APE n'a pas été assez prise en compte ».
Il convient de relancer les discussions sur de nouvelles bases, avec des conditions de calendrier et de contenu plus favorables pour les pays africains.