2. Un partenariat gagnant perdant ?
La face sombre de cette ruée vers l'Afrique est liée à sa dépendance accrue vis-à-vis des exportations en matières premières qui limite la diversification de son économie et renforce sa place défavorable dans la division internationale du travail.
L'arrivée des émergents sur le continent ne peut que renforcer la spécialisation de l'Afrique dans l'exportation de matières premières (hydrocarbures, minerais, bois). Le Brésil, l'Inde et la Chine concentrent leurs achats sur les produits pétroliers, qui représentent 80 à 90% de leurs importations.
Les importations africaines sont, à l'inverse, assez diversifiées : les États se tournent vers la Chine pour les télécommunications et le textile, ils s'adressent à l'Inde pour les produits pharmaceutiques et pétroliers et achètent des denrées alimentaires auprès du Brésil.
L'intensification des échanges commerciaux entre les puissances émergentes et l'Afrique restreint le continent dans un statut d'exportateur de matières premières tandis qu'elle accroît sa dépendance aux produits manufacturés et à des secteurs spécifiques de chacune des économies émergentes.
Les investissements chinois dans l'agriculture (en particulier dans la production d'agrocarburants) ont tendance à favoriser le développement des monocultures d'exportation. L'importation massive de produits chinois provoque le déclin du secteur industriel local, notamment textile, dans les rares pays où il a pu se développer, notamment en Zambie, Afrique du Sud, Cameroun, Gabon, Nigeria et cela malgré les tarifs préférentiels accordés par la Chine.
Enfin, si les recettes budgétaires des gouvernements peuvent se trouver augmentées grâce aux exportations vers la Chine, se pose la question de la répartition de ces recettes (pour quelle usage/redistribution étant donné la dégradation de la gouvernance ?) et de la durée (combien de temps cela va durer étant donné que les ressources exportées sont pour une bonne part non renouvelables ?). Mais l'Europe fait-elle mieux à ce niveau ?
En important des matières premières et en exportant des produits finis, la Chine reproduit en effet un schéma d'exploitation coloniale. Elle accentue la mono-spécialisation comme le faisaient jadis les métropoles coloniales qui n'avaient pas encouragé la transformation sur place des matières premières qui y étaient produites.
Sans doute l'exportation du pétrole et des richesses minières gonfle-t-elle les caisses de l'État ; mais ces rentes font courir aux États qui les perçoivent le risque d'être frappés par le « syndrome hollandais » : captation des bénéfices par les élites, désaffection des autres secteurs de l'économie nationale, fragilité accrue face aux fluctuations des cours mondiaux, appréciation de la monnaie, risque de multiplication des conflits pour s'approprier les richesses naturelles.
En outre, cette situation met les pays africains dans une situation de très forte dépendance à l'égard de la Chine. La Chine absorbe aujourd'hui 30 à 40% du fer ou du cuivre vendu sur le marché international, et jusqu'à 60% du soja, pour ses élevages. Le fait que Pékin se mette à stocker d'énormes quantités a des effets massifs sur les cours mondiaux et sur les économies africaines.
On l'a bien vu en 2012 et en 2013 avec les incertitudes politiques, autour de la réunion du 18 e congrès du parti communiste chinois, et économiques avec une diminution de la croissance chinoise. Des incertitudes qui se sont traduites sur un certain nombre de marchés de matières premières industrielles notamment les minerais de fer, le cuivre et le caoutchouc.
Dans un continent où les institutions étatiques sont encore faibles, il est difficile de gérer efficacement la rente liée à l'exportation des matières premières. Les gains engendrés conduisent à une surévaluation de la monnaie qui entraîne un problème de compétitivité pour les secteurs soumis à la concurrence internationale, notamment l'industrie manufacturière qui ne peut rivaliser avec l'offre des émergents sur la scène mondiale.
Cela étant dit, certains comportements des émergents, en particulier des entreprises chinoises, sont en train de susciter des réticences croissantes dans de nombreux pays où l'on découvre que les relations ne sont pas aussi « gagnant-gagnant » qu'on le dit.