II. UN SYSTÈME FORTEMENT MIS À CONTRIBUTION PAR DES MESURES DE RIGUEUR
Le développement de l'Etat-providence espagnol, qui se caractérisait jusqu'en 2006 par l'extension de la couverture sociale à de nouveaux risques et catégories d'assurés, a été fortement contraint par la crise économique et financière et la baisse importante du nombre d'actifs cotisants. Outre la définition d'un nouveau cadre de régulation des finances sociales, le Gouvernement espagnol a mis en place des réformes structurelles dans tous les domaines de la protection sociale.
1. Une forte baisse du nombre d'actifs cotisants dans le contexte de crise
Au cours de la période de consolidation financière de la sécurité sociale, favorisée par la forte croissance économique, de faibles taux d'intérêt, une modération salariale, l'embauche de personnes immigrées non communautaires faiblement rémunérées et une forte demande intérieure, principalement dans le secteur du bâtiment, le nombre d'actifs cotisants a connu une croissance spectaculaire, de l'ordre de 5,6 millions entre 1998 et fin 2007. La crise a ensuite inversé cette tendance en ramenant ce nombre de 19,5 à 16,3 millions entre juillet 2007 et mars 2014, soit une baisse de plus de 16,4 % .
Evolution du nombre de cotisants à la
sécurité sociale espagnole
entre 2011 et 2013 (moyennes
annuelles)
Source : secrétariat d'Etat espagnol à la sécurité sociale
Dans ce contexte, l'évolution du système de protection sociale espagnol a connu deux mouvements opposés successifs.
Dans un premier temps, les dispositifs existants ont fait l'objet de plusieurs assouplissements dans le cadre du plan de relance du gouvernement Zapatero (2009-2010) . Mais sous les effets conjoints de ce plan de relance de grande ampleur (évalué à 7 points de PIB), de l'écroulement des ressources fiscales, de la hausse automatique des dépenses liées à la crise et au sauvetage du système bancaire, le niveau de la dette publique espagnole a considérablement augmenté, passant de 36 % du PIB en 2007 à plus de 68 % en 2011. Après une décennie d'excédents (1999-2009), les comptes sociaux ont connu une détérioration rapide à partir de 2010 .
Dans un second temps, les politiques d'austérité amorcées sous le gouvernement Zapatero et amplifiées par celui de Mariano Rajoy après l'alternance politique de l'automne 2011 ont conduit à la mise en oeuvre d'un programme drastique d'assainissement budgétaire .
2. La révision du cadre de régulation des finances sociales
Pour tirer les conséquences de la crise, le gouvernement espagnol a été conduit à préciser les modalités de gouvernance et de régulation des finances publiques et sociales. Les dépenses de pension représentant plus de 87 % des dépenses de la sécurité sociale et les cotisations sociales plus de 83 % de ses ressources non financières, les possibilités d'ajustement à court terme tant des dépenses que des recettes face à un choc économique conjoncturel apparaissent en effet relativement limitées.
Recettes et dépenses du budget de la
sécurité sociale pour 2014
(en millions d'euros)
Recettes |
Dépenses |
||||
Ressources non financières |
123 455 |
Pensions |
124 658 |
||
Cotisations sociales |
102 840 |
Autres prestations économiques |
9 850 |
||
Taxes et autres ressources |
1 327 |
Services sociaux
|
1 427 |
||
Transferts courants |
16 190 |
Gestion et administration
|
4 125 |
||
Ressources patrimoniales |
2 476 |
Santé |
1 453 |
||
Ressources en capital |
622 |
Education |
2 |
||
Ressources financières |
12 129 |
Transferts internes |
3 909 |
||
Actifs financiers |
12 127 |
||||
Passifs financiers |
2 |
||||
Total |
135 584 |
Total |
135 584 |
Source : ambassade de France en Espagne
La prise en charge des besoins de financement de la sécurité sociale fait intervenir un fonds de réserve de la sécurité sociale dont les règles d'utilisation ont été assouplies en réponse à la crise.
Le fonds de réserve de la sécurité sociale espagnole Institué en 1997 dans la continuité du pacte de Tolède dans l'objectif de subvenir aux besoins financiers futurs du système de protection sociale, le fonds de réserve de la sécurité sociale doit permettre de lisser dans le temps les conséquences des chocs conjoncturels sur les comptes sociaux. Les règles générales régissant le fonds ont été définies au début des années 2000 : - la loi 18/2001 du 12 décembre prévoit l'affectation prioritaire des excédents budgétaires de la sécurité sociale à ce fonds ; - la loi 24/2011 du 27 décembre attribue au gouvernement la compétence de fixer pour chaque exercice le montant de la dotation alloué au fonds. La loi 28/2003 du 29 septembre relative au fonds de réserve de la sécurité sociale a ensuite fixé de manière plus précise ses modalités de régulation et de fonctionnement. Il a notamment été décidé que l'utilisation de ce fonds serait réservée au financement des pensions contributives et qu'il ne pourrait être mobilisé qu'à hauteur de 3 % au maximum du montant des pensions contributives. Au total, cinq principes fondamentaux encadrent aujourd'hui le recours au fonds de réserve de la sécurité sociale : - l'affectation prioritaire des excédents de recettes dédiées au financement des prestations contributives au fonds (lorsque l'état financier de la sécurité sociale le permet) ; - l'utilisation des excédents dégagés par la gestion des AT-MP et des incapacités temporaires de travail pour l'alimentation du fonds ; - la définition pour chaque exercice par le gouvernement du montant de la dotation au fonds ; - l'intégration automatique aux dotations du fonds des intérêts financiers résultant de la gestion des actifs du fonds ; - une utilisation du fonds réservée au financement des pensions contributives et en cas de déficit structurel des opérations non financières de la sécurité sociale. |
Pour faire face à la persistance des difficultés financières et assurer le financement des pensions, l'application de la limite fixée en 2003 a été suspendue pour les années 2012, 2013 et 2014 par le décret-loi royal 28/2012 du 30 novembre relatif aux mesures de consolidation et de garantie du système de sécurité sociale. Le gouvernement est ainsi autorisé à disposer du fonds de réserve de la sécurité sociale au cours de ces trois exercices en fonction des besoins et dans la limite du montant du déficit budgétaire des entités gestionnaires et services communs de la sécurité sociale.
En outre, la loi organique 2/2012 du 27 avril de stabilité budgétaire et de soutenabilité financière oblige les administrations de sécurité sociale à maintenir leurs comptes à l'équilibre ou en excédent. Si cette obligation n'est pas remplie, le déficit maximum autorisé pour l'administration centrale est minoré à hauteur du déficit enregistré par la sécurité sociale. Le gouvernement a ainsi été autorisé à disposer du fonds de réserve dans la limite du montant du déficit de la sécurité sociale.
En 2012 et 2013, 18,6 milliards d'euros ont été mobilisés pour financer le déséquilibre des comptes sociaux. Fin 2013, le niveau du fonds de réserve atteignait 53,7 milliards d'euros (après 66,8 milliards d'euros fin 2011) .
Evolution des dotations au fonds de réserve
de la sécurité sociale espagnole entre 2000 et 2013
(en millions d'euros)
Source : secrétariat d'Etat espagnol à la sécurité sociale
S'agissant par ailleurs des mesures portant sur les recettes de la sécurité sociale, l'assiette des cotisations sociales a été élargie avec l'intégration de l'ensemble des éléments de rémunération, y compris en nature (comme les tickets restaurant ou les prestations sociales directement prises en charge par l'employeur) par le décret-loi royal 16/2013 du 20 décembre modifiant la loi générale de sécurité sociale.
La loi organique de 2012 fixe également les conditions dans lesquelles les communautés autonomes doivent respecter un objectif global de déficit et de dette publics , notamment pour leurs dépenses de santé.
Enfin, la politique de lutte contre la fraude sociale a été vigoureusement renforcée, avec l'introduction dans le code pénal de nouvelles formes de délits à l'encontre de la sécurité sociale.
3. Des mesures d'économies dans toutes les branches de la protection sociale
L'ensemble des interlocuteurs rencontrés par votre mission d'étude ont, quelles que soient leurs fonctions et leur appartenance politique, insisté sur l'ampleur des mesures d'économies adoptées. Aucune branche de la protection sociale n'a en effet été épargnée et le gouvernement est revenu sur de nombreuses avancées qui avaient vu le jour dans les années d'avant-crise. Les communautés autonomes, qui représentaient environ la moitié des dépenses publiques et les deux tiers du déficit public espagnol en 2011, ont elles aussi été contraintes de revoir leurs politiques sociales pour tenir compte des coupes budgétaires imposées au niveau central.
a) Marché du travail et prestations chômage
S'agissant du marché du travail, outre l'introduction de procédures plus rapides, les indemnités de licenciement ont été fortement réduites, passant de 45 à 33 jours par année d'ancienneté, voire à 20 jours par année d'ancienneté dans le cas d'une entreprise déficitaire.
Pour limiter les dépenses, les modalités d'indemnisation du chômage ont également été rendues plus restrictives par le décret-loi royal 20/2012 du 13 juillet avec notamment :
- la réduction de 10 % des prestations à partir du 7 e mois d'indemnisation pour les nouveaux entrants. A compter du 181 e jour d'indemnisation, le montant de la prestation a ainsi été ramené de 60 à 50 % du salaire de référence ;
- le resserrement des conditions d'accès au revenu actif d'insertion : le bénéficiaire doit avoir épuisé tous ses droits aux prestations chômage contributives et non contributives, n'avoir refusé aucune offre d'emploi, ni (sauf raisons justifiées) participé à des actions de formation ou de reconversion professionnelle au cours de l'année écoulée ;
- la suppression d'une allocation spécifique qui existait pour les personnes de plus de 45 ans et la réduction des prestations non contributives pour les personnes de plus de 52 ans ;
- la suppression de la prise en charge par le SEPE de 35 % des cotisations sociales dues par le bénéficiaire durant la période de chômage ;
- un renforcement du contrôle du respect des obligations d'emploi.
Des mesures complémentaires ont été mises en place par la suite, parmi lesquelles une pénalisation financière des entreprises qui mettent en oeuvre des plans sociaux dans lesquels les travailleurs de plus de 50 ans sont surreprésentés (décret-royal 5/2013 du 15 mars).
b) Les retraites
Dans le domaine des retraites, qui avaient fait l'objet de fortes revalorisations entre 2006 et 2009, les mesures adoptées sont à la fois paramétriques et structurelles :
- pour contenir les dépenses à court terme, une modération des revalorisations a été mise en place : l'indexation des pensions sur l'inflation réelle a été suspendue en 2011 (sauf pour les pensions non contributives et les pensions minimales) et la revalorisation limitée à 1 % en 2012 et 2013, puis 0,25 % en 2014 ;
- pour garantir la soutenabilité des régimes de retraite à un horizon de plus long terme, la réforme Zapatero entrée en vigueur le 1 er janvier 2013 (faisant suite à un accord avec les partenaires sociaux) prévoit le recul de l'âge légal de départ en retraite de 65 à 67 ans entre 2013 et 2027, l'augmentation du nombre d'annuités de référence pour le calcul du montant de la retraite de 15 à 25 ans d'ici 2022 (de 15 à 25 ans, à raison d'une année supplémentaire par an) et enfin une hausse de 2 ans de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein (de 35 à 37 ans).
Cette réforme concerne à la fois les salariés et les fonctionnaires et s'accompagne d'un durcissement des conditions d'accès aux retraites anticipées ou partielles . Celles-ci ont connu une baisse de 6,5 % entre 2012 et 2013.
Parallèlement, la possibilité de cumuler des revenus issus d'un emploi avec 50 % du montant d'une pension de retraite a été ouverte. Le nombre de bénéficiaires demeure encore faible, de l'ordre de 12 400, dont plus de 10 000 sont des travailleurs indépendants.
La loi 23/2013 du 23 décembre fixe de nouvelles modalités de revalorisation des pensions et définit un facteur de soutenabilité :
- le nouveau mécanisme de revalorisation des pensions, qui tient compte de l'écart entre la croissance des recettes de la sécurité sociale et la croissance des dépenses de pension, corrigé en fonction de l'équilibre financier des régimes de retraite, est entré en vigueur dès 2014. Ce mécanisme est encadré, la revalorisation ne pouvant être inférieure à 0,25 %, ni être supérieure à l'inflation augmentée d'un quart de point ;
- le facteur de soutenabilité et d'équité intergénérationnelle, dont l'entrée en vigueur est prévue pour 2019, est quant à lui destiné à réguler de manière automatique les pensions versées pour tenir compte des contraintes budgétaires et des évolutions de l'espérance de vie. Il sera calculé de telle sorte qu'aux revalorisations près, le montant théorique touché pendant la retraite reste constant au fil des générations.
c) Réforme des prestations familiales
Dans le domaine des prestations familiales, les mesures adoptées ont consisté à revenir sur un certain nombre d'avantages consentis entre 2007 et 2009 :
- suspension en 2010 du prolongement du congé parental porté de 13 à 20 jours entre 2007 et 2009 ;
- suppression en 2011 de la prime de 2 500 euros versée lors de la naissance ou l'adoption d'un enfant sous forme de crédit d'impôt ou de prestation.
d) Prise en charge de la dépendance
En ce qui concerne la prise en charge de la dépendance, le gouvernement a sensiblement réduit en juillet 2012 la portée de la réforme entrée en vigueur en 2007 .
Celle-ci prévoyait la mise en place d'un niveau minimum de protection financé et garanti par l'Etat, d'un deuxième niveau cofinancé par l'Etat et les communautés autonomes et d'un troisième niveau facultatif laissé à la discrétion de ces dernières.
Se référant au coût nettement plus élevé que prévu de cette réforme, le gouvernement a cherché à simplifier les dispositifs de valorisation des situations de dépendance, progressivement augmenté la participation financière des bénéficiaires (de 10 à 15 %), supprimé la prise en charge par l'Etat des cotisations sociales des aidants familiaux et réduit le montant maximal des prestations financières versées à ces derniers.
e) La santé
Dans le domaine de la santé, la réduction de l'effort public s'est notamment traduite par une plus grande participation financière ( copago ) des assurés au coût du médicament ainsi qu'aux transports sanitaires non justifiés par l'urgence ainsi qu'aux prothèses et fauteuils roulants (décret-loi du 20 avril 2012 portant mesures urgentes pour garantir la viabilité financière du SNS). Le ticket modérateur est aujourd'hui compris entre 40 % et 60 % du prix du médicament en fonction des revenus de l'assuré. Les retraités, qui étaient auparavant exemptés de toute participation, doivent aujourd'hui contribuer à hauteur de 10 % de ce prix.
Le gouvernement a également cherché à préciser l'accès au SNS en le conditionnant à la qualité d'assuré social. Les personnes non assurées ou n'ayant pas la qualité d'ayant-droit voient leur accès maintenu moyennant le paiement d'une contribution financière sur la base d'une convention spéciale (60 euros par mois pour les personnes âgées de moins de 65 ans et 157 euros pour les personnes âgées de plus de 65 ans). Les étrangers en situation irrégulière n'ont quant à eux plus accès au SNS sauf s'ils sont mineurs, en cas de maternité et en cas d'urgence.
Au total, comme le montre le graphe ci-dessous, l'évolution des dépenses publiques de santé se caractérise par un net infléchissement après le déclenchement de la crise . La décentralisation de la gestion des dépenses de santé aux communautés autonomes, intégrale depuis la fin de l'année 2001, a en effet été suivie d'une très nette accélération des dépenses de santé jusqu'en 2009, avant que les choix politiques de lutte contre la crise économique ne conduisent à un ajustement significatif à la baisse.
Evolution des dépenses publiques de santé
entre 1995 et 2012
(en milliards d'euros)
Source : ambassade de France en Espagne