I. L'ALSACE, CARREFOUR DE L'EUROPE
Le choix de Strasbourg pour la délégation de la commission des affaires européennes s'imposait tout d'abord par l'objectif principal du déplacement qui était de poursuivre, après la mission à Bruxelles des 23 et 24 mars derniers, la rencontre des nouveaux responsables européens issus des élections de 2014. Or, le siège du Parlement européen est à Strasbourg. C'est à Strasbourg qu'une semaine par mois, le Parlement européen ainsi que les commissaires se réunissent.
Mais Strasbourg et l'Alsace présentent aussi le grand intérêt de constituer, avec leurs voisins d'outre-Rhin, un territoire où l'Europe se vit au quotidien (A). C'est d'ailleurs cette particularité qui a conduit l'Alsace à prendre de l'avance dans la gestion des fonds structurels européens, lui permettant d'être aujourd'hui une source d'enseignements particulièrement précieux pour les élus des autres régions comme pour notre délégation (B). La mission à Strasbourg a aussi été l'occasion de faire le point sur l'état actuel du débat relatif à la place de Strasbourg comme capitale européenne (C).
A. STRASBOURG ET L'ALSACE, L'EUROPE AU QUOTIDIEN
La délégation a rencontré plusieurs organismes chargés d'accompagner au quotidien et de faciliter les activités transfrontalières :
- l'Euro institut de Kehl, organisme franco-allemand de conseil et de formation pour les acteurs de la coopération transfrontalière, constitué aujourd'hui sous la forme d'un groupement européen de coopération transfrontalière ;
- l'InfoBest de Strasbourg-Kehl, l'un des quatre centres installés le long de la frontière franco-allemande, jouant un rôle d'intermédiaire entre les usagers des deux rives du Rhin et les administrations nationales. Par exemple, cette structure s'est beaucoup investie, depuis quelques années, dans l'accompagnement des nombreux travailleurs transfrontaliers retraités confrontés à un changement de la loi allemande aboutissant à une fiscalisation rétroactive dans ce pays, des pensions versées aux travailleurs transfrontaliers 2 ( * ) ;
- le centre européen de la consommation de Kehl, chargé de conseiller les consommateurs sur les transactions transfrontalières des consommateurs français et allemands avec l'ensemble des commerçants de l'Union européenne et de faciliter le règlement amiable des litiges. La structure installée à Kehl est la seule des trente centres existant en Europe 3 ( * ) à être binationale. Le centre a en particulier réalisé une étude sur les possibilités de coopération transfrontalière dans le domaine de la santé, mettant en lumière une dizaine de secteurs dans lesquels les patients gagneraient à franchir le Rhin. L'exemple a ainsi été donné de l'accès aux équipements IRM plus rapide en Allemagne qu'en France, tandis que le maire de Strasbourg, M. Roland Ries, nous a confirmé par la suite l'intérêt de patients allemands pour le nouvel hôpital civil de la ville 4 ( * ) .
Les échanges avec les responsables des trois structures transfrontalières ont donné à la délégation l'occasion de formuler plusieurs observations.
Tout d'abord, il est possible de noter que l'ensemble de ces organismes présentent deux points communs : ils ont tous trois été créés en 1993 et reposent tous trois sur un financement des États et les collectivités des deux pays 5 ( * ) . En abolissant en principe nombre d'entraves aux échanges, la création du fameux « grand marché » le 31 décembre 1992 s'est en effet accompagné d'une multiplication des questions pratiques sur la façon de réaliser les opérations transfrontalières dans tous les domaines, nécessitant un accompagnement au quotidien à l'aide de moyens publics. Les précisions données par les dirigeants des trois organisations ont eu le grand mérite de rappeler les multiples obstacles auxquels se heurtent encore les citoyens européens au sein de l'Union, y compris dans une région où les échanges sont anciens et fréquents.
Ensuite, il apparaît que si elles contribuent à faciliter la vie quotidienne des transfrontaliers au travers des structures qu'elles soutiennent, les administrations publiques sont aussi pour une large part la cause des difficultés rencontrées du fait des règles qu'elles édictent. Des exemples particulièrement illustratifs ont ainsi été cités, tels le véritable casse-tête que constitue encore l'organisation de visites d'écoliers dans un établissement situé à quelques centaines de mètres, de l'autre côté de la frontière, ou encore le vide juridique dans lequel ont été placés les revendeurs de voitures du fait de la mise en place des nouvelles plaques minéralogiques françaises s'accompagnant de la disparition des immatriculations provisoires. Afin de prévenir ces innombrables difficultés la nécessité d'une certaine souplesse dans les prescriptions des textes ou dans leur application a été invoquée par nos interlocuteurs. Au-delà, s'est posée la question de la création d'un régime spécifique pour les zones frontalières reposant sur des régimes de droit mixte 6 ( * ) comme autour de l'aéroport de Bâle-Mulhouse, équipement suisse installé en territoire français 7 ( * ) .
La délégation a pu apprécier concrètement le coût de l'absence de continuité au sein de l'espace européen dans le domaine essentiel de l'emploi. Alors que, du fait notamment de la démographie, les besoins de main d'oeuvre en Allemagne sont évalués à 3 millions de postes de travail pour les dix ans qui viennent et que l'Alsace connaît un taux de chômage qui avoisine la moyenne nationale 8 ( * ) , il aura fallu des années pour aboutir à la possibilité pour un jeune de faire suivre un apprentissage dans les deux pays 9 ( * ) . On est encore loin de l'Erasmus des métiers au niveau européen. Ce dernier exige en effet un travail de définition des équivalences qui s'annonce extrêmement laborieux lorsque l'on sait qu'il n'existe par exemple pas moins de douze spécialités de soudeurs en Allemagne.
Aussi la délégation a relevé l'intérêt qu'il y aurait, en s'appuyant sur l'exemple de l'Alsace et sur l'expertise des acteurs locaux, de procéder au recensement de ces situations de manière à remédier aux difficultés rencontrées . Cette démarche vaudrait aussi bien lorsque les difficultés relèvent du droit français que du droit de l'Union, au moment où le président Jean-Claude Juncker a précisément inscrit l'approfondissement du marché intérieur au nombre de ses priorités.
Il convient en outre de noter que si, conformément à ses centres d'intérêts prioritaires, la délégation s'est concentrée sur les aspects intéressant la coopération franco-allemande, il nous a été rappelé d'entrée qu'une large part des échanges transfrontaliers réalisés en Alsace concernait aussi la Suisse, comme en témoigne notamment le nombre de travailleurs frontaliers français, plus élevé en Suisse qu'il ne l'est en Allemagne 10 ( * ) et l'existence d'un cadre tripartite - franco-germano-suisse - formalisé au sein de deux instances :
- la Conférence du Rhin supérieur réunissant depuis sa création en 1975 des représentants des gouvernements des trois pays,
- et, depuis 1997, le Conseil rhénan, structure de coopération entre élus. Ce dernier créé en particulier à l'initiative de M. Adrien Zeller est, en 2015, présidé par M. Philippe Richert, président de la région Alsace.
Cette expérience de l'Alsace dans la réalisation de projets transfrontaliers est l'une des raisons qui l'ont conduite à devancer les autres régions françaises dans la gestion des fonds structurels de l'Union européenne.
* 2 Il semblerait toutefois que l'affaire soit loin d'être close car, si le récent avenant apporté à la convention fiscale bilatérale devait éviter cette imposition en Allemagne, de nouvelles difficultés pourraient néanmoins surgir avec la taxation de ces pensions au titre de la CSG et de la CRDS françaises. Pour mémoire le nombre de Français travaillant actuellement en Allemagne est de l'ordre de 25 000.
* 3 Selon le principe d'un centre par pays.
* 4 Il en a même appelé dans ce domaine à une planification globale à l'échelle transfrontalière.
* 5 Quant au financement européen il ne bénéficie plus aujourd'hui qu'au centre européen des consommateurs (à l'instar des centres installés dans les autres États membres) tandis que le centre InfoBest, pourtant créé dans le cadre d'un financement du programme INTERREG, ne bénéficie plus de soutien communautaire depuis 1999.
* 6 Faisant écho aux propositions du rapport sur la coopération transfrontalière - rapport remis au Premier ministre le 7 juin 2010 par M. Étienne Blanc, notre collègue Mme Fabienne Keller et Mme Thérèse Sanchez-Schmid.
* 7 Bien que celui-ci rencontre aujourd'hui une certaine difficulté quant au maintien de son statut dérogatoire.
* 8 Autour de 9 %.
* 9 Par exemple, dans un Centre de formation des apprentis (CFA) alsacien pour la partie théorique et dans une entreprise allemande pour la partie pratique.
* 10 D'après les informations fournies par InfoBest, ce nombre serait de 31 400 et même de 33 700 s'agissant des travailleurs allemands du Land de Bade-Wurtemberg travaillant dans le Nord-Ouest de la Suisse.