D. DES DIFFICULTÉS DE TRÉSORERIE LIÉES AUX PROCÉDURES D'OBTENTION DES CRÉDITS DU FONDS SOCIAL EUROPÉEN ET À LA MISE EN oeUVRE DE LA RÉFORME DU FINANCEMENT DE L'APPRENTISSAGE
Si la majorité des structures affichent une situation financière globalement saine, certains établissements, notamment situés en Île-de-France, peuvent se trouver en situation de très forte tension .
Or, en règle générale, ces difficultés ne traduisent pas une gestion défaillante des établissements mais un niveau de concours financiers inférieur aux prévisions, voire aux montants notifiés .
Une telle situation peut être constatée s'agissant des aides du Fonds social européen (FSE), dont les règles de versement peuvent apparaître excessivement strictes, et de la perception de la taxe d'apprentissage, dont les modalités de versement par les entreprises ont été modifiées depuis 2013.
1. Un versement des aides du FSE soumis à d'importants aléas de procédure
Les écoles de la deuxième chance sont éligibles aux aides du FSE. Les crédits du FSE représentaient en 2013 près de 20 % du budget total des E2C, soit un montant de près de 13 millions d'euros. Sur l'ensemble de la programmation 2007-2013, 81,64 millions d'euros ont été programmés au titre des E2C .
Dans le cadre de la programmation 2007-2013, les aides du fonds étaient gérées, au niveau régional, par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).
Comme le rappelle le Guide du bénéficiaire du Fonds social européen 7 ( * ) , l'attribution des aides du FSE doit respecter deux principes :
- le principe du cofinancement : la subvention attribuée doit venir en complément d'autres sources de financement. Sauf exception, le montant de l'aide procurée par le FSE doit être inférieur au coût total de l'opération ;
- la règle du remboursement : les aides du FSE sont versées en remboursement de dépenses « réelles et acquittées par les bénéficiaires en tant que maîtres d'ouvrage des opérations agréées ».
La procédure de versement des aides apparaît en outre particulièrement complexe et comporte plusieurs phases (cf. graphique ci-dessous) :
- une convention doit être établie devant notamment fixer les dates de début et de fin de l'opération ;
- à titre exceptionnel, une avance peut être accordée au début de l'opération ;
- pour les opérations pluriannuelles, un solde annuel est versé après présentation dans les quatre mois qui suivent la fin de la tranche d'un bilan intermédiaire clôturant une tranche annuelle ;
- hors clôture de tranche d'exécution annuelle, lorsque le bénéficiaire peut demander un remboursement au moins égal à 10 % du montant conventionné, un acompte peut être versé après présentation d'un bilan intermédiaire. Son montant cumulé avec celui d'une éventuelle avance ne peut cependant pas excéder 80 % du total de la subvention ;
- le solde final est versé après contrôle des bilans réalisés et des pièces justificatives produites.
Modalités de versement des aides du Fonds social européen (FSE)
Source : commission des finances du Sénat
Le versement des éventuels acomptes, des soldes annuels et du solde final ne peut avoir lieu qu' après contrôle de service fait .
Comme le rappelle l'instruction DGEFP n° 2012-11 du 29 juin 2012 relative aux modalités de contrôle de service fait des dépenses déclarées au titre d'opérations subventionnées dans le cadre des programmes du Fonds social européen, « les autorités de gestion des programmes opérationnels du Fonds social européen (FSE) ainsi que les organismes intermédiaires, pour les dossiers dont ils ont la charge, sont tenus de vérifier que les dépenses déclarées par les organismes bénéficiaires au titre des opérations cofinancées ont été effectivement encourues et qu'elles sont conformes aux règles communautaires et nationales applicables. À cet effet, ils procèdent à un contrôle de service fait de l'ensemble des bilans d'exécution ».
Ce contrôle « est la vérification administrative, physique et comptable d'un bilan d'exécution produit par un bénéficiaire au titre d'une opération cofinancée. Le gestionnaire s'assure à cette occasion :
- de la réalité des dépenses déclarées ;
- de la fourniture des produits ou services concernés conformément à la convention ;
- de l'exactitude de la demande de remboursement présentée par le bénéficiaire ;
- de la conformité des opérations et des dépenses avec les règles communautaires et nationales ;
- de l'absence de double financement des dépenses par d'autres programmes communautaires ;
- de l'absence de double financement des dépenses pour d'autres périodes de programmation ;
- de l'absence de sur-financement des dépenses.
Le gestionnaire d'une opération est tenu de procéder à un contrôle de service fait sur chaque bilan d'exécution déposé par le bénéficiaire ».
Or certains établissements, notamment situés en région parisienne, ont rencontré des difficultés s'agissant du versement des aides :
- d'une part, en raison l'intensité des contrôles des justificatifs qui s'est révélée extrêmement variable selon les DIRECCTE . Certaines dépenses considérées comme éligibles par la majorité des DIRECTTE ont pu être déclarées inéligibles par d'autres et, de ce fait, n'ont pas fait l'objet d'un remboursement ;
- d'autre part, en raison des délais extrêmement longs entre la validation du dossier et le versement effectif de l'aide qui peut intervenir plusieurs années après.
Ces difficultés ont pu être à l'origine de tensions de trésorerie pour certains établissements , alors même que leur situation financière était saine par ailleurs.
La nouvelle programmation 2014-2020 devrait se traduire par une simplification des procédures .
Conformément à l'article 78 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, qui prévoit que « l'État confie aux régions ou, le cas échéant, pour des programmes opérationnels interrégionaux, à des groupements d'intérêt public mis en place par plusieurs régions, à leur demande, tout ou partie de la gestion des programmes européens soit en qualité d'autorité de gestion, soit par délégation de gestion », la gestion des aides sera désormais du ressort des conseils régionaux, dans le cadre de la gestion des actions relevant de l'objectif « Investissement pour la croissance et l'emploi » (représentant 35 % des crédits du FSE).
Surtout, cette nouvelle programmation permettra la mise en oeuvre d'une procédure de coûts simplifiés , dont le choix reviendra au conseil régional.
Trois options sont possibles :
- le financement à taux forfaitaire (cf. graphique ci-dessous) : les coûts indirects peuvent être calculés sur la base des frais de personnel directs (application d'un taux maximum de 15 %) ou sur le total des coûts directs hors prestation (application d'un taux maximum de 25 %). Par ailleurs, les frais de personnel direct peuvent servir de base pour le calcul de toutes les autres catégories de coûts éligibles à partir d'un taux forfaitaire allant jusqu'à 40 % ; Méthodes de calcul des coûts indirects et des autres catégories de coûts éligibles dans le cadre d'un financement à taux forfaitaire |
Source : commission des finances du Sénat
- le barème standard des coûts unitaires . Selon la note d'orientation sur les options de coûts simplifiés 8 ( * ) établie par la Commission européenne, dans le cadre du barème standard des coûts unitaires, « la totalité ou une partie des coûts éligibles d'une opération sera calculée sur la base d'activités, apports, réalisations ou résultats quantifiés multipliés par les barèmes standard de coûts unitaires établis à l'avance ». Ainsi, si le coût d'une formation est fixé par l'autorité de gestion à 1 000 euros et que cinq personnes doivent suivre cette formation, la subvention maximale attribuée sera de 5 000 euros. En revanche, si trois personnes seulement participent à cette formation, le montant de la subvention qui sera versé in fine ne s'élèvera qu'à 3 000 euros ; |
- les montants forfaitaires . Comme le rappelle la note précitée, dans le cadre des montants forfaitaires, « tous les coûts éligibles ou une partie des coûts éligibles d'une opération sont calculés sur la base d'un montant forfaitaire préétabli [...] La subvention est versée sur les modalités d'accord prédéfinies sur les activités et/ou les réalisations sont remplies ». Ainsi, si une formation doit être réalisée pour un montant fixé à 5 000 euros, mais que celle-ci n'a pas lieu ou n'est que partiellement réalisée, la subvention ne sera pas versée.
Au total, selon la note d'orientation sur les options de coûts simplifiés précitée, grâce à cette procédure, « relier chaque euro de dépense cofinancée à des pièces justificatives n'est plus requis » afin de réduire « de manière significative la charge administrative ».
2. Une réforme du financement de l'apprentissage dont certains aspects devraient être précisés aux organismes collecteurs
La loi n° 71-576 du 16 juillet 1971 relative à l'apprentissage a rendu les formations technologiques et professionnelles dispensées dans le cadre de la formation initiale éligibles à la part « hors quota » (cf. encadré ci-dessous) de la taxe d'apprentissage.
Les écoles de la deuxième chance ne relevant pas de cette catégorie, le législateur les a autorisées, de manière dérogatoire, à percevoir une partie de cette taxe. Ainsi, l'article 162 de la loi n° 2208-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie a modifié la loi de 1971 précitée en prévoyant que « sous réserve d'avoir satisfait aux dispositions de l'article 31 de la loi n° 71-576 du 16 juillet 1971 relative à l'apprentissage, les employeurs visés au 2 de l'article 224 du code général des impôts bénéficient d'une exonération totale ou partielle de la taxe d'apprentissage à raison des dépenses réellement exposées par l'entreprise pour la réalisation des parcours de formation personnalisés mis en oeuvre par les écoles de la deuxième chance mentionnées à l'article L. 214-14 du code de l'éducation ».
La mise en oeuvre de cette disposition a été prévue par le décret du 24 février 2009. Le principe de l'éligibilité du dispositif des écoles de la deuxième chance au versement de la taxe d'apprentissage a en outre été réaffirmé par l'article 19 de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale qui a modifié l'article L. 6241-10 du code du travail.
Les écoles de la deuxième chance constituent actuellement l'unique dispositif de formation continue éligible à la taxe d'apprentissage. Cette situation tient à la spécificité des E2C dont le dispositif correspond, dans les faits, à une formation initiale différée. En 2013, les écoles de la deuxième chance ont ainsi perçu 4,8 millions d'euros au titre de la taxe d'apprentissage, soit 6,3 % de leur budget .
À la suite de la réforme de la taxe d'apprentissage (cf. encadré ci-dessous), plusieurs entreprises ont indiqué à certaines écoles ne pas être en mesure de maintenir le niveau de la taxe d'apprentissage qu'elles leurs versaient auparavant .
Or si pour certains établissements la part de la taxe d'apprentissage dans leur financement est marginale, pour d'autres, notamment situés en Île-de-France, elle peut représenter un montant significatif.
La réforme de la taxe d'apprentissage L'article 60 de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 et l'article 8 de la loi du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014 ont profondément modifié le financement de l'apprentissage. Ils ont tout d'abord substitué à la taxe d'apprentissage (TA), dont le montant était fixé à 0,50 % de la masse salariale (0,26 % pour l'Alsace et la Moselle), et à la contribution au développement de l'apprentissage (CDA), correspondant à 0,18 % de la masse salariale, une TA nouvelle dont le taux est fixé à 0,68 % de la masse salariale (0,44% pour l'Alsace et la Moselle). Ils ont en outre procédé à une nouvelle répartition de la TA en trois fractions : - une première fraction dénommée « fraction régionale de l'apprentissage » , dont le montant est égal à 51 % du produit total de la TA ; - une deuxième fraction, dite « quota » affectée aux CFA et SA, dont la part s'élève à 26 % du produit de la TA ; - une troisième fraction, dite « hors quota » (ou barème) , correspondant à la part libératoire de l'employeur versée aux établissements de formation de son choix en fonction de leur éligibilité fixée par liste préfectorale, dont la part s'élève à 23 % du produit de la TA. Si l'enveloppe consacrée au « hors quota » a été diminuée, passant de 43 % de l'ancienne TA à 23 % de la nouvelle, la liste des établissements éligibles a été, en contrepartie, restreinte. Seuls deux types d'établissements peuvent désormais en bénéficier, répartis en catégories A (65 % de la part hors quota) correspondant aux formations de niveaux V, IV et III 9 ( * ) et B (35 % de la part hors quota) correspondant aux niveaux II et I 10 ( * ) . Par ailleurs, aux termes de l'article L 6241-10 du code du travail, certains établissements, dont les E2C, sont autorisés, par dérogation, à percevoir la taxe d'apprentissage, dans la limite d'un plafond fixé par voie règlementaire. L'article 9 du décret n° 2014-985 du 28 août 2014 relatif aux modalités d'affectation des fonds de la taxe d'apprentissage fixe ce plafond à 26 % de la part « hors quota ». |
Dans un premier temps, le ministère a indiqué à vos rapporteurs spéciaux qu'« en dépit de la réduction du taux, les écoles auront un accès équivalent voire supérieur à cette ressource dès lors que moins d'organismes de formation peuvent prétendre à la taxe d'apprentissage dans cette catégorie ».
Pour autant, des échanges portés à la connaissance de vos rapporteurs spéciaux par le réseau des E2C laissent apparaître trois types de difficultés rencontrées par certaines écoles :
- s'agissant de la catégorie d'affection , les pratiques sont différentes selon les régions. Certains organismes collecteurs s'en tiennent à une lecture stricte de l'article L. 6241-10 du code du travail en ne classant pas les E2C dans l'une ou l'autre catégorie (cela est notamment le cas pour l'Île-de-France, Rhône-Alpes et le Centre). D'autres, en revanche, ont estimé que, compte tenu du profil des bénéficiaires, les E2C relevaient de la catégorie A (cela est notamment les cas des organismes collecteurs du Nord-Pas-de-Calais, de Provence-Alpes-Côte d'Azur et de Champagne-Ardenne) ;
- s'agissant de la ventilation des reversements , là encore, une hétérogénéité de pratiques a pu être constatée. Certains organismes collecteurs ont ainsi estimé que le montant affecté aux E2C devait être réparti à parts égales entre les catégories A et B . Or cette répartition s'est révélée problématique dans la mesure où certaines entreprises ont préféré renoncer à l'attribution d'une partie de leur taxe d'apprentissage aux E2C afin de ne pas avoir à réduire le montant affecté à un autre établissement relevant, généralement, de la catégorie B ;
- s'agissant du nombre d'établissements pouvant bénéficier de la part « hors quota » , les listes établies par les préfectures semblent, contrairement à ce que prévoyait la loi, comporter davantage d'établissements éligibles.
Prenant acte de ces difficultés, la DGEFP a fait parvenir à l'ensemble des organismes collecteur, le 17 avril 2015, un courrier électronique destiné à répondre aux deux premiers points. Vos rapporteurs spéciaux, qui ont eu connaissance de la teneur de ce courrier, estiment qu'il devrait permettre un traitement homogène sur l'ensemble du territoire de la part de la taxe d'apprentissage destinée aux E2C. Ils considèrent cependant que cette décision arrive trop tardivement et devrait avoir des conséquences sur la situation financière de certains établissements.
Vos rapporteurs spéciaux estiment en outre que, pour sécuriser ce dispositif, les clarifications apportées par la DGEFP devraient être inscrites dans une circulaire adressée aux organismes collecteurs. Celle-ci devrait notamment préciser que la fraction de la taxe d'apprentissage « hors quota » destinée aux E2C peut être imputée au titre de la catégorie A ou de la catégorie B indistinctement, dans la limite des plafonds législatifs et règlementaires, selon le choix de l'entreprise .
Comme le montre le graphique ci-dessous, lorsqu'une entreprise verse 100 euros au titre du « hors quota », il lui est possible d'attribuer un maximum de 65 euros à des établissements relevant de la catégorie A et de 35 euros à des établissements relevant de la catégorie B. Si cette entreprise souhaite affecter 25 euros à une université, cette somme doit être déduite du plafond de 35 euros de la catégorie B. Si elle souhaite, en outre, verser 26 euros, conformément au plafond fixé par le décret du 28 août 2014 précité, il lui est possible de déduire ce montant des plafonds des catégories A et B selon la répartition de son choix : dans l'exemple ci-dessous, 10 euros sont imputés au titre de la catégorie B (le plafond de 35 euros est alors atteint) et 16 euros au titre de la catégorie A (il lui reste 49 euros à affecter à des établissements relevant de cette catégorie).
Exemple de répartition de la part « hors quota » de la taxe d'apprentissage
Source : commission des finances du Sénat
Recommandation n° 10 : Afin d'éviter toute ambiguïté s'agissant de la taxe d'apprentissage, préciser par circulaire les modalités de répartition de la fraction « hors quota » aux organismes collecteurs. |
Par ailleurs, vos rapporteurs spéciaux considèrent que certaines fonctions support, notamment financières et comptables, pourraient être exercées par des effectifs dédiés et non, comme cela est le cas actuellement, par des personnels exerçant, par ailleurs, d'autres missions .
Ces fonctions pourraient en outre faire l'objet d'une mutualisation entre différents établissements au niveau régional afin de permettre la réalisation d'économies d'échelle et de favoriser une professionnalisation et une meilleure connaissance des procédures.
Recommandation n° 11 : Afin de réaliser des économies d'échelle, envisager une mutualisation de certaines fonctions, notamment financières et comptables, au niveau régional. |
* 7 Guide du bénéficiaire - Fonds social européen, deuxième édition, février 2009.
* 8 Commission européenne, Note d'orientation sur les options de coûts simplifiés , 2015
* 9 Ces niveaux correspondent aux niveaux BTS et inférieurs.
* 10 Ces niveaux correspondent aux niveaux universitaires supérieurs.