B. ... MAIS UNE CHARGE CONSÉQUENTE POUR LES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES QUI DEMEURE DIFFICILE À MESURER À CE JOUR

Aucun bilan global du passage aux 35 heures dans la fonction publique n'a été réalisé jusqu'à présent . Aussi, les conclusions de la mission sur le temps de travail dans la fonction publique confiée en juillet 2015 par le Premier ministre à Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, qui sont attendues au début de l'année 2016, devraient présenter un intérêt tout particulier.

Pour autant, les données disponibles à ce jour permettent d' appréhender les coûts suscités par la réduction du temps de travail dans la fonction publique d'État et dans la fonction publique hospitalière - à défaut de pouvoir véritablement le faire pour la fonction publique territoriale.

1. Plus de 50 000 emplois publics créés entre 2002 et 2005

Une étude menée par la direction du budget en 2004, à la demande de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail 67 ( * ) , a estimé le nombre total des créations d'emplois dans les fonctions publiques d'État et hospitalière à 53 143 entre 2002 et 2005 , comme le fait apparaître le tableau ci-après 68 ( * ) . Ainsi que l'a récemment rappelé la Cour des comptes dans une enquête réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat, un tel bilan reste fragile et incomplet, « notamment parce qu'il repose dans la FPH sur les objectifs de création de postes retenus dans le protocole d'accord du passage aux 35 heures à l'hôpital et non sur les créations effectivement réalisées » 69 ( * ) . Pour autant, il donne un ordre de grandeur du coût de la réduction du temps de travail (RTT) dans ces deux fonctions publiques, soit environ 2,5 milliards d'euros en année pleine en 2005
- dont 2 milliards d'euros imputables aux créations d'emplois et près de 550 millions d'euros liés à l'indemnisation des heures supplémentaires, des astreintes ou du rachat de jours de récupération dans la fonction publique d'État.

Tableau n° 9 : Évaluation de l'impact budgétaire entre 2002 et 2005 sur les dépenses de personnels dans les fonctions publiques d'État et hospitalière

2002

2003

2004

2005

Total

Nombre d'emplois créés

Fonction publique d'État (FPE)

2 943

1 700

-

-

4 643

Fonction publique hospitalière (FPH)
(personnels non médicaux)

12 600

22 500

9 900

-

45 000

Personnels médicaux (médecins, pharmaciens), hors FPH

931

1 069

750

750

3 500

Ensemble

16 474

25 269

10 650

750

53 143

Coût des créations d'emplois et des mesures catégorielles (en millions d'euros)

Fonction publique d'État (FPE)

318,5

343,7

21,2

-

683,4

dont créations d'emplois

80,5

51,7

-

-

132,2

dont mesures catégorielles

238

292

21,2

-

551,2

Fonction publique hospitalière (FPH) et personnels médicaux

612,7

741,7

460

50

1 864,4

dont FPH

506

619

410

-

1 535

dont personnels médicaux

106,7

122,7

50

50

329,4

Ensemble

Annuel

931,2

1 085,4

481,2

50

2 547,8

Cumulé

931,2

2 016,6

2 497,8

2 547,8

2 547,8

Source : mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail (à partir des données transmises par la direction du budget)

Pour la seule fonction publique d'État , les créations d'emplois se sont élevées à 4 643 - essentiellement au sein de la police et du ministère de la justice -, pour un coût budgétaire « permanent » atteignant 130 millions d'euros par an en 2005 - alors que le passage aux 35 heures devait se faire à effectifs constants ; ce coût atteint environ 700 millions d'euros s'il est tenu compte des mesures susmentionnées , soit l'indemnisation des heures supplémentaires, des astreintes, etc.

Concernant la fonction publique hospitalière , le plan prévisionnel de recrutement de personnels hospitaliers, qui devait s'étaler entre 2002 et 2005, prévoyait le recrutement de 45 000 personnels non médicaux 70 ( * ) , pour un coût prévisionnel de 1,5 milliard d'euros en 2005 ; de même, il comprenait 3 500 créations d'emplois médicaux, pour un coût estimé à 330 millions d'euros. Aussi, en 2005, près de 48 500 emplois devaient avoir été créés dans la fonction publique hospitalière en raison de la réduction du temps de travail, représentant un coût supplémentaire de 1,8 milliard d'euros environ .

Un rapport rendu en 2007 par Dominique Acker, conseillère générale des établissements de santé, soulignait que, dans le secteur sanitaire, « compte tenu des rééquilibrages financiers opérés par les établissements qui étaient en insuffisance de crédits, ce seraient en fait 35 000 emplois ETP au lieu de 37 000 qui auraient été réellement créés, dont 32 000 seulement étaient pourvus fin 2004, compte tenu des difficultés de recrutement » 71 ( * ) ; par ailleurs, ce rapport laisse entendre que les 3 500 créations d'emplois médicaux auraient été effectives. Ceci peut laisser supposer que les créations de postes dans la fonction publique hospitalière auraient été, globalement, moins nombreuses que prévu. Toutefois, au cours d'un débat sur le bilan des 35 heures à l'hôpital organisé par le Sénat en février 2014, la ministre chargée de la santé, Marisol Touraine, a déclaré : « la mise en oeuvre des 35 heures a permis de créer des emplois : 37 000 emplois ont été créés dans le seul domaine sanitaire, et 8 000 dans le secteur médicosocial » 72 ( * ) . Une telle indication tend à confirmer l'estimation fournie par la direction du budget concernant le coût de la réduction du temps de travail dans la fonction publique hospitalière .

En tout état de cause, le coût induit par les créations d'emplois liées au passage aux 35 heures pour les fonctions publiques d'État et hospitalière est élevé 73 ( * ) . Estimé à 2 milliards d'euros en 2005 par la Cour des comptes 74 ( * ) , le coût permanent serait proche de 2,1 milliards d'euros en 2015 75 ( * ) , soit un coût cumulé d'environ 21 milliards d'euros au cours de la période 2005-2014 .

S'agissant, enfin, de la fonction publique territoriale , les données sont plus lacunaires. Toutefois, il est possible de se référer à l'estimation du coût de la réduction du temps de travail dans les collectivités proposée par la direction générale des collectivités locales (DGCL) à la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail en 2004 : « relevant que les dépenses des collectivités locales, traditionnellement dynamiques, avaient toutefois cru plus qu'à l'accoutumée en 2002, année de mise en place des 35 heures, et faisant la part de la mise en place de la RTT et des autres mesures créatrices d'emploi, telles que l'allocation personnalisée à l'autonomie, [la DGCL] a estimé que les 35 heures étaient responsables d'au moins un tiers de l'augmentation de 5,9 % des dépenses de personnel des collectivités locales relevée pour 2002 (+ 1,7 milliard d'euros), ce qui conduit à une estimation d'environ 590 millions d'euros » 76 ( * ) . À cela viendraient également s'ajouter les hausses induites de subventions ou contributions des collectivités territoriales aux organismes dépendant d'elles, comme les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS).

2. Les heures supplémentaires et les comptes épargne-temps

Comme cela a été indiqué, les coûts inhérents à la réduction du temps de travail dans la fonction publique d'État, autres que ceux découlant des créations d'emplois, ont été estimés à 550 millions d'euros pour la période 2002-2004 par la direction du budget (cf. supra ) ; il s'agissait des dépenses liées à l'indemnisation des heures supplémentaires, des astreintes ou de rachat de jours de récupération. De telles données ne semblent pas exister pour les fonctions publiques hospitalière et territoriale.

Par ailleurs, il paraît difficile, sinon impossible, d'estimer la part des heures supplémentaires effectuées imputable à la réduction du temps de travail . Si les dépenses de personnel liées aux heures supplémentaires et aux astreintes au sein de la fonction publique d'État atteignaient 1,5 milliard d'euros en 2013 77 ( * ) , celles-ci ont évolué sous l'influence de facteurs multiples ; en particulier, la Cour des comptes a souligné qu'« en lien avec l'aménagement des baisses d'effectifs dans la FPE entre 2008 et 2012, les heures supplémentaires ont fortement augmenté depuis 2008 » 78 ( * ) - à hauteur de près de 30 %.

En réalité, le principal « surcoût » associé à la réduction du temps de travail dans la fonction publique , si l'on met à part celui qui a découlé des créations d'emplois, semble résider dans les comptes épargne-temps (CET) , qui ont été institués dans les trois fonctions publiques entre 2002 et 2004 - une publication de l'Institut Montaigne d'octobre 2014 identifiant même une « bombe à retardement des comptes épargne-temps (CET) dans le secteur public » 79 ( * ) .

Dans l'ensemble des fonctions publiques, le principe de fonctionnement du compte épargne-temps est le suivant : celui-ci peut être alimenté, dans la limite de 60 jours par an, par des jours de congés ou encore des heures ou des jours de réduction du temps de travail (RTT) ; si les 20 premiers jours doivent obligatoirement être utilisés sous forme de congés, les suivants peuvent être, en tout ou partie, indemnisés, maintenus sur le CET dans la limite de dix jours par an ou pris en compte au titre du régime de retraite additionnel de la fonction publique (RAFP) pour les fonctionnaires .

Tableau n° 10 : Nombre de CET, de jours en dépôt et de jours indemnisés pour les trois fonctions publiques

Fonction publique d'État

Fonction publique territoriale

Fonction publique hospitalière

Tous agents éligibles au CET dans les ministères au 31/12/2009

Tous agents éligibles au CET dans les ministères au 31/12/2007

Tous agents 31/12/2011

Tous agents 31/12/2009

Ensemble des personnels de la FPH 31/12/2007

Parts d'agents ayant un CET (en %) au 31/12

31,4

25,1

12,5

7,0

14,1 (1)

Nombre moyen de jours par CET au 31/12

17,1

18,0

17,0

18,0

27,7

Nombre de jours ouverts au 31/12

230 759

202 403

200 350

119 000

132 750

Nombre de jours en stock au 31/12

3 950 769

3 581 410

3 356 000

2 154 000

3 676 450

Nombre de jours indemnisés ou rachetés

921 780

353 741

102 500

(2)

925 671

Nombre de jours versés au RAFP

166 738

-

6 220

-

-

(1) Estimation.

(2) Aucun rachat de jours n'a eu lieu dans la FPT en 2009, le décret FPE ayant été transposé par le décret n° 2010-531 du 20 mai 2010.

Source : direction générale de l'administration et de la fonction publique (décembre 2014)

À partir des données collectées par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) (cf. tableau ci-avant), le rapport précité de l'Institut Montaigne s'est appliqué à déterminer le coût potentiel des comptes épargne-temps (CET) dans la fonction publique : « si l'on considère l'ensemble des trois fonctions publiques, et en prenant l'hypothèse du maintien du rythme d'augmentation des jours de congés stockés, ce sont plus de 12 millions de jours de congés qui sont accumulés sur les CET en 2011 et qui peuvent être valorisés - en considérant le salaire moyen net journalier dans la fonction publique (70,9 €) - à 1,5 Md€ » 80 ( * ) . Aussi s'agit-il là d'une « dette » qui devrait être progressivement monétisée par les agents publics, lorsque les jours seront rachetés ou versés au titre de la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) provoquant ainsi une dépense pour les administrations. À cet égard, l'Institut Montaigne considère que « si l'on estime le nombre de jours annuels indemnisés, versés au RAFP ou stockés sur un CET à 1,5 million par an pour les trois fonctions publiques, le coût annuel pour les finances publiques (dépenses réellement effectuées dans l'année pour les jours rachetés ou versés au RAFP, ou dépenses provisionnées pour les jours stockés) peut être estimé à un peu moins de 200 M€ » 81 ( * ) .


* 67 Rapport d'information n° 1544 (XII e législature), op. cit.

* 68 Des estimations identiques ont été transmises par la direction du budget, en 2014, à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail.

* 69 Rapport d'information n° 675 (2014-2015) sur l'enquête de la Cour des comptes relative à la masse salariale de l'État fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat, septembre 2015, p. 99.

* 70 Dont 37 000 dans le secteur sanitaire et 8 000 dans le secteur social et médico-social.

* 71 D. Acker, Rapport sur les comptes épargne temps des personnels médicaux et non médicaux dans les établissements publics de santé , Ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, 2007, p. 4.

* 72 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du 27 février 2014, p. 2457.

* 73 Pour autant, certains coûts liés à la gestion de la réduction du temps de travail (RTT) dans la fonction publique n'ont pu être évalués, soit ceux liés à l'évolution des systèmes d'information, à l'accroissement de la charge de travail des directions des ressources humaines, etc.

* 74 Rapport d'information n° 675 (2014-2015), op. cit.

* 75 Ce résultat est obtenu en faisant « vieillir » l'estimation du coût de la réduction du temps de travail (RTT) dans les fonctions publiques d'État et hospitalière en 2005 à l'aide de l'indicateur de traitement brut-grille indiciaire (ITB-GI) établi par l'Insee et la direction générale de la fonction publique (DGAFP).

* 76 Rapport d'information n° 1544 (XII e législature), op. cit. , p. 93.

* 77 Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), Rapport annuel sur l'état de la fonction publique , Ministère de la décentralisation et de la fonction publique, 2014.

* 78 Rapport d'information n° 675 (2014-2015), op. cit. , p. 105.

* 79 Institut Montaigne, Temps de travail : mettre fin aux blocages , 2014, p. 30.

* 80 Ibid. , p. 31.

* 81 Ibid. , p. 32-33.

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