CONCLUSION
L'examen des stratégies mises en place depuis 2015 destinées à lutter contre le terrorisme et mieux protéger les frontières extérieures de l'Union européenne fait apparaître une ambition financière inédite qu'il convient de saluer et appuyer.
L'examen à mi-parcours du Cadre financier pluriannuel 2014-2020 pourrait être l'occasion de dégager des moyens supplémentaires destinés à rendre plus opérationnel l'échange de renseignements, à mieux lutter contre le trafic d'armes via un programme de rachat massif ou mieux équiper les futurs garde-côtes et gardes-frontières européens.
Il est également indispensable d'engager une vraie réflexion sur le financement des opérations militaires extérieures menées contre le terrorisme en favorisant une meilleure prise en compte de l'effort budgétaire accomplis par les États en vue de renforcer leurs capacités militaires.
Le volet financier ne doit pas, en tout état de cause, servir à l'avenir de paravent à l'absence de volonté politique de progresser vers un triple objectif : la modernisation de l'espace Schengen, la mise en oeuvre d'une véritable interconnexion européenne en matière de renseignement et la mise en place d'une défense européenne adaptée aux nouveaux enjeux sécuritaires.
EXAMEN PAR LA COMMISSION
La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 11 février pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par Mme Fabienne Keller, le débat suivant s'est engagé :
M. Daniel Raoul . -Nous tenons à remercier la rapporteure. Un rachat massif d'armes assécherait les stocks mais qu'en serait-il des flux ? La production ne serait-elle pas relancée ?
M. Éric Bocquet . - Pourquoi le fonds de quelque 10 milliards d'euros que vous évoquez n'a-t-il pas encore été mis en place ?
L'approche par trop sécuritaire de l'Union européenne nous fait manquer la dimension géopolitique du problème. Votre rapport n'est pas en cause. La question est beaucoup plus large. On pourrait évaluer l'impact de nos interventions en Irak, en Syrie et ailleurs sur ce flux de réfugiés.
M. André Gattolin . - Faute de visibilité, la question du financement du terrorisme n'est pas résolue. Les Pays-Bas veulent faire un pré-état des dépenses du cadre financier pluriannuel dès cette année. Nous avons négocié au cordeau pour la période 2014-2020. J'avais constaté, au moment de son adoption, lors d'une mission aux Pays-Bas sur Europol et Eurojust, une augmentation de la criminalité intra-européenne couplée à un accroissement du domaine des compétences des autorités concernées, sans augmentation budgétaire. M. Serge Guillon, ancien secrétaire général au secrétariat général des affaires européennes, nous a raconté la préparation farfelue de ce pluriannuel - comment M. Herman Van Rompuy avait organisé une fongibilité entre les budgets pour satisfaire les uns et les autres. Quel que soit le périmètre - terrorisme, migrations, protection des frontières -, nous sommes dans un cadre financier irréaliste. Dans un contexte budgétaire contraint, c'est toujours la part structurelle que l'on sacrifie. Le pilotage global fait défaut, au profit d'un discours techniciste et de politiques en silo. M. Gilles de Kerchove nous a expliqué comment le programme Frontex avait été développé sans dispositifs de renseignement et de contrôle pour repérer les flux d'ordre mafieux ou terroriste.
Nous nous trouvons dans une situation inquiétante : pourquoi l'Union européenne n'a-t-elle pas de marge d'endettement ? Certes, nous sommes fiers de son triple A, mais, ne pouvant s'endetter, elle n'a aucune possibilité d'investissement. Nous devons donc affronter un problème budgétaire à court terme, mais aussi à l'horizon 2020. Je ne vois pas comment la construction européenne pourra progresser dans un tel contexte, s'il demeure inchangé.
Mme Fabienne Keller . - Je ne suis pas spécialiste du marché des armes...
M. Michel Raison . - C'est rassurant !
Mme Fabienne Keller . - Les terroristes qui ont commis les attentats de Paris n'ont eu aucun problème à financer l'acquisition d'armes, même très perfectionnées. Un marché des armes, connu et accessible, existe dans nos quartiers européens. Il faudrait prévoir un débat sur ce sujet. Sans compter les stocks à venir, en provenance de Libye et de Syrie...
M. Daniel Raoul . - On en connaît le volume, c'est nous qui les avons parachutés !
M. André Gattolin . - Vendus !
Mme Fabienne Keller . - Il serait salutaire de développer une stratégie de résorption des armes, à l'échelle planétaire, d'autant qu'elles sont pour la plupart de seconde main.
En réponse à Éric Bocquet, je précise que les deux ministres ont voulu alerter sur l'impact économique des contrôles aux frontières. Ils considèrent qu'une partie des annonces de la Commission européenne du 15 décembre remplissent les objectifs qu'ils s'étaient fixés. Le sujet n'est pas épuisé. Il doit être traité de manière transversale. Quant à l'approche trop militaire de mon rapport, elle vient peut-être du fait que la crise des migrants, le terrorisme ou la sécurité du territoire sont des questions qui méritent d'être traitées de manière coordonnée. Les fichiers de renseignements personnels, comme Eurodac, ou le système SIS, doivent être mieux alimentés.
Les corps des gardes-frontières et des garde-côtes européens doivent s'équiper de matériels et de systèmes informatiques performants pour faire le lien rapidement entre les bases de données et d'éventuels terroristes. Nous avons abordé la question de la coopération et du financement sous un angle transversal. L'échelle européenne est la bonne. Quel que soit le point d'entrée, c'est la protection de toute l'Europe qui est en jeu. Une chaîne a la force de son maillon le plus faible.
Enfin, je réponds à André Gattolin : vous avez raison, le flux de la criminalité intra-européenne s'accroît. La fongibilité budgétaire qui vous préoccupe à juste titre est un autre sujet qui mérite en effet toute notre attention. L'Europe s'est ainsi engagée à hauteur de 3 milliards d'euros, dont 2 pour les États membres, afin de financer les camps en Turquie. L'astuce consisterait à prélever cette somme sur les remboursements annuels aux États membres.
M. André Gattolin . - Il y a aussi des fonds inutilisés.
Mme Fabienne Keller . - Le contexte est marqué par l'urgence. La crise des migrants se trouve au centre de l'actualité. Nous devons travailler rapidement, en privilégiant une vision globale, et en distinguant les périmètres et les compétences : l'Union européenne, l'espace Schengen, l'Europe de la défense. Nous devons également afficher notre mobilisation sur le nerf de la guerre, l'argent, grâce auquel nous financerons la protection et la sécurité de nos concitoyens.
M. André Gattolin . - L'ambassadeur d'Allemagne a rappelé devant nous la proposition du ministre des finances Schäuble. Peut-être faudrait-il mentionner cette initiative ? Une taxe sur le gas-oil aurait le mérite de constituer une solution moins alambiquée et plus centrale que les effets de levier ou un étalement dans le temps.
Mme Fabienne Keller . - C'est une excellente proposition qui mérite d'être creusée. C'est une sorte d'écotaxe. Elle crée de la ressource sans que ce soit douloureux pour l'économie. Je comprends les inquiétudes allemandes. Le besoin de financement s'inscrit dans la durée. Fribourg, ville de 200 000 habitants, proche de Strasbourg, a accueilli 4 000 migrants, soit 2 % de la population. C'est une proportion supérieure à celle des Allemands venus de l'Est après la chute du Mur. Leur capacité à intégrer, à accompagner l'arrivée de nouveaux migrants, par des cours d'allemand, etc. est débordée. En dégageant une ressource affectée, on produirait un effet de levier.
M. Jean-Paul Emorine , vice-président . - Cette proposition nous fait faire un pas de plus vers l'intégration européenne de la défense. Les présidents Raffarin et Bizet élaboreront ensemble une proposition de résolution européenne sur ce sujet dont les rapporteurs seront Mme Gisèle Jourda et M. Yves Pozzo di Borgo .
À l'issue de ce débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.