C. UNE LOGIQUE EUROPÉENNE D'INTÉGRATION DES BANQUES DE DÉVELOPPEMENT DOMESTIQUE ET INTERNATIONALE
Le Président de la République ayant cité les exemples allemand et italien dans son discours d'août dernier et ayant invité Remy Rioux à s'en inspirer dans la lettre de mission qu'il lui a adressée, vos rapporteurs spéciaux ont souhaité étudier ces deux modèles. Ils se sont donc rendus à Rome (le 3 mars) et à Francfort et Bonn (le 14 mars) pour rencontrer les différents acteurs de ces politiques.
1. Le modèle allemand
a) Une « Caisse des dépôts » compétente en matière de développement domestique, de développement international et de soutien aux exportations
L'Allemagne est le troisième pays donateur du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE, avec 16,3 milliards de dollars en 2014, contre 10,4 milliards de dollars pour la France (quatrième donateur). En termes relatifs, l'Allemagne est le dixième pays donateur (0,41 % de son RNB) quand la France est le douzième pays (0,36 % de son RNB).
Sa politique d'APD s'appuie sur le ministère allemand de la coopération , le Bundesministerium für internationale Zusammenarbeit (BMZ), qui assure le pilotage politique, fixe la stratégie générale de développement qui s'applique à l'ensemble des opérateurs allemands, complété par un accord cadre passé avec chaque opérateur. Il définit les pays d'intervention et les priorités sectorielles, puis examine les projets proposés par la KfW et la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GiZ), en s'appuyant sur une administration de 900 personnes, et doit donner son accord sur chaque projet pris individuellement.
Le groupe Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) assume un triple rôle de financement de l'économie nationale - que l'on peut rapprocher en France du rôle de la Caisse des dépôts et consignations -, du développement international et de soutien aux exportations allemandes. Le capital du groupe KfW est détenu à 80 % par l'État allemand et à 20 % par les Länder. Il bénéficie d'une garantie de l'État pour l'ensemble de ses opérations et se trouve soumis au contrôle du régulateur prudentiel allemand.
Trois entités du groupe sont actives à l'étranger . La KfW-Entwicklungsbank , ou banque de développement, est une section de la KfW qui gère l'aide publique au développement - en prêts et en dons - auprès des acteurs publics dans les pays en développement. Elle s'apparente donc à l'AFD française. La Deutsche Investitions und Entwicklungsgesellschaft (DEG) finance le secteur privé dans les pays en développement, ce qui permet de la rapprocher en France de Proparco. Elle est une filiale du groupe KfW depuis 2002. Enfin, la KfW-IPEX Bank, est une filiale du groupe qui offre des financements afin de soutenir les exportations allemandes, ce qui l'apparente donc à la Coface française.
Un « comité conjoint » entre ces trois entités se réunit pour échanger sur les enjeux stratégiques du groupe KfW à l'étranger et des « stratégies pays » sont élaborées pour coordonner leur action. Mais chaque entité est dotée d'un mandat distinct. Une stratégie commune est définie au niveau du groupe KfW, qui définit notamment des axes stratégiques, comme la lutte contre le changement climatique. Des fonctions support et financières sont partagées (gestion des risques, systèmes d'information, ressources humaines, etc.).
La KfW se limite à financer les projets mais ne s'occupe pas de leur mise en oeuvre concrète, celle-ci étant confiée à des ministères, des collectivités territoriales, des ONG, ou - souvent - à la GiZ.
La Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GiZ) La GiZ est l'agence allemande chargée de la coopération technique, dotée du statut de société à responsabilité limitée, mais détenue par l'État allemand. Elle compte plus de 17 000 agents , dont 12 000 sous contrat local. Elle est active dans 130 pays et dispose d'une agence dans 70 États (souvent en commun avec la KfW), pour un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros , financés à 90 % par l'État allemand. Les ministères passent directement « commande » à l'agence, qui n'est pas soumise à appel d'offre. Ses principaux donneurs d'ordre sont les ministères allemands de la coopération, de l'environnement, des affaires étrangères, de l'économie et de l'éducation. Elle étudie les demandes des ministères et leur fait une offre. Une fois celle-ci acceptée, la GiZ est chargée de la mise en oeuvre concrète du projet et coopère directement avec les partenaires sur place. La GiZ et la KfW interviennent souvent de façon complémentaire et coordonnée , la GiZ intervenant en amont pour créer les conditions préalables à une intervention financière. Plus de la moitié des projets de la GiZ sont ainsi menés avec la KfW. La GiZ dispose également de treize bureaux en Allemagne, à partir desquels elle assiste les collectivités allemandes dans leurs actions de coopération décentralisée. |
b) Une intégration source de synergies
Au-delà de la description de ce modèle, vos rapporteurs spéciaux ont pu, grâce aux entretiens qu'ils ont mené en Allemagne, acquérir la conviction que cette organisation intégrée était source de synergies .
Tout d'abord, le fait de mener à la fois une activité domestique et une activité internationale a été qualifié par un de leurs interlocuteurs de véritable « avantage comparatif » par rapport aux autres banques de développement. En effet, les partenaires étrangers apprécient fortement l'expertise domestique du groupe , qui renforce sa crédibilité, et leur banque de développement peut s'appuyer sur ses experts domestiques pour le montage des projets. L'activité internationale bénéficie ainsi de la réputation acquise par l'Allemagne en matière, par exemple, de développement durable.
Cet avantage joue également au profit de l'activité domestique . Grâce à son activité de développement, la KfW est la banque publique européenne la plus internationale , pour reprendre l'expression d'un des interlocuteurs de vos rapporteurs spéciaux, qui soulignait qu'en revanche la Caisse des dépôts française était perçue comme « extrêmement franco-française ». Or cette ouverture internationale constitue une véritable valeur ajoutée : par exemple, l'expérience acquise grâce à des participations de sa banque de développement dans des pays d'Europe de l'Est a permis au groupe KfW d'être bien préparée à la mise en oeuvre du « plan Juncker » d'investissement pour l'Europe.
Au-delà de l'expertise acquise au niveau national ou international, le fait même d'être une banque nationale de développement joue en faveur de la KfW dans son activité à l'étranger : elle discute avec les banques nationales de développement des pays émergents en tant qu' « homologue », ce qui leur permet d'échanger sur des problématiques domestiques. Par exemple, certaines de ces banques des pays émergents ont été intéressées par le mode opératoire de la KfW en Allemagne, qui ne prête pas directement à ses clients domestiques mais distribue ses financements à travers les banques commerciales.
Il existe également une autre catégorie de synergies, qu'il faut examiner sans naïveté, entre les activités de financement du développement international et de soutien aux exportations allemandes . Ainsi, le fait que l'Ipex-bank - chargée de la promotion des exportations - et la KfW partagent certains de leurs bureaux à l'étranger ne peut que jouer en faveur de son activité de promotion.
Les interlocuteurs de vos rapporteurs spéciaux ont également insisté sur le fait que l'activité domestique de la KfW lui permettait de jouir d'une excellente notation, qui bénéficie du même coup à sa banque de développement. De même, les mutualisations permises - par exemple en matière de gestion des risques - sont une source d'économie.
2. L'exemple italien
a) Une importante réforme en cours du dispositif italien d'aide publique au développement qui donne notamment un rôle à la Caisse des dépôts italienne
L'Italie est le douzième pays donateur du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE, avec 3,3 milliards de dollars en 2014. En termes relatifs, elle est le vingt et unième pays donateur (0,16 % de son RNB). Donateur modeste, l'Italie a néanmoins - depuis 2013 - prévu d'augmenter sensiblement son aide et s'est fixé pour objectif de porter son APD à 0,7 % de son RNB en 2030 , avec des objectifs intermédiaires à 0,24 % en 2018 et 0,30 % en 2020. Cette aide irait prioritairement à l'Afrique du Nord, à l'Afrique orientale, au Sahel occidental et à quelques pays d'Amérique latine et d'Asie.
Cette montée en puissance s'appuie sur la réforme du dispositif italien d'APD . La loi n° 125 du 11 août 2014 portant organisation générale sur la coopération internationale pour le développement réforme le dispositif italien d'APD et sa gouvernance. Celui-ci reposait principalement sur le ministère des affaires étrangères et sur le ministère de l'économie et des finances. La loi de 2014 crée une Agence italienne pour la coopération au développement (AICD) et habilite la Cassa depositi e prestiti (CDP), l'homologue de la Caisse des dépôts et consignations française, à remplir les fonctions d'institution financière pour la coopération internationale au développement . Ces opérateurs mettront en oeuvre la politique italienne bilatérale, le premier étant compétant pour les dons, le second pour les prêts. Les ministères demeurent compétents pour l'action multilatérale. Le nouveau dispositif est entré en vigueur le 1 er janvier 2016.
L'AICD est placée sous la tutelle du ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale. Son personnel sera composé de 200 personnes à Rome, en provenance du ministère, de 44 experts contractuels et de 100 agents dans le réseau des bureaux de coopération à l'étranger, actuellement rattachés aux ambassades. Une convention en cours d'élaboration régira les relations entre le MAECI et l'agence. C'est elle qui sera chargée de la mise en oeuvre concrète des projets.
La CDP, qui demeure sous la seule tutelle du ministère de l'économie et des finances, sera liée au MAECI par convention, comme elle l'est déjà avec les ministères techniques dans le cadre de ses activités domestiques. L'élargissement des compétences de la CDP à la coopération pour le développement est présenté également comme un moyen de promouvoir les entreprises européennes et italiennes sur les marchés des pays émergents ou en voie de développement. Ces activités seront exercées par une nouvelle direction de la CDP et non par une nouvelle filiale .
La CDP collaborera avec les institutions financières multilatérales à travers le cofinancement de projets présentant un intérêt pour l'Italie et celui d'initiatives conjointes. Elle fournira des financements bonifiés aux secteurs public et privé des pays partenaires, grâce aux ressources publiques attribuées, et financera directement des projets de développement, en mettant à disposition des secteurs public et privé des financements, des instruments de partage des risques et de capital risque. La CDP disposera d'un fonds de 3 milliards d'euros, qui était jusqu'à présent géré par une banque privée, et pourra mobiliser l'épargne postale, dans certaines conditions . Les fonctions de soutien aux exportations italiennes (de la CDP mais aussi de ses filiales Sezione speciale per l'Assicurazione del Credito all'Esportazione (SACE) et Società Italiana per le Imprese all'Estero (Simest)) pourraient à terme être rassemblées dans un guichet unique au sein du groupe CDP.
S'agissant de la gouvernance du dispositif italien, la loi 125 crée un Comité interministériel pour la coopération au développement (CICS en italien) présidé par le Président du Conseil et composé d'une dizaine de ministres, chargée de la stratégie et de la cohérence politique. En parallèle, le MAECI élabore, en concertation avec le ministère de l'économie et des finances, un document triennal de programmation financière, unique et contraignant, présenté au CICS puis soumis pour avis au Conseil national pour la coopération au développement, à la Conférence État-Régions et aux commissions des affaires étrangères de la Chambre des députés et du Sénat.
b) L'importance accordée au secteur privé
L'exemple italien est moins parlant que celui allemand, dans la mesure où il est extrêmement récent et qu'il faudra attendre avant de pouvoir en tirer des enseignements.
Cependant, au moment d'écrire leur réforme, nos voisins transalpins se sont inspirés des exemples européens qu'ils avaient sous les yeux, à savoir notamment les modèles allemand et français. Il est donc intéressant d'étudier leurs choix et ce qu'ils révèlent des tendances actuelles de la politique de développement.
Tout d'abord, l'augmentation en volume de l'aide italienne, inscrite dans la loi de programmation, traduit une volonté politique forte de l'actuel Président du Conseil, Matteo Renzi, mais qui était aussi celle de son prédécesseur, Enrico Letta. Cette volonté politique doit sans doute être mise en lien avec l'importance prise par les questions migratoires, notamment en Italie, qui se trouve en première ligne face à cette question.
D'autre part, le choix a été fait, sur le modèle allemand, de confier une mission de développement international à la Caisse des dépôts . Certes, il était nécessaire pour l'État italien de se doter d'un « bras financier », ce qui n'est pas le cas de la France, l'AFD étant déjà un établissement financier. Mais le choix italien va plus loin, dans la mesure où le Parlement a autorisé la Caisse des dépôts italienne à engager ses propres ressources - et non seulement celles confiées par l'État - pour des actions de développement international. En d'autres termes, l'épargne populaire des Italiens pourra être utilisée. Ce choix, qui nécessitera de développer une « culture du développement » au sein de cette institution, s'explique probablement aussi par le souhait d'intégrer le secteur privé dans la politique de développement.
En effet, le souhait d' impliquer le secteur privé constitue le troisième axe de la réforme de 2014 - au-delà de la création de l'agence et de l'élargissement des missions de la Caisse des dépôts. Vos rapporteurs spéciaux ont clairement senti une volonté italienne de promouvoir la diplomatique économique , sans pratiquer d'aide liée, mais « en étant réalistes », pour reprendre l'expression d'un de leurs interlocuteurs. Ceci pourrait passer par des actions de développement dans des domaines où l'expertise italienne est reconnue, comme par exemple la promotion des filières du café en Amérique latine. Mais il est également envisagé d'accompagner les politiques de développement des grandes entreprises italiennes. Par exemple, lorsque le groupe automobile FIAT ( Fabbrica italiana di automobili di Torino ) mène des actions de développement en faveur des favelas où habitent les ouvriers de ses usines brésiliennes, il pourrait être accompagné par un financement de l'État italien.