INTRODUCTION
Votre délégation souhaite attirer l'attention, de manière liminaire, sur le contexte démographique et socio-économique dans lequel s'inscrivent les enjeux sanitaires relevés sur les territoires de La Réunion et de Mayotte .
Si ces deux territoires apparaissent comme de véritables « îlots de richesse » 4 ( * ) dans leur environnement régional, plusieurs indicateurs attestent cependant d' une situation sociale très difficile, qui constitue un déterminant de santé important pour les populations concernées . Celles-ci doivent en effet faire face à une pauvreté extrêmement importante, à des niveaux de chômage parmi les plus élevés de France, à des mutations démographiques auxquelles elles sont insuffisamment préparées et à des problèmes chroniques d'insalubrité des infrastructures ; mais aussi, à Mayotte, à une insécurité croissante, à des difficultés d'accès à l'éducation, à une densité de population très élevée, voire à la barrière de la langue.
Au-delà de ces considérations générales, ces deux territoires français de l'Océan Indien présentent une situation très contrastée , à l'image de l'ensemble des territoires ultramarins. Si La Réunion, de même que les Antilles, s'inscrit dans une dynamique de rattrapage et de rapprochement très sensible avec l'hexagone, Mayotte, à l'image de la Guyane, rencontre toujours de très fortes difficultés, avec pour toile de fond une immigration clandestine très importante.
Votre délégation souligne par ailleurs que, en dépit de l'impossibilité pour elle de se rendre sur le territoire mahorais, du fait des émeutes qui y avaient cours lors de son déplacement dans l'Océan Indien, un programme de travail complémentaire sur la situation de Mayotte a pu être organisé à La Réunion, qui a notamment permis de rencontrer le directeur du centre hospitalier (CHM). Cette différence d'approche explique cependant que les développements du présent rapport consacrés à la situation mahoraise soient plus sommaires que les observations formulées sur l'organisation des soins à La Réunion.
La Réunion et Mayotte dans leur environnement géographique
PIB par habitant dans la zone Océan Indien en 2012
( en euros courants)
Source : Rapport de MM. Vergoz et Doligé sur les niveaux de vie dans les outre-mer
1. Des populations caractérisées par leur particulière jeunesse
a) A La Réunion, une population encore jeune qui connaîtra un vieillissement rapide au cours des prochaines décennies
Située dans l'archipel des Mascareignes, La Réunion est une île volcanique montagneuse d'une superficie de 2 503 km². Elle comptait 840 974 habitants au 1 er janvier 2014, pour une densité de 336 habitants/km².
L'accroissement naturel observé de la population est supérieur à celui de l'hexagone, avec + 0,7 % par an entre 2007 et 2013 (contre + 0,5 % en métropole). Cet accroissement est entièrement dû au solde naturel (+ 1,2 %), puisque le solde migratoire est négatif (- 0,5 %).
La population réunionnaise est structurellement plus jeune que celle de la métropole , avec un tiers de la population ayant moins de 20 ans . On compte 40 % de personnes âgées de moins de 25 ans, contre 30 % en métropole, pour seulement 12 % de plus de 60 ans, contre 22 % dans l'hexagone.
En raison des volumes de population concernés, la population réunionnaise vieillit cependant plus rapidement que celle de la métropole . Entre 1991 et 2012, l'âge moyen des Réunionnais a ainsi progressé de + 5,8 ans, contre + 3,5 ans en métropole. Les projections démographiques suggèrent que la part des personnes âgées de plus de 60 ans pourrait doubler à l'horizon 2030, pour atteindre 23 %.
Au total, la collectivité devra faire face dans les prochaines années à une double dynamique de croissance soutenue de la population et de vieillissement qui, pour être moins brutal que dans les Antilles, concerne des volumes de population plus importants.
b) A Mayotte, une population très jeune en croissance rapide, sous l'effet de la natalité et de l'afflux migratoire
Mayotte est située dans l'archipel des Comores, qui comprend trois autres îles : Grande-Comore, Mohéli et Anjouan, cette dernière étant située à seulement 70 km de Mayotte. Le territoire mahorais est lui-même constitué de deux îles, Grande Terre (360 km 2 ) et Petite Terre (15 km 2 ). La population officiellement recensée était de 212 645 habitants en 2012, soit 569 habitants/km².
Avec + 2,7 % par an sur la période 2007-2012, la croissance démographique y est trois fois plus importante qu'en France entière (+ 0,5 %). Ce dynamisme démographique s'explique à la fois par un solde migratoire très largement positif et par un fort excédent naturel, avec près de 6 500 naissances en 2012.
Le niveau élevé de la natalité à Mayotte se traduit logiquement par la très grande jeunesse de sa population . Plus de la moitié (55 %) de la population mahoraise a moins de 20 ans, l'île comptant seulement 4 % de personnes âgées de plus de 60 ans.
L'afflux de populations de la région, notamment en provenance des Comores, explique la présence d' une part importante de ressortissants étrangers dans la population effectivement présente sur le territoire mahorais . 84 600 personnes étrangères avaient été recensées sur le territoire en 2012, soit 40 % de la population de l'île .
L'attractivité du territoire mahorais s'explique, par effet de contraste, par le fait que son environnement immédiat compte certains des pays les plus pauvres du monde. Du point de vue de l'indice de développement humain (IDH), la France occupe ainsi la 22 ème position mondiale en 2015, tandis que Madagascar et l'Union des Comores se classent respectivement au 154 e et au 159 e rang de cet indicateur.
2. Deux territoires marqués par une forte précarité
a) A La Réunion, le poids du chômage des jeunes et une part importante des prestations sociales dans les revenus
Avec près de 27 % en moyenne sur l'année 2014, le taux de chômage réunionnais est presque trois fois plus élevé que celui de la métropole ; pour les jeunes, il atteint des niveaux vertigineux, avec plus de 50 % de chômage pour les moins de 25 ans. Le taux d'emploi est corrélativement bien plus faible à La Réunion que dans l'hexagone, avec une différence de près de 20 points (46 % contre 64 %).
Conséquence de cette forte précarité, près de la moitié de la population réunionnaise vit sous le seuil de pauvreté . On observe également une dépendance certaine aux prestations sociales , qui représentent en moyenne 20 % des revenus des ménages réunionnais ; en 2014, un Réunionnais sur trois était par ailleurs bénéficiaire de la CMU-c .
b) A Mayotte, des conditions de vie très éloignées des standards hexagonaux
Le territoire de Mayotte traverse une situation très difficile, sur le plan économique comme sur les plans social et sécuritaire 5 ( * ) , et, selon les différents responsables entendus par votre délégation, largement inédite pour sa population.
• Celle-ci doit tout d'abord faire face à
une pauvreté extrêmement importante
: selon
l'Insee, la moitié de la population mahoraise vivait avec moins de 384
euros par mois et par unité de consommation en 2011 ;
84 % des habitants se situaient en dessous du seuil de
pauvreté, contre 16 % en France métropolitaine. Le niveau de
richesse par habitant, mesuré par le PIB, est cinq fois plus faible
à Mayotte que dans l'hexagone, tandis que les prix à la
consommation y sont deux à trois fois plus élevés qu'en
métropole.
La situation est d'autant plus difficile que la population mahoraise ne dispose pas encore de l'accès à toutes les prestations sociales et familiales versées dans les autres départements français . Elle est ainsi exclue du champ d'application de la couverture maladie universelle (CMU), tandis que le Smig brut mahorais ne représente que 74,6 % du Smic brut métropolitain 6 ( * ) .
• Les conditions de vie de la population
sont encore bien loin des standards métropolitains, notamment s'agissant
de l'habitat
. L'île de Mayotte est
une des zones les
plus densément peuplées de France
, avec
570 habitants au km² en 2012, contre 118 en 2015 en France
métropolitaine. Dans son avis relatif au budget de la mission
« Outre-mer » sur le projet de loi de finances pour 2015,
notre collègue Didier Robert soulignait
que plus de 50 000
Mahorais vivent encore dans 20 000 résidences principales en
« non dur »
. Selon le recensement opéré
par l'Insee en 2012, deux logements sur trois sont encore dépourvus du
confort de base, et seulement 70 % des résidences principales disposent
d'une prise d'eau.
Cette situation n'est évidemment pas sans conséquences sur l'état de santé de la population mahoraise . Il a ainsi été indiqué à vos rapporteurs que certains habitants n'avaient pas d'autre choix, pour s'approvisionner en eau, que de disposer des récipients à l'extérieur pour collecter l'eau de pluie, permettant ainsi la naissance et le développement de gîtes larvaires, et contribuant à la diffusion des arboviroses. La dynamique démographique, couplée au retard en équipements, favorise quant à elle la circulation de maladies infectieuses telles que la leptospirose ou la fièvre de la vallée du Rift.
• Entendu en sa double qualité de
sénateur de Mayotte et de président du conseil du CHM, notre
collègue Thani Mohamed Soilihi a évoqué devant votre
délégation le
basculement très rapide de la
société mahoraise, au cours des dix dernières
années, dans un climat de violence et de forte
insécurité
, qui contraste avec l'atmosphère
paisible qui régnait traditionnellement sur l'île. Selon lui, il
s'agit là d'une
crise de développement
transitoire
, plus qu'un problème de nature administrative
lié à la mise en oeuvre de la départementalisation.
Au total, en dépit d'un effort de rattrapage conséquent, notamment sur le plan financier, ces deux territoires de l'Océan Indien restent confrontés à de fortes difficultés économiques et sociales qui contribuent à la permanence d'un décalage avec la situation hexagonale, notamment sur le plan sanitaire .
* 4 Ainsi que l'avaient relevé nos collègues Michel Vergoz et Eric Doligé dans leur rapport précité.
* 5 Cette situation a été largement exposée dans le récent rapport de la Cour des comptes de janvier 2016, relatif à « La départementalisation de Mayotte : une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire ». Sur la question de l'immigration, cf infra.
* 6 Le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) horaire brut mahorais est le seuil minimal de rémunération que tous les salariés doivent percevoir à Mayotte. Selon la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) de Mayotte, il a été porté à 7,30 € au 1 er janvier 2016 (contre 7,26 € au 1 er janvier 2015, soit une évolution de +0.6 %). Le salaire mensuel net mahorais, sur la base de 39 heures hebdomadaires, s'élève à 1 141.30€. Depuis le 1 er janvier 2015, la revalorisation du Smig mahorais est indexée sur le seul taux d'évolution du SMIC national.