EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. DES DÉFIS SANITAIRES IMPORTANTS
La première observation que l'on peut formuler est celle d'un cumul de difficultés . Comme les autres outre-mer, La Réunion et Mayotte sont confrontées, en plus des problématiques générales qui se posent aux territoires français en termes épidémiologiques -développement des maladies chroniques, notamment- et en matière d'organisation des soins -questions de la place de l'hôpital et de la désertification médicale, en particulier-, à des enjeux sanitaires spécifiques , notamment sur les plans infectieux et environnemental.
A. À LA RÉUNION, UNE AUGMENTATION PRÉOCCUPANTE DES MALADIES CHRONIQUES
En dépit d'un niveau de recours aux soins proche de celui de la population hexagonale 7 ( * ) , d'une qualité globalement satisfaisante de l'offre de soins, et surtout d'une dynamique globale de rattrapage par rapport à la métropole, l'état de santé de la population réunionnaise reste en deçà des standards hexagonaux . En 2012, l'espérance de vie atteignait ainsi respectivement 78,5 ans pour les hommes et 84,9 ans pour les femmes en métropole, contre 76,6 et 83,2 ans pour les Réunionnais 8 ( * ) . On observe en outre une mortalité prématurée plus importante que celle relevée dans l'hexagone, avec 214 décès pour 100 000 habitants, contre 194 en métropole 9 ( * ) .
Territoire en transitions à la fois épidémiologique et démographique , sous l'effet d'un changement rapide du mode de vie de la population, La Réunion fait aujourd'hui face à trois menaces sanitaires principales : un possible développement des arboviroses tropicales, l'explosion des maladies chroniques et notamment du diabète, et la persistance d'une forte mortalité périnatale 10 ( * ) .
1. Des arboviroses particulièrement surveillées depuis le traumatisme du chikungunya
En raison de sa situation climatique en zone tropicale, à laquelle s'ajoute l'influence des échanges avec les pays voisins, le risque infectieux est significativement plus important à La Réunion qu'en métropole .
Par rapport à celui de l'hexagone, le profil épidémiologique infectieux de La Réunion se caractérise ainsi notamment par une forte incidence de la leptospirose (vingt fois plus élevée qu'en métropole), comme dans la plupart des pays au climat chaud et humide, et surtout une particulière vulnérabilité aux arboviroses 11 ( * ) .
De ce point de vue, La Réunion est principalement concernée par la dengue (au cours de la période récente, jusqu'à 56 cas recensés en 2010), le paludisme (94 cas en 2009) et le chikungunya , sans pour autant que ces virus ne circulent à l'état endémique ; ils sont principalement importés par les voyageurs, notamment en provenance de la zone Océan Indien.
Depuis le traumatisme causé par l'épidémie de chikungunya de 2006, les arboviroses sont particulièrement surveillées, avec un bon fonctionnement de la lutte anti-vectorielle : si l'on observe chaque année un commencement de circulation virale, notamment s'agissant de la dengue et du chikungunya, elle se limite le plus souvent à quelques cas isolés, et ne produit pas d'épidémies .
Le chikungunya à La Réunion : une alerte forte en 2005-2006 En 2005, une importante épidémie de chikungunya a touché l'île de La Réunion, avec 270 000 cas déclarés, soit plus du tiers de la population . Principalement endémique en Asie du Sud et en Afrique (la première épidémie documentée étant celle survenue en Tanzanie en 1952), la maladie n'avait jamais été détectée dans l'Océan Indien avant cette date. Une première épidémie est survenue aux Comores en 2004 par la propagation d'un virus vraisemblablement originaire d'Afrique de l'Est et transmis par le moustique Aedes aegypti , prédominant dans cet archipel. En mars 2005, l'épidémie s'est propagée rapidement sur l'île de La Réunion à partir du Nord-Ouest, la transmission étant principalement assurée par le moustique Aedes albopictus . Après une flambée importante entre fin avril et début juin, puis une persistance de la transmission virale durant l'hiver austral, le pic de l'épidémie a été atteint en janvier et février 2006. Un nouvel épisode de propagation de la maladie a été recensé au printemps 2010 , dans des proportions cependant beaucoup moins importantes, avec 172 cas relevés. L'épidémie de 2005-2006 a été frappante par l'effet de surprise suscité, aucune épidémie de cette ampleur n'étant survenue à La Réunion au cours des années, voire des décennies précédentes.
Le virus du chikungunya provoque chez les patients
des
douleurs articulaires aiguës
et
invalidantes
12
(
*
)
, pour lesquelles on ne dispose aujourd'hui que de
traitements symptomatiques. Alors que les formes compliquées de
chikungunya n'étaient qu'exceptionnellement décrites,
l'épidémie de 2005 à La Réunion a mis en
évidence des
formes neurologiques graves
, avec des
méningo-encéphalites et des atteintes des nerfs
périphériques. Ces dernières sont principalement
rencontrées chez des personnes âgées ou au système
immunitaire affaibli, et chez des
Source : Institut Pasteur et InVS |
Selon les informations fournies par l'Institut Pasteur, l'arrivée du virus zika à La Réunion comme à Mayotte est loin de constituer un scénario improbable , dans la mesure où le vecteur de sa transmission (moustiques du genre Aedes ) est présent sur ces deux territoires. Dans son rapport du 28 juillet 2015, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) confirmait également que « les conditions pour une transmission autochtone du virus zika sont réunies à La Réunion et à Mayotte où les vecteurs sont implantés et actifs toute l'année ».
Si la contamination par le virus n'entraîne, dans la grande majorité des cas, aucune affection particulière, la symptomatologie de la maladie, quand elle existe, évoque celle du chikungunya, avec de la fièvre, des éruptions cutanées ou encore des douleurs musculaires ou articulaires. Des atteintes neurologiques graves ont également été documentées, un lien ayant été constaté entre la contamination par ce virus et la survenue d'un syndrome de Guillain-Barré 13 ( * ) , qui se caractérise par une paralysie ascendante progressive pouvant atteindre les muscles respiratoires. Des travaux de recherche sont toujours en cours dans le cadre de l'organisation mondiale de la santé (OMS) dans le but de mieux comprendre les conditions de l'apparition d'une microcéphalie ou encore la présence d'atteintes neurologiques chez les nouveau-nés.
Les divers interlocuteurs rencontrés ont par ailleurs attiré l'attention de votre délégation sur la recrudescence observée des infections sexuellement transmissibles (IST) sur le territoire réunionnais - comme, du reste, en de nombreux points de l'hexagone. Les principales observations formulées sur ce point par l'InVS sont les suivantes : la présence d'IST précoces, constatées dès l'âge de 14 ans ; une utilisation insuffisante du préservatif ; une persistance du risque de syphilis.
La couverture vaccinale de la population réunionnaise apparaît globalement satisfaisante , ainsi que l'avait montré une étude de l'observatoire régional de santé (ORS) de La Réunion en 2009. On relève notamment une couverture vaccinale élevée pour les primo-vaccinations obligatoires et recommandées chez les enfants âgés de deux à cinq ans, ainsi qu'un taux de couverture chez les adolescents supérieur à celui observé sur l'ensemble du territoire français. Des progrès sont cependant encore à accomplir dans la tranche d'âge des jeunes adultes ; en outre, le développement d'une certaine hésitation vaccinale a été signalé à votre délégation par l'agence de santé.
Il est enfin à noter que l'île de La Réunion devra faire face, dans les prochaines années, à différents types de menaces émergentes , parmi lesquelles l'arrivée possible d'épisodes de grippe venus d'Asie, la persistance ou le développement des arboviroses , à propos desquelles se pose un problème croissant d'efficacité des anti-moustiques, ou encore l'apparition de bactéries multirésistantes depuis les foyers d'Inde et de l'île Maurice, avec un risque de transmission lors des séjours hospitaliers.
2. Une explosion des maladies chroniques
En raison du changement rapide du mode de vie de sa population, La Réunion est touchée par une véritable explosion des « maladies du siècle » que sont les maladies chroniques . L'ensemble des pathologies chroniques existant en métropole sont aujourd'hui représentées à La Réunion, dans des proportions très importantes : insuffisance cardiaque, asthme, diabète, obésité, hypertension ou encore insuffisance rénale.
Près de la moitié des Réunionnais sont concernés soit par le surpoids (35 % de la population) et l'obésité (15 %) , ce qui explique la forte prévalence des maladies associées. Le problème est particulièrement inquiétant chez les jeunes, et notamment chez les enfants : selon les données transmises par l'agence de santé, 14 % des enfants âgés de 5 à 6 ans sont en surcharge pondérale ; cette proportion grimpe à 25 % pour les enfants scolarisés en classe de sixième.
Avec 10 % de la population concernée , soit le double du taux relevé dans l'hexagone, la prévalence du diabète traité pharmacologiquement à La Réunion est la plus élevée du territoire français .
Cette affection chronique est susceptible d'entraîner des maladies spécifiques telles que l'insuffisance rénale, avec un taux élevé de mises en dialyse d'urgence. La Réunion est ainsi au premier rang des départements français s'agissant des néphropathies chroniques graves . Il est par ailleurs à noter que le taux standardisé de mortalité imputable aux accidents vasculaires cérébraux (AVC) est supérieur de 81 % à celui relevé dans l'hexagone.
Au total, plus de 100 000 personnes sont en affection de longue durée (ALD) sur le territoire de La Réunion, dont un tiers au titre des maladies cardiovasculaires et un tiers au titre du diabète (contre 19 % en métropole) . Ce sont cependant les ALD associées à un cancer ou à une affection psychiatrique qui connaissent la progression la plus rapide.
3. Un retard d'équipement générateur de risques sanitaires d'origine environnementale : le problème de la potabilisation des eaux
Outre les conditions climatiques, le risque infectieux est également favorisé à La Réunion par le retard d'équipement en infrastructures , à l'origine de risques environnementaux importants pour la population.
• Le principal problème soulevé par les
interlocuteurs de votre délégation est celui de la
qualité des eaux de distribution
, en raison à la
fois de la déficience des équipements de traitement des eaux et
d'adduction de l'eau potable, et des conditions climatiques de l'île. Du
fait de la forte pluviométrie de La Réunion, les eaux
superficielles utilisées charrient en effet des boues provoquant une
importante turbidité.
Au total, jusqu'à 35 % des volumes d'eau distribués à La Réunion ne seraient pas potabilisés de manière continue, et 57 % de la population n'aurait pas accès à de l'eau de bonne qualité . En période de fortes pluies, ce sont 60 % des volumes d'eau distribués qui ne bénéficient pas d'un traitement de potabilisation adéquat.
Ce problème pourrait expliquer l'incidence élevée des gastroentérites sur le territoire réunionnais (14 % contre 6 % en métropole, pour 85 % de Réunionnais consommant l'eau du réseau public).
• La Réunion est par ailleurs touchée
par un problème important d'habitat dégradé, avec
16 000 logements insalubres, soit 6 % du
parc
14
(
*
)
.
S'agissant du logement social, l'écart entre le nombre de logements
existant et la demande est structurellement très
élevé : 22 000 ménages sont actuellement dans
l'attente de l'attribution d'un logement, avec des délais pouvant aller
jusqu'à cinq ans. Ces différents éléments
favorisent bien évidemment les pratiques des marchands de sommeil.
• Des problèmes liés à des
intoxications au plomb, notamment sur le territoire de la commune du Port, ont
par ailleurs été signalés à votre
délégation.
* 7 Selon les résultats de l'étude Baromètre santé de 2014.
* 8 Il est cependant à noter que, avec un gain de 30 ans depuis le début des années 50, l'espérance de vie des réunionnais a fortement progressé et rattrape son retard par rapport à la métropole.
* 9 Les hommes sont particulièrement touchés : on relève un taux de décès prématuré deux fois plus important pour les hommes que pour les femmes, et 25 % plus élevé que pour les hommes de métropole. Cette surmortalité masculine marquée est en partie due aux conduites à risque (accidents de la vie quotidienne, alcool, tabac).
* 10 Sur ce dernier point, voir infra.
* 11 Les arboviroses sont des affections d'origine virale causées par des arbovirus, notamment transmis par des moustiques ou des tiques. Figurent notamment parmi les arboviroses la dengue, la fièvre jaune, l'encéphalite japonaise, le chikungunya ou encore le zika.
* 12 En langue Makondée, chikungunya signifie « qui marche courbé en avant », et évoque la posture adoptée par les malades en raison des intenses douleurs articulaires.
* 13 Voir sur ce point le communiqué de l'Institut Pasteur : http://www.pasteur.fr/fr/institut-pasteur/presse/documents-presse/zika-confirmation-d-un-lien-causalite-entre-le-virus-zika-et-les-syndromes-guillain-barre.
* 14 Chiffres communiqués par l'agence de santé Océan Indien à partir des données de l'Agence pour l'observation de La Réunion, l'aménagement et l'habitat (Agorah).