Rapport d'information n° 745 (2015-2016) de Mme Chantal JOUANNO , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 30 juin 2016
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AVANT-PROPOS
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I. - Échange entre Gérard Larcher,
président du Sénat,
les sénatrices et les membres de la délégation
aux droits des femmes
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II. - Rencontre avec des Meilleures
ouvrières de France
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III. - Questions d'actualité au
Gouvernement
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IV. - Projection du film de
Frédérique Bedos
« Des femmes et des hommes »
N° 745
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016
Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 juin 2016 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur « Le 8 mars 2016 au Sénat » dans le cadre de la célébration de la Journée internationale des droits des femmes ,
Par Mme Chantal JOUANNO,
Sénatrice.
(1) Cette délégation est composée de : Mme Chantal Jouanno, présidente , Mmes Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, M. Roland Courteau, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Gonthier-Maurin, M. Alain Gournac, Mmes Christiane Kammermann, Françoise Laborde, Michelle Meunier, M. Cyril Pellevat, vice-présidents ; M. Mathieu Darnaud, Mmes Jacky Deromedi, Danielle Michel, secrétaires ; Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, M. Patrick Chaize, Mmes Laurence Cohen, Chantal Deseyne, M. Jean-Léonce Dupont, Mmes Anne Emery-Dumas, Dominique Estrosi Sassone, Corinne Féret, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Génisson, Éliane Giraud, Sylvie Goy-Chavent, Christiane Hummel, Mireille Jouve, M. Marc Laménie, Mme Claudine Lepage, M. Didier Mandelli, Mmes Marie-Pierre Monier, Patricia Morhet-Richaud et M. Philippe Paul . |
AVANT-PROPOS
Dès le début de la session parlementaire 2015-2016, la délégation aux droits des femmes a souhaité que le programme du mardi 8 mars 2016 porte la marque de la Journée internationale des droits des femmes 1 ( * ) .
Après un échange de vues entre la délégation aux droits des femmes et Gérard Larcher, président du Sénat, auquel étaient conviées toutes les sénatrices, la délégation a organisé une rencontre avec des femmes « Meilleures ouvrières de France ».
Cette réunion, dont Christiane Hummel avait pris l'initiative, était une première au Sénat. Elle s'inscrivait dans la réflexion de la délégation aux droits des femmes sur l'égalité professionnelle et sur la nécessité de favoriser l'orientation des jeunes filles vers des filières de formation présentant des perspectives d'avenir.
La rencontre, ouverte par le président du Sénat, a été, fait sans précédent, présidée par trois sénatrices : Chantal Jouanno (UDI - UC, Paris) pour la délégation aux droits des femmes, Catherine Morin-Desailly (UDI - UC, Seine-Maritime), pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et Élisabeth Lamure (Les Républicains, Rhône), pour la délégation sénatoriale aux entreprises.
Avec l'accord des groupes politiques représentés au Sénat, la séance des questions d'actualité au Gouvernement de l'après-midi du mardi 8 mars a très largement reflété le thème de cette journée, puisque l'intégralité des questions a été posée par des sénatrices, certaines de ces questions portant sur des sujets concernant la situation des femmes.
En fin d'après-midi, à l'initiative de la délégation aux droits des femmes et de la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, il a été procédé à une projection du documentaire de Frédérique Bedos, Des femmes et des hommes .
Ce film, résultat d'une enquête effectuée en 2014 et 2015, souligne combien l'égalité entre les femmes et des hommes n'est, actuellement, nulle part dans le monde, un processus naturel.
Cette projection, ouverte au public, a été suivie d'un débat intitulé « L'égalité entre les femmes et les hommes en 2016 : un processus menacé ? », qui a eu lieu en présence de la réalisatrice, dont l'ONG d'information, Le projet Imagine , a été créée pour inspirer et mobiliser le grand public autour des défis majeurs de notre temps, à partir de l'action exemplaire de « héros anonymes ».
Ce volume 2 ( * ) présente le compte-rendu de ces quatre événements, qui ont fait du 8 mars 2016 au Sénat une journée particulièrement riche, dédiée aux droits des femmes et à la lutte pour l'égalité entre les femmes et les hommes.
I. - Échange entre
Gérard Larcher, président du Sénat,
les
sénatrices et les membres de la délégation
aux droits
des femmes
1.
ALLOCUTION DE CHANTAL JOUANNO, PRÉSIDENTE DE LA
DÉLÉGATION
AUX DROITS DES FEMMES
Monsieur le président, chères collègues sénatrices, chers collègues de la délégation aux droits des femmes,
Tout d'abord un grand merci, Monsieur le président, d'avoir pris l'initiative de réunir autour de vous, en cette journée du 8 mars, vos collègues sénatrices et les membres de la délégation aux droits des femmes que j'ai l'honneur de présider depuis novembre 2014. C'est une première au Sénat et nous sommes particulièrement heureux d'échanger avec vous aujourd'hui.
Je vous remercie beaucoup, aussi, en mon nom et au nom de mes collègues de la délégation, d'avoir facilité l'organisation de ce 8 mars très particulier au Sénat, puisque nous aurons tout à l'heure en salle Médicis, avec des « Meilleures ouvrières de France », une réunion que vous nous faites l'honneur d'ouvrir : nous y sommes tous et toutes ici très sensibles.
Je voudrais pour ma part profiter de cette journée pour vous faire passer quelques messages.
Tout d'abord, le Sénat s'est considérablement féminisé ces dernières années, mais il faut aller plus loin encore.
En 1999, les sénatrices représentaient 6 % seulement de notre assemblée ; nous sommes 91 aujourd'hui, soit 26,1 %.
C'est un progrès, et il faut le saluer, mais n'oublions pas que notre pays ne figure qu'au 48 ème rang mondial pour la féminisation de son Parlement 3 ( * ) .
Cette progression ne s'est d'ailleurs pas faite de manière régulière : au début de la Quatrième République, 20 femmes ont fait leur entrée au Conseil de la République élu en 1947 ; en 1979, le Sénat de la Cinquième République n'en comptait plus que 4 !
Lors du renouvellement de 2017, nous devrons donc être très vigilants sur ce point. 26 %, ce n'est pas assez encore !
Mon deuxième message est que nous sommes prêtes, Monsieur le président, à exercer plus de responsabilités au sein du Sénat.
Trois vice-présidentes font partie du Bureau du Sénat et nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais il n'y a jamais eu au Sénat de femme « questeure ». Pourtant, c'est une fonction que nous sommes prêtes, je pense, à exercer.
Sur huit présidences de commission (les sept commissions permanentes et la commission des affaires européennes), on ne compte que deux sénatrices. Cela correspond strictement, ni plus, ni moins, à la proportion de femmes siégeant dans notre hémicycle. À l'Assemblée nationale, quatre commissions permanentes sur huit sont présidées par des députées, et pourtant la proportion de femmes parmi les députés est la même que dans notre assemblée...
Ne faudra-t-il pas y penser lors du prochain renouvellement ?
Enfin, s'il est important de réfléchir à la défense des droits des femmes chaque 8 mars - comment pourrais-je dire le contraire ? - la dégradation de la situation des femmes dans le monde actuel devrait nous inciter à prolonger cette réflexion en dehors de cette journée particulière... La délégation aux droits des femmes s'y emploie au quotidien et je vous remercie, Monsieur le président, de l'attention que vous portez à nos travaux.
2. ALLOCUTION DE GÉRARD LARCHER, PRÉSIDENT DU SÉNAT
Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, chère Chantal Jouanno, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d'accueillir aujourd'hui, dans ces Salons de Boffrand de la Présidence du Sénat, l'ensemble des collègues sénatrices ainsi que les membres de la délégation aux droits des femmes, que vous présidez, chère Chantal Jouanno. Je dois dire que vous avez répondu très nombreuses et nombreux à cette invitation que je vous ai adressée à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes pour 2016.
C'est une première, comme vous le rappeliez, dans l'enceinte de notre Haute Assemblée que de réunir ainsi, autour du président du Sénat, les 91 sénatrices et les 10 sénateurs sur les 36 membres que compte la délégation aux droits des femmes. J'ai bien conscience que ce moment de rencontre, qui n'est pas seulement une marque de reconnaissance de votre rôle essentiel au sein du Sénat, répondait à une attente partagée.
Lorsque vous êtes venu me présenter, il y a quelques mois, Madame la présidente, l'organisation de cette journée au Sénat, nous avons réfléchi ensemble à un événement pour le 8 mars 2016. C'est ainsi qu'est née cette idée d'une rencontre et d'un temps d'échanges entre nous sur l'exercice du mandat de sénatrice.
Mesdames les sénatrices, vous représentez aujourd'hui plus d'un quart des membres de notre assemblée. C'est le chiffre le plus élevé depuis le début de la Cinquième République, comme vous l'avez souligné, et pour la première fois, le Bureau du Sénat compte trois vice-présidentes.
Jusqu'au début des années 2000, je dois reconnaître que quatre mains suffisaient à vous compter. Ce sont finalement les élections de 2008 et de 2014 qui marquent la plus forte progression du nombre de femmes au sein de l'hémicycle du Sénat, avec respectivement près de 22 % et 26 % d'élues. Chez nos collègues de l'Assemblée nationale, c'est lors des élections législatives de 2012 que le seuil symbolique des 20 % est franchi ! Mais il reste à faire. Et le Sénat peut mieux faire. Par votre exemple, par votre implication dans le travail parlementaire et par votre assiduité remarquable. La promotion de la parité demeure pour chaque mouvement politique un objectif à faire sien.
C'est la loi du 12 juillet 1999, adoptée à l'unanimité - il est important de le rappeler -, qui a institué, dans chaque assemblée, une délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Sa création répondait à la nécessité d'une veille parlementaire sur ce sujet de l'égalité réelle, qui est différent, il convient de le souligner, de l'égalité des droits inscrite dans la Constitution. Depuis seize ans, les cinq présidentes - Mesdames Dinah Derycke, Gisèle Gautier, Michèle André, Brigitte Gonthier-Maurin, et Chantal Jouanno - et les membres qui s'y sont succédé, et que je tiens à saluer tout particulièrement à cette occasion, ont su répondre par les nombreux travaux qu'ils ont conduits, à l'ambition affichée, en juillet 1999, par le président de la commission des lois, Jacques Larché : « nous voulions créer cette délégation, nous voulions qu'elle soit efficace et que par, les travaux qu'elle entreprendra, elle apporte un éclairage utile au Parlement » .
Je ne citerai qu'un exemple très récent sur cet éclairage que vous apportez à notre assemblée. Il s'inscrit dans le sujet des femmes victimes de la traite des êtres humains, que vous avez choisi d'aborder cette année. En effet, la réflexion que vous menez sur la situation des femmes partout dans le monde vous conduit à des rencontres exceptionnelles auxquelles je suis aussi très attentif. Je n'oublie pas cet entretien, dans mon bureau, dont vous êtes à l'initiative, chère Chantal Jouanno, le 18 février dernier, avec Nadia Mourad Basee Taha, cette jeune femme yézidie, enlevée par Daech, qui nous a livré un témoignage si bouleversant, et qui m'a conduit à solliciter pour elle une audience du Président de la République.
À la fin du mois, le 31 mars, j'aurai également le plaisir d'ouvrir le colloque organisé par la délégation sur l'engagement citoyen des femmes qui mettra en valeur les services qu'elles accomplissent dans le monde associatif.
Je vous souhaite à toutes et à tous un excellent moment de partage et d'échanges. Nous immortaliserons ce moment par une photographie, prévue à l'issue de cette rencontre. Je vous remercie.
II. - Rencontre avec des Meilleures ouvrières de France4 ( * )
Le concours « Un des Meilleurs Ouvriers
de France » :
- 25 concours ont été organisés depuis 1924 ; - 9 006 titres « Un des Meilleurs Ouvriers de France » ont été décernés depuis la création du concours ; - l'organisation du concours s'appuie sur plus de 2 500 bénévoles, plus de 1 000 jurys professionnels, 140 jurys généraux supervisant les épreuves et 90 établissements (lycées, centres de formations pour adultes (CFA), entreprises, fédérations professionnelles, musées, etc.) accueillant les épreuves qualificatives et finales sur le territoire français ; - 2 587 candidats issus de France métropolitaine, d'outre-mer et de l'étranger ont participé au dernier concours de MOF, dont 74 candidats ultramarins ; - les inscriptions sont ouvertes pendant six mois (la seule condition est d'être âgé d'au moins 23 ans) ; - un concours se déroule sur deux ans et demi environ ; après les épreuves de qualification sont organisées les épreuves finales ; - le coût du concours est estimé par le COET à 4 000 euros par candidat ; - la cérémonie de remise des médailles est organisée dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, puis le Président de la République reçoit les lauréats à l'Élysée ; - la moyenne d'âge des candidats est de 38 ans. Les épreuves portent sur 210 métiers répartis dans 17 groupes de métiers : - 6 métiers de la restauration et de l'hôtellerie ; - 9 métiers de l'alimentation ; - 36 métiers du bâtiment et du patrimoine architectural ; - 23 métiers du textile et du cuir ; - 23 métiers du bois et de l'ameublement ; - 6 métiers des métaux ; - 14 métiers de l'industrie ; - 21 métiers de la terre et du verre ; - 7 métiers du vêtement ; - 16 métiers des accessoires de la mode et de la beauté ; - 6 métiers de la bijouterie ; - 13 métiers des techniques de précision ; - 5 métiers de la gravure ; - 19 métiers de la communication, du multimédia, de l'audiovisuel ; - 4 métiers liés à la musique ; - 5 métiers de l'agriculture et de l'aménagement du paysage ; - 7 métiers du commerce et des services. Chacun des concours repose sur l'intervention d'un « président de classe », chargé de créer le référentiel métier des épreuves, d'organiser la tenue de celles-ci et de définir les sujets ainsi que la composition des jurys qui, dans un souci d'équilibre, ne comportent pas plus de 50 % de MOF. |
1. INTRODUCTION : ÊTRE MEILLEURE OUVRIÈRE DE FRANCE AUJOURD'HUI
Le dialogue qui s'est instauré entre sénateurs et Meilleures ouvrières de France au cours de cette réunion a mis en évidence les éléments suivants :
- l'attachement des Meilleures ouvrières de France aux valeurs d'excellence et de rigueur et la passion communicative avec laquelle elles parlent de leur travail ;
- le souhait d'une meilleure valorisation de leur concours et d'une meilleure communication sur un titre finalement trop mal connu ;
- la forte implication de bénévoles dans l'organisation des concours ;
- la diversité de métiers exercés par les Meilleurs ouvriers de France (le concours est en réalité décliné en 210 métiers 6 ( * ) ), alors que ce titre est associé principalement, dans l'esprit du public, aux métiers de bouche et à l'artisanat d'art.
Les témoignages des jeunes femmes portant le titre de « meilleure apprentie » ont confirmé l'intérêt de l'apprentissage pour celles et ceux qui s'orientent vers un métier manuel, par rapport au bac professionnel que ces témoignages ont considéré comme relativement théorique.
Les échanges qui ont pu avoir lieu à l'occasion de cette réunion ont mis en évidence des traits communs entre le vécu des Meilleures ouvrières de France et les constats opérés par les femmes dans bien d'autres secteurs d'activité :
- cette rencontre a tout d'abord confirmé le sentiment que, pour les Meilleures ouvrières de France comme pour beaucoup de femmes, il faut, pour être considérées et pour réussir, être « meilleures que les hommes » ;
- s'est exprimé également le sentiment d'une certaine « invisibilité ». Ainsi une restauratrice de pianos a-t-elle estimé que, malgré la qualité du travail accompli parfois « dans l'ombre », les femmes MOF apparaissent peu dans les lieux de prestige que sont, par exemple, les salles de concerts ;
- par ailleurs, le témoignage d'une jeune femme « meilleure apprentie » a mis en évidence une relative inadaptation de certaines formations aux élèves de sexe féminin, qu'il s'agisse des activités sportives proposées ou des locaux (ce qui semble concerner, par exemple, les vestiaires).
Enfin, la délégation aux droits des femmes l'a appris avec étonnement, ce n'est que depuis 2003 que les femmes peuvent être reçues en tant que compagnons , à l' Association ouvrière des Compagnons du Devoir et du Tour de France (AOCDTF) ; l'accès des femmes était en réalité permis depuis 1998-1999, mais sans que cela soit connu, semble-t-il. En revanche, l' Union compagnonnique du Tour de France n'accepte toujours pas les femmes, comme le montrent les captures d'écran ci-après.
Selon le site des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis , à la rubrique FAQ, à la question : « Une jeune fille peut-elle devenir « compagnon » à l' Union compagnonnique ? », il est répondu : « Aujourd'hui, seuls les garçons peuvent prétendre devenir compagnons. Cependant, compte tenu de l'évolution concernant les femmes dans les métiers manuels, l'Union compagnonnique réfléchit à une éventuelle venue des femmes dans le monde compagnonnique. Un groupe de compagnons est chargé d'étudier cette éventualité ainsi que d'en définir les modalités » 7 ( * ) .
La délégation aux droits des femmes ne peut souscrire à cette exclusion et espère que l' Union compagnonnique évoluera dans le sens d'une réelle égalité entre hommes et femmes.
Les femmes et le concours « Un des
Meilleurs Ouvriers de France » :
- 532 femmes inscrites, soit 20,6 % de candidates (total des inscrits : 2 587) ; - 160 candidates qualifiées, soit 21 % de femmes (total des qualifiés : 762) ; - 53 « Meilleures Ouvrières de Frances » désignées, soit 23,6 % de femmes au total (total des MOF : 225).
Les femmes inscrites aux concours par groupe de
métiers
- Groupe VII : Métiers de l'industrie : 0 femme sur 63 candidats - Groupe XV : Métiers liés à la musique : 0 femme sur 21 candidats - Groupe XII : Métiers des techniques de précision : 2 femmes sur 95 candidats (soit 2,1 % des candidats de ce groupe) - Groupe VI : Métiers des métaux : 1 femme sur 14 candidats (soit 7,2 % des candidats de ce groupe) - Groupe III : Métiers du bâtiment et du patrimoine architectural : 23 femmes sur 312 candidats (soit 7,4 % des candidats de ce groupe) - Groupe II : Métiers de l'alimentation : 33 femmes sur 394 candidats (soit 8,4 % des candidats de ce groupe) - Groupe I : Métiers de la restauration et de l'hôtellerie : 80 femmes sur 832 candidats (soit 9,62 % des candidats de ce groupe) - Groupe XI : Métiers de la bijouterie : 11 femmes sur 48 candidats (soit 22,9 % des candidats de ce groupe) - Groupe V : Métiers du bois et de l'ameublement : 34 femmes sur 143 candidats (soit 23,8 % des candidats de ce groupe) - Groupe XVI : Métiers de l'agriculture et de l'aménagement du paysage : 21 femmes sur 79 candidats (soit 26,6 % des candidats de ce groupe) - Groupe XIV : Métiers de la communication, du multimédia, de l'audiovisuel : 50 femmes sur 151 candidats (soit 33,1 % des candidats de ce groupe) - Groupe XVII : Métiers du commerce et des services : 14 femmes sur 36 candidats (38,9 % des candidats de ce groupe) - Groupe VIII : Métiers de la terre et du verre : 49 femmes sur 107 candidats (soit 45,8 % des candidats de ce groupe) - Groupe XIII : Métiers de la gravure : 4 femmes sur 8 candidats (soit 50 % des candidats de ce groupe) - Groupe IV : Métiers du textile et du cuir : 23 femmes sur 37 candidats (soit 62,2 % des candidats de ce groupe) - Groupe X : Métiers des accessoires de la mode et de la beauté : 134 femmes sur 184 candidats (soit 72,9 % des candidats de ce groupe) - Groupe IX : Métiers du vêtement : 53 femmes sur 63 candidats (soit 84,1 % des candidats de ce groupe) |
Répartition hommes-femmes
Source : COET, mai 2016
Si l'on se réfère au dernier concours de 2013-2015, le titre de MOF ne concerne encore que 23,6 % de femmes : la proportion de sénatrices (26 %) n'est donc pas sensiblement supérieure à celle des meilleures ouvrières de France...
À ce jour, les femmes ne représentent que 20,6 % des candidats, ce qui souligne l' importance d'une meilleure communication à destination des femmes pour encourager leurs candidatures .
On constate par ailleurs que les métiers dans lesquels concourent les femmes demeurent les métiers considérés traditionnellement comme féminins. On ne compte ainsi aucune candidate, par exemple, dans les métiers de l' industrie ; une seule femme s'est présentée dans le groupe des métiers des métaux (7,2 % des candidats) ; deux ont été candidates dans la catégorie des métiers des techniques de précision (2,1 % des candidats de ce groupe). On note aussi l'absence de candidature féminine dans le groupe des métiers liés à la musique .
Cette logique conduit inversement à une très forte proportion de candidates dans les groupes de métiers suivants : accessoires de mode et de beauté (72,9 % des candidatures), métiers du vêtement (84,1 % des candidatures) et métiers du textile et du cuir (62,2 % des candidatures).
Certains responsables du concours de MOF ont estimé possible de féminiser le concours en créant de nouvelles épreuves adaptées au profil de l'emploi féminin. Celui-ci étant davantage représenté dans les activités tertiaires, un concours de « conseil en solutions sanitaires », par exemple, a été mis en place récemment : la dernière promotion a été à majorité féminine. Dans le même esprit ont été favorisées des épreuves permettant la participation de personnes travaillant dans des bureaux d'études du bâtiment.
Certes, ces évolutions procèdent d'une intention louable de féminiser le titre de MOF. Mais ces choix ne semblent pas de nature à permettre véritablement d'évoluer vers l'égalité professionnelle, qui exige un travail en profondeur pour encourager l'orientation des jeunes filles vers des métiers non typiquement féminins.
Les témoignages de jeunes femmes exerçant les métiers de carreleur , de charpentier et de peintre en carrosserie (nous ne féminisons pas ces fonctions puisque les témoins elles-mêmes semblent ne pas y tenir) ont confirmé qu' aucune profession ne devrait être fermée aux femmes et que celles-ci ont toute leur place dans des métiers considérés a priori comme masculins , non seulement parce qu'elles l'exercent avec talent (leur titre de meilleure ouvrière ou de meilleure apprentie le prouve, si cela était nécessaire), mais aussi parce qu'elles témoignent d'une véritable passion pour leur travail , que beaucoup de salariés pourraient leur envier...
La délégation ne peut, face à ces témoignages éclairants, que déplorer le poids regrettable des stéréotypes masculins et féminins dans la persistance des inégalités professionnelles entre hommes et femmes . Elle souhaite souligner la nécessité de lutter contre les préjugés qui reviennent à priver notre société de nombreux talents. Faut-il rappeler que les femmes représentent la moitié de l'humanité et que les exclure, de quelque secteur d'activité que ce soit, constitue une sorte de « perte de chance » pour l'avenir de notre économie ?
2. PROGRAMME DE LA RENCONTRE AVEC DES MEILLEURES OUVRIÈRES DE FRANCE
3. COMPTE RENDU DE LA RENCONTRE
Gérard Larcher, président du Sénat . - Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, chère Chantal Jouanno, Madame la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, chère Catherine Morin-Desailly, Madame la présidente de la délégation du Sénat aux entreprises, chère Élisabeth Lamure, chère Christiane Hummel, mes chères collègues sénatrices, Madame la présidente Hélène Luc, toujours fidèle à nos manifestations, Mesdames et Messieurs les Meilleurs ouvriers de France.
Mes saluts s'adressent aussi aux jeunes ici présents.
J'ai souhaité venir à votre rencontre cet après-midi dans un lieu incarnant une femme, Marie de Médicis, qui a affronté un destin terrible lorsque son époux, le roi Henri IV, fut assassiné puis lorsque, victime de la Journée des dupes, elle connut l'exil et termina son destin dans la solitude.
Quand j'ai appris qu'une rencontre était organisée dans l'enceinte du Palais du Luxembourg avec des femmes MOF, j'ai tenu à venir vous saluer et à vous souhaiter à toutes, ici présentes, la bienvenue au Sénat.
Je félicite tout particulièrement, en cette journée du 8 mars, la délégation aux droits des femmes et les 91 sénatrices présentes dans notre assemblée. Certes, la féminisation du Sénat progresse, mais nous pouvons encore faire mieux !
Je tiens enfin et surtout à féliciter Christiane Hummel qui est à l'origine de cet événement.
Cette rencontre conjointe constitue une première pour les trois structures sénatoriales qui sont à l'origine de notre réunion : la délégation aux droits des femmes, bien sûr, la commission de la culture, dont les compétences touchent aussi à l'éducation et à la formation, et la délégation aux entreprises qui, en dix-huit mois, a déjà mené une action dynamique en faveur notamment de l'apprentissage, sujet que vous connaissez bien, Mesdames les Meilleures ouvrières de France.
Toutes les initiatives qui concourent à faire évoluer les mentalités et à valoriser la formation par l'alternance et l'apprentissage, qui reste encore trop souvent le parent délaissé de notre système de formation, contrairement à ce qui se passe chez beaucoup de nos voisins européens, doivent être encouragées. Les parcours d'excellence qui sont les vôtres, ce que vous représentez pour notre pays, constituent un exemple pour de nombreuses jeunes filles. La Rochefoucauld, dans l'une de ses maximes, soulignait que « l'exemple en dit plus que les paroles ». Et en effet, votre présence et votre exemple en disent beaucoup plus que de grands discours !
Au Sénat, nous sommes engagés en faveur de la formation professionnelle et de l'apprentissage. C'est pourquoi nous voulons continuer à agir et formuler des propositions dans ce domaine.
D'abord, en exerçant notre mission de législateur : une proposition de loi sera ainsi débattue au printemps. Autour d'un pacte national pour l'apprentissage, il s'agira d'accroître la place des régions, d'offrir des formations plus adaptées aux besoins des entreprises et des jeunes et de simplifier les procédures.
Un colloque a été organisé en ces lieux voilà quelques mois. Pour moi qui ai été ministre du travail et de la formation professionnelle, douze ans après avoir martelé, avec Jean-Louis Borloo, notre volonté de favoriser l'apprentissage, c'est un regret de constater que nous n'avons pas encore gagné la partie dans ce domaine.
Ensuite, nous avons voulu que le Sénat soit, lui-même, exemplaire. Nous avions commencé avec des apprentis dans nos services techniques, comme les cuisines ou l'entretien des jardins. Nous avons décidé d'élargir l'accueil d'apprentis à toutes les directions du Sénat, y compris aux directions chargées des missions institutionnelles. Notre objectif est, à la prochaine rentrée, d'accueillir treize apprentis. Il ne suffit pas de voter la loi, il faut également l'appliquer soi-même. Nous serons peut-être parmi les premières institutions à nous engager dans cette voie de l'accueil d'apprentis, et j'espère que notre exemple sera contagieux ! Nous aurons ainsi contribué à décloisonner le concept de l'apprentissage au sein même de notre institution.
Il ne suffit pas de se préoccuper, une journée par an, de la situation des femmes. Cette rencontre montrera que, dans vos métiers respectifs, vous faites bouger des lignes et que la place des femmes dans l'entreprise est en train d'évoluer. C'est aussi ce qu'Élisabeth Lamure nous démontre : il est significatif qu'une femme préside cette délégation. Il faut dire qu'elle s'imposait tout naturellement pour cette mission.
Je vous souhaite, cet après-midi au Sénat, des échanges stimulants. C'est une occasion de montrer que la parité constitue une chance pour les femmes comme pour les hommes, mais surtout pour la société, à un moment où elle est confrontée à plusieurs défis.
Soyez tous attentifs à un principe sur lequel nous avons progressé ensemble, par la volonté des femmes, essentiellement depuis la fin du XIX ème siècle. Nous devons centrer les valeurs de la République autour des principes d'équité, d'égalité et de respect mutuel entre les hommes et les femmes. Ces valeurs font partie des valeurs de la République. La liberté, l'égalité et la fraternité représentent de grands principes, mais en cette période où la menace obscurantiste étend son ombre sur notre planète, il est bon de porter le regard vers la lumière des femmes et de poser le principe de la parité comme l'une des chances de notre société.
Pour conclure, mesdames et messieurs, quel meilleur symbole, en cette journée du 8 mars, que cette rencontre entre des femmes investies de responsabilités importantes au Sénat et des femmes qui, par leurs métiers respectifs, font bouger les lignes pour faire évoluer la place des femmes dans le monde de l'entreprise et de l'artisanat ?
Je vous souhaite un très bon après-midi au Sénat.
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci, Monsieur le Président, pour votre témoignage et votre participation à cette journée.
Le fait de présider la délégation aux droits des femmes me vaut l'honneur d'intervenir après vous en cette Journée internationale des droits des femmes . Je tiens à remercier tout particulièrement Christiane Hummel d'avoir pris l'initiative de cette rencontre, une grande première, comme vous l'avez fait remarquer, pour les présidentes de la commission de la culture, de la délégation aux entreprises et de la délégation aux droits des femmes.
Mesdames les Meilleures ouvrières de France, j'attache beaucoup d'intérêt à ces échanges avec vous, aujourd'hui, au Sénat. Comme on vous l'a sans doute dit maintes fois, vous représentez l'excellence. Or l'excellence est un terme féminin, même s'il ne renvoie pas toujours, dans nos constructions mentales, à une image féminine. Il est regrettable de constater que, avec 23 % de femmes parmi les Meilleurs ouvriers de France, vous soyez encore moins nombreuses que nous, les sénatrices, qui représentons 26 % des membres du Sénat. Je souhaite que, les unes et les autres, nous progressions régulièrement en nombre dans nos domaines respectifs.
La notion d'excellence est particulièrement importante. L'excellence n'est en soi ni féminine ni masculine. Ce que vous voulez, c'est donner le meilleur, comme nous dans notre travail de sénatrices. Nous voulons être jugées simplement sur nos réalisations, parce que nous cherchons le meilleur, que ce soit en politique ou dans nos métiers respectifs.
Pour nous, la féminisation des Meilleurs ouvriers de France doit absolument s'étendre aux métiers considérés comme masculins. Je pense au bâtiment, dont une représentante est présente dans cet hémicycle aujourd'hui, au secteur de l'industrie et, plus particulièrement, à celui de l'automobile.
Par le biais de l'apprentissage, nous avons les moyens de faire progresser la présence des femmes et, surtout, de lutter contre les stéréotypes qui enferment les femmes dans des fonctions et des comportements considérés comme féminins. Il s'agit là d'une préoccupation constante de la délégation. Qu'ils soient véhiculés de manière consciente ou inconsciente, les stéréotypes existent partout. Dès le plus jeune âge, par exemple dans les jouets que nous offrons à nos enfants (c'est un sujet sur lequel la délégation a travaillé en 2014), dans les mots que nous prononçons devant eux, dans l'éducation que nous leur donnons, nous transmettons des stéréotypes.
Nous allons travailler prochainement sur un sujet qui pourrait faire sourire : « Femmes et voitures ». Là encore, que de clichés ! Les femmes ne savent pas faire de créneau, elles n'avancent pas, n'ont pas le sens de l'orientation, ne savent pas changer une roue, etc. Pour ce qui me concerne, tout n'est pas entièrement faux... À travers ce rapport d'information, nous souhaitons également aborder des sujets plus fondamentaux, comme la précarisation des femmes qui n'ont pas accès à un moyen de déplacement, les difficultés pour obtenir le permis de conduire et la place des femmes dans les métiers de l'automobile. Nous solliciterons tous les témoignages nécessaires : nous aurons l'occasion d'en reparler lorsque nous lancerons nos premières auditions.
Stéréotypes et excellence : je pense que voilà les maîtres mots, poru ce qui me concerne, de cette rencontre.
Je laisse maintenant la parole à Catherine Morin-Desailly.
Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Mesdames et Messieurs, je suis heureuse de retrouver celles et ceux dont j'ai pu faire la connaissance grâce à Christiane Hummel ce matin. Comme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises, je vous souhaite très chaleureusement la bienvenue au Sénat.
En préambule, je tiens à remercier, moi aussi, notre collègue Christiane Hummel. Elle a le double mérite d'être un membre actif de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la délégation aux droits des femmes. Elle n'est d'ailleurs pas la seule dans cet hémicycle. Je salue les sénatrices qui, comme Maryvonne Blondin, se montrent très actives pour pousser les sujets concernant les femmes au sein de la commission de la culture.
Le titre de Meilleur ouvrier de France que vous portez récompense l'excellence professionnelle élevée à son plus haut degré. Ancien professeur, je sais que ce titre consacre un long parcours, des études exigeantes, difficiles et une discipline souvent sans faille dans le travail et l'apprentissage. Chantal Jouanno a évoqué différents métiers plus ou moins liés à l'apprentissage. Les métiers de bouche sont souvent mis en avant dans la profession, mais il ne faut pas oublier tous les métiers de l'artisanat, notamment de l'artisanat d'art, auxquels notre commission est particulièrement attachée.
L'excellence au féminin est particulièrement importante. Dans vos professions respectives, elle est souvent incarnée par des hommes. Or, votre présence ici démontre que les femmes ont la capacité de faire carrière, réussir, s'illustrer. À travers votre engagement, vous défendez donc la cause de toutes les femmes, dans tous les secteurs professionnels.
Le Sénat entretient une relation particulière avec la Société des Meilleurs ouvriers de France. C'est au Palais du Luxembourg, en effet, que sont remis chaque année les prix du concours de Meilleur apprenti de France qui récompense l'excellence des apprentis engagés sur le chemin de la réussite et de l'emploi.
La commission de la culture, de l'éducation et de la communication que j'ai l'honneur de présider est très engagée à la fois sur le sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes et sur la promotion des métiers manuels et des métiers de l'artisanat. Le mot « manuel » pourrait être considéré comme un terme dévalorisant. Ce n'est pas le cas. Il faut assumer ce terme. Il existe différents types d'intelligence, différents parcours de réussite pour nos jeunes. Nous devons nous y atteler pour faire avancer notre système éducatif.
Si les filles obtiennent généralement de meilleurs résultats scolaires, on constate toutefois qu'elles sont moins nombreuses à s'orienter vers certains métiers, notamment scientifiques. Dans les filières de la production et de l'artisanat, des secteurs restent encore insuffisamment connus des jeunes filles et nécessitent une attention accrue de la part du corps professoral et de tous ceux qui contribuent à l'orientation des jeunes.
Plus encore qu'aux obstacles institutionnels ou aux stéréotypes, c'est aux représentations que se heurte l'accès des jeunes filles à ces filières et ces professions. Il faut travailler pour lever les réticences des jeunes filles et les conduire à une meilleure appréciation de certaines voies de réussite et d'apprentissage. Notre commission a réfléchi à la manière de faire avancer le sujet. Nous avons engagé un grand travail sur l'orientation. Aucun rapport de fond n'a été réalisé ces dernières années sur ce thème clé, situé au coeur de l'éducation.
Mes collègues ont donc lancé un travail de terrain et réalisé plusieurs auditions afin de formuler des propositions qui pourront peut-être donner lieu à des avancées législatives. Parmi les thèmes retenus dans cette mission sur l'orientation figurent bien entendu la question des stéréotypes sexués et la revalorisation de l'apprentissage, auquel le Sénat est très attaché.
Je tenais à vous dire en conclusion toute mon admiration et ma reconnaissance pour la réussite que vous illustrez aujourd'hui. Vous êtes autant de modèles à suivre pour tous les jeunes qui s'interrogent sur leur avenir. Pouvoir suivre des modèles constitue la meilleure façon de s'engager dans les études, puis dans la vie professionnelle. Vous incarnez ces modèles. Je vous en félicite, au nom de notre commission.
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - La parole est à Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises.
Élisabeth Lamure, présidente de la délégation du Sénat aux entreprises . - Mesdames les présidentes, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises que j'ai l'honneur de représenter, permettez-moi de vous dire tout le plaisir que j'ai d'être associée à cette rencontre. Je remercie Chantal Jouanno pour son invitation, ainsi que ma collègue Christiane Hummel pour son heureuse initiative.
La délégation aux entreprises a été créée voilà un peu plus d'un an à l'initiative du président du Sénat, Gérard Larcher. Sa mission est de nouer un dialogue entre le Sénat et les entreprises, qui font la croissance et l'emploi dans les territoires. Notre objectif est non seulement de mieux faire entendre la voix des entreprises au Parlement, mais aussi de rétablir la confiance des entreprises envers le législateur.
Pour cela, nous avons choisi d'aller à la rencontre des entrepreneurs là où ils sont, dans les territoires. Depuis plus d'un an, la délégation aux entreprises s'est ainsi déplacée dans une dizaine de départements. Elle y a rencontré plus de 200 entrepreneurs, avec des métiers très différents. De nombreux entrepreneurs ont souligné leurs difficultés pour recourir à l'apprentissage, alors même qu'ils nous ont affirmé combien ils en avaient besoin. Je me souviens en particulier de l'un d'eux, dans la Drôme, qui nous a dit que les compagnons étaient très précieux pour son entreprise, presque plus que les ingénieurs, car ils n'ont pas d'équivalent. Au moment où un quart de nos jeunes se retrouve au chômage, promouvoir l'apprentissage nous est vite apparu comme une urgence.
Nous avons organisé ici même une table ronde sur l'apprentissage en octobre dernier, et nous avons démarré un travail approfondi pour identifier tous les freins au développement de l'apprentissage et pour tenter de le réformer, de le rendre plus accessible et d'augmenter le nombre d'apprentis.
Au terme de ce travail, notre délégation a élaboré une proposition de loi qui a tout récemment été déposée sur le Bureau du Sénat 9 ( * ) . Le texte a plusieurs ambitions : redéfinir les objectifs de l'apprentissage, instaurer un pacte national pour favoriser son essor, renouveler la gouvernance et affirmer le rôle des régions dans ce domaine, offrir des formations plus adaptées aux besoins des jeunes et des entreprises, et prévoir des mesures de simplification administrative pour les entreprises, un sujet lui aussi très souvent évoqué.
J'espère que ce texte pourra bientôt être adopté par le Sénat, qui a depuis longtemps manifesté son attachement à l'apprentissage. Le 13 avril prochain, le Sénat accueillera d'ailleurs les seizièmes Rencontres sénatoriales de l'apprentissage.
Développer l'apprentissage comme une voie de réussite, cela passe aussi par une meilleure reconnaissance des métiers auxquels il forme. Cette reconnaissance n'est pas du ressort de la loi, mais notre réunion de ce jour peut sans doute y contribuer. Vous êtes en effet d'éminentes représentantes de ces savoir-faire qui font la fierté et la richesse de notre pays.
Et je me réjouis de voir autant de femmes parmi vous aujourd'hui. Je sais pourtant que les filles restent largement minoritaires dans l'apprentissage : un apprenti sur trois est une fille, un sur quatre seulement au niveau V.
Je sais aussi que des jeunes filles Meilleures apprenties se trouvent parmi nous. À elles, comme aux Meilleures ouvrières de France, je veux dire toute mon admiration. J'y vois un beau message, et j'espère qu'elles donneront envie à d'autres ! Je ne peux que les encourager à continuer à se perfectionner au sein des entreprises et, pourquoi pas, à créer leur propre entreprise !
J'ai souvent regretté le très petit nombre de femmes (si ce n'est leur absence) dans les tables rondes que la délégation aux entreprises organise avec des entrepreneurs lors de ses déplacements. Hier encore, en Saône-et-Loire, un bassin d'emploi pourtant très industriel, notre table ronde réunissait une vingtaine d'entrepreneurs ; une seule femme, cadre dans son entreprise, y participait. Les femmes doivent devenir plus nombreuses dans le monde de l'entrepreneuriat, mais aussi plus visibles. Je ne peux que vous encourager mutuellement dans cette voie.
Je tenais donc à vous féliciter, à vous témoigner toute mon admiration et à vous souhaiter une très bonne journée parmi nous.
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Vous avez raison d'insister sur les femmes entrepreneures. Souvent, les femmes se fixent à elles-mêmes des barrières et c'est vraiment regrettable... Je donne maintenant la parole à Christiane Hummel, qui va revenir avec nous sur l'origine de notre rencontre d'aujourd'hui.
Christiane Hummel . - Mesdames les présidentes, c'est plutôt à moi de vous adresser des remerciements. Je tiens en particulier à remercier le Président du Sénat qui a accepté notre proposition de rencontre avec enthousiasme, tout comme vous, Mesdames, qui avez accepté de participer à cette manifestation.
Je suis maire d'une commune ; un jour, mes collaborateurs m'ont signalé que notre commune comptait trois meilleurs apprentis de France. J'ai alors décidé d'organiser une manifestation pour les mettre à l'honneur. Jocelyne Caprile, ici présente, Meilleure ouvrière de France en teinturerie-apprêtage, accompagnait ces jeunes et leurs familles. Elle m'a expliqué le dispositif des « Meilleurs ouvriers de France ».
Nous ne connaissons pas assez bien l'apprentissage et les opportunités qu'il offre. Je peste lorsque, lors des journées portes ouvertes organisées dans les collèges de ma commune, on propose aux jeunes femmes le métier de secrétaire médicale, dont nous avons moins besoin que par le passé, alors qu'il faudrait leur présenter des secteurs porteurs, comme par exemple le bâtiment. Il me semblait important d'agir et j'ai donc proposé à Jocelyne Caprile de mettre en place une manifestation pour le 8 mars 2016. Petit à petit, nous avons progressé dans notre réflexion et nous voilà aujourd'hui dans cette salle du Sénat avec vous, Mesdames les présidentes.
Je suis vraiment honorée que vous ayez accepté de soutenir ce projet de réunion. Ce matin, en rencontrant chacune des Meilleures ouvrières de France présentes ici, j'ai compris que, au-delà de votre mérite et de votre excellence, vous aviez un coeur énorme, comme toutes les femmes d'ailleurs. Ce coeur vous conduit à vous tourner vers les autres, vers les apprentis, vers vos concitoyens.
Vous avez décidé en effet de créer une association pour promouvoir l'action des Meilleurs ouvriers de France et le travail que vous réalisez auprès des jeunes pour les inciter à se présenter aux Meilleurs apprentis de France. Vous m'avez fait l'honneur de tenir votre assemblée générale inaugurale dans ma commune, La Valette-du-Var. Nous serons très heureux de vous soutenir encore. Avec l'appui des présidentes et de mes collègues, je pense que nous pourrons faire avancer l'apprentissage et résoudre les difficultés que connaissent les jeunes femmes aujourd'hui.
Je suggère maintenant que Jocelyne Caprile intervienne pour nous donner son sentiment sur l'événement que nous vivons aujourd'hui.
Jocelyne Caprile, Meilleur Ouvrier de France teinturier-apprêteur . Quelle belle aventure ! Je n'aurais jamais pensé que nous vivrions cette journée d'exception. Je vous remercie infiniment, Mesdames les présidentes, Madame Hummel, de nous avoir invitées dans cette belle institution qui représente si bien la France. Si vous me le permettez, je vais vous présenter brièvement les Meilleurs ouvriers de France et notre parcours.
Mesdames les sénatrices, Mesdames et Messieurs, au nom de la Société nationale des Meilleurs ouvriers de France et de notre groupe de Meilleurs ouvrières de France, je vous remercie de l'intérêt que vous portez à cette rencontre.
C'est un grand honneur pour nous d'être accueillies dans un endroit aussi prestigieux que le Sénat, un lieu chargé d'histoire. Comme l'a mentionné M. le président du Sénat, la construction du Palais du Luxembourg avait été décidée par une femme, Marie de Médicis.
Depuis la création du concours en 1924, 25 concours ont été organisés, tous les trois ans, dans plus de 200 métiers différents, et 9 000 titres de Meilleurs ouvriers de France ont été décernés. Les qualités communes à tous les Meilleurs ouvriers de France sont la passion de leur métier, le perfectionnisme, le dépassement de soi, l'amour du travail bien fait, le respect du travail, l'esprit d'initiative et l'exemplarité. Nous représentons, nous en sommes conscients, un exemple pour la France, pour les jeunes.
Le concours des Meilleurs ouvriers de France exige généralement la réalisation d'un chef d'oeuvre représentant 500 heures de travail, sur quinze à dix-huit mois de préparation. Les oeuvres constituent chacune une référence d'excellence dans les domaines technique, scientifique, économique et artistique. Elles nous confèrent le titre très envié de l'un des Meilleurs ouvriers de France qui nous permet d'arborer fièrement au col notre médaille bleu blanc rouge. Nous sommes ainsi les ambassadeurs et les ambassadrices de la France dans le monde entier.
En 1986, dans le but de transmettre leur savoir et de développer l'apprentissage, les Meilleurs ouvriers de France ont créé le concours des Meilleurs apprentis de France, pour permettre aux apprentis de se distinguer. Chaque année depuis trente ans, 300 lauréats sont ainsi félicités lors d'une cérémonie organisée au Sénat. Cette reconnaissance les incite ensuite à préparer les Olympiades des métiers et le concours des Meilleurs ouvriers de France.
Dès la première année du concours, en 1924, 18 femmes sur 144 lauréats ont reçu le titre de « Meilleure ouvrière de France ». Près d'un siècle plus tard, nous ne sommes toujours que 12 % à la Société nationale des Meilleurs ouvriers de France. Autrefois, les femmes représentaient des métiers dits alors « charmants », mais aujourd'hui désuets, comme la fabrication des ombrelles, parapluies, boutons, bonneterie, guipure, etc. Aujourd'hui, les femmes s'imposent dans des métiers auparavant réservés aux hommes. Elles choisissent ainsi de devenir carreleur, comme Séverine, que vous entendrez tout à l'heure.
Les Meilleures apprenties de France recèlent également des pépites, notamment une charpentière, une peintre en carrosserie et une spécialiste en maintenance d'équipements industriels. Évidemment, l'implication des maîtres d'apprentissage, en partenariat avec les lycées, est indispensable et je peux témoigner d'une réelle vocation pour la réussite de nos apprentis.
Je tenais à vous remercier pour cette journée mémorable, qui demeurera un symbole fort pour nous. Mesdames les sénatrices, aujourd'hui, vous nous avez permis de vivre une journée d'exception, un moment inoubliable ponctué de respect, d'admiration et d'une grande considération pour les femmes Meilleurs ouvriers de France que nous sommes. Nous vous en sommes infiniment reconnaissantes.
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci. Nous disposons d'une heure pour échanger très librement autour de la question qui nous préoccupe toutes et tous : comment féminiser encore davantage les Meilleurs ouvriers de France ? Comment développer la place des femmes dans des métiers considérés a priori comme masculins ? Nous, politiques, devons faire en sorte d'améliorer la vie des femmes par le biais de lois, mais aussi en interpellant le Gouvernement, ou en échangeant avec les partenaires économiques et sociaux.
Les Meilleurs ouvriers de France me paraissent symboliser parfaitement l'exigence de qualité qui s'est toujours trouvée au coeur de la culture française. Nous aimerions mieux connaître votre parcours professionnel, et savoir comment nous pourrions améliorer les choses. Les sénatrices et sénateurs souhaitent sans doute vous poser des questions. Je sais que l'une d'entre vous exerce le métier de carreleur, qui est considéré comme plutôt masculin. Pourriez-vous nous livrer votre témoignage ?
Séverine Jean, Meilleur ouvrier de France - Carreleur . - Mon métier n'est effectivement pas très courant pour une femme. Lorsque j'arrive sur des chantiers où il y a à peu près cent hommes et où je suis la seule femme, je commence par frapper un bon coup de pelle par terre et je me fais respecter d'emblée ! Il faut qu'ils sachent qu'aucun d'eux ne doit venir empiéter sur mon secteur. Je n'ai pas de mal à me faire respecter.
Lorsque j'ai pris contact la première fois pour m'inscrire au concours, j'ai été surprise d'apprendre que j'étais la première femme à le faire depuis que le concours existe, c'est à dire depuis 1924. J'ai dû répéter plusieurs fois que j'étais candidate, tant mes interlocuteurs étaient étonnés. Je leur ai répondu que j'avais des chances de réussir, mais que je retenterais le concours tous les trois ans si j'échouais.
Il n'est pas très courant de voir des femmes dans les métiers du bâtiment. On nous donne généralement un an de survie... J'exerce ce métier depuis dix ans maintenant ! J'encourage les stagiaires, je leur explique qu'il faut se battre. Dans mon métier, il ne faut pas ouvrir les portes, il faut les défoncer pour être écoutée. Il faut se battre tous les jours, mais c'est un très beau métier.
Christiane Hummel . - Monsieur Chabanne, vous êtes le secrétaire général du COET, le Comité d'organisation du concours « Un des Meilleurs ouvriers de France » et des expositions du travail. Comment devient-on Meilleur ouvrier de France ?
Jean-Luc Chabanne, secrétaire général du Comité d'organisation du concours « Un des Meilleurs ouvriers de France » et des expositions du travail (COET) . - Avant de vous répondre, je présenterai le Comité d'organisation du concours « Un des Meilleurs ouvriers de France ». Le concours est un examen de niveau III depuis 2001, équivalent du BTS dans les formations plus académiques. Il est organisé tous les trois ans par le ministère de l'Éducation nationale.
Ce diplôme présente une particularité : son référentiel repose en effet sur la reconnaissance des compétences en situation professionnelle. Ce sont les professionnels qui, tous les trois ans, réécrivent ce référentiel afin de coller au plus près de la réalité économique du moment.
Le concours se déroule en deux temps. Après l'inscription vient une première épreuve qualificative. Nous sommes très sensibles à l'égalité des chances. Ainsi, tout candidat - en majorité des artisans, travailleurs indépendants ou salariés - qui exerce l'un des 210 métiers 10 ( * ) que nous représentons, peut s'inscrire et démontrer qu'il possède les compétences requises.
À l'issue de cette qualification, le candidat retenu peut prétendre au concours final. Celui-ci permet de devenir non pas le meilleur, mais l'un des Meilleurs ouvriers de France. Il s'agit en effet d'une compétition avec soi-même, et non avec les autres. Sur trois ans, nous recevons de 3 500 à 4 000 candidatures. 1 200 à 1 500 personnes sont reçues aux épreuves qualificatives pour une promotion de 250 à 300 Meilleurs ouvriers de France.
Le COET est aujourd'hui inscrit au code de l'Éducation nationale et permet aux professionnels de réécrire régulièrement la réalité en redéfinissant les compétences attendues des candidats à chaque édition du concours.
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Comment pouvez-vous contribuer à la féminisation des Meilleurs ouvriers de France ?
Bernard Hibert, vice-président du COET . - Je représente les présidents des groupes de métier, en charge de ces 210 métiers. Les Meilleurs ouvriers de France sont nés sous la III ème République. Ce n'est qu'à partir de 1925, date de la création des chambres de métiers, que le corps social de l'artisanat s'est structuré.
Dès le départ, sous l'impulsion des pouvoirs publics, le concours s'est ouvert aux femmes. Ces dernières ont dû attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale, voire plus tard, pour accéder aux études de médecine. Pendant la guerre, les femmes ont joué un rôle important, non seulement dans l'agriculture, mais aussi dans les métiers du bois et du bâtiment. La guerre explique également les flux migratoires du sud de l'Europe qui ont apporté de nouvelles techniques dans le bâtiment. Compte tenu des responsabilités assumées par les femmes pendant la guerre, il paraissait légitime que le concours des MOF, à l'initiative du ministère de l'Enseignement, accorde une place aux femmes.
Aujourd'hui, 80 % des entreprises artisanales sont pilotées conjointement par des hommes et des femmes. Le statut des femmes dans l'artisanat a évolué lentement, mais un statut de conjoint collaborateur a été créé. Lors des prochaines élections aux chambres de métiers, même si la parité ne sera pas entièrement respectée, les femmes pourront accéder aux postes d'élus consulaires.
Dans nos métiers, l'évolution vers une plus grande féminisation sera permise par l'ouverture du concours aux options et à la diversité des activités.
Dans les entreprises, les femmes exercent davantage des activités tertiaires. On peut donc penser qu'en élargissant les options de métier à ce secteur, on « collera » davantage à la réalité de l'activité professionnelle des femmes. Depuis une dizaine d'années, nous avons donc féminisé le concours en l'ouvrant à des activités de nature plutôt tertiaire. Nous avons ainsi créé une classe dans le conseil en solutions sanitaires, dont les métiers sont assez féminisés. La promotion a d'ailleurs couronné plus de femmes que d'hommes. Nous pourrions ainsi multiplier les exemples, et la contribution du concours de Meilleur ouvrier de France à l'émancipation des femmes ne peut que nous réjouir. Dans le même ordre d'idée, une personne travaillant en bureau d'études peut concourir dans une activité de menuiserie.
Dans les métiers du bâtiment, nous avons déjà fait des efforts en matière de féminisation, même s'il reste beaucoup à accomplir. Ces métiers peuvent être exercés par des hommes ou par des femmes, qui accèdent aussi aux bureaux d'études, comme le montre l'équilibre plus ou moins bien assuré dans les promotions de l'École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l'industrie (ESTP) ou les formations en BTS.
Si nous organisons un concours de Meilleur ouvrier de France en menuiserie, par exemple, nous devons admettre le travail pluridisciplinaire et la démonstration de la qualité du geste par l'objet, mais aussi par la démarche globale de l'activité artisanale.
La Société nationale des MOF ne compte que 12 % de femmes, mais le concours lui-même a évolué, puisque 23 % de femmes sont promues. Ce taux est loin d'être suffisant, mais il constitue un premier signe d'évolution. Nous avons également observé, en trois concours, un rajeunissement de la moyenne d'âge. Aujourd'hui, elle s'élève à 38 ans contre plus de 45 ans voilà quelques années, et je pense que l'apprentissage concourt à l'évolution de la sociologie de nos métiers.
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Il est bon aussi de féminiser les métiers très masculins.
Carole Peyrefitte, Meilleur Ouvrier de France - Esthétique . - En cette Journée internationale des droits des femmes, après l'intervention de deux hommes, il est grand temps que les femmes prennent la parole ! En tant que vice-présidente de la chambre des métiers du Rhône, présidente des Meilleurs ouvriers de France de la région Auvergne Rhône-Alpes, je vous remercie infiniment de nous recevoir aujourd'hui. Je tiens à remercier tout particulièrement Jocelyne Caprile pour avoir largement contribué à l'organisation de cette rencontre.
Vous vous interrogiez sur la manière de féminiser le concours. Madame Hummel, vous avez employé le seul mot essentiel à la vie du concours et à la vie des femmes chefs d'entreprise. Pour se diriger vers ce type de concours, il faut avoir du coeur ! Aujourd'hui, l'entreprise se féminise et le management féminin, plus à l'écoute des autres, monte en puissance.
Devenir Meilleur ouvrier de France constitue-t-il une vocation ? Je l'ignore. C'est mon père qui, un matin, m'a incitée à passer le concours. Je ne pense pas qu'il existe une recette pour y réussir. Il faut le faire avec coeur. Les Meilleurs ouvriers de France représentent une voie d'excellence, de passion. Or, les femmes excellent dans la passion !
Sylvia Barrault, Meilleur Ouvrier de France - Gouvernante . - Je suis la vice-présidente de la classe des Meilleurs ouvriers de France Réceptionniste en hôtellerie. Ce concours existe grâce au bénévolat, il faut le souligner.
Je participe à l'un des comités d'organisation et nous avons travaillé bénévolement durant 1 600 heures pour préparer le concours. Nous avons accueilli 47 inscrits ; cent jurys bénévoles étaient présents toute la journée. Il a fallu trouver des lieux nous accueillant gratuitement. Nous avons souhaité travailler avec les professeurs et les professionnels, mais les écoles hôtelières, fermées pendant les vacances scolaires, ne pouvaient pas nous recevoir. Nous avons dû chercher des lieux ou des entreprises qui nous recevraient pour un coût modéré. Nous avons la chance d'exercer un métier très représenté, compte tenu du nombre d'hôtels, mais j'ai eu des échanges aujourd'hui avec plusieurs jeunes femmes venant de métiers relativement rares. Sans une aide financière pour faire vivre ces comités, je crains que les concours ne disparaissent dans certains métiers. Or, il s'agit pour beaucoup de concours féminins.
Je m'adresse donc aux politiques pour qu'ils nous aident à recevoir les soutiens financiers dont nous avons besoin. Lors des jurys finaux, nous sommes remboursés à hauteur de soixante euros pour notre chambre d'hôtel parisienne ! Dans ce concours, nous oeuvrons avec passion, mais notre démarche, il faut le dire, est bénévole.
Marie-Brigitte Duvernoy, Meilleur Ouvrier de France - Pianos d'art . - Je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui. Je viens du métier de la restauration de pianos. Technicienne, j'ai travaillé en usine. C'est un métier dans lequel, surtout lorsque j'ai commencé, il y a trente ans, on ne nous faisait aucun cadeau. Pour se faire respecter, il faut être meilleure que les hommes. C'est la raison pour laquelle j'ai présenté le concours en équipe, avec mon compagnon, lui aussi restaurateur. Nous avons été reçus en 2000.
Ce concours m'a permis d'accéder à un master de conservation-restauration de biens culturels à la Sorbonne. Je ne pouvais alors que m'investir dans le COET pour permettre à d'autres personnes d'obtenir ce titre. En 2000, j'ai également eu l'honneur de recevoir le prix Met'FEM créé par la chambre des métiers de la région Provence-Alpes-Côte-D'azur, décerné aux femmes qui créent une entreprise dans un métier d'hommes. J'ai rencontré des femmes qui mènent un combat quotidien face au comportement des hommes.
Dans les usines de pianos, y compris celle de Bösendorfer, l'atelier finition, accord, égalisation et réglage ne compte que des femmes. En revanche, sur la scène d'un concert ou d'un festival - lieux de prestige - les femmes apparaissent peu. Notre crédibilité doit être reconnue par nos pairs. Nous répondons toujours présentes pour résoudre des problèmes techniques, mais on doit aussi nous donner notre place. Nous faisons, nous aussi, avancer l'économie.
Notre concours a besoin de subventions. Les Meilleurs ouvriers de France pourront ensuite accompagner les apprentis pour leur apprendre l'excellence. Nous sommes réunis aujourd'hui pour progresser de manière positive. J'espère donc avoir apporté ma petite pierre à cet édifice.
Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Comment avez-vous été orientées vers le métier que vous exercez aujourd'hui ? Avez-vous été encouragées, dissuadées ? Comment l'Éducation nationale assure-t-elle l'orientation ?
Noëllie Duperret, Meilleur Apprenti de France 2015 -Charpentier . - J'ai participé au concours de Meilleur apprenti de France dans la catégorie Charpente. Au collège, j'étais plutôt bonne élève et tous mes professeurs m'incitaient à passer un baccalauréat général, ce que je ne souhaitais pas. J'ai insisté pour m'orienter vers un baccalauréat professionnel en charpente. J'ai cependant été très déçue. Il aurait été préférable pour moi de partir en apprentissage dès le début. Le baccalauréat professionnel conduit à devenir chef d'équipe, à exercer un métier très théorique, éloigné de la pratique. J'ai donc refait un CAP en un an chez les Compagnons du devoir. J'aurais dû être mieux orientée après le collège.
Christiane Hummel . - Pourquoi avez-vous choisi un baccalauréat professionnel ?
Noëllie Duperret . - J'ai refusé de m'orienter vers un baccalauréat général, mais j'étais réticente vis-à-vis de l'apprentissage, car je savais que je serais la seule fille. Je me suis orientée vers un baccalauréat professionnel pour conforter mon choix.
Christiane Hummel . - Comment vos parents ont-ils réagi ?
Noëllie Duperret . - Ils m'ont toujours suivie.
Léa Garigue, Meilleur Apprenti de France 2014 - Peinture carrosserie décor . - Je suis carrossière-peintre, Meilleure apprentie de France en peinture-carrosserie, option décor. Je suis artisan depuis quelques mois. Je me suis, moi aussi, engagée dans un baccalauréat professionnel, une grave erreur quand vous souhaitez exercer un métier manuel. Le baccalauréat professionnel propose beaucoup de théorie et peu de pratique en entreprise, en dehors de quelques stages de deux à quatre semaines. En apprentissage, en revanche, on est intégré dans l'entreprise et on apprend à se gérer soi-même. Quand on sort du baccalauréat, on a certes acquis les bases, mais on ne maîtrise pas le métier comme on le devrait. Pourtant, le bac représente un niveau supérieur à l'apprentissage.
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - La présidente de la commission de la culture et de l'éducation en prend bonne note.
Léa Garigue . - Dans un métier d'hommes, les filles rencontrent de grosses difficultés, en particulier en cours ou dans les vestiaires. Par exemple, au lieu de la danse, il faut pratiquer le rugby, le football, le handball. Les lycées ne sont pas organisés pour nous accueillir. Avec quatorze filles, voire moins, sur 600 élèves, la situation est plutôt compliquée.
Pascale Allaert, Meilleur Ouvrier de France - Teinturier . - J'ai obtenu le titre de Meilleur ouvrier de France en 2007. Je suis issue du métier du pressing. Mes parents étaient artisans et possédaient plusieurs établissements. Quand j'ai pris conscience des charges qu'ils supportaient, je n'ai pas souhaité prendre leur suite.
J'ai passé mon CAP Pressing en 1989, puis mon brevet de maîtrise en 1992. Je me suis lancée dans la formation en 1999 en tant que salariée et je suis aujourd'hui formatrice indépendante. Voilà quatre ou cinq ans, j'ai souhaité me reconvertir en tant que professeur des écoles. Or, j'ai constaté que mon titre de Meilleur ouvrier de France ne me donnait pas le niveau pour devenir professeur des écoles. Je fais pourtant de la pédagogie depuis dix ans. Le titre de Meilleur ouvrier de France est positionné au niveau III, c'est-à-dire à Bac+2 ; le brevet de maîtrise m'ouvre les mêmes portes. Je signale aussi que j'ai trois enfants. Quand ce concours sera-t-il mieux valorisé au niveau de l'Éducation nationale ?
Maryvonne Blondin . - Je tenais à intervenir sur le sujet. La semaine dernière, le Sénat a débattu à l'occasion des trente ans du baccalauréat professionnel. Des mesures supplémentaires vont permettre de valoriser l'apprentissage et le baccalauréat professionnel. Pourtant, comme vous l'avez précisé, le fait que votre titre ne figure pas dans le référentiel de l'Éducation nationale pose certaines difficultés.
Ancien professeur, je m'intéresse au choix, par des femmes, de métiers plutôt masculins comme carreleur ou charpentier. Pour préparer ce débat, je me suis rendue dans un lycée des métiers et de l'écoconstruction du Finistère et j'ai rencontré les professeurs et les élèves. J'ai constaté qu'une seule fille suivait la formation de carreleur. J'ai eu l'impression qu'elle s'était orientée dans cette voie parce qu'elle ne savait pas vraiment quoi faire d'autre. Qu'est-ce qui vous a incitée à vous diriger vers ce métier ?
Séverine Jean, Meilleur Ouvrier de France - Carreleur . - J'ai un parcours un peu atypique et je pense que d'autres femmes se trouvent dans ma situation en France. Je viens d'une famille de commerçants qui se battent tous les jours pour que leurs enfants puissent avoir une vie confortable et étudier dans de bonnes écoles. J'ai vu mes grands-parents et mes parents se battre pour que nous menions une vie décente. J'ai toujours été élevée dans l'esprit du travail, de la rigueur, de la discipline et de la droiture. J'ai commencé à travailler en famille, dans l'entreprise de démolition automobile de mon père. À l'âge de dix-sept ans, je démontais des voitures. J'ai suivi un cursus scolaire normal. J'ai quitté le lycée en classe de première, parce que je ne souhaitais pas passer mon baccalauréat. J'ai intégré l'entreprise familiale.
J'ai pratiqué le motocross durant quatorze ans sur des circuits où les femmes étaient peu présentes. J'ai travaillé pendant dix ans dans la démolition automobile, à la grande surprise des clients ! J'ai ensuite décidé de créer ma propre entreprise. J'ai alors dû choisir un nouveau métier, en tenant compte de mes compétences physiques. À l'époque, je devais aussi m'occuper de mon bébé.
Je souhaitais exercer un métier physique. Le carrelage me correspondait tout à fait. Ce métier est fabuleux. Il nécessite une régularité de travail très soutenue. Vous n'avez pas le droit de vous arrêter ; tout doit être posé et jointé en fin de journée pour satisfaire le client. Nous jouons avec des couleurs. Quand je termine une maison, le résultat est magnifique et les clients ravis. Je me suis heurtée à des difficultés pour apprendre ce métier, notamment quand j'ai appelé l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Néanmoins, nous avons la chance, en France, de disposer de centres pour ceux et celles qui souhaitent se reconvertir, même si les personnes un peu différentes sont toujours mises de côté, surtout lorsque ce sont des femmes.
Jocelyne Caprile . - Je ne suis pas sûre que l'on se lève un matin en se disant que l'on va devenir Meilleur ouvrier de France. Quand je me suis mariée, j'ai trouvé un emploi de remplacement dans un pressing, le temps que mon mari termine ses études. Je pensais rester ensuite à la maison pour élever nos enfants. Finalement, nous avons travaillé tous les deux et quand mes patrons ont vendu leur magasin, voulant assurer mon salaire, j'ai racheté leur entreprise. Avec deux enfants, je devais gagner ma vie.
Le concours représentait plutôt un « challenge » personnel pour savoir ce que je valais professionnellement et distinguer mon entreprise des autres. Après vingt ans de métier, j'avais à coeur de valoriser mon entreprise. Au cours de mon brevet de maîtrise, mon enseignante m'a encouragée à passer le concours des Meilleurs ouvriers de France. Je n'y avais jamais pensé. J'ignorais même qu'il existait dans mon métier. Pour la plupart d'entre nous, les Meilleurs ouvriers de France récompensent les métiers de bouche ou les métiers d'art, mais pas forcément les métiers de service. Or l'excellence peut exister dans tous les métiers. J'ai donc préparé en parallèle le concours des Meilleurs ouvriers de France, que j'ai réussi avec brio ! Il m'a beaucoup apporté. Je n'y aurais jamais pensé, comme vous n'auriez sans doute jamais non plus pensé devenir sénatrices un jour. On ne décide pas. C'est la vie qui vous fait avancer...
Bernard Werner, Meilleur Ouvrier de France - École Boulle . - Je suis tourneur sur bronze et orfèvre. J'ai eu la chance d'être nommé maître d'art en 1994. J'exerce un métier assez rare, avec un tour ovale. J'ai choisi deux élèves femmes. La première a passé son CAP en 1978 à l'École Boulle. Le métier de tourneur sur bronze traditionnel exige de tenir les outils à la main comme le tourneur sur bois. Il ne nécessite pas des efforts surhumains, mais il faut bien s'y prendre. J'ai obtenu une bourse du ministère de la culture pour perfectionner durant trois ans ces deux ouvrières déjà très qualifiées, dont l'une est Meilleur ouvrier de France. Je leur ai transmis mes savoirs et la technique du tour ovale. L'une d'elles a pris ma suite en 1998, et j'en suis fier. Je travaillais avec elle hier encore. La deuxième est entrée au Mobilier national, aux Gobelins.
Nous pourrions évoquer le niveau du Meilleur ouvrier de France et le ministère de la culture qui exige un master pour accéder aux marchés publics, mais c'est un autre débat.
Noëllie Duperret . - J'ai découvert le métier grâce à mon père, compagnon charpentier. Toute petite, j'ai éprouvé l'envie d'entrer chez les compagnons en charpente. J'ai d'abord obtenu mon baccalauréat professionnel avant d'effectuer un CAP en un an chez les Compagnons. Le sujet du concours correspondait à mon travail d'adoption pour intégrer les Compagnons du devoir. Je suis actuellement aspirante et je réalise mon tour de France. Je change de ville et d'entreprise deux fois par an.
Marianne Thoyer, Meilleur Ouvrier de France 2015 - Graphisme . - Une femme Meilleur ouvrier de France est têtue et tenace. Si nous possédions une particularité génétique, ce serait la ténacité. J'ai passé les épreuves qualificatives du diplôme quinze jours après avoir fait un AVC, et j'ai produit mon chef d'oeuvre en étant enceinte.
Dans le secteur du graphisme, les grands noms sont quasiment tous masculins à l'échelle nationale. Avec les Meilleurs ouvriers de France, nous avons toutefois la chance de disposer d'un diplôme de l'Éducation nationale dont le cahier des charges est rédigé par les professionnels, et en parfaite adéquation avec ce que l'on attend de nous dans la vie professionnelle. Si le titre de Meilleur ouvrier de France ne vous ouvre pas des portes, il vous fait acquérir une reconnaissance. Il prouve que vous avez acquis un savoir-faire et que vous êtes capable de le développer.
Il existe deux solutions pour féminiser ce diplôme. Les subventions au COET sont les bienvenues, mais l'argent n'est pas l'élément le plus important. La revalorisation du diplôme pourrait constituer une meilleure solution. Surtout, la communication nous fait vraiment défaut. Personne ne sait aujourd'hui que les Meilleurs ouvriers de France couvrent 210 métiers. On ne voit que les métiers de bouche, mais bien d'autres professions sont ouvertes. La féminisation du concours passera par une communication accrue sur les métiers et sur le fait qu'une femme est parfaitement capable d'obtenir ce diplôme. Sans doute faut-il trouver des solutions pour que les femmes n'aient pas peur de s'y atteler, malgré les enfants, le travail à la maison. Nous pouvons toutes le faire, j'en suis la preuve vivante.
Thiodhilde Fernagu, tapissier . - Je suis tapissier au Sénat, et non tapissière, car il y a une différence entre ces deux métiers. J'ignore si l'on peut dire désormais « tapissière », mais généralement une tapissière réalise des rideaux et des coussins, quand le travail d'un tapissier porte sur de gros fauteuils et canapés. Pour ma part, j'exerce le travail d'homme, c'est-à-dire que je réalise des canapés et des fauteuils. Je travaille la plupart du temps avec des hommes, et il est très difficile, en tant que femme, de supporter à longueur de journée leurs petites blagues et leur « flirt » constant, d'autant que vous devez toujours réagir convenablement, sous peine de devenir une « sale bonne femme » si vous vous mettez en colère. Il faut beaucoup d'intelligence, de calme et de diplomatie. Pour espérer évoluer dans le milieu, il est nécessaire de bien s'entendre avec les hommes. J'espère devenir employeur à l'avenir et j'observerai sans doute la situation d'un autre oeil.
J'ignore s'il existe une différence entre les Compagnons du devoir et les Compagnons du tour de France. Je pensais que cette méthode de formation était réservée aux hommes jusqu'à très récemment. Alors que ces écoles sont de vraies références dans l'artisanat, il me paraît insensé qu'elles n'aient ouvert leurs portes que si tardivement aux femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ? Les femmes ont-elles plus leur place chez les compagnons aujourd'hui ?
Jean-Luc Chabanne . - Je suis moi-même compagnon du devoir. Les femmes entrent en apprentissage depuis longtemps. En revanche, elles ne peuvent être reçues en tant que compagnons au sein de l'Association ouvrière des Compagnons du devoir et du tour de France que depuis 2003 officiellement, et depuis 1998-1999 officieusement.
Noëllie Duperret . - Il existe trois types de compagnonnage. L'Association ouvrière des compagnons du devoir dont je fais partie accepte les filles depuis 2003. La Fédération compagnonnique et l'Union compagnonnique ne les acceptent en revanche toujours pas. Nous n'avons donc guère le choix...
Bernard Hibert . - Ces deux associations perçoivent néanmoins des subventions d'État.
Annick Billon . - Merci, Mesdames les présidentes, merci, Madame la sénatrice, d'avoir organisé cette journée. Merci à vous toutes pour ces témoignages intéressants. Vous mettez souvent en avant vos qualités de femmes et vos difficultés en tant que mères dans le monde actif. Avez-vous été candidate au titre de Meilleur ouvrier de France pour mieux vous imposer dans votre profession, être reconnue et devenir chef d'entreprise ?
Marc Laménie . - Je m'associe aux remerciements de mes collègues pour vos témoignages très éclairants. Les Meilleurs ouvriers de France sont souvent aussi créateurs d'entreprises. Mes collègues sénatrices peuvent en témoigner, au sein de la commission des finances du Sénat, dont je suis membre, nous abordons souvent le cas des petites entreprises et les embûches financières, sociales, économiques, fiscales, ainsi que les problèmes posés par la lourdeur et la complexité administratives. La tâche de simplification des démarches administratives reste immense. Comment le ressentez-vous et comment pouvons-nous faire progresser cette situation ?
Hélène Luc, ancienne sénatrice . - Je suis très intéressée par la rencontre d'aujourd'hui. J'étais une ouvrière du textile - tisseuse sur soie - un très beau métier que j'ai beaucoup aimé, même si je n'ai pas eu l'honneur de devenir Meilleur ouvrier de France.
Ancienne présidente de groupe au Sénat, je suis aujourd'hui sénatrice honoraire. J'ai beaucoup appris de nos échanges. J'ignorais en particulier qu'une partie du travail destiné à l'organisation de ce concours était bénévole.
Je voudrais exprimer mon admiration pour ces Meilleures ouvrières et Meilleures apprenties de France, qu'elles exercent le métier de charpentier, de carreleur ou de peintre en carrosserie. Elles se sont battues pour être là où elles sont aujourd'hui, elles sont fières de leur travail, épanouies dans la vie et parviennent à tout mener de front.
En France, près de la moitié des femmes qui travaillent se concentrent dans une dizaine de métiers sur quatre-vingt-sept familles professionnelles. Il s'agit en général de la santé, des services sociaux et de l'éducation, de l'administration publique et du commerce de détail. Très souvent, cependant, elles se trouvent au bas de l'échelle. Il faut absolument améliorer cette situation. Les femmes ont la capacité d'exercer les mêmes métiers que les hommes. Il faut aussi que l'égalité de salaire soit respectée.
Quand j'étais sénatrice, j'étais la seule femme présidente de groupe au Sénat. On m'a souvent demandé comment je faisais avec tous ces hommes ! Comme vous, lorsque l'on fait son travail, que l'on défend ses idées, on gagne son statut et la reconnaissance des autres.
Charline Pritscaloff, Meilleur Ouvrier de France 2011 - Fleuriste . - Vous vous interrogiez sur la façon d'aider les petites entreprises. Je suis entrée en apprentissage après ma troisième. Je souhaitais depuis longtemps faire le métier de fleuriste et durant mon apprentissage, l'un de mes professeurs m'a donné la passion des concours. J'ai commencé dès la fin de mon brevet professionnel. Ce professeur, Meilleur ouvrier de France, nous a transmis l'amour du col tricolore.
Ce concours s'est soldé par une belle victoire, mais j'ai été licenciée : dans certaines petites entreprises, il n'est pas forcément bien vu d'être meilleur que le patron. Il n'est pas non plus toujours facile de trouver du travail, car nous faisons un peu peur, il faut bien le dire ! Les patrons pensent que nous coûtons trop cher. Or à un niveau III, le salaire n'est pas si exorbitant que cela. On m'a finalement proposé de reprendre une affaire. Je m'emploie tous les jours à la rendre plus belle, avec ma petite équipe de trois personnes, une apprentie et deux employés. J'ai créé un deuxième magasin récemment.
Or, mon quotidien est aujourd'hui accaparé par la paperasse, ce qui me désole. Entre les devis pour les clients, les factures et l'administration, j'y consacre deux à trois jours par semaine. C'est une vraie douleur pour moi. Je voudrais vous dire que ces lois que vous adoptez régulièrement ne sont pas adaptées aux petites entreprises. Par exemple, après la question des mutuelles, en ce début d'année, je dois faire passer des entretiens à mes salariés. Mes employés et moi avons presque le même âge. Ils viennent me voir directement lorsqu'ils souhaitent me parler. Je suis toujours à leur écoute. C'est normal : je ne suis rien sans eux ! On pense qu'il y a eu un allègement des démarches, mais à chaque fois, en fait, c'est toujours plus de papier. Quand on a le malheur de répondre avec un peu de retard, on doit payer 10 % de majoration. La moindre erreur est sanctionnée.
Cette année, une nouvelle loi a accordé des subventions pour la rémunération des apprentis de moins de dix-huit ans. Or, cette loi a entraîné deux effets pervers. Toutes les entreprises ont recruté des apprentis de moins de dix-huit ans en CAP, pour ne pas les payer, et de nombreux apprentis plus âgés se sont donc retrouvés sans travail, dans l'incapacité d'effectuer leur brevet professionnel, faute d'entreprise pour les accueillir.
Le CAP ne devrait pas être une voie de garage, mais il est en train de le devenir ! On choisit son métier avec coeur et passion. Mais aujourd'hui, des jeunes sont orientés vers l'apprentissage alors qu'ils auraient pu se découvrir dans une autre voie. Moi, j'en rêvais, de mon métier, mais ce n'est pas toujours le cas pour tout le monde ! Nous accueillons des jeunes qui sont là parce qu'ils doivent bien trouver quelque chose à faire, pas parce que ça les passionne... Du coup, ils ne sont pas motivés et certains nous quittent au bout de quinze jours. Ce départ représente un échec pour tout le monde et il nous place dans une situation délicate : il nous coûte un peu d'argent et, en outre, il nous empêche d'accueillir un autre apprenti.
Michel Bellanger, président du concours du Meilleur apprenti de France . - Nous consacrons au concours des Meilleurs ouvriers de France 1 000 à 1 500 heures de travail, voire 2 000 heures pour certains. Nous le devons au soutien de nos collègues, mais aussi à celui de nos épouses. Si je devais partager mon ruban tricolore avec quelqu'un, je le partagerais volontiers avec mon épouse.
Nathalie Calderini, Meilleur Ouvrier de France - Coiffure . - J'ai trente-trois ans de métier et une entreprise de plus de vingt ans. Mon entreprise compte sept salariés, ce qui me donne droit à trois apprentis et deux jeunes titulaires de contrats de qualification. Or, j'ai besoin de quatre apprentis. Les jeunes en contrats de qualification ne peuvent pas s'épanouir dans mon entreprise, alors que les apprentis trouvent automatiquement du travail à l'issue de leur apprentissage. Je devrais avoir le choix. Pourtant, aujourd'hui je dois refuser des jeunes dont j'ai besoin.
Élisabeth Lamure, présidente de la délégation du Sénat aux entreprises . - Nous arrivons à la conclusion de nos échanges. Je tenais à réagir à vos interventions. Notre système éducatif présente de nombreuses qualités, mais il a également le défaut de ne pas intégrer de manière plus systématique l'apprentissage. Nous parlons trop des diplômes et pas suffisamment des métiers. Nous avons besoin de vos témoignages pour transmettre ce message à l'Éducation nationale et tenter de remédier à cette situation.
Vous avez parlé de ce qu'implique pour vous le fardeau administratif. Tous les chefs d'entreprise que nous rencontrons soulignent combien cela est lourd pour eux. Un entrepreneur nous dit qu'il commence véritablement sa semaine le mercredi, une fois traitées toutes les démarches qui s'imposent à lui. Nous devons, là encore, y remédier. Nous élaborons trop de lois, des textes trop bavards. Nous devons absolument, en tant que parlementaires, nous autodiscipliner.
S'agissant de votre dernière intervention, nous travaillons actuellement sur une proposition de loi sur l'apprentissage. J'intégrerai volontiers cette question. Il faut réformer l'apprentissage pour qu'il devienne plus attractif, à la fois pour les apprentis et pour les entreprises qui les accueillent. Je vous remercie pour vos contributions.
Catherine Morin-Desailly . - Nous avons toutes les quatre été très intéressées de découvrir ce diplôme de Meilleur ouvrier de France, le parcours, la diversité des motivations, ses modalités organisationnelles, le bénévolat des organisateurs, le manque de moyens, les questions d'équivalence du diplôme pour permettre à ceux et celles qui le souhaitent de se réorienter utilement par la suite. Toutes les remarques que vous nous avez exposées ont été consignées très précieusement. Lorsque nous découvrons que le compagnonnage reste majoritairement réservé aux garçons, que l'on vous dissuade insidieusement de suivre la voie que vous avez choisie, il y a matière à réflexion pour nous, législateurs, qui votons la loi et en suivons l'application. Prenons rendez-vous dans un an pour mesurer nos avancées. Je vous remercie d'avoir participé à cette rencontre.
III. - Questions d'actualité au Gouvernement
Comme la délégation aux droits des femmes l'a suggéré, la séance de questions d'actualité au Gouvernement du 8 mars 2016 a porté la marque de la Journée internationale des droits des femmes. Le souhait d'un tel moment s'est exprimé le 1 er octobre 2015, lorsque la délégation s'est réunie pour élaborer le programme de travail de la session 2015-2016.
À travers cette initiative, acceptée par tous les groupes politiques représentés dans notre assemblée, notre délégation a exprimé le voeu que soit mise à l'honneur la parole des sénatrices, qui demeurent encore minoritaires au Sénat (26 %). Elle a également estimé que cette séance pouvait être l'occasion, à travers le choix des sujets, de mettre l'accent sur les inégalités dont les femmes sont encore aujourd'hui victimes.
Au cours de cette séance inédite au Sénat, toutes les questions au Gouvernement ont été posées par des sénatrices :
- une sénatrice du groupe Union des Démocrates et Indépendants-UC : Chantal Jouanno, présidente de la délégation ;
- trois sénatrices du groupe Les Républicains : Catherine Deroche, Marie Mercier et Christiane Hummel ;
- trois sénatrices du groupe socialiste : Éliane Giraud, Marie-Pierre Monier et Françoise Cartron ;
- une sénatrice du groupe du Rassemblement démocratique et social européen : Hermeline Malherbe ;
- une sénatrice du groupe écologiste : Marie-Christine Blandin ;
- une sénatrice du groupe Communiste, républicain et citoyen : Laurence Cohen.
Les questions posées ont porté sur des thématiques aussi diverses que :
- l'hébergement d'urgence ;
- le sport et la laïcité ;
- la lutte contre les cancers pédiatriques ;
- la situation de l'élevage ;
- la situation dans le camp de réfugiés à Grande-Synthe ;
- les inégalités professionnelles et les conséquences pour les femmes du projet de loi visant à réformer le code du travail ;
- la pérennisation du fonds de soutien pour les rythmes scolaires ;
- la sélection en master ;
- les difficultés rencontrées par les femmes victimes de violences conjugales pour accéder à un logement social et les violences dont les femmes sont victimes dans l'espace public ;
- les impayés de pensions alimentaires.
La féminisation de cette séance s'est étendue au banc du Gouvernement puisque six ministres femmes ont répondu à huit des dix questions posées par les sénatrices :
- Emmanuelle Cosse , ministre du logement et de l'habitat durable, a répondu à la question d'Éliane Giraud sur l'hébergement d'urgence , qui concerne notamment les femmes victimes de violences ;
- Marisol Touraine , ministre des affaires sociales et de la santé, a répondu à la question de Catherine Deroche sur le cancer des enfants ;
- Clotilde Valter , secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage, a répondu aux questions de Marie-Christine Blandin sur la situation dans le camp de réfugiés à Grande-Synthe , et de Marie Mercier sur la sélection en master ;
- Myriam El Khomri , ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, a répondu à la question de Laurence Cohen sur les femmes et le droit du travail ;
- Estelle Grelier , secrétaire d'État auprès du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, chargée des collectivités territoriales, a répondu à la question de Françoise Cartron sur la pérennisation du fonds de soutien pour les rythmes scolaires ;
- Laurence Rossignol , ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes a répondu aux questions de Christiane Hummel sur les droits des femmes , et de Marie-Pierre Monier sur les pensions alimentaires impayées .
Sur les dix questions posées, quatre étaient en lien avec la thématique de l'égalité entre les femmes et les hommes :
- la question de Laurence Cohen sur les femmes et le droit du travail alertait sur les conséquences potentielles du projet de loi « travail » pour les femmes, majoritairement affectées par la précarité ;
- la question de Christiane Hummel avait trait à la situation des femmes face à la violence sexiste qui sévit aussi bien dans la sphère privée que dans l'espace public ;
- la question de Marie-Pierre Monier sur les pensions alimentaires impayées portait sur la mise en oeuvre du dispositif expérimental de garantie contre les impayés de pensions alimentaires, dispositif visant à sécuriser notamment la situation des femmes isolées, particulièrement fragilisées par ces impayés ;
- la question de Chantal Jouanno sur la laïcité dans le sport visait à souligner la nécessité pour la France, dans la perspective de la candidature de Paris aux Jeux olympiques, de promouvoir le respect le plus rigoureux de l'article 50 de la Charte olympique , qui porte sur la neutralité politique et religieuse dans le sport, qui pose la question de la participation d'athlètes voilées aux JO.
COMPTE RENDU INTÉGRAL DE LA SÉANCE DU MARDI 8 MARS 201611 ( * )
Présidence de M. Gérard Larcher, président du Sénat
M. le président . - L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles de notre assemblée : le respect des uns et des autres.
En ce 8 mars, journée consacrée à une réflexion collective sur les droits des femmes, les questions seront toutes posées par des collègues femmes. Je tiens à saluer cette initiative des groupes politiques, qui répond à une suggestion de notre délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
HÉBERGEMENT D'URGENCE
M. le président . - La parole est à Mme Éliane Giraud, pour le groupe socialiste et républicain, et pour deux minutes !
Mme Éliane Giraud . - Ma question s'adresse à Mme la ministre du logement et de l'habitat durable.
Depuis le 21 janvier 2013, la politique d'hébergement s'articule autour d'un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale. En 2015, le Gouvernement a consacré 1,3 milliard d'euros au renforcement des moyens alloués à la mise en oeuvre du service public de l'hébergement et de l'accès au logement pour encourager le développement d'une nouvelle offre de logements très sociaux.
Le 21 ème rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur l'état du mal-logement de janvier 2016 indique que 3,8 millions de personnes sont non logées ou très mal logées aujourd'hui en France et que cinq millions de personnes sont en situation de fragilité à court ou à moyen terme dans leur logement.
L'urgence concerne donc les plus démunis, les femmes seules, avec ou sans enfant, victimes de violences, et les demandeurs d'asile.
Le Gouvernement a également annoncé en février 2015 un plan triennal de réduction du recours aux nuitées d'hôtel, afin d'offrir aux familles des conditions d'hébergement plus dignes et mieux adaptées à leurs besoins, en réorientant les crédits. Ce plan prévoit, d'ici à 2017, la création de 13 000 places en dispositifs alternatifs adaptés aux familles, des hébergements alternatifs pour les demandeurs d'asile et le renforcement de l'accompagnement social des personnes actuellement hébergées à l'hôtel.
Ces dispositifs ambitieux répondent à une exigence sociale et humaine, face à des besoins qui ne cessent de croître, comme nous le constatons hélas aussi dans le département de l'Isère et en région Rhône-Alpes.
Dans ce contexte, et à la veille de la sortie de la période hivernale, je souhaite, Madame la ministre, que vous puissiez nous apporter des précisions sur l'avancement de la politique mise en oeuvre concernant l'hébergement d'urgence et la réduction des nuitées hôtelières.
M. le président . - La parole est à Madame la ministre.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable . - Madame la sénatrice, vous m'interrogez sur la mise en oeuvre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, qui est coordonnée par Ségolène Neuville, et notamment sur l'hébergement des publics les plus démunis.
Je vous répondrai en citant quelques chiffres assez précis.
Tout d'abord, concernant les capacités d'hébergement, ce gouvernement a fait le choix, depuis 2012, de rompre avec la « gestion au thermomètre », en transformant des places qui étaient uniquement ouvertes l'hiver en places pérennes. Nous sommes ainsi passés de 80 000 places en 2012 à 110 000 places pérennes aujourd'hui, auxquelles s'ajoutent 10 000 places l'hiver, dont un certain nombre seront pérennisées à l'issue de la trêve hivernale.
J'ajoute que 1 150 places d'hébergement pour les femmes victimes de violences ont aussi été créées. L'objectif de 1 650 places fixé dans le plan pluriannuel sera ainsi atteint en 2017.
De la même manière, l'objectif de création de 5 000 places d'hébergement pour les demandeurs d'asile a été doublé et 9 000 places devraient être ouvertes durant cette année.
Nous avons beaucoup travaillé à l'amélioration des conditions d'hébergement des familles et, en particulier, des enfants. Vous avez vous-même souligné les difficultés rencontrées par ces enfants, qui vivent dans des situations d'extrême pauvreté.
Enfin, nous disposons déjà de quelques chiffres concernant la mise en oeuvre du plan national de réduction des recours aux nuitées hôtelières lancé en 2015. En huit mois, nous avons déjà transformé des places d'hôtel par 433 places en maisons relais, 2 118 places d'hébergement d'urgence pérennes et 1 453 places d'intermédiation locative.
Nous allons évidemment poursuivre ces efforts, puisque la situation n'est pas encore au niveau que nous souhaitons atteindre. Nous continuerons de faire preuve de volontarisme pour répondre durablement à la question de la grande pauvreté et du logement des personnes les plus démunies. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain . )
M. le président . - La parole est à Mme Éliane Giraud, pour la réplique.
Mme Éliane Giraud . - Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Nous devons continuer à faire preuve de vigilance et j'ai été heureuse d'entendre toutes ces précisions de votre bouche. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
SPORT ET LAÏCITÉ
M. le président . - La parole est à Mme Chantal Jouanno, présidente de notre délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui s'exprime pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Jouanno . - Ma question s'adresse à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
« Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». Ces mots très précis et très précieux figurent à l'article 50 de la Charte olympique . L'objet de ce texte est de permettre que le sport soit universel et que, sur les sites olympiques, les personnes ne soient distinguées que par leurs qualités sportives et leurs performances.
Or les associations féministes nous ont alertés, depuis quelques années, sur le fait que, sous couvert de participation et d'ouverture aux femmes - sous le savant nom d'« inclusion » -, ce principe est battu en brèche. On accepte en effet au fil du temps des tenues différentes et parfaitement inadaptées au sport pour que les femmes puissent être « autorisées » à participer aux compétitions sportives.
Cette atteinte est grave. Nous nous sommes tous demandé, il est vrai, s'il n'était pas préférable que les femmes puissent ainsi participer, d'une manière ou d'une autre, aux compétitions sportives et être présentes dans cette grande fête universelle. En réalité, ce raisonnement revient à adopter une posture totalement compassionnelle qui n'a jamais été acceptée pour les hommes.
En 1968, lorsque les athlètes Tommie Smith et John Carlos avaient levé le poing en signe de lutte contre la ségrégation raciale et de solidarité avec les Black Panther , ils ont été immédiatement radiés. On n'a jamais accepté non plus d'athlètes sud-africains tant que l'apartheid a été en vigueur.
Monsieur le secrétaire d'État, nous soutenons une candidature aux jeux Olympiques. Je souhaite vivement qu'elle aboutisse, ce dont je ne doute d'ailleurs pas. Serons-nous capables, à l'occasion de cette candidature, de rappeler aussi notre attachement au respect intransigeant de l'article 50 de la Charte olympique ? (Applaudissements.)
M. le président . - La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports . - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Mme Chantal Jouanno, qui m'interroge sur la question de la laïcité dans le sport, n'est pas sans savoir, comme vous tous, que celui-ci est un formidable vecteur de lien social.
Je tiens à vous dire que je suis extrêmement mobilisé, tout comme l'ensemble du Gouvernement, pour la défense non pas de la laïcité positive ou de la laïcité restrictive, mais de la laïcité tout court, car ce terme n'a pas besoin d'adjectif. Cette valeur fondamentale se suffit à elle-même !
C'est la raison pour laquelle je veux réaffirmer ici que tous les terrains, tous les stades, tous les gymnases, ne sont et ne doivent pas être des lieux d'expression politique ou religieuse : tous les signes d'appartenance politique ou religieuse doivent y être bannis, laissés à l'entrée de ces enceintes, qui sont des lieux de neutralité, dans lesquels ne doit être pratiqué que le sport. Telle est notre position.
Pour autant, madame la sénatrice, vous m'interrogez sur notre position par rapport à l'article 50 de la Charte olympique . Elle reprend les valeurs universelles que la France a toujours défendues, même si, aujourd'hui, vous le savez, une interprétation a vu le jour sur la question du voile porté par des femmes pratiquant le sport, voile que le CIO aurait tendance à considérer comme un signe culturel et non pas religieux.
Quoi qu'il en soit, la position de la France est la même, stricte et rigoureuse, particulièrement en cette Journée de la femme, ...
Mme Éliane Assassi . - Journée des droits des femmes !
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État . - ... qui vise des valeurs universelles, dont fait partie l'émancipation de la femme.
Nous serons donc très attentifs à cette question, même si, vous le savez, lorsque nous accueillons sur notre territoire des compétitions organisées par des institutions internationales, nous sommes obligés de nous conformer à leurs règles. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
CANCER DES ENFANTS
M. le président . - La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche . - Ma question s'adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Madame la ministre, le 20 février s'est tenu au Sénat, organisé par l'association Imagine for Margo , le troisième colloque consacré aux traitements spécifiques du cancer de l'enfant.
En 2007, le règlement pédiatrique européen a permis des avancées dans le domaine de la recherche et du développement de médicaments spécifiques pour les enfants par les industriels. Il apparaît aujourd'hui que ce règlement mérite, sinon d'être revu, du moins d'être réajusté.
En effet, les dérogations accordées aux laboratoires sont encore nombreuses. Par ailleurs, la mise en oeuvre des plans d'investigation pédiatriques est lourde et rigide, retardant ainsi la recherche. Certains plans sont même infaisables.
Il semblerait que la Commission européenne soit frileuse et réticente à l'idée de revoir le règlement. Pour appuyer cette démarche, il faut donc que la voix du Gouvernement soit forte.
Ma question sera simple : madame la ministre, comment comptez-vous vous engager ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président . - La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Madame la sénatrice, vous avez raison de souligner l'enjeu décisif que constitue la lutte contre les cancers pédiatriques.
Avant de répondre aussi précisément que possible à votre question, je voudrais dire que nous faisons aussi des progrès en matière de lutte contre les cancers pédiatriques. Nous le devons à la recherche et à la qualité de la prise en charge dans notre pays.
Chaque année, près de 2 500 nouveaux cas de cancer chez des enfants et des adolescents de moins de dix-huit ans sont recensés. Nous devons faire en sorte que la recherche avance et que de nouveaux traitements puissent être expérimentés.
Dans le cadre du troisième plan cancer, qui est aujourd'hui à mi-parcours, nous avons d'abord garanti l'accès des enfants à des traitements innovants grâce à six centres d'essais cliniques de phase précoce, qui sont, je veux le souligner, désormais opérationnels. Ainsi, tous les enfants qui, malheureusement, sont en situation d'« échappement thérapeutique », c'est-à-dire qui ne parviennent pas à être traités, pourront recevoir, dans le cadre d'un essai clinique unique au monde, un séquençage complet de leur génome.
Par ailleurs, la France, comme vous l'avez indiqué, madame la sénatrice, est très attentive à l'évolution du règlement européen sur les médicaments à usage pédiatrique, et nous entendons peser de tout notre poids sur la révision de ce texte européen. Comme je l'ai dit au commissaire européen chargé de la santé, nous voulons accélérer la recherche clinique en pédiatrie et renforcer les incitations pour les industriels à développer des molécules spécifiques pour le cancer de l'enfant.
Je puis vous l'assurer, madame Deroche, s'agissant des cancers pédiatriques, la France fera entendre sa voix et tiendra parole. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président . - La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche . - En effet, la France est plutôt en pointe dans le traitement des cancers de l'enfant, mais, s'agissant du règlement, il faut agir vite, le temps étant déterminant en la matière. Même si les cas sont heureusement moins nombreux, il ne faudrait pas que les enfants soient à la traîne pour ce qui est de l'accès à une médecine de précision ou aux thérapies innovantes.
Madame la ministre, nous vous suivrons et appuierons votre démarche auprès du Conseil et de la Commission européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
SITUATION DE L'ÉLEVAGE
M. le président . - La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour le groupe du RDSE.
Mme Hermeline Malherbe . - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
M. le président . - La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe . - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement, qui, je crois, est retenu à Berlin pour convaincre nos partenaires européens de mieux prendre en compte la crise agricole, crise dont les causes, multiples, ont déjà été évoquées à maintes reprises dans notre hémicycle.
Même si j'ai confiance dans l'action menée avec courage et détermination par le Gouvernement dans l'intérêt de notre agriculture, je souhaiterais que des résultats immédiats se concrétisent pour nos agriculteurs et pour nos agricultrices.
Dans les Pyrénées-Orientales, depuis plus de trente ans, nous travaillons au développement d'un élevage non intensif et qualitatif contribuant à l'entretien des paysages et à la limitation du risque incendie.
Mon département vient de se doter de nouveaux outils stratégiques de développement, dont deux abattoirs, plusieurs boutiques de vente directe, ou encore de labels de qualité comme La Rosée des Pyrénées .
Hélas, la mise en oeuvre de la PAC 2015 a pour effet de déstabiliser beaucoup d'exploitations et de fragiliser cette filière. Je pense non seulement aux conséquences du principe de proratisation des aides, qui exclut les surfaces non agricoles, mais aussi et surtout à la non-reconnaissance par l'Union européenne de l'enjeu de défense des forêts contre l'incendie, la DFCI, qui ne figure pas dans le programme de développement rural.
Il est certes possible d'incorporer la DFCI via l'enjeu de la biodiversité, mais à un niveau de rémunération jugé peu incitatif par les éleveurs et les éleveures au regard des contraintes et des coûts d'entretien de ces milieux.
Aussi ma question est-elle simple : quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour que nos éleveurs et éleveures (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) continuent de jouer pleinement leur rôle pour la défense des forêts contre l'incendie dans nos départements méditerranéens ? (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président . - La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger . - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, Mme Hermeline Malherbe interroge le Gouvernement sur la situation de l'élevage et les mesures prises pour remédier à la crise.
Je vous demande d'abord de bien vouloir excuser l'absence de M. le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) , qui est en ce moment même en Allemagne avec son homologue fédéral allemand pour avancer sur la construction de réponses européennes à la crise. Il y travaille depuis de longs mois. C'est évidemment aux niveaux local, national, européen et international qu'il faut agir pour répondre à une crise multiple, dont nous connaissons tous, dans nos territoires, l'impact et la gravité.
Une action globale est engagée par le Gouvernement à cet effet, et, autour du ministre de l'agriculture, nous sommes toutes et tous mobilisés.
C'est le cas d'abord avec le plan national qui a été lancé dès cet été pour répondre en urgence à la crise : 90 millions d'euros d'allégement de cotisations au bénéfice des agriculteurs ont d'ores et déjà été décidés, de même que des aides supplémentaires de 140 millions d'euros. Ces mesures étaient nécessaires et elles commencent à produire leurs effets sur le terrain.
Depuis le début de la crise, en 2015, il y a eu une baisse de près de dix points des cotisations personnelles des agriculteurs, ce qui, alors qu'ils sont confrontés à une situation très grave, leur donne un peu d'air, même si tous les problèmes ne sont pas résolus.
De la même manière, Stéphane Le Foll est mobilisé au niveau européen pour que la Commission entende enfin les demandes de la France sur l'élevage, avec notamment l'adaptation d'un certain nombre de dispositifs.
Les banques doivent faire leur travail ; les filières doivent continuer à se structurer ; la grande distribution doit jouer le jeu. À cet égard, le Gouvernement est prêt à apporter de nouvelles adaptations à la loi de modernisation de l'économie pour répondre aux sujets qui n'ont pas été encore réglés. De même, nous continuerons à être mobilisés sur les crises du porc et du lait, y compris pour remédier aux conséquences très fâcheuses de la libéralisation des quotas laitiers.
M. le président . - Il faut conclure, monsieur le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État . - Nous nous attachons bien sûr aussi, madame la sénatrice, aux spécificités territoriales que vous avez évoquées, particulièrement à la question de la gestion des incendies et des forêts. Nous avons déjà eu l'occasion de travailler de manière précise sur le sujet,...
M. le président . - Il faut vraiment conclure !
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État . - ... et nous sommes à votre disposition pour continuer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président . - La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour la réplique, en dix secondes, car M. le secrétaire d'État a largement consommé le temps de parole.
Mme Hermeline Malherbe . - Si je puis me permettre, M. le secrétaire d'État et moi-même, monsieur le président, ce n'est pas la même chose ! (Sourires.)
Ma question est vraiment d'actualité, puisqu'il y a en ce moment même un incendie de forêt à Cerbère, à la frontière entre l'Espagne et la France. Nous restons mobilisés, monsieur le secrétaire d'État, avec les maires, les conseillers départementaux, les agriculteurs et les agricultrices, pour veiller à obtenir des réponses précises de l'Europe sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
SITUATION DU CAMP DE RÉFUGIÉS À GRANDE-SYNTHE
M. le président . - La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour le groupe écologiste.
Mme Marie-Christine Blandin . - Ma question, qui pouvait s'adresser indifféremment à M. le Premier ministre ou à M. le ministre de l'intérieur, concerne la solidarité due par l'État à une commune exemplaire dans la résorption de l'insalubrité, de l'insécurité et de l'inhumanité d'un camp de migrants réfugiés.
La pauvreté des réponses européennes et le jeu de dominos des égoïsmes nationaux jettent contre les frontières des milliers d'arrivants fuyant la guerre, qui vivent dans des conditions indignes.
Dans la commune de Grande-Synthe, au lieu-dit du Basroch, terrain boueux supportant un enchevêtrement de tentes et de bâches, les humanitaires les plus aguerris peinaient à se déplacer, et les passeurs se frottaient les mains en comptant que 1 000 passages garantis à 8 000 euros représentaient pour eux un stock de huit millions d'euros...
Un maire courageux a fait front et a tempéré les craintes de ses habitants en faisant construire avec les associations une solution transitoire et digne sur un terrain stabilisé, aux normes définies par le HCR, avec des abris en bois et des services organisés, tant alimentaires que médicaux ou juridiques. Les femmes savent qu'elles y trouveront de meilleures conditions de vie. Le déménagement est en cours, même s'il a, hélas, été menacé quelques heures par une interruption administrative, ce qui montre au passage que la commune est plus menacée qu'aidée.
L'État va-t-il envoyer un autre signal devant cette initiative et prendre sa juste part à Grande-Synthe, là où dialogue et responsabilité se conjuguent ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président . - La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage . - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame Blandin, je vous prie d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Bernard Cazeneuve, lequel, se trouvant actuellement au sommet franco-italien, ne peut répondre à votre question. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le camp de Grande-Synthe est depuis plusieurs mois dans une situation particulièrement dégradée. Dégradée, d'abord, vous l'avez dit, du point de vue de la sécurité, avec des passeurs et des regroupements communautaires. Une action déterminée a été conduite au cours de l'année passée, et vingt-cinq réseaux, qui sévissaient dans le secteur, ont été démantelés. Cette action se poursuit et un réseau a été mis hors d'état de nuire au début de la semaine dernière.
La priorité du Gouvernement dans ce secteur est de démanteler des bidonvilles, à Calais comme à Grande-Synthe, en proposant des solutions de mise à l'abri pour chaque migrant.
Pour répondre à la situation humanitaire, des maraudes, comme à Calais, sont conduites quotidiennement dans le camp du Basroch par les services de l'État et les associations.
Depuis le début de l'année, 600 migrants ont ainsi quitté Grande-Synthe pour l'un des 109 centres d'accueil et d'orientation, des moyens financiers importants ayant été dégagés à cette fin.
En complément de ces propositions, des solutions de mise à l'abri ont été offertes à proximité de Grande-Synthe pour les personnes particulièrement vulnérables : trois cents places ont déjà été mises à disposition et nombre de migrants ont ainsi pu être accueillis.
Ces efforts ont permis une réduction très nette de l'affluence dans ce camp du Basroch : lors du dernier recensement, le nombre de personnes était passé de 3 000 à 1 050.
La solution passe donc non par un déplacement de ce camp...
M. le président . - Il faut penser à conclure, madame la secrétaire d'État !
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État . - Le préfet du Nord a sollicité la réunion d'une commission de sécurité. Les questions ont été traitées. Les services de l'État oeuvrent dans ce secteur pour protéger les migrants, car ces derniers ont avant tout besoin de protection. Ils restent en relation étroite avec les élus sur ce territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président . - La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour la réplique. Vous avez dix secondes !
Mme Marie-Christine Blandin . - Dix secondes pour plaider la solidarité ! Initiative communale éthique : 900 personnes à l'abri avec des repas, mieux que dans des containers sans douche ! Nous demandons une égalité de traitement, c'est tout ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
FEMMES ET DROIT DU TRAVAIL
M. le président . - La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain et citoyen. Vous avez deux minutes, ma chère collègue.
Je demande à chacun de respecter son temps de parole.
Mme Laurence Cohen . - Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, a cette année une résonance particulière.
Avec plus d'un million de signatures, le projet de loi visant à réformer le code du travail est en train de mobiliser contre lui - à juste titre ! - une grande majorité de nos concitoyennes et concitoyens. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Dès ce soir, la manifestation féministe fera de la lutte contre ce texte l'un de ses principaux mots d'ordre. Et des manifestations contre ce projet de loi auront lieu demain sur l'ensemble du territoire.
Si c'est bien l'ensemble des salariés qui sont visés par cette réforme, comme l'a dénoncé Annie David la semaine dernière, les femmes risquent de payer le plus lourd tribut.
Les inégalités professionnelles demeurent criantes : 27 % d'écart salarial et 40 % d'écart pour les pensions de retraite entre les femmes et les hommes.
Aujourd'hui, les femmes sont bien plus exposées à la précarité, aux bas salaires, à la ségrégation professionnelle, aux horaires atypiques, avec une explosion des temps partiels subis - 80 % d'entre eux sont occupés par des femmes -, mais aussi au chantage exercé par des patrons qui veulent plus de flexibilité.
Ma question est simple : madame la ministre, pouvez-vous dire aux femmes de ce pays en quoi ce projet de loi, qui enterre définitivement le seuil minimal de 24 heures hebdomadaires des contrats à temps partiel, autorise la flexibilité des horaires et des salaires, facilite les licenciements tout en limitant les indemnités prud'homales, qui met à mal le paiement des heures supplémentaires, oui, pouvez-vous leur dire en quoi ce texte permettra d'améliorer leur situation et de réduire les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président . - La parole est à Mme la ministre.
Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social . - Madame la sénatrice, je voudrais mettre ici en perspective ce projet de loi, qui n'est aujourd'hui qu'un avant-projet examiné par le Conseil d'État.
Vous le savez, nous avons rouvert un cycle de discussions avec l'ensemble des partenaires sociaux, qu'il s'agisse des organisations syndicales ou des organisations patronales. En effet, des questionnements sincères s'expriment autour de ce texte - il y a, c'est vrai, un juste point d'équilibre à trouver -, ce qui n'exclut pas une certaine manipulation ou une certaine désinformation. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Thierry Foucaud . - De quel côté ?
Mme Myriam El Khomri, ministre . - D'ailleurs, ne dites-vous pas vous-même, madame la sénatrice, que le projet de loi dérogera à la règle des 24 heures hebdomadaires ?
Mme Laurence Cohen . - Je le dis parce que c'est vrai !
Mme Myriam El Khomri, ministre . - Non, ce n'est pas vrai ! Je tiens à le rappeler ici, c'est ce gouvernement qui a, après une négociation avec les partenaires sociaux, inscrit dans la loi la durée minimale de 24 heures hebdomadaire pour éviter les temps partiels subis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Dans toute la partie consacrée au temps de travail, le texte ne prévoit rien sur cette durée minimale.
Il en va de même de la durée hebdomadaire de travail. On veut faire croire que la loi autoriserait à travailler soixante heures. C'est totalement faux !
Je confirme donc qu'il existe une part de désinformation et de manipulation autour de ce projet de loi. Permettez-moi de vous donner quelques éléments pour illustrer mon propos.
Ce texte vise en réalité à répondre à la situation que connaît notre pays, où 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, vous avez raison sur ce point.
On observe parfois chez certains employeurs, notamment dans les TPE ou PME, parmi les commerçants ou les artisans - il suffit d'entendre ce qui remonte du terrain -, des réticences à embaucher en CDI. Les victimes de cette attitude sont les personnes les plus précaires, à savoir les jeunes, les femmes et les personnes les moins qualifiées. En encourageant le recrutement en CDI, notre objectif est justement de lutter contre ces comportements.
Ce projet de loi prévoit, de plus, la création d'un compte personnel d'activité.
Mme Annie David . - C'est une coquille vide, on le sait bien !
Mme Myriam El Khomri, ministre . - Les personnes dont les parcours comportent les ruptures les plus nombreuses sont bien les femmes. La question de la conciliation de la vie personnelle et professionnelle est aussi au coeur de ce projet de loi.
M. le président . - Il faut conclure !
Mme Myriam El Khomri, ministre . - Par ailleurs, une partie importante du texte est consacrée à la protection.
Telles sont les grandes lignes de ce projet de loi, qui n'est encore qu'un avant-projet. À l'issue des échanges avec les partenaires sociaux, nous le présenterons en conseil des ministres. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président . - La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique, en trente et une secondes !
Mme Laurence Cohen . - S'agit-il de pédagogie ? Je pense que les gens savent lire ! Ils comprennent ce dont il est question dans ces mesures ! (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.)
Madame la ministre, quand on a la volonté politique de réduire la flexibilité et de mettre un terme à la précarité et au chômage, on se garde bien de faciliter les licenciements dans les entreprises et d'inverser les normes : on prend vraiment des résolutions politiques pour ramener le temps de travail à 32 heures et mettre un terme aux temps partiels contraints des femmes. On fait en sorte de valoriser leurs salaires et de favoriser une réelle mixité des emplois !
C'est une affaire de volonté politique. En tout cas, pour notre part, nous sommes du côté de ceux qui luttent et veulent améliorer leurs conditions de travail ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
PÉRENNISATION DU FONDS DE SOUTIEN
POUR LES
RYTHMES SCOLAIRES
M. le président . - La parole est à Mme Françoise Cartron, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Françoise Cartron . - Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, chargée des collectivités territoriales.
Mandatée pour conduire une mission d'évaluation de la mise en place des rythmes scolaires, plus particulièrement en milieu rural, j'ai été amenée, ces derniers mois, à rencontrer de très nombreux élus locaux, dans toute la France.
Dans leur immense majorité, les élus ont relevé avec détermination, imagination et courage le défi qui leur était posé, à savoir la réorganisation du temps de l'enfant.
Ainsi, aujourd'hui, plus de 90 % des projets éducatifs territoriaux, les PEDT, ont été validés et signés. Une évidence, donc, les territoires se sont fortement mobilisés, quelle que soit leur taille ou leur particularité géographique. Néanmoins, au-delà du constat, une interrogation subsiste partout.
Cette réforme a pu se mettre en place de façon satisfaisante grâce à l'accompagnement financier de l'État pour toutes les communes. L'aide a été majorée pour les plus défavorisées, qu'elles soient rurales ou urbaines.
Aujourd'hui, afin d'assurer la poursuite des projets mis en place, les maires ont besoin de lisibilité. Ils ont besoin d'être rassurés et de se projeter sereinement dans l'avenir, en sachant que, demain, leurs efforts ne seront pas fragilisés par une remise en cause des aides apportées.
J'en viens à ma question. Le Comité des finances locales a émis, le 28 janvier dernier, un avis favorable au maintien de la majoration forfaitaire accordée à certaines communes, pour une durée de trois ans, de l'aide aux activités périscolaires.
Pouvez-vous nous en dire plus, madame la secrétaire d'État, en détaillant les aides prévues par le Gouvernement afin d'accompagner toutes les communes dans la poursuite de la mise en place des rythmes scolaires en 2016 et 2017 ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume . - C'est une très bonne question !
M. le président . - La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État auprès du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, chargée des collectivités territoriales . - Madame la sénatrice, je vais vous répondre au nom de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, dont je vous prie de bien vouloir excuser l'absence. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous l'avez précisé, la rentrée 2015 a été la deuxième année d'application des nouveaux rythmes scolaires, celle aussi de la généralisation des projets éducatifs territoriaux, qui concernent 92 % des territoires et regroupent 96 % des élèves des écoles publiques.
La ministre de l'éducation nationale et le Gouvernement ont toujours rappelé l'engagement de l'État, qui se tient aux côtés des maires pour les aider à financer des activités périscolaires. Ainsi, le Gouvernement a pris, le 17 août dernier, des décrets pérennisant le fonds de soutien et le fonds d'amorçage de la réforme des rythmes scolaires, ce qui correspondait à une demande forte des élus locaux.
Le 6 mars dernier, Mme Najat Vallaud-Belkacem a fait publier au Journal officiel deux décrets qui donnent de la visibilité financière aux élus en garantissant un niveau d'aide constant durant la mise en oeuvre du projet éducatif territorial.
Ces deux décrets, qui ont reçu un avis favorable du Comité des finances locales, consulté au mois de février, permettent de maintenir ce niveau d'aide pour une durée de trois ans au profit des communes éligibles aux dotations cibles que sont la dotation de solidarité rurale, la DSR, et la dotation de solidarité urbaine, la DSU. Ces communes sont donc bénéficiaires de l'aide majorée, laquelle est portée de cinquante euros à quatre-vingt-dix euros par enfant et par parent.
M. Didier Guillaume . - C'est une excellente mesure !
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État . - Aucune commune ne perdra donc brutalement le bénéfice de cette majoration. Cela vaut dès cette année et, pour être tout à fait précise, dès que sera versé le solde du soutien au titre des années 2015 et 2016.
Cette mesure favorable concernera également les communes qui, compte tenu des règles d'éligibilité de cette aide majorée DSU-DSR cible, en perdraient le bénéfice au cours des années scolaires 2016-2017 et 2017-2018.
M. le président . - Il faut conclure !
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État . - Cela concerne 370 communes, petites mais aussi plus grandes. Tel est en effet le cas de la commune de Marseille, au profit de laquelle l'État consent un effort à hauteur de 5,5 millions d'euros. (M. Jean-Claude Gaudin approuve. - Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
M. le président . - La parole est à Mme Marie Mercier, pour le groupe Les Républicains, et pour deux minutes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie Mercier . - Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Un sénateur du groupe Les Républicains . - Elle est en vacances !
Mme Marie Mercier . - Deux conceptions s'affrontent s'agissant de la sélection en master : certains sont contre, dans une logique égalitariste de poursuite des études ; d'autres sont pour, afin de maintenir un niveau de compétences et de connaissances homogènes.
En pratique, des universités appliquent déjà une sélection. Cependant, depuis plusieurs années, l'absence de décret a instauré un vide juridique laissant libre cours à l'hypocrisie.
En qualifiant de « rétrogrades » ces universités, Mme la ministre de l'éducation nationale a rouvert le débat. Rappelons que les diplômes sont une garantie de qualification et même d'excellence en master 2. Ils doivent se traduire sur le marché du travail en emplois, en responsabilités et en salaires.
Or le taux de chômage de nos jeunes vient d'atteindre 25,7 %, taux supérieur de 5,7 points à la moyenne européenne. De plus, 40 % de nos jeunes diplômés, particulièrement ceux qui sont issus de l'université, ne trouvent toujours pas d'emploi un an après l'obtention de leur diplôme.
En dévalorisant les masters au nom de l'égalitarisme, c'est un alignement par le bas qui est proposé aux étudiants. N'êtes-vous pas en train de les tromper ? L'égalitarisme est une utopie ravageuse, voire une « tyrannie », selon Raymond Aron.
Mme Catherine Troendlé . - C'est vrai !
Mme Marie Mercier . - Madame la secrétaire d'État, pourriez-vous nous confirmer que la position du Gouvernement est bien, finalement, d'assumer la sélection en master , de manière à garantir la compétitivité de nos universités sur les plans national et international ? En outre, je voudrais savoir si le Gouvernement a la volonté d'accompagner l'orientation de nos étudiants et de favoriser les passerelles entre études et emploi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président . - La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage . - Madame la sénatrice, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, et de M. Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. (Murmures ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Je répondrai donc à leur place.
Je souhaite, tout d'abord, éviter la confusion entre deux sujets. Vous avez fait référence à des propos tenus par la ministre concernant la sélection - ou l'absence de sélection - à l'entrée à l'université. Vous avez également mentionné les masters . Il y a donc bien deux sujets différents.
Pour la ministre, il n'est pas question de sélection à l'entrée à l'université. La situation n'est pas la même en ce qui concerne les masters , sujet sur lequel le Conseil d'État a rendu un avis extrêmement récent, puisqu'il date du 10 février 2016. Cela montre bien que le retard auquel vous faites référence ne reflète pas exactement la situation.
Cet avis précise le cadre juridique applicable aux cycles des masters . Il rappelle que les procédures sélectives sont possibles, mais qu'elles doivent être prévues par une liste, laquelle fait l'objet d'un décret. Voilà quelques semaines, dès qu'il a pris connaissance de cet avis, le Gouvernement a entrepris la rédaction d'un décret, en relation avec la conférence des présidents d'université.
La liste des exceptions reprendra l'ensemble des formations qui mettent aujourd'hui en oeuvre une sélection entre le master 1 et le master 2, de manière à sécuriser sur le plan juridique la prochaine rentrée universitaire.
Pour autant, dès que le décret aura été pris, la ministre de l'éducation nationale et le secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche organiseront - ils s'y sont engagés - une concertation avec l'ensemble des parties sur l'organisation du cycle des masters, pour clarifier la situation.
Tout le monde en est bien conscient, la situation n'est pas satisfaisante. Le Gouvernement s'emploie à l'améliorer en encourageant la poursuite du dialogue, qui n'a jamais cessé, entre les présidents d'université et les étudiants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président . - La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique, mais en dix-sept secondes...
Mme Marie Mercier . - Madame la ministre, les présidents d'université travaillent chaque jour à la qualité des formations et à l'attractivité de nos universités. Ils estiment que le master est une formation sur mesure, nécessitant une sélection assumée, sur des critères objectifs.
Lorsque la jeunesse est en souffrance, c'est toute la société qui est blessée. Les jeunes ont besoin d'avoir confiance en l'avenir et en leur pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
DROITS DES FEMMES ET DISCRIMINATION
M. le président . - La parole est à Mme Christiane Hummel, pour le groupe Les Républicains.
Mme Christiane Hummel . - Ma question était adressée à M. le Premier ministre. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Tous les 8 mars, le projecteur est mis sur la condition des femmes, condition qu'elles vivent 365 jours par an, que ce soit dans l'espace public, dans la sphère familiale ou au sein du couple.
Je souhaite attirer l'attention de M. le Premier ministre sur trois points particuliers.
Premier point, les victimes de violences physiques ou psychologiques ont l'obligation d'apporter la preuve de leur calvaire, ce qui est souvent très difficile. Ne pourrait-on pas mener une réflexion pour diminuer la portée de cette obligation ?
Deuxième point, la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, dite « loi DALO », avait prévu d'offrir aux femmes victimes de violences un accès prioritaire au logement social. Tel n'est pas le cas aujourd'hui : d'autres critères, sur lesquels je ne m'étendrai pas ici, sont reconnus plus prioritaires par les commissions d'attribution. J'en parle en toute connaissance de cause puisque je siège au sein de ces commissions.
Mon troisième point concerne l'espace public, où les femmes ont de plus en plus de difficulté à être en sécurité : elles ont, tout simplement, peur de sortir. Des événements similaires à ceux qui se sont produits à Cologne ont lieu dans des quartiers de nos grandes villes. Les femmes sont victimes de nouveaux modes opératoires sexistes.
Monsieur le Premier ministre, comptez-vous enfin prendre en compte ces problèmes, qui sont ceux de beaucoup de femmes au quotidien ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président . - La parole est à Mme la ministre.
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Madame la sénatrice, j'espère que vous ne verrez pas d'inconvénient à ce que ce soit la ministre chargée des familles, de l'enfance et des droits des femmes qui vous réponde, en lieu et place du Premier ministre . (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je tiens d'abord à vous remercier de votre question. Effectivement, chaque année, le 8 mars nous permet de dresser collectivement le diagnostic des discriminations, des inégalités et des dominations spécifiques dont les femmes sont victimes.
Vous avez évoqué plus particulièrement trois sujets.
S'agissant des violences faites aux femmes, au-delà du seul Gouvernement, vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, êtes chaque jour mobilisés dans vos permanences pour accompagner et aider les femmes victimes de violences, notamment dans leurs démarches judiciaires.
Un décret publié la semaine dernière indique très justement que les auditions de femmes victimes de violences doivent inclure une dimension médicale : un accueil spécifique doit leur être offert.
Vous avez également évoqué, madame la sénatrice, l'accès prioritaire au logement social des femmes victimes de violences. Mon diagnostic sur ce point est moins radical que le vôtre : le système fonctionne, malgré des imperfections. De fait, les femmes victimes de violences ont un accès prioritaire au logement social.
Malheureusement, ces femmes sont nombreuses, trop nombreuses, alors que les logements sociaux disponibles ne le sont pas toujours assez pour répondre à la demande. Néanmoins, Mme la ministre du logement et moi-même avons fait de cet accès prioritaire au logement social l'une de nos priorités afin de mettre ces femmes à l'abri des hommes violents qui leur ont fait fuir leur domicile.
Enfin, le troisième sujet que vous avez évoqué concerne plus largement la convergence entre la laïcité et les droits des femmes. En effet, la République, dans toutes ses caractéristiques de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité, est le meilleur allié des droits des femmes.
Je me préoccupe tout autant du recul, sous la pression de groupes actifs, de l'éducation sexuelle à l'école que de l'effacement des femmes dans l'espace public. C'est bien l'une des priorités du Gouvernement que de faire appliquer la laïcité partout, à l'école comme dans la rue. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président . - La parole est à Mme Christiane Hummel, pour la réplique.
Mme Christiane Hummel . - Madame la ministre, braquer un projecteur un jour par an ne suffira pas, hélas, à changer quoi que ce soit à des réalités quotidiennes que notre société refuse de regarder en face. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Les pressions communautaristes dont sont victimes les femmes prennent des proportions inquiétantes. Il est temps d'ouvrir les yeux et de réagir en affirmant les valeurs de la République. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique Bailly . - Quelle réponse spontanée ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
GARANTIE CONTRE LES IMPAYÉS
DES PENSIONS
ALIMENTAIRES
M. le président . - La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Marie-Pierre Monier . - Ma question s'adresse à Mme la ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes.
Selon des chiffres cités par le rapport Fragonard d'avril 2013 sur les aides aux familles, 40 % des pensions alimentaires ne seraient pas entièrement payées, alors qu'elles représentent près d'un cinquième du revenu des familles monoparentales les plus pauvres ; 90 000 foyers sont potentiellement concernés. Dans 85 % des cas, il s'agit d'une mère qui élève seule son enfant ou ses enfants.
Les statistiques indiquent que les familles monoparentales comptent parmi les familles les plus pauvres, même après l'effet redistributif des prestations.
La loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a prévu, dans son article 27, l'expérimentation d'une garantie contre les impayés de pensions alimentaires. Celle-ci a commencé le 1 er octobre 2014 dans vingt départements ; elle doit s'achever le 1 er avril 2016.
À cette date, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a prévu la généralisation de ce dispositif à l'ensemble du territoire. Cela apportera une réponse concrète à la pauvreté des familles monoparentales, réponse dont les acteurs de la politique familiale ont salué la pertinence.
Ce dispositif permet au parent qui a la charge de l'enfant de toucher une pension alimentaire complémentaire différentielle pour que toute pension atteigne au minimum cent euros par mois et par enfant. Il rend également plus juste l'allocation de soutien familial en prévoyant un versement dès le premier mois d'impayés, ce qui permettra aux parents subissant des paiements irréguliers d'en bénéficier. Enfin, ce dispositif permet de responsabiliser davantage le parent débiteur par l'amélioration des procédures de recouvrement par la CAF.
Nous saluons ce dispositif. Il constitue un réel progrès social et une aide très concrète, principalement à destination des femmes, singulièrement des mères isolées.
Pouvez-vous, madame la ministre, nous dresser un bilan de l'expérimentation de ce dispositif dans les vingt départements concernés ? Pouvez-vous également nous fournir quelques éléments sur la création d'une agence de recouvrement des pensions alimentaires, évoquée comme un moyen de compléter ce dispositif ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président . - La parole est à Mme la ministre.
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Madame la sénatrice, en effet, aux violences déjà bien identifiées - violences intrafamiliales, violences sexuelles, viols -, s'ajoute un autre type de violence à l'encontre des femmes et, en particulier, des familles monoparentales : la violence économique que constitue le non-paiement des pensions alimentaires, qui plonge ces femmes et leurs enfants dans une situation d'extrême pauvreté.
Vous avez évoqué le rapport Fragonard, selon lequel 30 % à 40 % des pensions alimentaires ne sont pas versées ou sont payées partiellement ou irrégulièrement.
J'évoquerai également un phénomène plus difficile à quantifier, mais qui n'en existe pas moins, celui des pensions alimentaires non établies. Quand un couple non marié se sépare, il ne va pas toujours faire établir une pension alimentaire par un juge ; certains se séparent suivant une espèce de convention à l'amiable, auquel cas la mère ne peut se prévaloir d'un jugement pour obtenir le versement de sa pension alimentaire. C'est une autre source de non-paiement de la pension alimentaire.
Pour faire face aux grandes difficultés subies par les familles monoparentales, nous avons en effet expérimenté durant les deux dernières années, dans vingt départements, un mécanisme de garantie contre les impayés des pensions alimentaires. Son bilan est extrêmement positif ; il l'est même tant que nous avons décidé de généraliser cette garantie à compter du 1 er avril prochain.
M. Marc Daunis . - Très bien !
Mme Laurence Rossignol, ministre . - Cette allocation, qui sera versée à toutes les familles monoparentales ne bénéficiant pas d'une pension alimentaire, garantira cent euros par mois et par enfant. Elle pourra également apporter un complément de revenus à celles dont les pensions seraient inférieures à cent euros.
Cette allocation présente un autre avantage : les caisses d'allocations familiales sont subrogées dans les droits de la personne et peuvent poursuivre, à la place des mères, les débiteurs. Cela mettra ces femmes à l'abri d'éventuelles violences identifiées préalablement au cours du processus de rupture.
Cette garantie des impayés des pensions alimentaires est très attendue ; c'est une belle réforme.
Nous travaillons également, comme vous l'avez évoqué, à la création d'une agence de recouvrement des pensions alimentaires, qui nous permettrait de concentrer l'ensemble des procédures liées à l'établissement des pensions alimentaires, comme cela se fait actuellement au Québec.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, la Journée des droits des femmes, ce n'est pas uniquement le 8 mars, c'est chaque jour, pour le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. Jean-Louis Carrère . - Mais pas pour Les Républicains !
M. le président . - Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
IV. - Projection du film de Frédérique
Bedos
« Des femmes et des hommes »
Le film Des femmes et des hommes a été réalisé dans le cadre de l'ONG « Le projet Imagine », créée par Frédérique Bedos, journaliste, pour inspirer et mobiliser le grand public autour des défis majeurs de notre temps à partir du témoignage de « héros anonymes ».
Des femmes et des hommes est le résultat d'une enquête de plusieurs mois, effectuée en 2014-2015 et qui montre, à partir de témoignages très divers (universitaires, responsables d'institution comme la FAO , ONU-Femmes et la CEDEF-CEDAW , militantes associatives, expertes, grands reporters...), rassemblés sur tous les continents, que l'égalité entre les femmes et les hommes, qui ne résulte nulle part dans le monde d'un processus naturel, est aujourd'hui menacée.
1. PRÉSENTATION DU FILM DE FRÉDÉRIQUE BEDOS
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - En cette période troublée pour les droits des femmes, où l'on a l'impression que la barbarie progresse, il est particulièrement important de prendre connaissance du travail accompli par Frédérique Bedos, qui a enquêté pendant plus d'un an sur l'égalité entre hommes et femmes, considérée dans ses aspects les plus divers : représentation politique des femmes, place des femmes dans l'économie, dans l'agriculture, violences faites aux femmes, sort des femmes pendant les guerres et après les conflits, manière dont les religions considèrent les femmes...
C'est d'ailleurs la partie de ce film sur les religions, particulièrement réussie, qui a permis, le 14 janvier dernier, de lancer une table ronde de la délégation sur le thème « l'égalité entre hommes et femmes contre les extrémismes religieux », qui a été un moment fort de nos travaux.
Je rends hommage à la clairvoyance de ma collègue Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, qui très tôt a su identifier le talent hors normes de Frédérique Bedos et qui, depuis plusieurs mois, m'invitait à la rencontrer et à organiser une projection publique de ce documentaire.
La projection de ce soir concerne la version « courte » du film de Frédérique, dont une version plus longue analyse des sujets encore plus variés, notamment la place des femmes dans l'armée française, ce qui rejoint le thème d'un travail que la délégation aux droits des femmes a porté à l'occasion du 8 mars 2015 12 ( * ) .
La conclusion que l'on tire tout naturellement des témoignages mis en valeur par Frédérique Bedos est que, contrairement à ce que l'on pouvait croire il y a trente ans, il n'y a pas de progrès naturel vers l'égalité entre hommes et femmes et qu'aucune région du monde n'est à l'abri d'une régression dans ce domaine.
J'espère pour ma part que le rapprochement entre notre délégation et Le projet Imagine , mis en place depuis janvier, va durer et se concrétiser encore, car les travaux de Frédérique Bedos suscitent dans notre délégation un écho tout particulier.
Merci à tous et toutes d'être présents ce soir pour assister à cette projection.
Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Lorsque vous aurez vu ce film, vous comprendrez les raisons pour lesquelles j'ai insisté auprès de Chantal Jouanno pour que la délégation aux droits des femmes et la commission de la culture organisent conjointement cette projection.
Il me paraissait important de mettre aujourd'hui en avant une femme journaliste, une véritable artiste ! Bien que les réalisatrices et les productrices soient de plus en plus nombreuses dans les médias, nous n'atteignons cependant pas encore la parité. Cette journée nous offrait une occasion de montrer le travail remarquable de Frédérique.
Historienne d'art, Frédérique Bedos a commencé sa carrière à New York en tant que reporter culturel à Fashion & Design TV . Elle a ensuite travaillé à Londres pour MTV avant de rejoindre France 2 , puis M6 . Peut-être vous souvenez-vous de l'avoir vue présenter les « Victoires de la musique ». Voilà quelques années, Frédérique a créé l'ONG Le projet Imagine , une initiative généreuse qui vise à mettre en valeur des femmes et des hommes exceptionnels et à nous donner ainsi un peu d'espérance. Frédérique se qualifie d'ailleurs de « journaliste de l'espérance ».
C'est dans ce cadre qu'elle a réalisé le film que nous allons regarder ensemble. Il a été présenté pour la première fois le 8 mars 2015. Diffusé sur TV5 Monde , il a, en un an, réuni déjà près de 33 millions de téléspectateurs. Vous contribuerez aujourd'hui au défi que Frédérique s'est fixé de rassembler cent millions de spectateurs autour de ce film. Vous comprendrez aussi combien il est essentiel de le diffuser le plus possible dans le monde entier.
Je tiens à ce que nous l'applaudissions. Il est rare de voir des personnes mettre à ce point en pratique, au quotidien, l'espérance.
Frédérique Bedos, réalisatrice . - Merci beaucoup. C'est un grand honneur de présenter ce film au Sénat. Ce film a été produit et réalisé dans des conditions particulières, au sein d'une ONG d'information, Le Projet Imagine . Vous pourrez en savoir plus sur Internet à l'adresse : www.leprojetimagine.com
Après une vingtaine d'années dans les médias, j'ai noté que ceux-ci, tant la télévision que la radio, mettaient souvent en évidence le pire de la nature humaine. Or nous n'avons pas forcément besoin des médias pour savoir que le genre humain est capable du pire ! Mais l'humanité est aussi capable du meilleur et les enjeux auxquels nous devons faire face devraient justement nous encourager à entreprendre de bâtir le meilleur. C'est sur cette analyse que j'ai créé cette ONG.
Ce sont aussi des souvenirs d'enfance qui ont porté ce projet. Je viens d'une famille particulière, formée d'une vingtaine d'enfants adoptés. Ces enfants venaient du monde entier, personne n'en voulait. En 2008, j'ai pris conscience que mes parents adoptifs étaient des héros, des héros modernes, de l'ombre, humbles, qui n'ont pas agi pour la gloire. J'ai pensé qu'il existait des personnes de cette trempe partout dans le monde. Ces héros ne refont pas le monde par des discours, mais « les mains dans le cambouis ». Ce faisant, ils sont porteurs d'un puissant message d'espérance auquel nous pouvons nous identifier, puisque ces femmes et ces hommes nous ressemblent. Ils ne possèdent pas le portefeuille de Bill Gates ni le cerveau d'Einstein, mais ils nous montrent que tout est possible et que l'avenir est entre nos mains.
J'ai souhaité les mettre en lumière au sein d'une ONG, d'une manière totalement indépendante et dans un esprit de redistribution.
Nous faisons, comme le disait Catherine, du journalisme avec espérance. Nous alimentons une rubrique de portraits de héros du monde entier, que nous aidons par ailleurs. Nous réalisons également de grands documentaires de société qui se situent eux aussi sur cette crête très fragile qui consiste à dénoncer l'indéfendable et à observer les problèmes bien en face, tout en gardant toujours un regard bienveillant, respectueux et constructif. Il s'agit de donner l'envie, à la fin du film, de s'emparer du sujet pour essayer de résoudre les problèmes et construire quelque chose de meilleur.
J'espère que ce film vous plaira. Diffusé par TV5 Monde , il a été vu par 33 millions de personnes, comme l'a déjà indiqué Catherine Morin-Desailly. Il est traduit en douze langues et de nombreuses chaînes ont décidé de le diffuser, en France avec Public Sénat , en Belgique avec la RTBF , mais aussi en Argentine, au Brésil, en Suisse, en Allemagne ou en Hongrie. Il est enthousiasmant de penser que le film pourra réunir cent millions de spectateurs.
Ce soir, nous devrions nouer un débat très intéressant, constructif, riche. Il est toutefois dommage que nous restions à débattre entre nous. Nous devons absolument atteindre le grand public et c'est un peu la mission que nous nous sommes fixée au sein de notre ONG. Je vous remercie.
[Applaudissements.]
[Il est procédé à la projection du film. On y entend les témoignages suivants :
Phumzile Mlambo-Ngcuka, sous-secrétaire générale des Nations Unies, directrice exécutive de United Nations Entity for Gender Equality and the Empowerment of Women (ONU Femmes ) : « L'inégalité, la paix et la sécurité [...] ne peuvent être résolus sans l'autonomisation des femmes et l'égalité des sexes [...] La vie des mères doit être améliorée car elles pourront alors s'occuper de la qualité de vie de leurs propres enfants [...] Si on ne fait pas ce travail avec les femmes, elles donneront naissance à la génération suivante de pauvres. Et dans ce cas nous n'avançons pas, nous reculons ! »
Marcela Villarreal, directrice des partenariats à l' Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO of the United Nations) : « L'égalité hommes femmes est très étroitement liée à la réduction de la pauvreté et de la faim dans le monde. Nous estimons que plus de cent millions de personnes sortiraient de la faim si les femmes avaient le même accès aux ressources de production dans le secteur agricole que les hommes. »
Nicole Ameline, présidente du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW ) : « L'égalité a souvent été considérée comme une question de femmes. C'est une question de société et d'humanité [...] Un sujet universel. N'oublions pas que nous sommes dans un monde d'hommes, construit par les hommes, pour les hommes. Longtemps, les femmes ont été des objets de droit, pas des sujets de droit. »
Patricia Barbizet, directrice générale d' Artemis : « Les Lehman Sisters n'auraient pas fait ce qu'on fait les Lehman Brothers [...] parce que des regards différents, des aspects différents auraient pu donner plus d'éthique, de réalisme et moins de concurrence. Le monde du business doit promouvoir l'éducation, la formation et l'accès à la vie professionnelle des femmes. Si les Japonaises se mettaient à travailler, la croissance japonaise repartirait, ne serait-ce que par l'apport que cela représenterait. C'est vrai dans tous les pays. On ne peut pas se priver de la moitié de la planète en termes d'intelligence, d'engagement... »
Huang Hug, élue une des cent personnalités les plus influentes du monde par le magazine Time en 2011 : « Ce qui s'est passé en 1949, lorsque les communistes ont pris le pouvoir en Chine, est le fait que Mao, au moins sur le plan administratif, a pensé que les femmes devaient être égales aux hommes [...] Mais en profondeur, culturellement, il reste encore cette énorme stigmatisation des femmes et de l'égalité des sexes. »
Rama Mani, associée de recherche principale au Centre d'études internationales de l'Université d'Oxford, conseillère au World Future Council : « L'Évacide, littéralement le génocide des femmes avant même qu'elles naissent, traverse toutes les classes, toutes les castes et toutes les religions. Il y a 37 millions d'hommes de plus que de femmes, en Inde. C'est une question de sécurité internationale ! »
Zainah Anwar, féministe musulmane de Malaisie, co-fondatrice de l'ONG Sisters in Islam : « Découvrir par moi-même si ce que ces mullahs, ulémas, ces hommes, disent : qu'ils ont le droit de battre et violenter leurs épouses [...], si tout cela est vraiment dans le Coran. Le résultat a été incroyable. Pour nous, ce fut réellement l'aventure la plus libératrice que nous ayons vécue ! »
Delphine Horvilleur, rabbin du Mouvement juif libéral de France : « Ne nous demandons pas si les religions sont misogynes. Demandons-nous si les traditions religieuses sont misogynes aujourd'hui, au XXI ème siècle [...]. Malheureusement, il faut être honnête et admettre que, bien souvent, ceux qui parlent au nom de ces traditions, leurs représentants officiels, en 2014, le sont [...]. Au nom de la pudeur, on fait des textes une lecture obscène. »
Marwa Sharafeldin, chercheure à l'Université de Londres en études orientales et africaines : « Ma définition du féminisme est de faire en sorte que les femmes soient traitées comme des êtres humains. Alors en tant qu'homme on peut être féministe, en tant que femme on peut être féministe [...]. Arrêtez d'utiliser la religion pour priver les femmes de leurs droits ! »
Caroline Sinz, grand reporter : « Brusquement, je vais devenir victime, dans la foule place Tahir. J'avais pensé aux enlèvements, aux bombes mais je n'avais jamais pensé au viol... Je n'aurais jamais pensé que cela m'arrive en plein jour, sur une place publique, en plein reportage. Si j'ai été sauvée, c'est aussi pour parler. Quand on est journaliste, si on se tait, qui parlera à notre place ? »
Scilla Elworthy, fondatrice de Oxford Research Group , fondatrice de l'organisme philanthropique Peace Direct , membre du World Future Council , Prix Niwano pour la Paix 2003 : « Aujourd'hui, nous avons des conflits récurrents et non pas des conflits nouveaux. 50 % des accords de paix échouent dans les cinq ans. Pourquoi ? 50 % de la population qui est impactée par la guerre, les femmes et les enfants, ne se trouve pas à la table des négociations. »]
2. COMPTE RENDU DU DÉBAT AVEC LE PUBLIC
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Le débat est donc ouvert. Le sujet des inégalités entre hommes et femmes est posé par ce film avec finesse, sans doute parce que c'est une femme qui le traite.
Je voudrais juste, avant de vous donner la parole, vous dire combien nous avions été frappés, lors de la projection d'un passage de ce film en réunion de délégation, par l'interprétation faite des textes fondateurs des religions dans un sens défavorable à l'égalité entre hommes et femmes. On l'oublie souvent, mais c'est cette lecture qui a déterminé nos cultures et qui, inconsciemment, modèle encore nos pensées dans une logique inégalitaire. Lors de notre débat en janvier dernier, nous avions identifié les passages déterminants de ces textes dont la traduction a pu encourager une lecture patriarcale. Mais bien d'autres sujets sont posés par ce film.
Frédérique Bedos . - Vous avez vu la version de 52 minutes. Il existe une version de 1 heure 45 sur le site internet de l'ONG Projet Imagine et nous pourrons accompagner tous ceux qui souhaitent organiser une projection en région. Je suis très impatiente d'engager cet échange.
Françoise Morvan, présidence de la Coordination française pour le Lobby européen des femmes (CLEF) . - Je souhaiterais revenir sur la proposition de Frédérique Bedos visant à faire en sorte que ce film soit largement connu. La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes (CEDEF), qui est la deuxième convention internationale signée et ratifiée sur ce sujet, reste aujourd'hui méconnue et à bien des égards confinée aux milieux féministes.
Nous organiserons un événement autour de la CEDEF alors que la France présentera cette année son septième rapport devant le comité CEDAW . L'objectif est de décrire la mise en oeuvre de la convention sur notre territoire et toutes les avancées réalisées en matière d'égalité. Les ONG ont la possibilité d'élaborer un rapport alternatif à celui des autorités françaises. La CLEF et ses 65 associations membres ont rédigé un rapport que nous présenterons également à Genève, début juillet.
Nous effectuons par ailleurs un tour de France pour faire connaître le travail de six universitaires de Tours, dirigées par Diane Roman, qui ont publié un ouvrage sur la CEDEF 13 ( * ) mettant en lumière les difficultés pour les femmes d'accéder à l'égalité. Pour l'instant, nous n'avons rencontré aucune difficulté à Lille, Rouen, Brest, Bordeaux, Lyon et Strasbourg. Il devrait en être de même à Toulouse. La situation s'est révélée plus délicate à Marseille ou Nantes. Il s'agit moins de réticences que de questions de calendrier ou d'opportunités. Je saisis donc cette occasion pour demander votre aide, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, pour m'aider à solliciter les principales mairies de ces territoires.
En effet, même si notre ONG revêt une certaine importance, y compris à l'échelle internationale, je reste une présidente d'ONG. Or, il sera toujours plus facile pour un maire d'associer un président d'université et toutes les personnalités institutionnelles qui devraient assister à ces manifestations autour de la CEDEF. Il nous a parfois été reproché de travailler essentiellement avec des associations féministes. Nous diffuserons donc le film de Frédérique Bedos et nous organiserons une conférence avec des participations plus institutionnelles.
Nous souhaiterions également monter des ateliers relatifs à la réalité de la région, dans le domaine de l'égalité, avec des associations féministes. Nous avons pour objectif de faire en sorte que la CEDEF soit affiché dans toutes les universités, les tribunaux et les écoles, comme l'est aujourd'hui la Déclaration universelle des droits de l'homme. Merci pour votre soutien.
Maryvonne Blondin . - Qu'attendez-vous des mairies ? Comment peuvent-elles vous aider dans votre projet ?
Françoise Morvan . - Nous les sollicitons pour organiser le débat avec les représentants institutionnels. Nous avions prévu de traiter un thème dans chaque ville, par exemple celui de la prostitution à Nantes, celui de l'égalité professionnelle à Brest, etc. On le voit dans la version longue du film, la Marine a accompli de nombreux progrès dans ce domaine. Puis nous tiendrons un débat sur les violences à Strasbourg, le 25 novembre.
Frédérique Bedos . - Je m'aperçois que la version courte du film, que nous venons de voir, ne comporte que des témoignages féminins. Or, des hommes interviennent dans la version longue, notamment pour évoquer la féminisation de la Marine. Lorsque j'ai réalisé cette version de 52 minutes, je n'ai conservé que les moments les plus forts. Je ne me rendais pas compte que, ce faisant, j'avais retiré tous les hommes ! J'aimerais qu'un sénateur présent dans cette assemblée s'exprime et réagisse à ce film.
Yves Détraigne . - Je suis frappé de constater au travers de ce film que toutes les sociétés, toutes les cultures ont fonctionné sur un modèle de domination masculine, probablement pour des raisons liées à la force physique. L'homme décide, organise, laissant penser qu'avant que soit mis en place un mode d'organisation de la société, c'est le plus fort qui a toujours eu raison. Le film confirme que toutes les religions sont apparues au fil du temps dans une société où, par nature, l'homme, à cause de sa force physique, avait le dernier mot. Ce faisant, elles ont forcément été influencées par l'époque où elles sont nées et par le contexte culturel dans lequel elles sont apparues. Mais il est particulièrement étonnant de noter que les sociétés, dans le monde occidental du moins, ont évolué alors que certaines organisations, religieuses ou non, où les hommes ont souvent la majorité, n'ont pas bougé. Ce décrochage interpelle. La plupart des religions suivent des dogmes très anciens auxquels il est, par définition, difficile de s'opposer. Un décalage se produit entre une société civile qui évolue et des dogmes religieux ou sociaux qui ne changent pas à la même vitesse. Les mouvements féministes permettent de réagir à cela.
Frédérique Bedos . - En tant qu'homme, vous sentez-vous féministe ?
Yves Détraigne . - Je ne suis pas féministe au sens où certains de ces mouvements donnent l'impression de vouloir remplacer la domination qu'exerçaient autrefois les hommes par une domination qu'exerceraient les femmes...
Frédérique Bedos . - Dans le film, Marwa Sharafeldin, féministe égyptienne, définit le féminisme comme le fait d'agir pour que les femmes soient reconnues comme des êtres humains.
Yves Détraigne . - C'est la moindre des choses ! Le film me semble très intéressant, car nous voyons que dans toutes les sociétés, c'est l'homme, probablement parce qu'il frappe le plus fort, qui a longtemps eu raison.
Frédérique Bedos . - Il semble effectivement que la domination exercée sur la femme représente la valeur la mieux partagée au monde, quelle que soit la culture, quel que soit le pays. Cette pratique paraît même universelle. L'analyste jungienne Anne Baring a écrit un livre pour réfléchir aux racines de celle-ci. L'une de ses théories est qu'avant même l'apparition de l'écriture, une civilisation agricole s'était mise en place et l'égalité semblait y être de mise ; les femmes ne subissaient alors pas de violences particulières. D'après ses recherches, c'est le développement de l'urbanisation qui a fait naître des rivalités entre les grandes villes, entraînant avec elles une civilisation de la guerre. Lorsque les hommes ont endossé l'habit du soldat, ils ont commencé à dominer les femmes de façon brutale. Il ne s'agirait donc pas d'un comportement simplement naturel, mais aussi d'un état d'esprit.
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - J'aimerais bien, pour aller plus loin sur ce point, que nous évoquions la question de l'influence des textes fondateurs sur nos sociétés.
Anne Soupa, présidente du Comité de la jupe . - Je préside le Comité de la jupe , une association catholique qui défend la place des femmes et leur rôle dans l'Église catholique. Je tiens à attirer votre attention sur les mouvements de réaction qui se développent actuellement contre les droits des femmes. L'opinion courante pense que, sur ce point le décalage entre la société et les religions existe, mais que, bon an mal an, les religions se plient aux évolutions de la société. Or la situation n'est pas aussi simple que cela. On assiste en effet en ce moment à d'importants mouvements de résistance de la part des religions, qui freinent la mise à niveau de leur comportement et de leur discipline avec l'état actuel de la société. On doit malheureusement constater une régression certaine du monde catholique depuis vingt ou trente ans. La situation se révèle plus complexe que nous pourrions le croire et demande une véritable mobilisation. Nous devons toutes et tous veiller à ce que ce décalage ne soit pas trop marqué entre la religion et l'état de la société et que ces résistances soient combattues au nom de la raison. On assiste au déploiement d'arguments obscurantistes que l'on n'aurait pas osé défendre voilà trente ou quarante ans. C'est grave ! Prenons-en conscience...
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Pourriez-vous, en quelques mots, expliquer ce qui s'est passé à cet égard à l'époque du pontificat de Jean-Paul II ?
Anne Soupa . - Sous le pontificat de Jean-Paul II a été théorisée la situation seconde de la femme. Auparavant, la société et l'Église étaient à peu près au diapason et avaient des conceptions à peu près semblables du rôle et de la place des femmes. Avec la progression de l'émancipation féminine, un fossé s'est petit à petit creusé entre l'Église et la société ; l'Église s'est retrouvée dans une position de réaction. L'une des manifestations de cette évolution est son refus de la contraception dans l'Encyclique Humanae Vitae , en 1968. Dès lors, le Magistère catholique a déployé de plus en plus d'arguments justifiant la situation seconde de la femme. Jean-Paul II s'est appuyé sur une exégèse du chapitre 2 de la Genèse. À partir de la phrase « Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; je vais lui faire une aide qui lui soit assortie », il a défendu l'idée que la femme avait vocation à être cette aide, alors que le texte biblique parlait simplement du second, de l'« autre ». Devenant l'« aide », la femme est confinée aux rôles de mère et d'épouse. Elle représente donc le complément de l'homme. Mais l'homme, lui, n'est jamais le complément de la femme ! C'est ainsi que l'on fait cautionner par les Écritures une soumission de la femme à l'homme, au moment même où le courant exégétique tente de la lever. Mais comment ne voit-on pas qu'assigner à la femme une « vocation » quand l'homme n'en n'a pas besoin est une restriction majeure de sa liberté fondamentale ? Un être n'existe-il pas « parce que c'est lui », sans avoir besoin de justifier son existence par une quelconque utilité ?
Frédérique Bedos . - Et dans le contexte que vous décrivez, les femmes chrétiennes qui veulent vivre leur foi vont également être les vecteurs de cette façon rétrograde de voir les choses. La femme constitue souvent son propre instrument de soumission, qu'elle transmet à ses enfants ! En se dressant contre des normes admises par la société qui nous entoure, les femmes prennent le risque de devenir des parias, d'être mises à l'index. Or, on a envie d'avoir des amis, d'être considéré dans la société... C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles les droits des femmes se révèlent aussi mouvants. Rien n'est donc acquis et nous devons rester très vigilants, notamment dans nos pays où les jeunes femmes ont le sentiment que tout est acté, y compris dans la loi. Nous avons quand même dû voter une loi, en 2014, pour défendre l'égalité « réelle ». Cela démontre que la situation n'est pas aussi simple qu'il y paraît !
Rappelons à ces jeunes femmes de 18-20 ans que des inégalités persistent. En moyenne, les femmes perçoivent un salaire 27 % moins élevé que celui des hommes, à poste et responsabilités équivalents 14 ( * ) . Il existe aussi une précarité spécifique aux femmes. Aujourd'hui, en Europe, une mère isolée sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté, avec des conséquences terribles sur la génération suivante. À Paris, il y a des femmes enceintes qui vivent dans la rue. La crise économique de 2008 a d'abord fragilisé les femmes. Même si l'égalité est acquise dans la loi, dans les faits, les femmes ne peuvent pas toujours bénéficier de leurs droits compte tenu de leur précarité. En Grèce, certaines femmes battues par leur mari n'osent pas le quitter, car elles ne pourraient alors plus nourrir leurs enfants.
Je suis également frappée de voir combien la situation par rapport au territoire devient de plus en plus floue. À la faveur des flux migratoires, certaines pratiques illégales en France, telle que l'excision, sont néanmoins pratiquées au nom de la tradition. Mais les flux migratoires peuvent aussi être à l'origine de progrès dans ce domaine. Des femmes pensent, avec l'excision, faire le bien de leurs filles. Mais en France, au contact des médecins, elles apprennent que ce n'est pas le cas. De retour dans leur village d'origine, elles peuvent porter ce message auprès des autres femmes pour que ces pratiques cessent, et cette transmission se révèle bien plus efficace que toutes les campagnes de communication, parfois perçues comme des tentatives de manipulation.
Gérard Lefort, comédien . - La violence que ce film met en évidence est énorme ; elle traverse toute l'histoire. Je suis membre d' Actrices et Acteurs de France Associés . La présidente et la vice-présidente de cette association sont présentes ici ce soir. Cette association comporte un sous-groupe, dénommé « Le tunnel de la comédienne de 50 ans », car nous avons constaté qu'entre 45 et 60 ans, plus aucun rôle n'est proposé aux comédiennes. Cette situation découle de la puissance des stéréotypes et de la représentation que se font des femmes les hommes qui détiennent le pouvoir. Ce sous-groupe compte une quarantaine de personnes qui déploient une grande énergie pour essayer de faire bouger les choses.
De la salle . - Je suis étudiante. Je n'appartiens à aucune association. Je souhaiterais revenir sur les propos du premier intervenant. Je voudrais témoigner du fait que, dans notre génération, le féminisme est souvent extrêmement mal vu. L'idée, c'est que les femmes cherchent à se venger des hommes, à les détruire pour reprendre le pouvoir. Certaines filles de mon âge en deviennent presque misogynes et pensent que s'il y a des inégalités entre hommes et femmes, c'est que ces inégalités sont justifiées.
Je partage la définition du féminisme évoquée dans le film : les femmes doivent avoir des droits en tant qu'êtres humains à part entière. C'est aussi, il faut le remarquer au passage, le principe des mouvements de libération des Noirs aux États-Unis. Comment pouvons-nous réintroduire de la raison, du bon sens dans la tête de chacun dans notre pays ?
De la salle . - Il s'agit d'une question récurrente, qui a toujours existé. Je mène ce combat pour les femmes depuis les années 1970. Cette question est une affaire d'hommes et de femmes, mais c'est d'abord une affaire de femmes. Or les femmes ne sont pas unies sur une même vision des choses. Il est important de nouer un débat entre nous grâce à des rencontres comme celle d'aujourd'hui, et grâce à l'éducation populaire. Il ne faut pas s'étonner des désaccords qui nous opposent entre femmes. Sommes-nous réellement victimes de discriminations ? Certaines femmes pensent qu'être reconnue à part entière, c'est déjà se placer de côté, être moins bien considérée.
Murièle Roos, éditrice . - J'ai créé le magazine Femme Majuscule pour les femmes qui assument leur maturité. Je pense qu'il est de notre responsabilité, femmes de 45-50 ans, de travailler le sujet du féminisme. Nous avons bénéficié de l'engagement de nos aînées. Nous devons passer le témoin aux plus jeunes, non pas de manière agressive, mais en les accompagnant, en demandant aux hommes de se tenir à nos côtés.
Nous nous heurtons aussi à un problème de représentation des femmes dans les médias. Aujourd'hui, 100 % des médias français appartiennent à des hommes. Je suis la seule femme qui possède un magazine s'adressant aux femmes. En France, aujourd'hui, une femme majeure sur deux, soit une électrice sur deux, est âgée de 50 ans et plus. Où sont-elles, dans les médias ? Nous devons travailler de façon solidaire sur ces problématiques. Il ne s'agit pas de livrer bataille, mais d'obtenir une représentation juste et conforme à la réalité.
J'assiste depuis deux jours à des réunions en lien avec la journée du 8 mars et il me paraît fou qu'en 2016, nous parlions encore de diversité lorsque nous évoquons les femmes, alors qu'elles représentent 51 % de l'humanité. Selon la définition du dictionnaire, longtemps écrit par les hommes, être féministe signifie travailler à l'égalité en droit entre les femmes et les hommes. Il faut donc le dire très clairement : nous demandons simplement à acquérir les mêmes droits que les hommes, car nous sommes des êtres humains comme eux, ni plus ni moins. Chaque fois que les femmes ont milité pour leurs droits, c'est la société tout entière, les femmes comme les hommes, qui en a bénéficié. Les femmes se sont ainsi battues pour obtenir la contraception. Or, il me semble qu'elle profite aussi aux hommes, aujourd'hui !
De la salle . - Je travaille à la télévision et je me bats pour la représentation des femmes à l'écran. Votre film éclaire d'une façon extraordinaire l'absence des femmes dans les instances dirigeantes de nos sociétés. Ce constat n'était pas dressé de manière agressive. Patricia Barbizet soulignait qu'il ne faut pas se priver de l'énergie et des compétences de la moitié de la planète. Ce film démontre que les femmes ont été bâillonnées pendant plusieurs siècles. J'ai pour priorité de leur donner les moyens de s'exprimer dans les médias. Lorsque nous concevons un plateau de télévision, même si l'exercice se révèle parfois difficile, nous devons nous obliger à respecter l'équilibre entre les femmes et les hommes : le débat n'en sera que plus intéressant.
De la salle . - Les femmes ne doivent pas être cantonnées au rôle de témoin émotionnel.
De la salle . - Nous invitons de véritables expertes sur nos plateaux. Mes confrères se plaignent souvent de ne pas en trouver. Mais il y en a, il faut simplement les chercher !
De la salle . - Je suis médecin de santé publique. J'écris aujourd'hui des articles à l'Université Paris Descartes en éthique clinique et j'ai suivi des cours de sexologie. J'ai également effectué une analyse et je discute régulièrement avec des professeurs de psychiatrie sur la physiologie, les différences entre femmes et hommes, les anomalies génétiques, le jeu des hormones. Je crois qu'en comprenant l'autre, on parvient à dialoguer et à améliorer la situation. Les hommes sont nombreux à m'écrire sur leurs peurs et leurs difficultés. Certains éprouvent sincèrement un réel malaise vis-à-vis du féminisme actuel. J'ai un jour écrit que le féminisme avait fragilisé les hommes et plusieurs psychiatres ont réagi. Cochin propose désormais un DU de sexologie - ils sont rares en France - avec des conseillers conjugaux et une anthropologue. Je souhaitais le souligner car cela pourrait vous intéresser.
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Ce matin, Europe 1 invitait des hommes à échanger sur la manière dont ils voient les femmes. Les propos tournaient essentiellement autour des aspects sexuels. Il est symptomatique de constater que les relations entre les femmes et les hommes sont abordées prioritairement sous cet angle.
De la salle . - L'égalité ne signifie pas que nous sommes tous pareils. Je pense que certains hommes peuvent voir les femmes uniquement par ce prisme, mais ce n'est sans doute pas la majorité. Le journaliste qui a organisé ce débat aurait dû trouver un meilleur intervenant.
Stéphanie Rameau, vice-présidente de Ni putes ni soumises . - Je tiens à vous remercier pour votre film qu'il faudrait diffuser dans les collèges et les lycées. Ce matin, je suis intervenue auprès d'élèves primo-arrivants en France pour expliquer les droits des femmes à des personnes issues de cultures différentes. Nous avons noué un débat très libre et je pense que ce film m'aurait beaucoup aidé, car il m'aurait permis de leur montrer que des témoignages sur les inégalités entre hommes et femmes pouvaient venir du monde entier. Je suis ravie d'être avec vous ce soir. Vos propos nourrissent mes réflexions. Nous devons effectivement travailler et débattre ensemble. Le 8 mars est la journée des femmes et des féminismes. Il existe en effet plusieurs féminismes, avec des façons de voir différentes. Je vous remercie encore de m'avoir associée à cette manifestation.
De la salle . - J'avais entendu parler de la tragédie de l'Inde, des meurtres de petites filles. Le film le montre très bien : l'Inde compte aujourd'hui 37 millions d'hommes voués à la solitude et à la frustration, qui ne trouveront pas de femme car elles ont disparu. Or, la frustration sexuelle ne permettra pas de diminuer la violence dans le monde, bien au contraire.
Je souhaitais faire un parallèle avec la situation de la planète. Les substances que nous déversons dans les rivières engendrent, semble-t-il, un phénomène de mutation des espèces par leur féminisation. On assassine des petites filles en masse en Inde et en Chine et, dans le même temps, on assassine la masculinité des espèces. C'est paradoxal ! Des études montreraient les conséquences très préoccupantes de ce phénomène sur les fils d'agriculteurs ou de viticulteurs. Les hommes se féminisent, les femmes disparaissent. Ces évolutions soulèvent de grandes questions, philosophiquement passionnantes, mais très angoissantes.
De la salle . - Je vous remercie pour cette invitation. Que faudrait-il faire pour que des pays comme la Chine et l'Inde changent ? J'ai compris que dans ces pays, le garçon prend en charge les parents vieillissants. Si le garçon présente une si grande valeur, c'est parce qu'il joue en quelque sorte le rôle d'« assurance retraite ». À l'inverse, la fille coûte cher en dot. Pourquoi ces systèmes économiques n'ont-ils pas changé ? Est-ce à cause d'un profond ancrage culturel ? Par ailleurs, j'ai entendu une version de l'excision selon laquelle certaines femmes refuseraient d'y renoncer non pas sous la pression des hommes, mais au nom de leur appartenance au groupe. Il s'agit là de quelque chose de très fort pour un être humain.
Frédérique Bedos . - Je n'ai pas de réponse toute faite sur la question des « femmes manquantes ». Le film montre que la réalité est en fait encore plus complexe. Il ne s'agit pas seulement d'une question de dot ou de retraite, puisque cette barbarie, qui consiste à se débarrasser des petites filles, touche aussi des milieux aisés et cultivés. En Chine, la situation semble évoluer positivement, la politique de l'enfant unique ayant été assouplie. Néanmoins, le pays est vaste, très disparate dans sa réalité, avec des différences énormes entre les grandes villes et les régions rurales les plus reculées. Le changement des moeurs prendra du temps, d'autant que la culture mettait en avant les garçons bien avant l'adoption de cette politique. En outre, comme vous le disiez, la pression sociale exige de faire partie du groupe. Si le groupe prône une certaine pratique, il est toujours difficile de s'en exonérer.
Je suis troublée lorsque je repense à la façon dont nous traitions les filles mères en France, voilà encore quelques décennies. Comment des femmes ont-elles pu se montrer aussi cruelles envers d'autres femmes ? Nous touchons là une question existentielle, qui concerne notre humanité. Cette question, qui concerne la moitié de l'humanité, est universelle.
Pendant l'année d'enquête nécessaire à la réalisation du film, j'ai relevé que nous avions affaire à la question de la différence primordiale entre l'homme et la femme. Si nous réussissions à diminuer significativement les violences faites aux femmes, leur domination, leur instrumentalisation, il me semble que toutes les autres formes de violence, de racisme et de rejet de l'autre au nom de sa différence diminueraient. Cette différence primordiale reste l'élément le mieux partagé au monde ; elle traverse les frontières et les continents.
Nous devons être de plus en plus nombreux à nous préoccuper de ce sujet de cette façon, sans alimenter une guerre des sexes, mais en jouant sur notre humanité profonde. Je souhaite véritablement que des hommes s'emparent du sujet, car ils feront pencher la balance. Pour cela, il ne faut pas présenter ce sujet de manière accusatrice. Il faut le dépouiller de toute idéologie pour s'en tenir aux faits. Or les faits sont criants : ils montrent bien que le prix à payer pour l'humanité entière est trop élevé. Si nous voulons espérer demain un monde en paix, il faut commencer par là.
De la salle . - Je me suis rendue en Inde très récemment et j'ai eu l'occasion de discuter avec des femmes indiennes. À Bangalore, une grande ville industrielle du sud, j'ai vu une pancarte qui indiquait : « Prenez soin de vos petites filles, elles sont très importantes ». J'y ai vu un signe d'espoir.
Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Je vous remercie pour ce très beau débat. Je rappellerai l'un des premiers mots de ce film : les droits des femmes sont un flux et un reflux. Il y a des avancées et des reculs. Je m'adresse surtout aux plus jeunes. Nous pouvons observer actuellement des reflux dans certains domaines. Le rejet du féminisme, à mon avis, en fait partie. Bravo, Frédérique ! Nous ferons connaître votre film le plus largement possible.
* 1 Le programme du 8 mars 2016 a été débattu au cours de la réunion de la délégation du 1 er octobre 2015. La délégation avait alors envisagé d'organiser son colloque annuel le 8 mars après-midi. Cet événement a finalement eu lieu le jeudi 31 mars 2016, sur le thème : « Associations : les femmes s'engagent ! ».
* 2 La délégation a autorisé la publication de ce volume au cours de sa réunion du 30 juin 2016.
* 3 Ces statistiques au 1 er décembre 2015 ont été établies par l'Union interparlementaire. Le classement de l'UIP porte sur 193 pays classés par ordre décroissant du pourcentage de femmes dans la chambre unique ou chambre dite basse. Au 1 er juin 2016, la France ne figurait plus qu'au 60 ème rang mondial (http://www.ipu.org/wmn-f/arc/classif010616.htm).
* 4 Document de communication réalisé par Marianne Thoyer, MOF 2015 - Graphisme.
* 5 Éléments transmis par le COET (Comité d'organisation du concours « Un des meilleurs ouvriers de France » et des expositions du travail).
* 6 Voir l'encadré ci-contre « Le concours « Un des meilleurs ouvriers de France » : quelques éléments d'information. »
* 7 http://www.lecompagnonnage.com/?Questions-reponses (capture d'écran réalisée en juin, dernière visualisation opérée le 4 juillet).
* 8 Ces statistiques sont issues du concours de 2013-2015 (25 ème concours).
* 9 De nombreuses dispositions de cette proposition de loi ont été insérées dans le texte du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés pour les entreprises et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif.ves, adopté par la commission des affaires sociales du Sénat le 1 er juin 2016.
* 10 Voir l'encadré ci-dessus (Le concours « Un des meilleurs ouvriers de France » : quelques éléments d'information).
* 11 Le compte rendu intégral de cette séance a été publié au Journal officiel du mercredi 9 mars 2016.
* 12 Des femmes engagées au service de la défense de notre pays - Rapport d'information n° 373 (2014-2015) du 26 mars 2015, par Mmes Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, Brigitte Gonthier-Maurin, Chantal Jouanno, Françoise Laborde et Vivette Lopez.
* 13 La convention pour l'élimination des discriminations à l'égard des femmes , sous la direction de Diane Roman, préf. de Françoise Gaspard, éd. A. Pedone, 2014.
* 14 Voir par exemple http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1436