C. L'INSTANCE DE DIALOGUE AVEC L'ISLAM DE FRANCE

À l'initiative du ministre de l'Intérieur, M. Bernard Cazeneuve, une « Instance de dialogue avec l'Islam de France » a été mise en place en 2015. À ce jour, cette instance de dialogue entre le Gouvernement français et les représentants des Français de confession musulmane s'est réunie à deux reprises : le 15 juin 2015, sur des thèmes variés comme la pratique cultuelle (aïd, funéraire, le pèlerinage), l'image de l'Islam, le statut des imams ou la construction et la gestion des lieux de culte. La deuxième réunion de l'instance s'est déroulée le 21 mars 2016 sur le seul thème de la prévention de la radicalisation.

Dans le respect du principe de laïcité, l'instance de dialogue se veut un forum de discussion et non une nouvelle institution visant à organiser « par le haut » l'Islam de France. Il n'y a donc pas de vote, de décisions ou d'avis à adopter à l'issue de chaque rencontre.

L'instance de dialogue a pour but premier d'élargir le champ du dialogue et d'approfondir les débats liés au culte musulman en France. Ses débats éclairent le Gouvernement. L'objectif fixé est de dégager les sujets prioritaires sur lesquels les représentants de l'Islam de France et les pouvoirs publics peuvent travailler ensemble. Entre chaque rencontre, administrations et responsables musulmans se coordonnent pour faire avancer les dossiers.

On ne peut que saluer les résultats rapides et concrets auxquels les premiers travaux de cette instance ont déjà permis d'aboutir.

D. QUELS CHOIX POUR L'ÉTAT ?

Pour vos rapporteurs, la chronologie des différentes instances représentatives du culte musulman témoigne, depuis une trentaine d'années, de la « double sincérité » de l'État. Tantôt il a marqué une politique volontariste par une participation active à la structuration d'une instance représentative du culte musulman, comme lors de la création du CFCM, aux confins de l'ingérence. Tantôt il a marqué une indifférence à l'égard des représentants établis du culte musulman, se tournant vers d'autres structures, parfois informelles, de dialogue. Le rythme de création - et de disparition - de ces instances successives illustre ce tâtonnement perpétuel.

S'est ajoutée à ces variations une difficulté de positionnement du CFCM : est-il une instance représentative du culte musulman ou de la « communauté musulmane » ? Lors de son audition, M. Anouar Kbibech, président du CFCM, insistait sur cette distinction : « Le CFCM est une institution représentative du culte musulman, non des musulmans de France ».

Ce constat a été cependant nuancé par plusieurs personnes entendues. Me Chems-Edine Hafiz, vice-président de la Grande Mosquée de Paris soulignait, par comparaison avec la « communauté juive », l'équivoque qui entoure le CFCM : « Le problème est qu'on a voulu faire du CFCM à la fois un équivalent du consistoire chargé de gérer les questions religieuses et un équivalent du conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), regroupant et représentant les musulmans ». M. Alain Gresh abondait en ce sens : « Alors que le Conseil français du culte musulman (CFCM) est censé organiser le culte, on en fait de plus en plus le porte-parole de la communauté musulmane ».

Aussi M. Dominique de Villepin avait-il proposé, en novembre 2004, de créer, aux côtés du CFCM, un Conseil représentatif des associations musulmanes sur le modèle du CRIF. Cette idée n'a finalement pas prospéré.

Ce sujet n'est pas propre à la France, comme vos rapporteurs ont pu le relever lors de leur déplacement à Londres. Plusieurs responsables d'associations musulmanes, réunies à l'initiative de la fondation Al-Khoei, ont relaté l'expérience britannique qui a conduit à la création de Mosques and imams national advisory board (Minab).

Le Minab est un organisme indépendant des pouvoirs publics créé en 2007 par quatre organismes fondateurs : la fondation Al-Khoei, le Forum des musulmans britanniques, l'association des musulmans de Grande-Bretagne, le Conseil des musulmans de Grande-Bretagne. Il regroupe aujourd'hui environ 600 mosquées ou instituts musulmans. Cet organisme repose sur l'idée d'inclure les différentes écoles de pensée, en toute indépendance, sans sectarisme, en représentant la diversité de la communauté musulmane sans s'ingérer dans les questions théologiques. Ses statuts ont été adoptés en mai 2009, en même temps que son conseil d'administration qui compte 50 membres avec 20 % des sièges réservés aux femmes et 20 % aux représentants chiites.

Les personnes rencontrées ont cependant fait part à vos rapporteurs de ce que le gouvernement britannique se détournait de cette structure : si, selon elles, le gouvernement a manifesté initialement de l'intérêt pour cet organisme et l'a aidé financièrement, il est désormais moins consulté par les pouvoirs publics qui souhaitent davantage choisir ses interlocuteurs. Lord Ahmad of Wimbledon, membre du gouvernement britannique, a d'ailleurs exposé à vos rapporteurs les différentes instances de dialogue avec les représentants du culte musulman et dont la composition varie selon les sujets traités.

En France, le CFCM reste un interlocuteur, malgré ses faiblesses. Lors de son audition, M. Thomas Andrieu, alors directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'Intérieur, résumait ce constat, en relevant que « le Conseil français du culte musulman (CFCM) a très vite été décrié et connu des problèmes de légitimité, mais il demeure l'organe le plus représentatif du culte musulman dans notre pays ». Jusqu'à quand ?

Il n'est plus à exclure que, les réseaux sociaux et le tissu associatif aidant, une nouvelle instance surgisse de la « communauté musulmane » dans le but de concurrencer le CFCM. Si, jouant la nouvelle génération contre l'ancienne, l'Islam de France contre l'Islam des chancelleries, cette instance pouvait se prévaloir d'une certaine représentativité, quel serait alors l'attitude du Gouvernement ? Autrement dit, l'État devrait-il devenir le juge de paix d'un conflit de légitimité ?

Ces interrogations démontrent que l'État est à l'heure du choix. Une alternative s'ouvre désormais à lui.

Soit l'État s'inspire de l'exemple britannique et laisse à la « communauté musulmane » le soin de s'organiser elle-même, excluant ainsi d'interférer dans l'organisation interne du CFCM, même de manière informelle. Cette attitude supposerait en retour que les fidèles du culte musulman qui souhaitent obtenir l'intervention de l'État afin de réformer le CFCM ou de susciter des alternatives à ce dernier, admettent que cette responsabilité leur appartient à eux seuls. L'État se bornerait à lier un dialogue avec l'instance que la « communauté musulmane » lui présente comme la plus représentative. Cette solution appelle un délai certain avant d'aboutir.

Soit l'État s'empare de la question de l'organisation du culte musulman en estimant que ce sujet relève de l'ordre public national, compte tenu du contexte international, des enjeux liés au terrorisme et à la prévention de la radicalisation, et enfin de la nécessité de protéger la population, à commencer par les musulmans eux-mêmes. Cette solution aurait cependant pour inconvénient de placer le culte musulman dans une situation singulière. Il pourrait être objecté que ce culte est lui-même placé, compte tenu de sa croissance massive dans un pays où il était quasiment absent voici un siècle, dans une situation particulière. Les promoteurs de cette solution devraient alors accepter en toute franchise que cette voie heurte, même temporairement, la neutralité que l'État se doit, dans l'esprit si ce n'est la lettre de la loi du 9 décembre 1905, respecter à l'égard des cultes qui s'exercent sur son territoire.

Vos rapporteurs considèrent qu'il appartient aux communautés de s'organiser elles-mêmes dans le cadre de nouvelles modalités tenant davantage compte des exigences de représentativité.

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