TITRE 3 - DES OPÉRATIONS MENÉES AU-DELÀ DES LIMITES DES CONTRATS OPÉRATIONNELS DES ARMÉES

I. UN CONTRAT DÉFINI DANS LES LIVRES BLANCS ET LES LPM

Les Livres blancs et les lois de programmation militaire, sur la base des objectifs fixés par la stratégie arrêtée, définissent pour chaque fonction le contrat opérationnel qui décrit les forces dont dispose le pays permettant la mise en oeuvre des missions assignées et un modèle d'armée adapté. Ce contrat et ce modèle sont adossés à une programmation budgétaire.

A. DES CONTRATS OPÉRATIONNELS AJUSTÉS

1. Livre blanc 2008 et loi de programmation militaire 2009-2014
a) Un contrat opérationnel, des objectifs de programmation et un modèle d'armée ambitieux

Fondée sur le Livre blanc de 2008, la loi de programmation militaire 2009-2014, dans son rapport annexé, a défini le contrat opérationnel pour la fonction « intervention » :

« Afin de contribuer à la sécurité internationale en participant à des opérations de stabilisation et de maintien de la paix et d'être en mesure de faire face à un conflit majeur à l'extérieur du territoire dans un cadre multinational. les armées doivent ainsi être capables de projeter (jusqu'à 7 000 à 8 000 kilomètres) :

- en six mois, une force terrestre pouvant aller jusqu'à 30 000 hommes pour une durée d'un an, suivie d'une action de stabilisation ;

- une force aérienne de combat de 70 avions ;

- une force navale ou aéronavale de combat de 2 à 3 groupes d'intervention.

Les armées doivent en outre tenir prête en permanence et sous bref préavis une capacité de réaction pouvant être engagée dans un cadre national ou multinational et constituée d'unités d'intervention terrestre (5 000 hommes), aérienne et maritime et des forces de présence et de souveraineté. »

Elle définissait également le contrat opérationnel pour la fonction prévention qui a pour objet, en agissant en amont, d'éviter l'apparition ou l'aggravation des crises en s'appuyant sur un ensemble de capacités diplomatiques, économiques, militaires et juridiques. Sous l'aspect militaire, les capacités de prévention des conflits et d'intervention reposent en particulier sur un dispositif de forces prépositionnées ou prédéployées dans les espaces internationaux.

« Ce dispositif sera concentré sur les zones d'intérêt prioritaire. En Afrique, il sera réorganisé autour de deux pôles, un sur chaque façade, atlantique et orientale, tout en préservant une capacité de prévention dans la zone sahélienne. L'objectif est de privilégier une relation de partenariat visant à renforcer la sécurité et à développer les capacités africaines de maintien de la paix dans une perspective régionale et européenne. Dans le Golfe arabo-persique, les points d'appui français seront renforcés, en particulier aux Émirats arabes unis. »

2. Livre blanc 2013 et LPM 2014-2019

Dans un contexte budgétaire défavorable, la loi de programmation militaire 2014-2019 s'est efforcée de préserver l'outil de défense en réajustant les contrats opérationnels et les modèles d'armée correspondants. La dégradation de la situation sécuritaire internationale, le retour de la conflictualité en Europe, la menace de Daech au Levant, et les attaques terroristes sur le territoire national qui ont conduit à une mobilisation sans précédent des forces armées (Opération Sentinelle) dans le cadre de leur mission de protection ont rendu nécessaire une actualisation de la loi de programmation militaire.

a) Un contrat opérationnel et un modèle réajusté, préservant une capacité d'intervention conséquente

La loi d'actualisation a prévu des adaptations aux contrats opérationnels et le renforcement de la fonction « protection » à la suite des attentats de janvier 2015 mais sans modifier les équilibres précédents. S'agissant de la fonction « intervention », ces adaptations tiennent compte des caractéristiques nouvelles de la diversité de leurs formes, de leur extension, de leur intensité et de leur durée.

« Ce contexte impose des ajustements et une vigilance particulière. Pour s'adapter aux modes d'action de l'adversaire et le priver de sa liberté d'action, la maîtrise du processus de ciblage doit être accentuée, en gagnant en réactivité et en intégrant les actions dans les champs immatériels et des perceptions. Il est aussi nécessaire de continuer à diversifier et à moduler les effets des armements pour les adapter à tous les types d'objectifs. Un effort doit encore être fait sur l'identification, l'adéquation avec la cible et la précision. Le recours à la force, sous faible préavis, impose de consolider des capacités d'intervention prépositionnées ou projetables. Une capacité nationale de réaction d'urgence doit être conservée en propre. »

« Le besoin de régénération des forces, tant sur le plan du personnel que sur le plan des matériels, doit être pris en compte. En effet, la pression opérationnelle de ces deux dernières années a un impact majeur sur la disponibilité technique des matériels, la capacité de renouvellement du potentiel opérationnel, le niveau de préparation opérationnelle du personnel et sa capacité à poursuivre cet effort dans la durée, éventuellement au-delà de la référence des contrats opérationnels. De plus, la permanence des engagements impose d'accentuer le caractère adaptable des organisations du commandement et de disposer d'un soutien logistique performant. »

« Les engagements récents révèlent le besoin de moyens de commandement compatibles avec l'exigence de permanence du partage de l'information, malgré la diversité des théâtres et des opérations conduites ainsi que l'élongation très importante des liaisons. Par ailleurs, ils exigent une forte connectivité entre les modules de force, du plus bas aux plus hauts niveaux. »

Le rapport annexé à la loi de programmation 2014-2019 indique que pour l'intervention extérieure de ses forces, la France disposera des capacités lui conférant une autonomie d'appréciation, de planification et de commandement, ainsi que des capacités critiques qui sont à la base de son autonomie de décision et d'action opérationnelles.

A cet égard, l'actualisation insiste sur les capacités de renseignement.

« (...) Toutes les opérations récentes ont montré l'impérieuse nécessité de disposer de drones, qu'il s'agisse de drones de théâtre de moyenne altitude longue endurance ( MALE ) ou de drones tactiques. La mutualisation du renseignement d'origine satellitaire a été approfondie avec nos partenaires européens, de même que la capacité à déployer et à exploiter les drones de surveillance. Les capacités de veille stratégique et les nouveaux moyens de surveillance et d'interception nécessiteront d'accroître encore les capacités de traitement des données pour garantir l'efficacité de cette fonction stratégique. (...) »

Nos capacités militaires d'intervention seront développées de manière différenciée, en fonction des missions que les armées sont appelées à remplir. Il s'agit de disposer d'un outil complet et crédible pour traiter la menace au plus tôt et au plus loin.

« Les opérations de gestion de crise appellent des moyens militaires permettant de contrôler de vastes espaces, robustes, adaptés à des missions poursuivies dans la durée, à même de faire face à des situations de violence diffuse au milieu des populations, face à des adversaires utilisant des modes d'action asymétriques. Dans ces crises, nos capacités militaires devront permettre aux armées de s'engager dans la durée sur deux ou trois théâtres distincts, dont un en tant que contributeur majeur. Le total des forces déployées à ce titre sur l'ensemble des théâtres sera constitué, avec les moyens de commandement et de soutien associés :

- de forces spéciales et d'un soutien nécessaire à l'accomplissement des missions envisagées ;

- de capacités de cyberdéfense tant offensives que défensives en soutien aux forces déployées ;

- de l'équivalent d'une brigade interarmes représentant 6 000 à 7 000 hommes des forces terrestres ;

- d'une frégate, d'un groupe bâtiment de projection et de commandement et d'un sous-marin nucléaire d'attaque en fonction des circonstances ;

- d'une douzaine d'avions de chasse, répartis sur les théâtres d'engagement.

La nature des opérations ou leur sécurisation pourra rendre nécessaire l'utilisation de moyens supplémentaires permettant des frappes à distance à partir de plateformes aériennes ou navales.

Les opérations à dominante de coercition nécessitent des forces du meilleur niveau technologique, capables de prendre l'ascendant sur un adversaire de niveau étatique déployant des moyens militaires organisés et disposant d'une puissance de feu importante. Les capacités militaires que nous développerons à ce titre devront nous permettre de mener en coalition, sur un théâtre d'engagement unique, une opération majeure dans un contexte de combats de haute intensité. Cet engagement, d'une durée limitée, suppose un préavis suffisant, évalué aujourd'hui à environ six mois, ainsi que la ré-articulation de notre dispositif dans les opérations qui seraient en cours.

Les armées devront pouvoir assumer tout ou partie du commandement de l'opération. À ce titre, les forces françaises conserveront la capacité de participer à une opération d'entrée en premier sur un théâtre de guerre dans les trois milieux (terrestre, naval et aérien).

La France pourra engager dans ce cadre, avec les moyens de commandement et de soutien associés :

- un ensemble significatif de forces spéciales ;

- jusqu'à deux brigades interarmes représentant environ 15 000 hommes des forces terrestres, susceptibles d'être renforcées par des brigades alliées pour constituer une division de type OTAN, dont la France pourra assurer le commandement ;

- jusqu'à 45 avions de chasse, incluant les avions de l'aéronautique navale ;

- le porte-avions, deux bâtiments de projection et de commandement, un noyau clé national d'accompagnement à base de frégates, de bâtiments de soutien d'un sous-marin nucléaire d'attaque et d'avions de patrouille maritime ; la permanence de cette capacité aéronavale pourra s'inscrire dans le cadre de la force intégrée franco-britannique prévue par les accords de Lancaster House ;

- les moyens permettant d'assurer les fonctions de commandement, de renseignement et de logistique de l'opération (transport, santé, essence, munitions, stocks de rechange).

À l'issue de cet engagement, la France gardera la capacité de déployer sur le théâtre concerné une force interarmées pouvant participer à une opération de gestion de crise dans la durée.

Enfin, au titre de leurs missions permanentes et pour garantir la capacité de réaction autonome aux crises , les armées disposeront d'un échelon national d'urgence de 5 000 hommes en alerte, rassemblant des moyens adaptés aux opérations de gestion de crise comme aux opérations de coercition. Ce réservoir de forces permettra de constituer une force interarmées de réaction immédiate (FIRI) de 2 300 hommes, projetable dans un délai de sept jours à 3 000 km du territoire national ou d'une implantation à l'étranger. Les armées devront rester capables de mener, avant ce délai de sept jours, une action immédiate par moyens aériens ».

Dans ce modèle initial, les opérations supposent pour les plus lourdes d'entre-elles d'être menées en coalition, et pour les autres de pouvoir s'appuyer assez rapidement sur le déploiement d'une force internationale de stabilisation en mesure d'assurer le relais des forces françaises et de tenir le terrain sécurisé.

De surcroît, la France pourra s'appuyer sur un dispositif prépositionné constitué des déploiements navals permanents dans une à deux zones maritimes, sur la base des Émirats arabes unis et sur plusieurs implantations en Afrique 91 ( * ) , dont l'articulation sera adaptée, afin de disposer de capacités réactives et flexibles à même de s'accorder aux réalités et besoins à venir de ce continent et de notre sécurité. Les actions dans le domaine de la prévention des crises seront orientées vers la recherche de partenaires régionaux prêts à s'engager à nos côtés.


* 91 En particulier à Djibouti avec deux composantes terrestre et aérienne et une base navale.

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