Seconde séquence - Mayotte
Propos introductif
Thani MOHAMED SOILIHI, Sénateur de Mayotte
Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,
Chers collègues,
Monsieur le Président de la Fédération des entreprises des outre-mer,
Monsieur l'Ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien,
Mesdames et messieurs, en vos diverses qualités,
L'océan Indien tient aujourd'hui sa conférence économique de bassin, malgré un calendrier législatif contraint. Cette semaine, nous suspendons nos travaux en vue des échéances électorales à venir. Je remercie Michel Magras et son équipe pour la qualité de ces travaux essentiels. D'ici à l'été, nous remettrons deux rapports, l'un sur les normes du BTP et l'autre sur le foncier.
Le développement de l'économie des deux départements français de l'océan Indien est marqué par le contraste existant entre Mayotte, qui s'apprête à fêter le sixième anniversaire de sa départementalisation et le troisième de sa « rupéisation », et La Réunion vient de commémorer ses 71 ans comme département et célébrera ses 25 ans comme RUP.
Les défis de Mayotte sont semblables à ceux de n'importe quel autre territoire : développer une économie à même d'assurer l'épanouissement de ses citoyens. En revanche, les modalités pour y parvenir ne peuvent assurément qu'être différentes. Malgré des secteurs d'activité en pointe, le développement économique de Mayotte connaît encore ses balbutiements.
En ces temps de crise, les actions prioritaires sont très nombreuses. L'île est frappée par une sécheresse et par une explosion démographique sans précédent, due à une immigration agressive, devenue insupportable. Le 101 e département voit subitement l'ordre de ses priorités bouleversé. La construction d'une troisième retenue collinaire devient essentielle. Elle doit permettre d'approvisionner le territoire en eau dans les décennies à venir.
La préservation du lagon, certainement notre première richesse, constitue également une impérieuse nécessité. Elle se pose comme un préalable, notamment à tout développement touristique. Cette préservation passe par l'accélération des travaux d'assainissement et par la lutte contre toutes les agressions de notre écosystème. Parallèlement, le rythme des constructions des hôtels, des écoles, des entreprises et de l'habitat doit plus que jamais être soutenu et intensifié.
Pour assurer son développement économique, Mayotte dispose d'atouts appréciables qui doivent être exploités :
- sa population dynamique qui est la plus jeune de France. La moitié des Mahorais ont moins de 17,5 ans ;
- sa capacité d'adaptation et d'innovation qui se manifeste y compris dans la création d'entreprise. Elle conduira bientôt le Gouvernement, à titre expérimental, à rehausser de 25 % le plafond du microcrédit et à porter sa durée maximale de cinq à dix ans. Les femmes mahoraises ont spécialement fait leurs preuves en termes de fondation et de pérennisation d'entreprises ;
- son positionnement géographique car située dans le canal du Mozambique, Mayotte se trouve dans un bassin. Elle est entourée de plusieurs pays et de dizaines de millions d'âmes. En raison de son port et de son aéroport, l'île est de mieux en mieux désenclavée.
Ces atouts pourraient bénéficier de vecteurs économiques majeurs : l'économie sociale et solidaire (ESS) est particulièrement adaptée à la société mahoraise et à son état d'esprit. Les forces vives de l'île, à commencer par les élus, doivent plus que jamais prendre en main le destin du Département. Elles ne pourront néanmoins agir sérieusement sans le fort soutien de la France.
Notre pays, deuxième puissance maritime du monde, avec une zone économique exclusive de 11 millions de km 2 , doit renouer avec sa vocation maritime. Il doit agir sans tarder. À l'heure de la mondialisation, de nouveaux géants, tels la Chine, accordent la priorité à l'extension de leur zone économique exclusive (ZEE). Pour le moment, le contraste est total entre ce gisement d'activités, d'emplois, d'influence et l'absence de toute stratégie pour le valoriser.
Gageons que cette réalité sera rapidement contredite après les prochaines échéances électorales. L'accomplissement de cette nouvelle ambition devrait être facilité par deux textes récents, adoptés à l'unanimité au Sénat : la loi Letchimy sur le développement des outre-mer dans leur environnement géographique et la loi Bareigts sur l'égalité réelle outre-mer. Marahaba .
Hervé BACHERÉ, Responsable de publication à la Direction des statistiques d'entreprise de la Direction générale de l'Insee
Le tissu entrepreneurial mahorais
L'Insee est présent dans l'océan Indien à travers une direction régionale disposant de deux sites, l'un à La Réunion, l'autre à Mayotte. Celle-ci collecte et produit des informations statistiques d'une part, réalise des études visant à identifier les spécificités et les enjeux régionaux et locaux d'autre part. Ces travaux permettent notamment de décrire le tissu entrepreneurial de Mayotte, en dressant les constats suivants.
Un PIB par habitant quatre fois plus faible qu'en France
En 2013, le PIB par habitant s'établit à 8 350 euros à Mayotte, soit 4 fois moins que le niveau français 4 ( * ) . Mayotte est cependant nettement moins pauvre que ses voisins immédiats, puisque son PIB par habitant est 14 fois supérieur à celui des Comores et 24 fois supérieur à celui de Madagascar.
Source : Insee - Comptes économiques
Une croissance de rattrapage, qui ralentit
De 2000 à 2008, la croissance moyenne du PIB de Mayotte dépasse les 9 % par an contre seulement 1,7 % en France. La crise de 2008 freine fortement le rattrapage jusqu'en 2013 : la croissance est alors de 4,2 % par an. Cette croissance reste néanmoins très supérieure à celle des autres régions françaises. La faiblesse de la richesse par habitant s'explique à la fois par une faible productivité apparente du travail et par un taux d'emploi très inférieur à la France (18 emplois pour 100 habitants contre 41 en France).
Croissance annuelle moyenne du PIB
Entre 2000 et 2008 |
Entre 2008 et 2013 |
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Source : Insee, comptes régionaux, base 2010
En 2013 : 450 millions d'euros de valeur ajoutée par les entreprises mahoraises
Les entreprises déposant une liasse fiscale ont généré 450 millions de valeur ajoutée en 2013 5 ( * ) . Ceci représente le quart du PIB mahorais alors que, pour la métropole, c'est la moitié du PIB qui est généré par les entreprises. Les entreprises mahoraises représentent 0,04 % de la valeur ajoutée produite par les entreprises en France.
Une économie largement portée par la construction et le commerce
Les entreprises mahoraises sont proportionnellement plus présentes qu'en France dans les secteurs du commerce, de la construction et des transports. Ceci s'explique par le besoin important en infrastructures et par le caractère insulaire de Mayotte. En revanche, l'industrie, peu développée, est beaucoup moins représentée qu'en France, ainsi que les services aux particuliers. Enfin, de même qu'à La Réunion, les secteurs liés au tourisme comme l'hébergement-restauration sont relativement peu développés, en dépit des atouts naturels du département.
Répartition sectorielle de la valeur ajoutée
Champ : entreprises marchandes déclarantes fiscales de 1 à 500 salariés
Source : Insee, enquête structurelle sur les entreprises de Mayotte et Esane (données individuelles)
Un taux de marge des entreprises important
Le taux de marge correspond à la part de la valeur ajoutée disponible pour une entreprise, une fois payés ses frais de personnel. Elle se sert de cette part pour financer des investissements, rembourser les dettes et rétribuer les apporteurs de capitaux. À Mayotte, ce taux est élevé : 43 % contre 21 % en France. Cela permet un investissement plus dynamique, puisque le taux d'investissement est de 25 %, contre 15 % dans les autres départements. Ce taux global masque par ailleurs des disparités importantes : la marge est concentrée sur les entreprises de taille importante.
Le département au taux de chômage le plus élevé
Avec 46 000 emplois en 2016, le taux d'emploi est très faible à Mayotte : 35 % des personnes en âge de travailler ont un emploi 6 ( * ) , contre 41 % à La Réunion en 2015.
Au deuxième trimestre 2016, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) s'établit à 27,1 % à Mayotte. Il augmente encore nettement (+ 3,5 points) par rapport à 2015, après la forte hausse (+ 3,9 points) de l'année précédente. La hausse du taux de chômage est d'abord liée à la structuration du marché de l'emploi, qui se formalise depuis la départementalisation (mise en place de Pôle emploi et de l'assurance chômage...). Chaque année, les Mahorais sont donc de plus en plus nombreux sur le marché du travail. Le taux d'activité progresse ainsi sensiblement (de 42,6 % en 2014 à 48,3 % en 2016), celui des femmes deux fois plus que celui des hommes. Les créations d'emplois ne pouvant suivre le rythme de croissance de la population active, il en résulte une hausse soutenue et continue du chômage depuis la départementalisation.
Les jeunes (15-29 ans) sont particulièrement concernés par le chômage en 2016 : 47,2 % des actifs sont concernés.
Ersi VOLONAKI, Présidente-directrice générale du groupe de distribution Sodifram
Malgré sa proximité avec Anjouan et avec les Comores, Mayotte possède une identité propre. La comparaison avec La Réunion ne mérite pas qu'on s'y attarde. La spécificité mahoraise doit être prise en compte sans essayer d'adapter des schémas extérieurs. Les Mahorais s'engageront d'autant plus dans le changement que celui-ci s'accomplira en partenariat avec eux.
La Société de distribution franco-mahoraise (Sodifram) existe depuis vingt-six ans. Notre entreprise familiale et indépendante se distingue des groupes classiques tels Casino ou Carrefour. Notre équipe est constituée de 600 salariés. 6 000 personnes vivent grâce à leurs revenus.
Les habitudes alimentaires mahoraises sont typiques. La mutation vers les produits de consommation basique, comme la volaille, le boeuf ou le riz, s'opère très lentement. Pour répondre aux besoins de la clientèle, nous maintenons un sourcing constant de nos achats, maîtrisant un rapport qualité-prix adapté à notre zone de chalandise. Le panier moyen mahorais est en évolution permanente.
Prenons l'exemple d'un produit alimentaire parmi les plus vendus : les ailes de poulet. Mayotte en importe environ 6 000 tonnes par an. Ce choix de consommation répond à une culture. Ce volume appréciable incite des investisseurs à créer une production de volaille locale.
Or, Mayotte ne dispose pas localement d'alimentation animale. Un tel projet impose donc de l'importer en masse. Par ailleurs, Mayotte n'est pas équipée de déchetteries pour traiter les résidus de l'abattage comme les plumes.
Une carcasse de poulet pèse environ 1,2 kilogramme. Les besoins de Mayotte s'élèvent à 6 000 tonnes d'ailes de poulet. Ceci correspond à 37 000 tonnes de carcasses de poulet. Que fera l'exploitant du reste de la carcasse, soit 31 000 tonnes ? Le marché mahorais consomme seulement 750 tonnes de carcasses de poulet.
Aucune étude n'a été conduite sur le sujet. Si le marché était porteur, des professionnels de métropole s'y seraient déjà intéressés. En réalité, les enquêtes diligentées par les services de l'État prouvent que ces projets entraîneraient un doublement, voire un triplement du prix des produits. Ils ne feraient que renforcer l'insatisfaction des consommateurs.
Dans le secteur agricole, le niveau de production de fruits et légumes est très saisonnier et caractérisé par des volumes très faibles par rapport à la demande. La Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) a engagé, depuis quelques années, un travail de financement et d'accompagnement de jeunes agriculteurs. L'effort doit se poursuivre et s'amplifier. Ce secteur présente un important effet de levier pour l'emploi.
Depuis la départementalisation, de nombreux agents de marques alimentaires et non alimentaires s'intéressent à Mayotte. Ces produits sont directement importés par des sociétés comme la Sodifram depuis vingt-cinq ans. Le résultat de cette implantation se manifeste dans l'inflation, car ces agents de marques prélèvent une marge additionnelle.
La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe ont déjà subi ces pratiques. Notre entreprise s'y est opposée jusqu'à la rupture des relations commerciales avec ces sociétés. Si nous laissons les agents de marques développer cette méthode, le mécontentement des consommateurs, indignés par la différence de prix avec la métropole, s'amplifiera légitimement. En tant qu'entreprise mahoraise, nous voulons rester à l'écoute de la population.
Deux priorités doivent s'ajouter à cette volonté de maîtrise du coût de la vie :
- éducation et formation
Afin de couvrir les besoins éducatifs, 10 000 naissances par an requièrent la création de 400 salles de classe. Il est indispensable de prendre en considération cette priorité, que des formations diplômantes courtes soient créées pour répondre aux besoins des entreprises locales ;
- insécurité
Les forces de l'ordre éprouvent beaucoup de difficultés à assurer la sécurité de Mayotte. Leur effectif est trop faible par rapport à la population et à l'accroissement de la délinquance. Cette situation a conduit à des départs massifs en 2016. La communication médiatique sur ce sujet nuit à notre attractivité touristique et professionnelle. Les entreprises sont contraintes d'accroître considérablement leur budget dédié à cette problématique. Par exemple, la Sodifram emploie 120 agents de sécurité. Le surcoût sur la masse salariale atteint +20 % en deux ans.
Néanmoins, nous envisageons positivement l'avenir de Mayotte et continuons à investir sur le territoire. Au quatrième trimestre 2017, un nouveau centre commercial « Le baobab » verra le jour, avec plus de 150 emplois directs et indirects à la clé.
Jean-François OZBOLT, Président du groupe NDA Invest
La Réunion et Mayotte sont deux territoires français avec des spécificités très différentes et fortement contrastées. L'intitulé de la table ronde résume la situation.
En effet, il faut comparer l'île de La Réunion, devenue département français en 1946, soit depuis 71 années, avec Mayotte qui a été une collectivité territoriale puis départementale, avant de devenir le 101 e département de la France en 2011.
Autre point important, nous comparons deux îles françaises dont la culture est totalement différente. Ces deux îles ne se ressemblent pas du tout. La Réunion est un mélange de cultures où des Indiens (hindous ou arabes), des Chinois, des Créoles et des Métropolitains se côtoient tous les jours. Plusieurs religions sont présentes à La Réunion dans un esprit de tolérance avec, mentionnons-le, la plus vieille mosquée de France à Saint-Denis.
À Mayotte, nous sommes dans le département français le plus ancré dans la religion musulmane (97 % de la population), mais avec un regard exempt de tout sectarisme.
Notre groupe travaillant sur les deux îles et dans les métiers de la construction, nous pouvons constater ces identités différentes.
Je ne suis pas le plus vieux M'Zougous de Mayotte ici présent ( M'Zougous étant le terme mahorais pour définir les étrangers) mais je pense avoir assez de recul pour pouvoir parler de ces deux îles.
Je suis arrivé à Mayotte il y a 19 ans en provenance des Antilles pour le groupe Vinci et on m'avait dit lors d'un entretien que Mayotte s'apparentait à un territoire à mi-chemin entre un DOM et l'Afrique tout en ressemblant à La Guyane.
Force a été de constater que Mayotte n'avait rien à voir avec nos DOM, car la culture y était complètement différente de même que les infrastructures - routes, écoles, administrations, etc.
Sans vouloir créer de polémique, il me semble important d'évoquer certains sujets pour bien comprendre les problématiques de Mayotte.
Tout d'abord, la gestion administrative de l'État Français.
On constate que celui-ci, ne sachant pas réellement où situer Mayotte depuis le référendum de 1975 (Mayotte étant la seule île de l'archipel des Comores à s'être prononcée pour rester française à la différence des trois autres îles qui ont pris leur indépendance), n'a pas apporté les moyens adéquats pour faire évoluer cette île.
À 9 500 kilomètres de l'Hexagone, il n'est pas aisé de travailler sur des directives métropolitaines et sur des normes NF et CE qui sont difficiles à appliquer alors que rien n'est produit localement.
L'administration française en place pendant de nombreuses années s'est efforcée de faire avancer ce territoire français mais le personnel administratif des services de l'État se renouvelle tous les deux à quatre ans, chacun pensant déterminer la solution innovante et miraculeuse et remettant en cause le travail effectué par ses prédécesseurs.
Mais la départementalisation semble avoir restauré une certaine continuité dans les actions menées ici et là dans tous les domaines. J'en profite pour saluer madame le Vice-recteur de Mayotte, ici présente qui, avec les moyens alloués, essaie de faire de son mieux avec ses équipes pour améliorer la situation en matière de constructions scolaires du second degré.
Le second sujet concerne les élus de Mayotte.
Depuis le décès ou le retrait des figures politiques locales de Mayotte telles que Messieurs Younoussa Bamana, Marcel Henry, ou Madame Zéna M'Déré, il n'y a pas de continuité dans les programmes mis en oeuvre. En effet, qu'il soit conseiller départemental, maire, député ou sénateur, l'élu n'a quasiment jamais eu le temps nécessaire à la mise en oeuvre d'un programme : les délais sont trop courts et l'élu n'est bien souvent jugé par ses concitoyens que par les faveurs octroyées à leur village, famille et amis alors que le travail effectué pour l'avenir de Mayotte, localement ou à Paris, n'a jamais été récompensé.
On reste, comme pour les Comores et Madagascar, dans un système de gestion à l'africaine. J'espère, en regardant les élus actuels, que cela va changer car Mayotte en a cruellement besoin.
D'importantes différences dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, notamment de la construction, séparent La Réunion et Mayotte.
Il est à noter, et ceci est très important pour le développement de Mayotte, que deux grosses sociétés métropolitaines ont régenté la construction localement pendant longtemps et qu'il était très difficile pour d'autres sociétés de l'extérieur de venir les concurrencer sur le marché mahorais car il n'y avait pas de société de location de matériel, ni de société d'intérim.
À La Réunion, même si ces deux sociétés sont les majors sur le marché local, d'autres peuvent facilement exercer.
Il fallait donc pour les nouveaux entrants à Mayotte acheminer de l'extérieur tout le matériel et former les ouvriers pour les futures constructions. C'est un investissement considérable à mettre en oeuvre avant même d'amorcer une véritable implantation.
Mais il faut aussi reconnaître que ces sociétés ont investi à Mayotte depuis 1975 sans réelle perspective d'évolution et que, grâce à elles, certains travaux d'amélioration ont pu être effectués.
La concurrence actuellement à Mayotte reste difficile, surtout dans certains secteurs d'activité comme les gros travaux d'équipement ; les règlements ne sont pas du tout respectés et la contrainte normative met cependant à mal les sociétés locales, la résilience des multinationales étant supérieure.
Nous sommes donc très loin de La Réunion qui, avec ses 71 ans de départementalisation, a su apprendre à gérer toutes ces problématiques.
Nous avons tout de même actuellement entre les deux îles un sujet commun dans le monde du BTP : le manque de logements sociaux.
La Réunion a divisé par deux la production de logements en cinq ans, ce qui a entraîné une perte importante de salariés dans le secteur du BTP, alors que Mayotte n'a rien produit pendant presque trois ans à cause des difficultés de la seule société immobilière de Mayotte, la SIM.
Cette société, qui commence seulement à émerger des difficultés, se heurte toujours à la mise au point de ses dossiers de financement. Pour votre information, des appels d'offres lancés en juillet-août 2016 pour un démarrage fin 2016, ne vont peut-être effectivement être mis en oeuvre qu'en juin 2017. Il en va de même à La Réunion.
Comment gérer dans ces conditions une société et maintenir l'emploi de son personnel ?
Sur Mayotte, la problématique des logements va devenir encore plus compliquée car, actuellement, la mise en chantier est régie par les mêmes contraintes d'un prix plafond finançable au mètre carré.
Comment Mayotte pourra-t-elle construire des logements subventionnés dans 5 à 10 ans, quand le salaire horaire sera le même qu'à La Réunion ou en métropole ? Actuellement le salaire horaire à Mayotte est de l'ordre de 13 à 14 euros selon les sociétés de construction et leur taille, alors qu'à La Réunion il oscille entre 22 et 25 euros.
Sachant que la masse salariale dans la construction pèse pour un tiers du coût de la construction, je vous laisse le soin de faire le calcul. Ce sera impossible, car actuellement c'est justement l'écart de salaire horaire qui permet à la SIM de construire des logements, et cela compense toutes les autres fournitures bien plus onéreuses qu'à La Réunion.
En effet, à titre indicatif, le prix du mètre cube de béton en zone 1 à La Réunion s'élève à 120 euros, rendu chantier, alors qu'à Mayotte il est au plus bas à 200 euros. Il en est de même pour les aciers : 1,40 euro le kilo à La Réunion alors qu'à Mayotte ceux-ci sont à 1,80 euro le kilo, et ainsi de suite pour les autres fournitures importées.
On peut nous rétorquer qu'il n'y a pas de TVA à Mayotte mais nous avons un octroi de mer bien plus important qu'à La Réunion et qui augmente, à l'initiative du conseil départemental, depuis deux ans de 5 % l'an sur les marchandises de construction...
En l'absence d'évolution du mode de financement, il n'y aura plus de construction de logement social à Mayotte d'ici peu.
Un autre point à souligner est le retard dans les constructions scolaires. Le vice-rectorat fait un gros effort depuis 5 ans sur la construction de collèges et de lycées mais a de gros soucis de foncier pour les constructions à venir. Malgré cela, c'est le seul organisme qui tient ses objectifs de manière relativement saine et il faut le souligner. C'est aussi le meilleur payeur de l'île et, globalement, le seul maître d'ouvrage qui respecte les clauses du marché.
N'allez pas croire que je flatte ici le vice-rectorat avec qui nous ne sommes pas nécessairement d'accord sur tous les points, mais il faut le reconnaître.
En revanche, les écoles, qui relèvent de la compétence des communes, sont en piteux état faute d'entretien et le SMIAM, syndicat mixte qui gérait la construction des écoles, a été fermé en 2015. Celles-ci sont très délabrées et surtout insuffisantes. Sans un réel effort de l'État, et ce n'est pas 10 à 12 millions d'euros par an qui suffiront, les communes ne pourront jamais remettre ces écoles en conformité et en nombre suffisant pour répondre à l'accroissement démographique de Mayotte.
Un point de plus en plus crucial à Mayotte depuis les derniers événements du premier semestre 2016 est l'extrême difficulté à faire appel à des cadres qualifiés provenant de métropole, faute d'avoir les ressources à Mayotte actuellement, car, même avec un salaire et des conditions d'expatriation plus que convenables, ils ne veulent plus venir à cause de l'insécurité croissante et de la délinquance non sanctionnée, souvent d'origine étrangère.
Voilà en quelques mots les différences notoires entre La Réunion et Mayotte.
Elhad-Dine HAROUNA, Président des Jeunes agriculteurs de Mayotte
Nous, jeunes agriculteurs, avons également la chance de travailler avec le groupe Sodifram. Actuellement, le lycée professionnel agricole de Coconi dispose d'un atelier relais d'une capacité de 300 volailles par jour. Cet outil permet d'offrir aux Mahorais 60 tonnes de volailles par an avec le groupe Agri Évolution Maore (AEM). Les groupes Sodifram et Bourbon Distribution Mayotte (BDM) ne prennent que 10 % de cette production sur 120 000 tonnes de volaille congelée importée par la grande distribution par an.
Notre production n'est pas encore très importante. Des changements devraient néanmoins intervenir début 2018. Par exemple, la Sodifram commande 180 poulets alors que nous sommes capables d'en abattre 300 par jour. La grande distribution doit accomplir des efforts pour absorber la production et développer l'agriculture.
La régénération des actifs agricoles et la professionnalisation de l'agriculture constituent une priorité pour Mayotte. Après la séparation d'avec les Comores en 1975, notre agriculture s'est effondrée. Les productions agricoles dominantes ont disparu : le riz, le coprah, la canne à sucre, le café et la kitani . Le développement des importations est venu achever notre métier. Les Mahorais qui vivaient de la terre et de la pêche ont alors recherché des métiers plus sécurisants et plus nobles.
Des années 2000 à aujourd'hui, une succession de techniciens et d'ingénieurs agricoles sont venus de l'extérieur pour relancer l'agriculture. Ils ont laissé leur empreinte sur notre territoire en ignorant complètement notre identité agricole. Des productions jusqu'à présent inexistantes sont devenues dominantes : la volaille, les ruminants, les fruits et légumes.
La professionnalisation de l'agriculture mahoraise ne s'opérera qu'au moyen d'une formation de qualité. Le lycée agricole de Coconi est un acteur incontournable de ce développement. Nous devons rehausser le niveau de la formation à l'installation. Il s'élève à 600 heures pour une capacité professionnelle agricole. Il convient de mettre en oeuvre un brevet professionnel de responsable d'exploitation, niveau de diplôme minimum exigé pour pouvoir s'installer au plan national.
Nous devons valoriser le cursus agricole mahorais en proposant des formations continues d'excellence telles qu'un brevet de technicien supérieur agricole (BTSA) ou une licence professionnelle. Ces parcours sont plus attractifs pour des jeunes qui possèdent un bon niveau depuis la classe de troisième. La formation constitue un maillon important de la chaîne, mais la maîtrise et la gestion du foncier restent la clé de l'installation et du développement de l'agriculture.
Les propriétés foncières agricoles doivent être mises au service des agriculteurs. Elles constituent le premier outil de travail du paysan. En l'absence de titres et de baux écrits, la complexité du foncier freine les projets agricoles. Pourtant, le département et l'État détiennent 90 % des terres. Ni l'Agence de services et de paiement (ASP), ni le Conseil départemental ne sont parvenus à résoudre ce problème.
Pour atteindre l'objectif fixé par le programme de développement rural (PDR) de quarante jeunes installés d'ici à 2020, nous devons rapidement engager une politique d'installation. Le Conseil départemental détient des terres inexploitées. Il suffirait de les mettre à disposition.
Il convient d'adopter des mesures de court et de long termes :
- à court terme, les fonciers acquis par l'ASP entre 1998 et 2006 doivent être employés à la création de villages agricoles. Les taxes foncières doivent être augmentées sur les terres agricoles non exploitées et diminuées sur les terres agricoles exploitées pour rendre le foncier accessible ;
- à long terme, la création d'une société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) doit être envisagée. Sa mission première est l'installation des jeunes. Elle est plus adaptée à cette tâche qu'un établissement public foncier et d'aménagement (EPFA).
Aujourd'hui, l'installation d'un jeune agriculteur est semée d'embûches. Seuls les jeunes les plus solides sur ce long parcours à l'installation aboutissent à leur projet au bout de 2 à 3 longues années de montage et d'instruction de leur dossier.
Les filières agricoles mahoraises se développent pourtant.
La filière de la ponte s'est rapidement installée avec la création de la coopérative mahoraise d'aviculture (Comavi) et de la Société civile agricole de Mayotte (SCAM). L'oeuf est facile à produire et à commercialiser. Il est difficilement importable, même si quelques quantités nous parviennent de La Réunion.
La filière de la volaille de chair est apparue en 2015 avec l'arrivée du groupement d'agriculteurs AEM. La production de chair est stimulée par l'augmentation de la capacité de l'usine d'aliments de bétail Ekwali nutrition animale et par la mise en place d'un couvoir créé par AEM, Ekwali nutrition animale et la Comavi.
Le lancement en 2016 du projet européen de structuration de la filière commence à porter ses fruits avec la naissance d'un projet d'abattoir d'une capacité de 1 000 volailles par jour. La partie production de chair est aujourd'hui portée par AEM, avec une production de 60 tonnes par an de volailles fermières élevées en plein air. Elles sont commercialisées dans les grandes et moyennes surfaces (GMS), dans la restauration collective et en vente directe. Ces outils de production seront conçus pour couvrir 10 % de notre consommation de volaille à Mayotte.
La filière des fruits et légumes s'est également organisée dans un projet européen. Quatre organisations agricoles participent à ce projet, avec AEM, la coopérative des agriculteurs du centre (Coopac), l'association saveurs et senteurs de Mayotte (ASSM) et le groupement de vulgarisation d'Acoua (GVA). La Coopac et AEM collaborent avec les GMS et avec la restauration collective. Malheureusement, la majorité de la production transite encore par le marché informel, ce qui constitue un frein important pour le développement de la filière.
Les jeunes qui s'installent s'intéressent beaucoup à la filière de la volaille, car cette production est moins gourmande en surface. Ils pratiquent souvent la polyculture-élevage pour se diversifier et pour parer les difficultés liées à l'approvisionnement en matières premières, un problème fréquent à Mayotte.
Les filières de l'ylang-ylang et de la vanille sont encore insuffisamment organisées de l'amont vers l'aval. Les coûts de production sont plus élevés que chez nos voisins de Madagascar et des îles Comores. Cette économie est principalement détenue par des agriculteurs âgés. Peu de jeunes s'installent dans ces productions en raison de la concurrence et de notre manque de compétitivité.
Malgré l'existence d'un grand groupement de producteurs, la coopérative des éleveurs de Mayotte (Coopadem), la filière des ruminants est quasiment inexistante en raison du manque d'outils industriels agroalimentaires. Elle est principalement assurée comme double activité, notamment par des fonctionnaires.
Cette désorganisation des filières explique le refus des banques d'accompagner les projets agricoles. Nous proposons la mise en oeuvre des solutions suivantes :
- le POSEI doit avoir pour objectif d'intégrer les jeunes agriculteurs dans l'organisation des filières ;
- les projets européens de structuration des filières doivent tenir compte de la production et non de la seule administration ;
- les avances sur projets européens et nationaux doivent être relevées de 30 % à 70 % afin de diminuer la pression du préfinancement et pallier le non-accompagnement des banques ;
- le montant global de l'aide à la modernisation, qui s'élève à 150 000 euros, doit être déplafonné pour toute personne intégrant une filière.
Sans ces mesures, nous ne parviendrons pas à rattraper notre retard d'emploi des fonds européens liés à l'installation. Durant les deux dernières années, aucun jeune agriculteur ne s'est installé à Mayotte alors que nous devions atteindre le chiffre de quarante d'ici à 2020.
* 4 Les produits intérieurs bruts régionaux de 2000 à 2013 - La croissance réunionnaise freinée par la crise
* 5 Entreprises marchandes de 1 à 499 salariés - 400 millions d'euros de richesse créée en 2013 par le secteur marchand
* 6 Le département au taux de chômage le plus élevé - Enquête Emploi Mayotte 2016