B. UN IMPÉRATIF D'ÉGALITÉ POUR LA GOUVERNANCE DE LA PROFESSION : ENCOURAGER L'ENGAGEMENT DES AGRICULTRICES

1. Une évolution indispensable : développer les réseaux féminins dans le monde agricole - l'exemple du groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin » de Bretagne

La participation à des réseaux est fréquemment présentée comme un facteur important - et classique - de réussite . Or les réseaux (associations d'anciens élèves, politiques, syndicaux, clubs divers, cercles de loisirs, etc.) ont longtemps été fermés aux femmes. Si de tels interdits aujourd'hui sont rares, il reste que les contraintes de la « double journée » excluent de facto les femmes de lieux de sociabilité où se créent des relations souvent utiles pour, entre autres exemples, conforter un parcours professionnel ou concrétiser une ambition politique .

Il n'est donc pas anodin que de nombreuses professions ou structures (ministères, grandes entreprises...) se dotent désormais de réseaux féminins 197 ( * ) . Ce développement s'inscrit dans une sensibilisation croissante des femmes aux enjeux liés à l'égalité et à la parité et dans leur prise de conscience qu'il leur appartient d' agir elles-mêmes pour faire évoluer les mentalités .

Le métier agricole n'échappe pas à ce constat : de nombreux témoignages entendus par les co-rapporteur-e-s ont souligné l'importance de rencontres entre agricultrices pour échanger sur leur métier, ses difficultés, sur les bonnes pratiques professionnelles à partager pour améliorer l'efficacité de leur travail et sur leurs « bons plans » en matière d'organisation quotidienne pour faciliter l'articulation des temps personnel et professionnel...

Les témoignages recueillis par les co-rapporteur-e-s notent aussi l'intérêt de ces réunions, non seulement pour rompre l'isolement dont souffrent parfois les femmes en milieu rural , mais aussi dans une logique de formation. Ces rencontres permettent ainsi d'acquérir la confiance en soi qui manque souvent aux femmes dans beaucoup de professions, difficulté à laquelle sont aussi confrontées les agricultrices, et qui bloque trop fréquemment leurs ambitions en matière de prise de responsabilités.

Les commissions des agricultrices de la FNSEA offrent un exemple très positif de réseaux susceptibles à la fois de créer des liens entre agricultrices et de renforcer leur formation.

Les co-rapporteur-e-s souhaitent développer plus particulièrement un exemple édifiant qui leur a été exposé lors du colloque du 22 février 2017, puis lors de leur déplacement en Bretagne . Il s'agit du groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin » .

Ce groupe s'est structuré en 2007 à l'occasion de la mise en place d'un Observatoire de la parité par le Conseil régional de Bretagne , qui a dans un premier temps rassemblé des élues des quatre chambres d'agriculture bretonnes. Ces premières participantes ont décidé de rassembler leurs forces en un groupe unique, structuré autour d'un comité de pilotage au niveau régional et décliné en groupes départementaux . C'est donc à une initiative d'élues agricoles que l'on doit la dynamique créée par le groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin ».

Celui-ci est composé d'agricultrices élues des quatre chambres d'agriculture départementales de la région et de membres d'organisations professionnelles. Il est organisé, en lien avec la commission stratégique « Entreprises » de la chambre régionale d'agriculture, autour d'une animatrice par département et d'une coordinatrice régionale , sa présidente, Nathalie Marchand. Celle-ci est intervenue lors du colloque Être agricultrice en 2017 du 22 février 2017 : les co-rapporteur-e-s souhaitent lui témoigner, par l'intermédiaire de ce rapport, l'admiration que leur inspire son engagement ainsi que celui de ses collègues de tous les départements bretons.

Depuis 2008, « Égalité-parité : Agriculture au féminin » conduit des actions pour favoriser l'égalité et la parité dans la profession agricole selon deux axes prioritaires :

- la formation continue et qualifiante (par exemple, formations à l'exercice des responsabilités, aux politiques européennes de l'égalité ; formations techniques, aux relations humaines, au management, etc.) ;

- la communication sur les métiers agricoles au féminin .

Selon une participante aux échanges auxquels ont participé les co-rapporteur-e-s lors de leur déplacement en Bretagne, le 14 juin 2017, l'objectif est de « tout faire pour que les jeunes restent dans l'agriculture, et notamment les jeunes femmes ».

« Égalité-parité : Agriculture au féminin » a pour objectifs :

- de diffuser la culture de l'égalité-parité dans les chambres d'agriculture de Bretagne ;

- de promouvoir la mixité en agriculture (formation, emploi, communication, création d'entreprise) et les métiers agricoles au féminin ;

- d' accompagner l'engagement et la prise de responsabilités des femmes en agriculture : améliorer la représentativité des élu-e-s des instances décisionnelles fait en effet partie des priorités du groupe.

Parmi les activités d'« Égalité-parité : Agriculture au féminin », les co-rapporteur-e-s ont tout particulièrement noté des actions de communication dont ils estiment qu'elles devraient inspirer des initiatives similaires dans d'autres territoires, telles que :

- la création d'une page Facebook « Agricultrices de Bretagne » ;

- la publication d'un guide pratique Élues agricoles de Bretagne destiné à présenter des témoignages et des astuces « pour faciliter les premiers pas dans la prise de responsabilités » ;

- l'organisation de manifestations à l'occasion de la Journée de la femme rurale, le 15 octobre , comme par exemple la « journée conviviale d'échanges pour toutes les agricultrices et les salariées agricoles » organisée le 18 octobre 2016 à Rennes et intitulée « Bien dans ses bottes pour surfer sur la crise ».

Il faut noter que le groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin » s'est attaché à faire connaître son action dans d'autres territoires , notamment dans le département des Ardennes, comme on le verra ultérieurement.

La délégation encourage la création, dans d'autres régions, de réseaux d'agricultrices comparables au groupe breton « Égalité-parité : Agriculture au féminin » .

2. Un objectif prioritaire : féminiser la gouvernance de la profession

Les co-rapporteur-e-s ont entendu de nombreux témoignages du « parcours du combattant » d'agricultrices investies de responsabilités dans les organisations professionnelles agricoles : à de nombreux égards, elles demeurent encore des pionnières. Face à cette situation, la délégation est favorable à une évolution volontariste des organisations professionnelles agricoles vers une féminisation affirmée de leurs instances de décision.

a) À quand la fin de la période des pionnières ?

Alors qu'un quart des chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole sont des femmes et que, selon le ministère de l'Agriculture, 30 % des entreprises ou exploitations agricoles sont, en 2016, dirigées ou codirigées par une femme, les instances de décision de la profession demeurent très masculines et les femmes qui exercent des responsabilités dans le domaine de l'agriculture restent encore relativement peu nombreuses .

Cette image commence par le plus haut niveau politique, le niveau ministériel : depuis le début de la V ème République, on ne compte que deux femmes ministres de l'agriculture : Édith Cresson, de 1981 à 1983, et Christine Lagarde, que l'on ne rappellera ici que pour mémoire, car elle n'est restée à la tête de ce ministère qu'un mois, du 18 mai au 18 juin 2007.

Cette impression d'un « pré carré » masculin pour les dossiers agricoles n'est pas sans conséquences, il faut le relever, sur les instances sénatoriales : la commission compétente en matière d'agriculture, la commission des Affaires économiques, qui comptait après le renouvellement sénatorial de 2014 23 % de sénatrices (11 % après celui de 2011), n'a jamais été présidée par une femme 198 ( * ) .

Le fait qu'une femme, Christiane Lambert, ait été élue pour la première fois, le 13 avril 2017, à la tête du premier syndicat de la profession, la FNSEA , a été perçu comme un véritable événement . Rappelons qu'il a fallu parcourir un long chemin (en 1976 a eu lieu la première élection d'une femme, Michèle Chezalviel, à la tête d'une fédération départementale du syndicat) pour arriver à cette élection très significative sur le plan symbolique.

Ainsi que l'a rappelé Anne-Marie Bernard, élue en 1957 première présidente de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, lors du cinquantième anniversaire de cette commission, les 9 et10 novembre 2006 : « Nous étions réellement exploitantes, mais nous étions ignorées dans les organisations professionnelles ».

En 1956, Estelle Deneux-Robin, qui deviendra vice-présidente du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), confie à Marie-Thérèse Lacombe, militante de la JACF (Jeunesse agricole catholique féminine), épouse de Raymond Lacombe, président de la FNSEA de 1986 à 1992, et auteure de Pionnières ! Les femmes dans la modernisation des campagnes de l'Aveyron de 1945 à nos jours : « J'étais seule, absolument seule, avec des hommes qui ne croyaient vraiment pas que l'on pouvait avoir une place dans le syndicalisme. Jusque-là, nous avions droit au silence et à l'ombre. Nous étions des sans profession, même si on nous qualifiait dans certaines régions de patronnes » 199 ( * ) .

Marie-Thérèse Lacombe témoigne de manière très éclairante de la « double mission » de ces pionnières de l'action syndicale : « d'une part, sur le plan institutionnel, faire avancer la reconnaissance d'une place pour les femmes dans les exploitations agricoles et, pour cela, convaincre les responsables masculins des organisations professionnelles ; et d'autre part, persuader les femmes, celles-là même pour qui elles se battent, de l'importance et de la volonté pour chacune d'être reconnue comme une personne active avec la profession d'agricultrice » 200 ( * ) .

C'est à cette génération que l'on doit un long combat dont quelques résultats concrets apparaissent aujourd'hui , même si de nombreux obstacles empêchent toujours les agricultrices de s'engager dans les instances gouvernantes de la profession. Ces freins ont été évoqués, lors du colloque du 22 février 2017, par Jacqueline Cottier, présidente de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA : « Le premier frein, c'est le manque de temps. C'est aussi le manque de confiance en soi. Le soutien du conjoint est également un élément important. Les choix doivent être assumés et partagés par la famille » 201 ( * ) .

b) L'accès de femmes à des postes de responsabilité au ministère de l'agriculture : de réelles avancées

Il faut souligner que la féminisation des emplois supérieurs du ministère de l'Agriculture a fait l'objet d'une politique volontariste depuis 2012, qui a donné lieu à d'incontestables résultats.

Selon la Feuille de route du ministère de l'Agriculture publiée le 15 février 2017 par le comité interministériel des droits des femmes 202 ( * ) , l'objectif de parité est atteint en ce qui concerne les nominations aux emplois de directeurs généraux (66,7 % de femmes), de même que l'objectif de 30 % de primo-nominations de femmes aux postes de cadres dirigeants et aux emplois de direction du ministère (37,5 % de femmes). Celui-ci compte 42,6 % de femmes dans les postes d'encadrement, à partir du poste de chef de bureau. Un rapport de situation comparée entre les hommes et les femmes (RSC) est intégré au bilan social du ministère. Régulièrement enrichi, il est consultable en ligne.

Dans le même esprit, selon la feuille de route précitée, « un cycle complet de formation à l'égalité, à la prise de conscience des stéréotypes et aux critères de discrimination interdits a été rendu obligatoire pour tous les membres des comités de direction en administration centrale [...], au niveau régional (DRAAF) dans les départements d'outre-mer (DAAF) et dans les établissements publics locaux d'enseignement agricole (métropole et outre-mer). Il s'est déroulé en 2015-2016 ».

Par ailleurs, « un module spécifique relatif à l'égalité est maintenant inclus dans la formation de tous les jurys de concours ».

c) La féminisation des chambres d'agriculture : des progrès à concrétiser au niveau des bureaux et des présidences

Dans l'esprit volontariste qui a caractérisé la féminisation des postes d'encadrement du ministère s'est inscrite la volonté de promouvoir l'élection de femmes dans les chambres d'agriculture .

Après un décret de juin 2012 prévoyant la féminisation des listes de candicat-e-s aux chambres d'agriculture, l'article 70 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a modifié l'article L. 511-7 du code rural et de la pêche maritime 203 ( * ) pour que « Les listes de candidats présentées pour chaque collège comportent au moins un candidat de chaque sexe par groupe de trois candidats , sauf impossibilité tenant soit au nombre limité de sièges à pourvoir, soit aux conditions d'éligibilité aux chambres régionales ». C'est donc à une obligation juridique que l'on doit le fait que les chambres d'agriculture comportent désormais obligatoirement un tiers de femmes élues (le schéma ci-après atteste une moyenne nationale de 27,15 % de femmes ).

Il est à noter que le projet de loi initial prévoyait la parité des chambres d'agriculture à compter du deuxième renouvellement des chambres suivant la promulgation de la loi du 2 août 2014 204 ( * ) . Toutefois, lors de son audition par la délégation, le 23 mai 2017, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, a estimé que la proportion d'un tiers de femmes dans les chambres d'agriculture correspondait à la démographie de la profession , « sachant que les femmes représentent 25 % des chefs d'exploitation et 33 % des actifs agricoles ».

La représentante de Jeunes agriculteurs , le 1 er juin 2017, s'est pour sa part déclarée défavorable « à la parité imposée ». Elle a estimé que la féminisation des listes qui avait eu lieu lors des élections aux chambres d'agriculture de 2013 avait été « mal perçue » par les hommes : « selon eux, on excluait des hommes compétents pour inscrire des noms de femmes ». Elle a jugé qu'une féminisation accrue des chambres d'agriculture risquerait de ne faire des femmes, faute de candidates à ces postes, que « des noms sur ses listes ».

Élections des représentant-e-s au sein des chambres d'agriculture en 2013 205 ( * )

La relative féminisation des chambres d'agriculture a été évoquée le 14 juin 2017 lors du déplacement des co-rapporteur-e-s en Bretagne, où la moyenne régionale (26 % d'élues) atteste une évolution favorable, même si la moyenne régionale recouvre des réalités contrastée (19 % dans la chambre d'agriculture régionale, 20 % pour l'Ille-et-Vilaine, 28 % pour le Morbihan et 33 % pour les Côtes-d'Armor et le Finistère) 206 ( * ) .

De même, la question de l'accès des femmes aux responsabilités dans les organismes agricoles a été soulevée au cours du déplacement dans la Drôme : les agricultrices rencontrées ont considéré que la mise en place de quotas relatifs à la proportion de femmes pour l'élection des membres des chambres d'agriculture était une mesure nécessaire pour faire évoluer la situation. Elles ont toutefois fait le lien entre la présence limitée des femmes dans les instances de gouvernance et le faible nombre de postes de responsabilité à partager entre hommes et femmes.

Si les chambres d'agriculture élues en 2013 se sont incontestablement ouvertes aux femmes, comme l'atteste le schéma ci-dessus, leurs bureaux, qui pour leur part n'ont fait l'objet d'aucune obligation juridique, sont restés très masculins 207 ( * ) . L'une des participantes au colloque du 22 février 2017 a d'ailleurs fait valoir que son élection au bureau de la Chambre d'agriculture du département des Ardennes avait été considérée comme une « révolution » 208 ( * ) .

Ce point rejoint un constat classique dans le champ politique : la progression du nombre de femmes investies de responsabilités est le plus souvent subordonnée à l'existence de dispositions juridiquement contraignantes. Ainsi que cela a été remarqué à l'occasion des dernières élections départementales, le « troisième tour » est le plus souvent défavorable aux femmes .

De même que l'on ne compte que dix femmes présidentes d'assemblées départementales (soit 10 %) 209 ( * ) , ce qui contraste avec le fait que ces assemblées sont désormais paritaires, de même ne compte-t-on que trois présidentes de chambres départementales d'agriculture (Drôme, Lozère et Côtes-d'Armor).

Considérant qu'un travail « considérable » reste à faire sur la représentation féminine, Véronique Léon, ancienne secrétaire nationale de la Confédération paysanne , entendue le 7 juin 2017, a évoqué la Chambre d'agriculture de l'Ardèche, où « le bureau était composé de six hommes et d'une femme, qui était systématiquement reléguée en bout de table, derrière le pot de fleurs ! ».

Quant à l' Assemblée permanente des chambres d'agriculture , le schéma ci-dessous montre que son conseil d'administration ne compte qu'une femme pour 33 hommes et son Bureau, une élue pour 13 hommes.

Répartition femmes-hommes dans les instances décisionnelles de l'Assemblée permanente des Chambres d'Agricultures (APCA), le 20 mars 2013 210 ( * )

Lors du colloque du 22 février 2017, Nathalie Marchand, présidente du groupe « Égalité-parité : agriculture au féminin » de la Chambre d'agriculture de Bretagne, a exhorté le Sénat à faire respecter un taux de 30 % de femmes dans les instances dirigeantes des chambres d'agriculture : bureaux, présidences et présidences de commission. Ce souhait rejoint l'engagement de la délégation aux droits des femmes en faveur de l'amélioration de l'accès des femmes aux responsabilités.

La délégation recommande que les chambres d'agriculture, départementales et régionales, ainsi que l' Assemblée permanente des chambres d'agriculture comptent dans leurs instances dirigeantes (bureaux et présidences de commissions) une proportion minimale d'un tiers de femmes , comme le prévoit la loi du 4 août 2014 pour les membres élu-e-s.

d) La question des syndicats : vers un tiers de femmes au moins dans les instances dirigeantes

Le parcours de Christiane Lambert, présidente d'un centre cantonal de Jeunes agriculteurs dès l'âge de 19 ans, présidente du Centre régional de Jeunes agriculteurs d'Auvergne , première présidente du CNJA (de 1994 à 1998) puis première présidente de la FNSEA depuis avril 2017, demeure exemplaire. Elle a souligné lors de son audition qu'elle avait été choisie pour ses compétences, et « sans [s]'excuser d'être une femme ». Elle reste toutefois une pionnière, voire une exception.

Toutefois, son audition devant la délégation montre l'importance, dans son parcours, de la conciliation de son engagement syndical avec ses devoirs de mère de famille et son travail de cheffe d'exploitation . Tous les témoignages d'agricultrices engagées dans des responsabilités syndicales ou professionnelles entendus par la délégation font état de cette préoccupation.

La secrétaire générale adjointe de Jeunes agriculteurs , auditionnée le 1 er juin 2017, a constaté à cet égard que « L'âge auquel on peut s'engager chez les JA est celui où l'on fonde sa famille », ce qui constitue un frein évident pour de nombreuses jeunes agricultrices.

La présidente de la FNSEA a par ailleurs noté que « davantage de femmes [étaient] prêtes à exercer des responsabilités au niveau cantonal ou départemental qu'au niveau régional ou national, car les temps de trajet et la nécessité d'organiser l'intendance sont d'incontestables obstacles ». Encore aujourd'hui, les difficultés des femmes à s'engager tiennent d'abord à des préoccupations très concrètes, liées à l'organisation de leur vie personnelle pendant qu'elles sont appelées à s'absenter de chez elles. La plupart des femmes investies de responsabilités professionnelles font état du soutien de leur mar i : combien de responsables de haut niveau ressentent le besoin de se référer au soutien de leur compagne ?

Enfin, la représentante de Jeunes agriculteurs , lors de son audition, a estimé que pour les femmes, « Le plus dur, localement, c'est de gagner le droit d'être écoutée », notant que « les femmes doivent faire deux fois plus leurs preuves ». Les représentantes de la Confédération paysanne n'ont pas exprimé les mêmes difficultés et ont relevé la « possibilité, à la Confédération paysanne , de [se] retrouver très rapidement aux responsabilités ».

Il n'en demeure pas moins que la féminisation des syndicats agricoles doit être encouragée : Christiane Lambert a fait observer qu'elle a été « élue par un conseil d'administration de 69 personnes, dont 17 % de femmes ».

À supposer que l'on s'en tienne, comme l'ont suggéré la présidente de la FNSEA et les représentants de Jeunes agriculteurs , à la même proportion de femmes que les élues des chambres d'agriculture (soit un tiers des membres), qui relève d'une ambition a minima par rapport à l'objectif de parité de la profession, on est encore loin du compte dans les instances dirigeantes de la FNSEA .

La même remarque vaut pour Jeunes agriculteurs qui, présidé actuellement par un homme, ne compte que deux femmes sur les 37 « jeunes agriculteurs » membres du Bureau et du Conseil d'administration, soit seulement 5,4 %. Notons que le Bureau et le Conseil d'administration comptent respectivement 15 et 22 membres. Les deux agricultrices membres du Bureau de Jeunes agriculteurs y exercent les fonctions de vice-présidente et de secrétaire générale adjointe (cette dernière a été entendue le 1 er juin 2017). On ne compte toutefois aucune femme parmi les 22 administrateurs de JA . Il y a donc, pour ce syndicat également, une marge de progression non négligeable avant d'atteindre le tiers de représentantes qui semble à ce syndicat compatible avec la démographie de la profession...

D'autres syndicats semblent plus avancés sur le terrain de la féminisation de leurs instances de décision . Le secrétariat national de la Confédération paysanne compte ainsi trois agricultrices pour sept membres, soit une proportion quasi paritaire. Le comité directeur de la Coordination rurale comprend trois femmes sur dix hommes (secrétaire générale, 2 ème vice-présidente et trésorière adjointe), soit une proportion proche d'un tiers. Quant à son équipe administrative, si elle est dirigée par un homme, elle attribue des postes de responsabilité à des femmes (responsable du service juridique, responsable du service comptable, directrice administrative et financière).

La délégation invite les syndicats agricoles à appliquer à leurs instances dirigeantes une proportion minimale d'un tiers de femmes , inspirée de ce que prévoit la loi du 4 août 2014 pour les membres élu-e-s des chambres d'agriculture.

e) Les autres organisations professionnelles agricoles

Ainsi que l'a fait observer la présidente de la FNSEA lors de son audition, en réponse à une question de notre collègue Catherine Procaccia, « On compte beaucoup de femmes à la MSA - qui a eu une présidente -, un peu chez les assureurs tels que Groupama, très peu au Crédit Agricole et encore moins au sein des coopératives ».

De fait, le Bureau de la Caisse centrale de la MSA compte seulement deux femmes sur neuf membres, mais la présence féminine est proche de la parité au Conseil d'administration (premier collège : quatre femmes sur neuf, deuxième collège : cinq femmes sur douze, troisième collège : trois femmes sur six).

La gouvernance du Crédit Agricole semble en revanche confirmer le constat de Christiane Lambert : si le Conseil d'administration compte huit femmes sur dix-huit membres élu-e-s par l'assemblée générale, respectant la proportion de 40 % de femmes prévue pour 2017 par la loi Copé-Zimmermann, les neuf directions générales restent en revanche exclusivement masculines , le comité de direction ne compte que six femmes sur cinquante membres (soit 12 % de femmes) et le comité exécutif , seulement une femme sur 16 membres (6,25 % de femmes) 211 ( * ) . On notera que le Crédit Agricole occupait la 90 ème place dans le Palmarès 2015 des entreprises les plus féminisées réalisé à la demande du Gouvernement par Ethics & Boards . Il faut toutefois préciser qu'à l'époque, aucune femme ne siégeait au comex . Le fait qu'une femme ait, depuis l'établissement de ce palmarès, été nommée au comité exécutif, améliorerait probablement le rang actuel du Crédit Agricole dans ce classement 212 ( * ) .

Par ailleurs, la loi d'avenir pour l'agriculture du 13 octobre 2014 213 ( * ) a prévu l'amélioration de la représentation des femmes au sein des SAFER , avec un minimum de 30 % de personnes du même sexe dans le collège des organisations professionnelles agricoles dans leurs conseils d'administration .

La sous-représentation des femmes n'est pas propre aux syndicats et aux chambres d'agriculture. Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique, a souligné le décalage entre la présence de nombreuses agricultrices dans le secteur bio et leur faible engagement dans les instances représentatives de la profession . Elle a imputé cette situation à un « manque de confiance en soi et [à] l'impression [qu'ont les femmes] d'être moins au fait des questions traitées que les hommes » et s'est déclarée déterminée à « intégrer plus de femmes au sein du conseil d'administration de la FNAB et de la gouvernance en général ».

Les co-rapporteur-e-s ont par ailleurs été frappés, lors de leur déplacement en Bretagne le 14 juin 2017, d'entendre des témoignages de responsabilités stéréotypées confiées aux agricultrices par les instances dirigeantes de la profession. Les femmes demeureraient ainsi sollicitées pour des fonctions comme la communication, le social ou les relations avec les écoles.

L'accès aux lieux où se prennent les décisions concernant la production , comme les coopératives , paraît en revanche demeurer limité. Selon les témoignages recueillis, alors que la traite des vaches incombe très souvent aux femmes, elles ne semblent pas présentes dans les Bureaux des coopératives laitières .

On relève toutefois dans un reportage précité du journal L'Union (Champagne-Ardenne) du 2 février 2017 214 ( * ) un témoignage faisant état d'une évolution plus favorable des coopératives : « Il y a 40 ans, une femme qui gérait seule une entreprise, ça n'existait pas. J'étais un OVNI. Aujourd'hui, c'est devenu banal. De plus en plus de femmes siègent au Conseil d'administration de coopératives. Le milieu agricole se féminise, c'est bien » 215 ( * ) .

S'agissant des coopératives, il semble donc important de faire établir des statistiques sexuées pour évaluer de manière rigoureuse la participation des agricultrices à leurs conseils d'administration et afin d'encourager la féminisation de leur gouvernance , pour que les femmes y occupent la place qui leur revient et y exercent des fonctions en adéquation avec les responsabilités qu'elles assurent dans les exploitations.

La délégation recommande l'établissement de statistiques sexuées sur la gouvernance des coopératives agricoles ainsi que des unions et fédérations de coopératives. Elle souhaite que les agricultrices soient représentées dans les instances de décision de ces structures à raison d'un tiers au moins, par cohérence avec la proportion retenue pour les membres élu-e-s des chambres d'agriculture.


* 197 En 2012, 400 réseaux féminins ont été recensés par l'agence ConnectingWomen (200 en 2007).

* 198 La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale était présidée par une députée jusqu'aux élections législatives de 2017.

* 199 Éditions Rouergue, 2009, p. 154.

* 200 Marie-Thérèse Lacombe, op. cit., p. 154.

* 201 Voir les Actes du colloque, p. 43.

* 202 http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2016/03/FeuilleRoute_MAAF_2017.pdf

* 203 En prévision des élections des chambres d'agriculture de 2013, un décret n° 2012-838 du 29 juin 2012 relatif aux élections aux chambres d'agriculture prévoyait que chaque liste de candidat-e-s comporterait au moins un-e candidat-e de chaque sexe par tranche de trois candidat-e-s pour féminiser les chambres d'agriculture à raison d'un tiers. L'article 22 du projet de loi pour l'égalité réelle a pris en compte la décision du Conseil d'État du 7 mai 2013 (CE Ass., 7 mai 2013, Fédération CFTC de l'agriculture et fédération générale des travailleurs de l'agriculture, de l'alimentation, des tabacs et services annexes Force Ouvrière , n° 362280) par laquelle, saisi de la portée du second alinéa de l'article 1 er de la Constitution aux termes duquel : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. », il a jugé que le législateur est seul compétent pour adopter les règles destinées à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats à caractère social ou professionnel et qu'il revient seulement au pouvoir réglementaire de prendre les dispositions d'application de ces mesures législatives.

* 204 Cette disposition, soutenue par l'Assemblée nationale, a été supprimée par le Sénat en première et en deuxième lectures.

* 205 Haut Conseil à l'Égalité, Guide de la parité , version au 24 août 2016, p. 11.

* 206 Voir en annexe le compte rendu de ce déplacement.

* 207 Les membres des bureaux des chambres d'agriculture bretonnes sont restés, dans leur grande majorité, des hommes : on n'y compte que 25 % de femmes en moyenne régionale, sous réserve de réalités locales plus nuancées (16 % pour le Morbihan, 25 % pour la chambre régionale, les Côtes-d'Armor et l'Ille-et-Vilaine, 33 % pour le Finistère).

* 208 Voir les actes du colloque, p. 61.

* 209 Et trois femmes présidentes de régions, soit un quart.

* 210 Haut Conseil à l'Égalité, Guide de la parité , version au 24 août 2016, p. 11.

* 211 Recherche effectuée le 26 juin 2017.

* 212 http://femmes.gouv.fr/wp-content/uploads/2015/10/Palmares-de-feminisation-des-instances-dirigeantes.pdf

* 213 Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

* 214 Témoignages d'agricultrices de la Marne, de l'Aisne et des Ardennes.

* 215 http://www.lunion.fr/13823/article/2017-02-01/femmes-dans-l-agriculture-les-mentalites-ont-change

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