B. LE CONFLIT DANS LE SUD-EST DU PAYS
La question kurde domine le débat politique en Turquie. Pour Abdullah Gül, Président de la République de Turquie de 2007 à 2014, ce serait même le problème numéro un. Les Kurdes sont une ethnie du Moyen-Orient répartie sur un territoire à cheval sur quatre États : la Turquie (avec environ 18 millions de personnes), l'Iran (8 millions), l'Irak (7 millions) et la Syrie (2 millions). L'effondrement de l'Empire ottoman à l'issue de la première guerre mondiale ouvrit la voie à la création d'un État kurde, prévue par le traité de Sèvres en 1920, situé dans l'est de l'Anatolie et dans la province de Mossoul. Mais après la victoire de Mustafa Kemal (« Atatürk ») en Turquie et de son mouvement nationaliste, les Alliés revinrent sur leur décision et, en 1923, le traité de Lausanne consacra la domination de la Turquie, de l'Iran, de la Grande-Bretagne (pour l'Irak) et de la France (pour la Syrie) sur les populations kurdes. Lors de la création de la République de Turquie, Mustafa Kemal souhaitait une république unifiée et a imposé une assimilation forcée aux kurdes, niant ainsi leurs spécificités culturelles.
C'est dans ce contexte qu'en 1978, Abdullah Öcalan a fondé le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le but de faire reconnaître les droits des kurdes. En 1984, le PKK décida d'engager la lutte armée contre l'État turc. Ce conflit aurait fait depuis lors plus de 45 000 morts. Abdullah Öcalan, quant à lui, est emprisonné depuis 1999. Si le PKK avait pour objectif initial la création d'un État du Kurdistan, il milite davantage aujourd'hui pour plus d'autonomie au sein de la Turquie et une reconnaissance des spécificités culturelles kurdes comme la langue. Les Kurdes affirment aujourd'hui vivre dans des régions oubliées du pouvoir central, notamment en termes d'investissements pour la modernisation des infrastructures, et être traités comme des citoyens de seconde zone.
À l'automne 2012, après une année particulièrement meurtrière, un cessez-le-feu a été décrété. L'attentat de Suruç en juillet 2015 y a mis fin. Depuis, la région du Sud-Est, où réside une grande majorité de kurdes, vit au rythme des affrontements quotidiens entre l'armée et la police turques, d'une part, et les combattants du PKK et des mouvements associés, d'autre part.
Depuis juillet 2015, on estime le nombre de morts à 927 du côté des forces de l'ordre turques et à 1 257 du côté des combattants kurdes. En outre, 395 civils auraient également été tués, selon International Crisis Group .
Dans sa résolution du 22 juin 2016, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est inquiétée de l'intensification des opérations de sécurité dans cette région. Le 7 décembre 2016, le Commissaire aux droits de l'Homme a estimé que ces mesures n'étaient ni légales, ni proportionnées au but légitime poursuivi par la Turquie.
En effet, des couvre-feux de longue durée imposés 24 heures sur 24 ainsi que de grands projets de transformation urbaine ont occasionné le déplacement d'environ 500 000 personnes.
En outre, des exactions auraient été commises contre des populations civiles par les forces de l'ordre turques. Le 7 février, entre 60 et 90 personnes ont été tuées lors d'un assaut de l'armée turque à Cizre. Alors que l'État affirme que les victimes étaient des combattants du PKK, des sources kurdes ont déclaré qu'il s'agissait en réalité de civils ayant trouvé refuge dans un sous-sol pour échapper au conflit. De même, dans le village de Kuruköy, trois personnes auraient été tuées et 39 autres détenues et torturées après que le couvre-feu a été déclaré dans neuf villages des districts de Mardin, le 11 février 2017.
Enfin, un rapport de mars 2017 du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe indique que près de 90 maires et adjoints ont été emprisonnés et que 82 municipalités sont désormais dirigées par un administrateur nommé par le Gouvernement. 80 % des villes concernées étaient dirigées par un parti pro-kurde.