LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

1. Opter pour une approche réaliste des contraintes environnementales pesant sur le mix énergétique, en classant la filière électronucléaire parmi les productions d'électricité n'émettant dans l'atmosphère ni CO2, ni substance chimique nocive pour la santé, au même titre que l'énergie obtenue à partir de ressources renouvelables.

2. Sauf cas particuliers liés à des rythmes spécifiques de consommation, limiter aux besoins de la recherche appliquée la part de l'électricité obtenue à partir de sources intermittentes, jusqu'à l'émergence de filières de stockage-déstockage permettant de satisfaire les consommateurs finaux dans des conditions économiquement acceptables en l'absence de subventions.

3. Pour faire progresser la recherche, autoriser les États membres à publier des appels d'offres réservés à telle ou telle technologie prometteuse encore immature.

4. Faire du prix payé par tonne de CO2 émise le moyen de faire évoluer le mix énergétique dans un sens conforme à l'accord de Paris conclu en décembre 2015 lors de la COP 21.

4. Maintenir en l'état les compétences de l'Agence pour la coopération des régulateurs de l'énergie (ACER).

6. S'abstenir de créer les « centres de conduite régionaux » au sens de la proposition de règlement COM(2016) 861 sur le marché intérieur de l'électricité.

7. Autoriser les États membres à mettre en place des mécanismes de capacité tendant à garantir la sécurité d'approvisionnement, sans imposer le recours systématique à des capacités de production transnationales, ni subordonner leur pérennité à une validation effectuée par les centres de conduite régionaux, ni par l'ACER.

8. Laisser les États membres libres de déterminer des tarifs nationaux de référence, calculés par les autorités nationales de régulation dans des conditions compatibles avec la concurrence.

9. Revoir l'orientation en matière d'interconnexions électriques ou gazières pour faire prévaloir la cohérence entre ces ouvrages d'art, les capacités des réseaux nationaux de part et d'autre de la frontière, enfin les besoins des producteurs et consommateurs des pays concernés.

AVANT-PROPOS

À l'automne 2016, le système électrique de l'Union européenne restait marqué par une surcapacité globale due à la conjonction de deux facteurs indépendants l'un de l'autre :

- la crise économique de 2009 avait laissé une empreinte négative sur la croissance de la consommation ;

- certains États membres - principalement l'Allemagne, mais aussi l'Espagne et, dans une moindre mesure, l'Italie - avaient engagé une politique d'investissements massifs dans des capacités de production d'origine renouvelable intermittente, cependant que les capacités traditionnelles n'étaient réduites qu'à un rythme bien plus lent.

En revanche, les réseaux de transport d'électricité n'ont pas toujours été adaptés pour desservir les centres de consommation depuis les nouveaux lieux de production. De son côté, le fonctionnement des marchés de gros est resté basé sur le principe du coût marginal le plus faible. Il a donc spontanément avantagé l'électricité d'origine renouvelable, dont le coût marginal est nul. En outre, l'électricité obtenue à partir de sources intermittentes bénéficie systématiquement d'un accès au marché indépendant du niveau de la demande, alors même que cette filière a structurellement besoin de subventions pour exister.

Ces évolutions ont bouleversé le contexte dans lequel opèrent les électriciens traditionnels, dont la situation financière s'est inexorablement détériorée.

Dans ce contexte, la Commission européenne a publié le 30 novembre 2016 son « paquet d'hiver » intitulé Énergie propre pour tous les Européens , avec deux ambitions : décarboner le mix énergétique de l'Union en application de l'accord de Paris conclu en décembre 2015 dans le cadre de la COP 21 ; franchir autant de pas que possible dans le sens d'un système électrique placé sous le signe exclusif du marché unique européen, donc loin des autorités politiques de chaque État membre.

Appréhender de façon à la fois compréhensible et simple ce volumineux ensemble de documents dont la totalité approche les 5 000 pages est une gageure. Il est toutefois possible de distinguer dans la discussion de ce « paquet d'hiver », qui a déjà occasionné deux résolutions européennes du Sénat et deux avis motivés, à l'initiative de sa commission des affaires européennes, quatre grands défis lancés à l'électricité européenne et quatre grandes orientations de la Commission européenne (I), avant de constater que la défense de leur souveraineté par les États membres ne les dispensera pas de mettre en commun des moyens de recherche (II).

I. I. QUATRE ORIENTATIONS FACE À QUATRE DÉFIS

A. LES QUATRE GRANDS DÉFIS LANCÉS À L'ÉLECTRICITÉ EUROPÉENNE

1. Satisfaire les acteurs économiques
a) Assurer l'approvisionnement

La première étape de la sécurité d'approvisionnement concerne les ressources naturelles énergétiques . Leur disponibilité a traditionnellement influencé les bouquets énergétiques. Elle le fera encore à l'avenir. Rares sont cependant les États dont les ressources naturelles sont exploitables dans des conditions économiquement acceptables, et suffisantes pour couvrir l'ensemble des besoins. D'où l'importance pour chaque État de garantir un accès aux ressources dont il a besoin. L'Union européenne souffre globalement d'une forte insuffisance de ses ressources naturelles énergétiques, mais elle peine à insuffler une même politique dans un domaine que le droit applicable laisse dans la sphère de souveraineté reconnue à chaque État membre 1 ( * ) .

Dans le cas particulier de l'électricité, l'interconnexion des réseaux a pour conséquence la possibilité qu'un black-out se transmette d'un espace national à un autre . L'élaboration et la mise en oeuvre de dispositifs tendant à contenir de telles perturbations et surtout à renforcer la résilience des réseaux électriques touchés ne peut évidemment relever du seul niveau national : une forme de coordination est indispensable, assurée soit par la coopération informelle entre opérateurs des États membres, soit sous l'égide de la Commission européenne. Malgré des attributions particulièrement limitées en l'espèce, celle-ci peut donc jouer un rôle substantiel pour assurer la permanence de l'approvisionnement en électricité.

Entre la répartition juridique des compétences et les impératifs économiques ou techniques inhérents aux réseaux d'électricité, apparaît une zone aux contours flous susceptible de favoriser l'éclosion de coopérations librement organisées par des opérateurs de plusieurs États membres, mais tout aussi adaptées au développement de coopérations renforcées organisées dans le cadre des institutions européennes, voire de coordinations mises sur pied par les instances de l'Union (Commission, Parlement et Conseil).

Ainsi, la nécessité d'un approvisionnement stable débouche paradoxalement sur une possible concurrence institutionnelle, source d'instabilité... Il ne devrait pas en aller de même pour la croissance économique et la compétitivité.

b) Libérer la croissance et soutenir la compétitivité

La compétitivité énergétique joue, pour l'Europe d'aujourd'hui, un rôle comparable à celui des bas salaires autrefois : le coût excessif de l'énergie encourage les délocalisations, mais cette fois vers l'Amérique du Nord au lieu de l'Asie. Globalement, le kilowattheure est actuellement trois fois plus cher de ce côté-ci de l'océan Atlantique, une évolution dont l'aggravation se poursuit.

Source : US Energy information administration (EIA)

Il reste que les tarifs acquittés par les consommateurs sont éminemment variables parmi les États membres. Deux causes expliquent l'essentiel des écarts observés : le prix de revient du mix énergétique ; le poids des subventions éventuellement versées aux filières d'électricité renouvelable, structurellement déficitaires actuellement.

La situation allemande illustre par excellence les conséquences d'une politique énergétique et tarifaire basée sur le développement soutenu de filières intermittentes non concurrentielles, avec des subventions passées de 10 milliards d'euros en 2010 à 25 milliards en 2017, en attendant 29 milliards en 2020. À titre de comparaison, le soutien aux énergies renouvelables en France, qui a coûté 1 milliard d'euros en 2010, devrait revenir à presque 5 milliards en 2017 et 5,5 milliards en 2018.

La Suède a privilégié un prix élevé du carbone. Il culminait en 2015 à plus de 340 € par tonne pour le chauffage des bâtiments au charbon. Avec un mix électrique fondé sur l'hydraulique et le nucléaire (42 % chacun), épaulés par l'énergie éolienne et la biomasse (7 % chacune) et un recours marginal aux énergies fossiles (à peine 2 %), la Suède pratique des tarifs d'électricité parmi les plus bas de l'Union européenne 2 ( * ) .

2. Satisfaire aux impératifs sociétaux
a) Préserver l'environnement

La production et la consommation d'énergie ne sont pas les causes uniques de la pollution aérienne, mais les choix énergétiques jouent un rôle déterminant dans la pollution imputable aux sites industriels et dans celle provenant des transports ou du chauffage.

Globalement, trois polluants atmosphériques liés au transport ont vu leur concentration diminuer de manière très sensible dans l'air que respirent les habitants de l'Union européenne. Cette évolution s'explique à la fois par le raffinage des carburants et par l'évolution des moteurs thermiques. Dans ce cas précis, la seule modification des matières premières énergétiques utilisées pour les transports est bien trop limitée pour avoir produit d'effet sensible 3 ( * ) .

En se projetant à moyen terme, il résulte des auditions que la réduction drastique des polluants provoqués par la circulation routière suppose en un premier temps une double évolution du mix énergétique :

- en ville, avec l'accroissement de la motorisation électrique ;

- pour la circulation interurbaine, notamment des poids-lourds, le passage du diesel au gaz.

S'agissant enfin des installations industrielles, les deux tiers de la pollution analysée par l'Agence européenne pour l'environnement sont imputables aux installations énergétiques, principalement aux centrales utilisant du charbon (houille ou lignite) et aux raffineries.

Bien que la qualité de l'air soit actuellement satisfaisante dans les villes du Vieux Continent selon les critères établis par l'Union européenne, tel est loin d'être le cas à l'aune des normes de l'OMS. 4 ( * )

D'autre part, l'accord de Paris, conclu à l'issue de la COP 21 en décembre 2015, impose de réduire les émissions de gaz à effet de serre, dont le plus répandu est le gaz carbonique (CO2). Pour la production d'énergie, cet objectif conduit à privilégier les énergies renouvelables ne comportant aucune combustion, ainsi que la filière électronucléaire, puis le gaz, les biocarburants et la combustion de la biomasse.

Les produits pétroliers , a fortiori le charbon, sont les ressources énergétiques les moins satisfaisantes selon ce critère, avec un classement global identique à celui fondé sur la préservation de la santé.

b) Combattre la précarité énergétique

La prise en charge au moins partielle des dépenses figure parmi les moyens à disposition des pouvoirs publics pour combattre la précarité énergétique - définie comme l'existence d'un inconfort thermique dans le logement, ou d'une limitation de la mobilité provoquée par le coût excessif des dépenses nécessitées par la consommation d'énergie dans les transports.

Rares sont aujourd'hui les États membres qui reconnaissent la précarité énergétique en tant que telle et non comme simple composante de la pauvreté en général.

Au niveau de l'Union européenne, le « paquet d'été » de 2015, intitulé « Une nouvelle donne pour les consommateurs d'énergie » avait opéré un début d'ouverture en ce sens, mais la précarité énergétique n'est abordée que de façon indirecte dans le paquet d'hiver, via l'acceptation de tarifs sociaux, à titre exceptionnel, en cas d'extrême urgence.

Ainsi, la proposition de directive concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité dispose : « Les États membres assurent la protection des clients vulnérables ou en situation de précarité énergétique, d'une manière ciblée par d'autres moyens que des interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité. » 5 ( * ) Le reste de l'article est consacré aux mesures tendant à encadrer et à limiter l'application d'un tarif social « pour la fourniture d'électricité aux clients résidentiels vulnérables dans la mesure où cela est strictement nécessaire pour des raisons d'extrême urgence ». En tout état de cause, l'autorisation de la Commission européenne serait requise.

Malheureusement, le paquet « Énergie propre pour tous les Européens » n'établit aucun lien entre le soutien aux économies d'énergie dans le domaine résidentiel et l'aide aux consommateurs vulnérables, alors que les consommateurs les plus modestes ne peuvent guère assumer investissements indispensables à la réduction de leur facture énergétique.

Tarif réglementé de vente, tarif de référence et tarif social

À l'évidence, aucune concurrence ne serait possible face à un tarif systématiquement inférieur au prix de gros sur le marché de l'énergie, augmenté du coût d'usage des réseaux de transport et de distribution ainsi que des taxes applicables. Au demeurant, les consommateurs ne seraient pas perdants, sinon en tant que contribuables... Mais un tarif réglementé de vente n'est pas nécessairement calculé dans le but d'éliminer la concurrence par des manoeuvres déloyales.

Et cette référence tarifaire ne doit pas être confondue avec un tarif social destiné aux consommateurs les plus vulnérables, dont la situation relève de mesures plus vastes qu'une simple réduction tarifaire.


* 1 Voir l'article 194 du traité sur fonctionnement de l'Union européenne.

* 2 Sources : Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE) Prix de détail de l'électricité en France et en Allemagne. Structure du marché et évolution du prix final de l'électricité , septembre 2017 ; Michel Cruciani La transition énergétique en Suède . Études de l'IFRI (Institut français des relations internationales), juin 2016 .

* 3 Source : Agence européenne pour l'environnement Focusing on environmental pressure from long-distance transport, EEA report N° 15/2015.

* 4 Source : Agence européenne pour l'environnement A closer look at urban transport , EEA Report N° 11/2013.

* 5 Article 5, point 2, de la proposition de directive COM(2016) 864.

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