CONCLUSION GÉNÉRALE
À l'issue de cet examen comportant bien des critiques, toujours formulées dans un esprit favorable au projet européen, il convient en premier lieu de rappeler que la construction de l'union de l'électricité a déjà rencontré un succès réel, parfois ignoré.
Ainsi, le passage des monopoles nationaux historiques à des marchés nationaux ouverts aux opérateurs alternatifs s'est accompagnée de modifications capitales du système électrique, avec l'émergence de gestionnaires de réseau distincts des producteurs d'électricité, avec des marchés de gros et des autorités de régulation chargées d'assurer le caractère loyal de la concurrence. Cette mutation fondamentale s'est effectuée sans porter atteinte à l'équilibre d'un réseau gigantesque où l'offre doit être satisfaite 365 jours par an, 24 heures par jour et 3 600 secondes par heure ! La performance mérite d'être soulignée.
Elle s'explique partiellement par l'élaboration de codes de réseau, c'est-à-dire de prescriptions techniques valables pour l'ensemble de l'Union européenne afin de faciliter la circulation du courant. Il y a là un authentique succès à l'actif du troisième paquet énergie de 2009. Sans ces codes de réseau, l'Union ne pourrait pas compter aujourd'hui 341 interconnexions.
Sur cette excellente lancée, l'union de l'énergie mérite d'être approfondie, avec l'objectif d'un mix décarboné au service de la réindustrialisation. Il importe donc d'avancer à un rythme soutenu, dans les limites permises par la maturité des technologies disponibles.
En outre, l'élaboration d'une politique harmonisée de l'énergie peut servir grandement la construction européenne, mais à condition de ne pas nier l'existence des États-nations, leur histoire, ni la culture de leurs peuples. Il convient également de se rappeler en permanence qu'en cas de défaillance les citoyens se tournent aujourd'hui et se tourneront à l'avenir vers leurs autorités politiques, pas vers des structures interétatiques placée sous la direction de fonctionnaires européens.
L'énergie en général, et l'électricité en particulier, sont des sujets marqués par l'omniprésence de dispositions, de contraintes et d'enjeux extrêmement techniques, mais l'ensemble forme un sujet politique par excellence, ancré dans le long terme.
EXAMEN EN COMMISSION
M. Jean Bizet , président. - Je vous remercie, mes chers collègues, de votre présentation de ce sujet complexe. Il est très important d'avoir une Union de l'énergie, considérée comme une échéance extrêmement lointaine par M. Christophe de Margerie que nous avions auditionné lors d'un petit déjeuner de travail. Compte tenu de leurs ressources en lignite et en charbon, certains États, comme la Pologne et l'Allemagne, demeurent fidèles à un mix énergétique peu respectueux de l'environnement.
M. Jean-François Rapin . - Je n'ai pas la prétention de maîtriser le sujet comme nos deux rapporteurs, mais j'ai bien écouté notre collègue M. Michel Raison. On a peu parlé, dans ce mix énergétique, de la capacité à maintenir un niveau d'énergie cohérent avec l'utilisation courante. Dans le cadre de la recherche, il nous faut insister sur le stockage. Quelle est la réponse européenne à cette question ?
M. Jean-Pierre Leleux . - Il est vraisemblablement plus aisé d'envisager l'avenir et d'y consacrer des programmes internationaux, plutôt que de faire converger les stratégies historiques des États membres. Je vois trois chantiers qui mériteraient que soient lancés des programmes communs de recherche.
Le premier concerne le stockage, pour régler les problèmes d'intermittence.
Le second a trait au nucléaire au travers de la fusion, qui fonctionne déjà en laboratoire mais n'est pas encore industrialisée de manière probante. À ce jour, l'industrie nucléaire, par la fission, produit des déchets radioactifs qui entravent son acceptation. Passer de la fusion du laboratoire à l'industrialisation pose problème et pourrait être assuré par un projet européen, assurant une dépollution complète de l'énergie.
Le troisième chantier concerne le transport de cette énergie entre États membres, avec des dispositifs fluides d'unification. Je ne sais où en sont les États membres dans leur discussion sur ces sujets, mais ces trois chantiers pourraient être porteurs de projets européens, puisque nous sommes au début d'un processus.
M. André Gattolin . - Je félicite les rapporteurs de s'être impliqués sur ce sujet complexe.
L'Union de l'énergie est focalisée sur la production, alors qu'il faut rechercher un impact en termes de recherche et d'efficience énergétique.
La principale ressource énergétique réside dans les économies d'énergie. Elle se trouve dans l'habitat, les installations industrielles et dans les transports. Ce sujet est malgré tout cantonné dans une dimension développement durable et assez peu lié à cette Union de l'énergie.
Comme l'a souligné notre collègue Jean-Pierre Leleux, la projection sur l'avenir, c'est à dire la recherche, est la source de réels changements. L'idée d'une agence des innovations de rupture est là. La question du stockage, dans les batteries, s'est posée à partir du moment où l'on a considéré qu'un marché pour les automobiles électriques était possible et ce, contre l'avis des acteurs traditionnels. Il a ainsi fallu l'entrée en scène de nouveaux acteurs pour assurer une progression rapide dans ce domaine. Je ne suis pas un défenseur du solaire photovoltaïque, du fait de son coût exorbitant et de ses externalités écologiques, avec l'utilisation des terres rares qu'il suppose. Cependant, pour le solaire thermique, nous sommes totalement dans le sous-développement. Ainsi au Canada, on abaisse de moitié les coûts de climatisation dans les salles de cirque à Montréal. En outre, s'ajoute une autre difficulté plus institutionnelle : la plupart de nos États - la France étant un bon exemple - sont centralisés. Au nom de l'équivalence, remettre au réseau l'énergie solaire autoproduite pour la racheter ultérieurement est proprement insensé, pour des volumes de production ridicules et pour un coût d'accès très lourd. Certains énergéticiens, notamment dans le secteur de l'électricité, ont une culture politique les incitant à tout contrôler, ce qui ne favorise ni l'innovation, ni les initiatives individuelles.
Un potentiel inexploité se trouve également dans l'hydroélectrique ; la réglementation des microcentrales électriques est un handicap dans notre pays. Trop de nos barrages sont obsolètes. Au Canada, Alstom, en changeant les turbines du barrage Bourassa, avait augmenté de 15 % la production d'électricité. Nous avons la technologie, elle est française, mais nous sommes incapables d'engager de l'argent pour rénover nos barrages, alors que l'énergie hydraulique demeure la plus écologique possible. Celle-ci est ainsi laissée à l'arrêt, en termes d'investissements, depuis trente ans.
M. Claude Raynal . - J'ai apprécié ce rapport sur un sujet extrêmement complexe qui exige d'avancer pas à pas, en amorçant une première forme d'interconnexion des réseaux.
Je partage l'avis de notre collègue Jean-Pierre Leleux sur la recherche, qui doit être conduite au niveau européen. Il est difficile de forger une politique européenne de la recherche, alors que les politiques nationales ne sont pas rapprochées.
J'en viens au rapport, dont deux phrases suscitent mon interrogation. La première figure dans la synthèse : « les énergies obtenues à partir de ressources renouvelables intermittentes sont vraisemblablement destinées à jouer un rôle, une fois satisfaites deux conditions sine qua non : que le prix obtenu de l'électricité soit nettement inférieur à celui obtenu dans les filières hydrauliques ou nucléaires » . Je ne vois pas de difficulté pour le rapport aux filières hydrauliques ; ce qui n'est pas le cas pour l'énergie nucléaire ! Comment mesurer le prix de l'énergie nucléaire ? Qu'intégrons-nous pour estimer ce prix ? Avec les futurs coûts de démantèlement, j'ai bien peur que le coût de cette énergie ne s'avère excessif. Il conviendrait ainsi d'évoquer ce rapprochement avec prudence dans un rapport. Enfin, ma seconde objection portera sur la liste des principales propositions que j'attribue à une sorte de « rapidité de plume » : « classer la filière électronucléaire parmi les filières non polluantes » me semble faire peu de cas des déchets, dont le stockage s'effectue dans la douleur, sans doute du fait de la réaction des populations qui considèrent que ces productions sont polluantes.
M. Jean Bizet , président. - Nous apprécions la nuance avec laquelle vous vous exprimez.
M. Daniel Gremillet . - Nous sommes trop timides sur l'hydraulique qui présente une capacité de stockage et de régulation ; ce que ne permet pas, du reste, l'éolien et le photovoltaïque. J'ai été le premier à poser des panneaux sur mes bâtiments, il y a près de dix ans. Aujourd'hui, avec la neige, je n'ai aucune production alors qu'en décembre, le besoin d'énergie est réel ! Toute une réflexion sur le mix énergétique doit ainsi être conduite. Comme rapporteur du projet de loi de finances sur l'énergie, je dois reconnaître que la France a besoin d'une programmation énergétique, afin de mieux organiser les choses. Il faut que cette démarche soit reprise au niveau communautaire. À cet égard, j'insiste sur la septième proposition du rapport qui me paraît très importante, car l'interconnexion permet d'éviter les black-out . En revanche, je ne sais si l'absence de lien avec les centres de conduite régionaux est possible, vu le rôle-clé qui est actuellement le leur !
Enfin, en termes de recherche, l'hydrogène recèle de nombreuses perspectives.
M. Yannick Botrel . - Je voudrais saluer le travail des rapporteurs. Mes réflexions porteront sur les énergies renouvelables sur lesquelles je pointerai quelques difficultés.
Vous avez évoqué les énergies marémotrices. Celles-ci peuvent revêtir deux aspects : soit une usine, comme celle de la Rance, qui connaît actuellement un problème d'envasement impliquant l'extraction de centaines de milliers de mètres cubes de sédiments. Ce problème va en s'amplifiant et modifie les paysages. Ensuite, les turbines, que l'on peut poser dans les secteurs de forte courantologie. Elles paraissent susciter une plus grande adhésion, même si les pêcheurs en discutent l'intérêt, tout comme pour l'éolien maritime. Il y a manifestement une grande timidité sur ces sujets et pas seulement des pouvoirs publics, encore que ! Il nous faut parler de l'opérateur EDF, qui n'a pas fait récemment preuve d'allant ni de bonne volonté sur les projets. C'est là une question qu'il faudra soulever un jour.
L'éolien maritime mériterait d'être davantage développé. Je constate aussi que des projets terrestres suscitent parfois des oppositions vives. Serait-il aujourd'hui possible de construire des barrages en grand nombre ? Pensez à la retenue d'eau de Sivens ! Chacun gère ses contradictions. La société n'est pas plus mal pourvue, à cet égard, que les politiques.
M. Jacques Bigot . - J'aurai juste une observation sur le primat du marché. Soyons prudents. Le marché peut conduire à ne pas respecter certaines orientations, avec un report sur les collectivités locales. En effet, celles-ci devront, de plus en plus, travailler sur le mix énergétique. Je l'ai constaté, comme président de la Communauté urbaine de Strasbourg où l'on a voulu, à un moment donné, développer des réseaux de chaleur. La baisse inattendue du prix du gaz a économiquement invalidé ce projet ! De même, les collectivités se sont trouvées en porte-à-faux en matière de géothermie profonde. Si l'on veut tenir les objectifs environnementaux, tout en assurant l'approvisionnement, la régulation du marché doit être assurée, comme l'indique notre histoire énergétique depuis la Seconde guerre mondiale. L'Union est encore trop fondée sur le primat du marché !
M. René Danesi . - Le sujet m'intéresse particulièrement, puisque j'ai présidé pendant vingt ans le Syndicat d'électricité et de gaz du Rhin.
En matière d'énergie, l'Union européenne accorde une grande importance au marché. Il ne permet pas, à lui seul, de faire face d'une façon équilibrée aux besoins à venir. En outre, les intérêts du marché ne sont pas forcément ceux des États. Il me semble que dans une affaire aussi stratégique que l'énergie, les États doivent jouer un rôle pendant longtemps, ne serait-ce qu'en raison de leur éventuelle contribution financière.
On peut aussi avoir confiance dans la recherche, les technologies nouvelles ainsi que dans les réseaux. J'ai constaté une stratégie d'évitement des comportements sociétaux. Ainsi, en Alsace, à nos propres écologistes, se joignent les Suisses et les Allemands, qui franchissent aisément la frontière. Ceux qui trouvent tout à fait normal qu'une centrale nucléaire en Suisse dure quarante-cinq ans s'indignent que Fessenheim reste en service bien avant d'avoir atteint cette durée. On a beau être écologiste ; on est avant tout suisse ! Je constate ces comportements sociétaux.
L'installation d'éoliennes et de turbines à marée motrice provoque des perturbations importantes - notamment sur la faune - qu'il ne faut pas négliger dans la durée.
Les lignes à très haute tension - 400 000 volts - doivent être également prises en compte. L'Allemagne a certes un grand programme d'investissement dans les éoliennes en mer du Nord, mais il faut ensuite amener l'électricité jusqu'en Bavière ! Cela suppose de construire quatre lignes de 400 000 volts. Pour l'instant, l'Allemagne n'en a pas construit le premier mètre ! Pour alimenter la Bavière, à la fois très agricole et très industrielle, il faut actuellement passer par le réseau de la République tchèque qui risque le black-out . Il importe ainsi de prendre en compte des comportements sociétaux.
Enfin, les énergies renouvelables me paraissent avant tout intermittentes. Aujourd'hui, et pour longtemps, à toute production d'énergie intermittente doit correspondre la possibilité de produire en quelques secondes une énergie équivalente d'origine thermique. Seul le gaz peut y parvenir ! Ce qui nous amène tout droit à la seconde partie de notre ordre du jour.
M. Jean-François Rapin . - Nous n'avons pas évoqué l'énergie thermique des mers, alors que le système Sea Water Air Conditioning (SWAC) commence à avoir des applications. Ainsi, l'hôpital de Saint-Pierre à La Réunion, ainsi que celui de Papeete, seront dotés de ce système d'avenir dont la mise en application a dû surmonter des raisons de coûts et la réticence des opérateurs, notamment publics, à s'engager. Le chaud et le froid représentent un aspect considérable de la consommation énergétique.
M. Jean Bizet , président. - Messieurs les rapporteurs, vous avez été interpellés et votre communication me semble être une sorte d'intervention d'étape sur un sujet dont nous reparlerons.
M. Michel Raison . - Sur le stockage, nous sommes tous d'accord. Sans stockage, l'énergie intermittente produite le demeure. Les filières d'électricité intermittente nécessitent bien évidemment la recherche. Il va falloir que, sur le plan mécanique, des solutions soient trouvées pour les éoliennes.
Sur la recherche relative à la fusion nucléaire, le projet ITER rassemble trente-cinq pays : l'ensemble des États membres, auxquels s'ajoutent l'Inde, le Japon, la Chine, la Russie, la Corée du Sud, les États-Unis et la Suisse. Il faut sans doute que nous insistions sur l'importance de la recherche.
Sur l'hydroélectricité et l'acceptation sociétale, il nous faut gérer les contradictions de ceux qui se déclarent en faveur des énergies renouvelables, mais organisent une manifestation dès que trois éoliennes sont érigées sur une colline ! Outre les grands barrages, la remise en service des petits barrages est malaisée, en raison des exigences financières et environnementales, comme les passes à poissons soumises à une taxe foncière ! Il faudrait également dénombrer les poissons qui empruntent ces passes. Je m'attends à des surprises ! Il y a trop d'habitudes, de postures et de slogans. La recherche sur l'hydrogène doit être développée, comme sur la fusion nucléaire.
Je laisserai mon collègue Claude Kern parler des productions non polluantes et répondre à l'objection qui a été faite à l'issue d'une lecture attentive du rapport. Sur le stockage, nous ne disposons guère que des STEP, qui assurent 99 % du stockage mondial. Il va donc nous falloir améliorer nos dispositifs de stockage !
M. Claude Kern . - En mentionnant la filière nucléaire parmi les sources non polluantes d'électricité, nous pensions à l'air, notamment au dioxyde de carbone.
La septième recommandation porte sur les centres de conduite régionaux. Le dispositif en place repose sur le volontariat. Son institutionnalisation obligatoire nous paraît critiquable.
M. Michel Raison . - Sur quels chiffres doit reposer la comparaison entre les filières électriques ? Le thème est complexe, car la prolongation d'une centrale existante n'induit pas une dépense identique à celle suscitée par une construction nouvelle.
M. Yannick Botrel . - Je n'ai pas entendu parler de la méthanisation !
M. Michel Raison . - Elle figure dans le rapport. Son développement actuel est soutenu. Une coproduction agricole et urbaine peut être organisée. Dans notre département, nous avons près d'une dizaine de stations de méthanisation, qui suscitent des réactions sociétales. Les maîtres d'ouvrage et les concepteurs devraient systématiquement construire ces équipements loin des zones habitées.
M. Claude Kern . - Outre la méthanisation, nous avons mentionné les centres de valorisation énergétique provenant de la combustion des ordures ménagères résiduelles. C'est une forme d'énergie renouvelable.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.