N° 579

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 juin 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur « L' adaptation locale de l' organisation territoriale , les rapports juridiques des collectivités territoriales entre elles et avec leurs groupements : actes du colloque du 15 mars 2018 »,

Par M. Jean-Marie BOCKEL,

Président

Mme Françoise GATEL, MM. Éric KERROUCHE et Philippe MOUILLER,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : M. Jean-Marie Bockel, président ; M. Mathieu Darnaud, premier vice-président ; M. Daniel Chasseing, Mme Josiane Costes, MM. Marc Daunis, François Grosdidier, Charles Guené, Antoine Lefèvre, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Alain Richard, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Bernard Delcros, Christian Manable, secrétaires ; MM. François Calvet, Michel Dagbert, Philippe Dallier, Mmes Frédérique Espagnac, Corinne Féret, Françoise Gatel, M. Bruno Gilles, Mme Michelle Gréaume, MM. Jean-François Husson, Éric Kerrouche, Dominique de Legge, Jean-Claude Luche, Jean Louis Masson, Franck Montaugé, Philippe Mouiller, Philippe Nachbar, Rémy Pointereau, Mmes Sonia de la Provôté, Patricia Schillinger, Catherine Troendlé, MM. Raymond Vall, Jean-Pierre Vial

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Lorsque Sciences Po, via sa Chaire Mutations de l'Action publique et du Droit Public (MADP), a lancé un programme de recherche sur les rapports juridiques des collectivités territoriales entre elles et avec leurs groupements, à la suite des dernières lois NOTRe et MAPTAM, il m'a tout de suite semblé utile d'y associer la délégation du Sénat aux collectivités territoriales.

Il s'agissait, en particulier, d'identifier et d'évaluer les rapports de collaboration entre les différents niveaux territoriaux : organisation de la dévolution de compétences, mutualisation, possibilités de contractualisation ou de délégation...Ce partenariat s'inscrivait naturellement dans les travaux d'évaluation de notre délégation.

Ce projet de recherche était par ailleurs soutenu par toutes les grandes associations d'élus locaux : AMF, ADF, ARF, France Urbaine, Villes de France, Association des Petites Villes de France, ainsi que par le département secteur public du cabinet KPMG. Cet appui était le gage d'un bon écho auprès des collectivités qui seraient à l'origine de ses informations et donc d'une analyse de terrain pertinente.

Notre partenariat avec Sciences Po s'est concrétisé à la suite de l'audition par notre délégation, le 23 février 2017, de Jean-Bernard Auby, professeur à Sciences Po, directeur de la chaire Mutations de l'Action publique et du Droit Public (MADP), et d'Estelle Bomberger-Rivot, maître de conférences à Sciences Po, chercheur à la chaire, qui a permis d'examiner certaines des grandes lignes qui pourraient faire l'objet de l'étude et qui a jeté les bases du colloque de fin de recherche organisé au Sénat le 15 mars et dont nous présentons les actes dans les pages qui suivent.

Afin de préparer cet évènement scientifique sur la base de remontées de terrain, la délégation aux collectivités territoriales a lancé une consultation nationale des élus locaux sur la contractualisation en matière, d'une part, d'équilibre territorial et, d'autre part, de mutualisation des services. Ses résultats ont été présentés en introduction du colloque et ont fourni des incitations importantes sur la perception par les élus de l'application des lois.

Ainsi était réalisée une féconde hybridation entre les apports de la recherche universitaire, la connaissance fine des problématiques des collectivités locales et le travail d'évaluation parlementaire qui a permis d'examiner successivement les rapports juridiques entre collectivités qu'ils soient verticaux (schémas prescriptifs, chef de filât...), ou horizontaux (mutualisations, contrat d'équilibre territorial, chartes de gouvernance...) et, enfin, les pistes en matière de différenciation territoriale, de territorialisation de l'action publique et de subsidiarité entre acteurs locaux.

Je forme le voeu que de tels partenariats se développent et permettent de renforcer les capacités d'évaluation dont notre pays manque traditionnellement.

Jean-Marie BOCKEL,

Président de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales
et à la décentralisation

I. OUVERTURE DU COLLOQUE : JEAN-BERNARD AUBY, PROFESSEUR À SCIENCES PO, DIRECTEUR DE LA CHAIRE MUTATIONS DE L'ACTION PUBLIQUE ET DU DROIT PUBLIC

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux d'ouvrir cette journée consacrée aux rapports juridiques des collectivités territoriales entre elles et avec leurs groupements, avec pour sous-titre « l'adaptation locale de l'organisation territoriale ».

Avant toute chose, je voudrais remercier le Sénat, sa délégation aux collectivités territoriales et son président de nous accueillir aujourd'hui. C'est une très grande chance de pouvoir être ici en présence d'un public choisi, afin de discuter des principaux éléments de cette étude que nous avons réalisée sur un certain nombre de sujets qui préoccupent réellement les collectivités territoriales.

Nous avons effectué cette étude avec le soutien de toute une série d'associations d'élus (Assemblée des Communautés de France, Assemblée des Départements de France, Association des Maires de France, Association des Petites Villes de France, France Urbaine, Régions de France, Villes de France), auxquelles s'est ajouté KPMG. Ces institutions nous ont soutenus matériellement et nous ont aidés à nourrir intellectuellement la réflexion, ce à quoi a beaucoup contribué également la délégation aux collectivités territoriales. Je voudrais l'en remercier pour cela aussi.

La question de l'exercice des compétences locales est au coeur de cette étude. Longtemps, on a fantasmé sur un système parfait de bloc de compétences bien ordonnées, avant de se convaincre du fait que cela relevait partiellement du fantasme. On a alors revu les ambitions à la baisse, non sans « verrouiller » un certain nombre de choses (en privant par exemple de la clause générale de compétence les régions et départements) mais en acceptant des marges de manoeuvre. C'est cela dont nous allons parler aujourd'hui. Il a été accepté que les collectivités et leurs groupements puissent eux-mêmes s'organiser, localement, pour exercer des compétences voisines, communes, partagées.

Concrètement, nous avons identifié, en discutant avec nos partenaires, six mécanismes :

- le transfert de compétences ;

- la délégation de compétences ;

- la mutualisation ;

- l'organisation en chef de filât ;

- la concertation ;

- la contractualisation.

Ce sont six sortes de mécanismes distincts, sachant que les deux derniers sont présents à des degrés divers dans toutes les formes d'organisation constatées.

Notre hypothèse est la suivante : à un certain moment de l'histoire récente des collectivités territoriales, on a accepté qu'en usant de ces mécanismes, les collectivités territoriales s'organisent sur le terrain, en fonction des contextes, pour exercer leurs compétences proches.

Ce n'est pas un hasard si l'acceptation de ces ajustements locaux dans l'exercice des compétences s'inscrit à un moment de l'histoire des réformes territoriales où on a l'impression que le législateur est plus disposé que par le passé à envisager une différenciation du système ou son adaptation locale en fonction du contexte.

Nous reviendrons tout au long de la journée sur les conclusions auxquelles nous sommes parvenus. Je n'en dirai ici qu'un mot.

Ces mécanismes sont plus ou moins utilisés suivant leur domaine. Il y a peu, par exemple, de délégations de compétence. Certains s'y prêtent davantage, sans doute parce qu'il s'agit de domaines plus partagés que d'autres - par exemple le tourisme. Ils sont plus ou moins mis en oeuvre suivant les régions, en fonction des contextes locaux. Il y a des parties du territoire national dans lesquelles on est naturellement enclin à mettre en place des systèmes de coopération, à mettre en place tous les mécanismes que la loi prévoit pour nouer des coopérations, et d'autres où l'on y est plus rétif. Sans doute la région Bretagne est-elle la plus volontiers ouverte à ces coopérations. Je n'évoquerai pas l'autre bout du palmarès.

Ces mécanismes sont aussi plus ou moins aisés à mettre en oeuvre. Ils sont parfois alambiqués juridiquement. Ils le sont souvent politiquement.

Le jeu de ces mécanismes, qui fonctionnent en principe à la marge, a-t-il des effets en profondeur ? Affectent-ils de manière profonde, ici ou là, le fonctionnement du système territorial ? À cette question importante, notre réponse est encore incertaine à ce stade. Il nous semble que cela dépend. Certains de ces mécanismes d'ajustement local des compétences ont à l'évidence un caractère assez transitoire : ils constituent une façon de s'adapter à une période de changement assez profond des collectivités territoriales, en particulier dans le bloc communal, tandis que d'autres correspondent à des nécessités permanentes, et sont utilisés en ce sens. On découvre qu'ils font parfois varier de façon significative les modalités de l'action locale. À titre d'exemple, il résulte de tout ce dont nous allons parler aujourd'hui que le tourisme n'est pas géré par les mêmes acteurs ni dans les mêmes configurations ici et là, parce que la loi permet des ajustements forts. Peut-être, dans certains cas, ces mécanismes ont-ils pour effet d'imprimer durablement leur marque sur les équilibres locaux et les relations locales.

Je soupçonne qu'autour des intercommunalités, notamment, l'utilisation de ces mécanismes qui semblent très partiels construit, dans certains cas, un système local qui aura un rôle très structurant et aura vocation à durer.

Je voudrais remercier tous les intervenants qui ont accepté de participer à cette journée, en dépit de leur emploi du temps chargé, ainsi que tous les partenaires de cette étude et, en particulier, la Délégation du Sénat. aux collectivités territoriales

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