B. SES RELATIONS EXTÉRIEURES PLACENT LE MONTÉNEGRO EN SITUATION PLUTÔT FAVORABLE

Bien qu'étant un pays faiblement peuplé et très jeune, de surcroît au coeur d'une région complexe, le Monténégro a largement réussi son insertion régionale et internationale.

1. Un environnement immédiat stabilisé

Le Monténégro est un pays où de nombreuses minorités ethniques et religieuses cohabitent de façon pacifique 57 ( * ) . Cette situation s'accompagne de l'existence de bonnes relations avec tous ses voisins : qu'il s'agisse de la Serbie 58 ( * ) , de la Croatie ou du Kosovo. Ce point mérite d'être salué dans une région qui panse encore des plaies de la fin de la Yougoslavie 59 ( * ) .

Depuis la fin de la guerre, la bonne entente entre les ennemis d'hier, monténégrins et croates, a notamment pu être renforcée lors des excuses présentées par le Président monténégrin pour le bombardement de Dubrovnik en 1991.

Podgorica a reconnu le Kosovo le 9 octobre 2008 et suit la situation avec une grande attention 60 ( * ) . Kosovars et Monténégrins ont d'ailleurs pu signer un accord de délimitation de frontières en marge du Sommet UE- Balkans occidentaux de Vienne en 2015.

Enfin, le Monténégro agit aujourd'hui comme médiateur pour améliorer les relations entre l'Albanie et l'ARYM.

2. Une volonté forte d'ancrage à l'ouest

Le Monténégro est devenu membre de l'OTAN le 5 juin 2017, concrétisant ainsi sa claire orientation vers l'Europe occidentale.

L'adhésion du Monténégro à l'OTAN

Dès le lendemain de son indépendance, le pays a fait part de sa volonté de se rapprocher de l'OTAN. Après une mise en oeuvre du Plan d'action pour l'adhésion (MAP) saluée par les autres États membres lors des Sommets de Lisbonne (2010) et Chicago (2012), le Sommet du Pays de Galles de septembre 2014 a ouvert un dialogue renforcé avec le Monténégro. Le protocole au Traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la République du Monténégro est alors signé le 19 mai 2016 et le pays obtient le statut de pays « invité ». Après ratification du traité d'adhésion, le 5 juin 2017, le Monténégro est membre de plein droit de l'OTAN.

Dans le même esprit, l'adhésion à l'Union européenne constitue un objectif constant du pays. Outre qu'il a adopté l'euro unilatéralement en 2006 61 ( * ) , le Monténégro est aujourd'hui le plus avancé parmi les pays candidats. Les négociations pour son adhésion ont été ouvertes le 29 juin 2012 et, en marquant continuellement de nouveaux progrès, le pays a permis l'ouverture du Chapitre 17, « Politique économique et monétaire », lors de la Conférence intergouvernementale du 25 juin 2018. 31 chapitres sont donc désormais ouverts avec le Monténégro, dont 3 provisoirement clos 62 ( * ) .

Il convient de noter que cette politique volontariste de rapprochement avec l'Occident n'a pas été sans poser de difficultés avec la Russie. Cette dernière est en particulier accusée d'avoir joué un rôle dans la tentative de coup d'État de 2016. Un procès devra prochainement en juger.

3. L'état actuel du processus d'adhésion

Si l'ouverture du chapitre 17 « Politique économique et monétaire » du 25 juin 2018 a été rendue possible, c'est en grande partie grâce aux progrès réalisés par le Monténégro dans la mise en place d'une économie de marché fonctionnelle. Le poids de la dette publique et de l'économie informelle demeure néanmoins des obstacles importants. La Commission européenne estime également que le Monténégro a réalisé des progrès en matière d'alignement sur l'acquis, malgré un recul observé en matière de reprise de l'acquis dans le domaine des contrats publics. Enfin, en dépit de leur adhésion à l'OTAN, le Monténégro doit continuer à s'aligner sur l'ensemble des positions de l'Union européenne en matière de PESC.

Le principal sujet concerne l'État de droit et la réforme de l'administration publique.

Rapport « Élargissement » de la Commission européenne du 17 avril 2018

Le rapport de la Commission revient sur la crise politique à laquelle fait face le Monténégro depuis les élections législatives d'octobre 2016 et le boycott (désormais partie l ) du Parlement par l'opposition. Il relève que cette crise affaiblit durablement le système politique monténégrin et le dialogue démocratique. La scène politique est fragmentée et polarisée. Le contrôle parlementaire est insuffisant, notamment en matière d'exécution budgétaire. Une réforme électorale globale pourrait être envisagée.

Le rapport souligne cependant les progrès réalisés dans le domaine de l'administration publique (dépolitisation de l'administration). Cependant, le cadre juridique adopté afin de renforcer l'indépendance et le professionnalisme de la justice doit encore être pleinement mis en oeuvre. La corruption demeure un sujet de préoccupation, avec des résultats insuffisants notamment en matière de confiscations. Des progrès sont également attendus en matière de lutte contre le crime organisé, en particulier le blanchiment d'argent et le trafic d'êtres humains. Le rapport note en outre que des progrès ont été réalisés dans le domaine des droits fondamentaux, avec notamment le renforcement du rôle de l'Ombudsman. La communauté rom demeure néanmoins très vulnérable et marginalisée et les violences à l'égard des femmes et des enfants perdurent. Dans le domaine de la liberté d'expression, les ingérences politiques récentes dans le fonctionnement du Conseil national des radiodiffuseurs publics et de l'Agence des médias électroniques sont des sujets de grave préoccupation. Le Monténégro joue un rôle positif en matière de coopération régionale et de relations de bon voisinage.

Conformément au cadre de négociation, la « nouvelle approche » de la Commission européenne pose comme prioritaire la mise en oeuvre des plans d'action de deux chapitres :

- le chapitre 23 « Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux », d'une part ;

- et le chapitre 24 « Justice, liberté et sécurité », d'autre part.

Des critères intermédiaires fixés au début des négociations sont en cours d'évaluation et des critères de clôture pourraient être définis d'ici la fin 2018.

Il y a un an, le Conseil de stabilisation et d'association (CSA) Union européenne-Monténégro relevait les progrès significatifs réalisés par le pays dans les domaines législatifs et institutionnels, de même que les premiers résultats en matière de répression de la corruption « de haut-niveau » et de certaines formes de criminalité organisée 63 ( * ) .

Pour autant, en dépit d'une situation budgétaire contrainte, le pays devra accorder des moyens plus importants pour la mise en oeuvre des réformes institutionnelles attendues 64 ( * ) . Sur un plan plus judiciaire, les autorités monténégrines devront poursuivre leurs efforts en mettant l'accent sur la saisie et la confiscation des avoirs criminels, les investigations financières, la lutte contre le blanchiment et la lutte contre la traite des êtres humains.

Deux institutions-clés concourant pleinement aux chapitres 23 et 24 mériteraient d'être soutenues et leurs moyens d'action renforcés : le procureur spécial 65 ( * ) ainsi que l'unité spéciale de la police 66 ( * ) .

Le CSA du 20 juin 2017 avait rappelé l'importance d'allouer les moyens financiers nécessaires à la fonction publique du Monténégro, notamment en vue de la mise en oeuvre future de l'acquis communautaire. Face à ses défis financiers publics d'ampleur, le programme d'appui budgétaire sectoriel de 15 millions d'euros adopté en 2017 en Comité IPA 67 ( * ) pourrait constituer une aide importante pour le Monténégro. Pour cela, différents indicateurs de résultats sanctionnant l'obtention de résultats tangibles 68 ( * ) devront être remplis d'ici 2020.

Pays le plus avancé dans les négociations d'adhésion à l'Union européenne, le Monténégro est donc vivement invité à poursuivre ses efforts de réforme pour maintenir la dynamique engagée dans les négociations.

4. Les principaux enseignements de notre mission
a) Sur les enjeux internes du pays

Le premier enseignement perceptible dès la première réunion au Parlement a été le renouvellement de la classe politique et l'émergence, à ses côtés, d'une nouvelle génération de fonctionnaires. C'est sans doute un motif d'espoir au regard des besoins de renforcement des capacités administratives qui demeurent l'un des grands défis du Monténégro. Sur ce point, nous avons pu constater qu'il existe une véritable attente d'assistance et de soutien de la part de l'Europe, et de la France, en particulier. Le secrétaire d'État à l'intérieur a d'ailleurs rappelé l'importance des experts et formateurs français placés au sein de ses services. Leur rôle a déjà été très efficace, notamment en matière de formation des policiers aux frontières.

Le second enseignement, à l'instar de la Serbie, porte sur la nécessité de procéder à la mise en oeuvre effective des législations. Une grande partie des textes votés ces dernières années correspondent aux attentes de l'Union européenne à bien des égards, mais leur application concrète est aujourd'hui plus difficile. C'est du moins la principale observation qui a pu nous être faite par le délégué de l'Union européenne dans le pays.

Enfin, une situation politique caractérisée par le fait qu'une partie importante de l'opposition ne participe pas aux travaux du Parlement est assez problématique pour un pays candidat à l'Union européenne. L'opposition ne reconnaît pas les résultats des élections législatives d'octobre 2016, mais elle considère en revanche comme valides ceux des élections municipales tenues le même jour... dès lors qu'elles ont donné la victoire à ses candidats.

b) La perspective européenne

Il nous est apparu clairement que l'exigence de tenir un discours de vérité sur l'adhésion du Monténégro devait s'appliquer peut-être encore plus qu'à la Serbie. En effet, les responsables ne nous ont pas caché leur relative déception quant au fait que le Sommet de Sofia n'ait pas évoqué la question de l'élargissement, et que la perspective soit maintenant celle d'une adhésion en 2025 au plus tôt 69 ( * ) .

Les Monténégrins paraissent considérer que, dans la mesure où ils sont les plus avancés, ils ont vocation à adhérer rapidement à l'Union européenne, au besoin, seuls. Un équilibre doit être recherché entre :

- d'une part, le fait d'examiner les situations au cas par cas et d'envisager l'adhésion « en fonction du mérite » 70 ( * ) de chaque État ;

- et d'autre part, la nécessité d'assurer la cohérence d'un nouveau mouvement d'élargissement de l'Union européenne, notamment aux regards des enjeux régionaux.

Au final, nous considérons que, comme pour la Serbie, il serait dangereux pour l'Union européenne de désespérer le Monténégro. D'autant plus que bien qu'il s'agisse d'un cas très spécifique 71 ( * ) , ce pays peut, sur certains sujets, avoir une valeur d'exemple dans l'ex-Yougoslavie. La meilleure façon de les encourager sera sans doute de continuer et d'intensifier leur accompagnement dans la construction de l'État de droit et d'administrations modernes et performantes.


* 57 La particularité du Monténégro est de s'affirmer comme un « État-citoyen » et non comme un État de nationalités.

* 58 La Serbie avait reconnu l'indépendance du pays très rapidement (douze jours) après sa proclamation officielle.

* 59 Les Monténégrins combattaient alors dans l'armée serbe.

* 60 Ceci s'expliquant, entre autres, par la présence d'une minorité monténégrine au Kosovo.

* 61 L'euro circulait dans la « province » depuis 2002 après remplacement des Deutsche marks utilisés depuis 1999.

* 62 Les chapitres 25 « Science et recherche », 26 « Éducation et culture » et 30 « Relations extérieures ».

* 63 Depuis près de deux ans, tout particulièrement grâce à la mise en place du procureur spécial, plusieurs enquêtes ont été ouvertes impliquant des personnalités politiques de haut niveau (ex : anciens maires des municipalités de Budva, Niksic, Bar, Berane) et quelques jugements finaux ont été prononcés.

* 64 Recrutement de personnels, formations, équipements et matériels techniques...

* 65 Destiné à lutter contre la corruption, le crime organisé, les crimes de guerre, le terrorisme et le blanchiment d'argent.

* 66 « Bras armé » du procureur spécial devant être sensiblement renforcé en raison du spectre large de son champ d'action et du nombre important d'affaires en cours.

* 67 Instrument for Pre-Accession Assistance ou Instrument d'Aide de Pré-adhésion.

* 68 Résultats attendus dans différents domaines, tels que : la mise en place de registres fiables pour le recensement et le suivi des fonctionnaires, la baisse des effectifs dans les services de l'État et l'administration locale, l'amélioration de la formation des agents publics, notamment chez les hauts fonctionnaires.

* 69 Lors de notre précédent rapport en 2014, l'horizon évoqué était 2020.

* 70 Selon les termes que le président du Parlement, M. Brajovic, a repris lui-même du président du Sénat, Gérard Larcher, rencontré quelques semaines auparavant.

* 71 Du fait notamment de la taille du pays et de son histoire particulière. En effet, il convient de rappeler que le territoire monténégrin a la particularité de n'avoir connu sur son sol, aucun des combats qui ont marqué la fin de l'ex-Yougoslavie (les Monténégrins étaient simplement enrôlés dans l'armée yougoslave auprès des serbes).

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