EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 10 octobre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux, sur le financement de l'aide alimentaire.
M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » . - Monsieur le Président, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues. Cette matinée est décidément placée sous le signe des relations entre la Commission européenne et l'administration française. Dans le cadre du large périmètre de la mission « Solidarité, insertion, égalité des chances », nous avons donc décidé de conduire des travaux de contrôle sur le sujet de l'aide alimentaire. Plusieurs raisons à ce choix : d'abord les difficultés financières exprimées par les associations d'aide alimentaire, ensuite l'exécution problématique - que nous avions identifiée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 - du FEAD, fonds européen d'aide aux plus démunis, qui finance une partie de l'aide alimentaire en France, puis le rôle essentiel de l'alimentation dans les politiques de lutte contre la pauvreté.
En France, une personne sur cinq est dans une situation de précarité alimentaire, tel est l'enseignement du baromètre de la pauvreté Ipsos/Secours populaire de septembre 2018. 21 % des Français interrogés estiment effectivement rencontrer des difficultés pour se procurer une alimentation saine leur permettant d'assurer trois repas par jour.
En 2017, 5,5 millions de personnes bénéficiaient ainsi de l'aide alimentaire en France, un chiffre qui a plus que doublé depuis 2009, qui comptait 2,6 millions de bénéficiaires. Cela représentait, en 2017, 301 000 tonnes de denrées distribuées. La part des femmes et des enfants bénéficiaires est en constante augmentation, confirmant ainsi le lien entre précarité alimentaire et situation de pauvreté.
À ce titre, et avant de rentrer plus en avant dans les observations liées à ce contrôle, nous tenions à exprimer notre regret s'agissant de la quasi-absence de l'aide alimentaire des propositions faites par le Président de la République dans le cadre de son plan Pauvreté, alors que l'alimentation et son financement constituent un levier essentiel des politiques de lutte contre l'exclusion.
Mais revenons-en au périmètre du contrôle. Avant 2010, l'aide alimentaire ne disposait pas de cadre juridique. C'est la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche qui la première définit le cadre légal de l'aide alimentaire, cadre qui fut récemment modifié par la loi « EGAlim ». L'aide alimentaire a désormais pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux personnes « en situation de vulnérabilité économique ou sociale » - et non plus aux personnes « les plus démunies » - et doit être assortie « de la proposition d'un accompagnement » . Cette nouvelle définition met ainsi l'accent sur les notions de « temporalité » et de « parcours de vie » attestant du caractère transitoire de l'aide mais également de son utilité sociale.
L'aide alimentaire repose en France sur un tissu associatif extrêmement dense, qui est l'indispensable pilier de cette politique publique. Ce sont environ 9 000 structures ou associations qui contribuent à l'aide alimentaire sur l'ensemble du territoire, par la distribution de colis, de chèques alimentaires, de repas chauds dans des centres fixes ou lors de maraudes.
L'objet du présent contrôle est ainsi d'examiner les ressources mobilisées, en matière d'aide alimentaire, et de mesurer l'efficacité du dispositif au regard de ses objectifs et des financements utilisés.
M. Éric Bocquet , rapporteur spécial, de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » . - Sur la base des indicateurs fournis par les quatre principales associations oeuvrant dans le domaine de l'aide alimentaire (Restos du Coeur, Fédération française des banques alimentaires, Secours populaire français, Croix-Rouge française), l'aide alimentaire représente une masse financière estimée à près d'1,5 milliard d'euros en 2017 se décomposant comme suit :
- un tiers de financements publics (aides européennes, dépenses budgétaires de l'État et des collectivités territoriales, dépenses fiscales) ;
- un tiers de financement privés (dons en nature et numéraire des particuliers et entreprises) ;
- un tiers correspondant à la valorisation du bénévolat au sein des associations intervenant dans le domaine de l'aide alimentaire.
Revenons sur les détails des financements. S'agissant des fonds publics, ce sont à la fois des crédits européens et nationaux qui sont mobilisés :
- s'agissant du financement de l'Union européenne, il se fait par le biais du fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) instauré en 2014 à la suite du programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD). On est ainsi passé d'un outil de régulation agricole à une vraie politique sociale européenne. La France dispose ainsi de 499 millions d'euros de crédits européens FEAD sur la période 2014-2020, soit 72,7 millions d'euros en 2018. Ces crédits sont entièrement consacrés à l'achat et la distribution d'aide alimentaire, complétés par une part obligatoire de cofinancement national (15 % du total, provenant du programme 304). Ces crédits sont délégués à l'établissement public FranceAgriMer qui achète les denrées, pour chaque campagne annuelle, par la voie de marchés publics. Ces denrées sont ensuite livrées à quatre associations partenaires (Croix-Rouge française, Fédération Française des Banques Alimentaires, Restaurants du Coeur, Secours populaire français), qui en organisent la distribution.
Le FEAD constitue ainsi une source d'approvisionnement indispensable pour les associations, fournissant des produits de base, (farine, beurre, conserves, viandes surgelées...) qui compense l'instabilité des autres sources d'approvisionnements. La part des collectes et des dons est essentielle mais reste fluctuante et surtout inégale selon les territoires. Le FEAD représente ainsi entre 25 et 30 % des approvisionnements des associations bénéficiaires.
Le financement national de l'aide alimentaire - d'un montant de 51,9 millions en 2018 inscrit à l'action 14 du programme 304 de la mission - comprend donc le co-financement du FEAD mais également des crédits complémentaires destinés à financer les épiceries sociales, les services déconcentrés de l'État (qui financent des actions d'aides alimentaires locales), les têtes de réseau nationales d'association, ainsi qu'une subvention pour charges de service public à FranceAgriMer. Les collectivités locales, à travers notamment les centres communaux d'action sociale (CCAS) et les centres intercommunaux d'action sociale (CIAS), participent également activement au financement de l'aide alimentaire, par des aides directes aux bénéficiaires mais également aux associations via des aides matérielles ou financières.
Outre ces crédits nationaux et locaux, le secteur de l'aide alimentaire génère également d'importantes dépenses fiscales pour l'État, au titre des réductions d'impôts sur les dons des particuliers et des entreprises, qui sont en augmentation. Cette hausse des dons, dans le secteur de l'aide alimentaire, s'inscrit dans une dynamique globale de hausse de la générosité publique, mais s'explique également par l'impact des politiques de lutte contre le gaspillage alimentaire, et notamment la mise en oeuvre de la loi « Garot » qui a rendu obligatoire le don des invendus des grandes et moyennes surfaces de plus de 400 m². Les denrées sauvées du gaspillage alimentaire représentent ainsi 65 % des denrées collectées par les banques alimentaires en 2017.
Parmi ces contributions privées qui participent au financement de l'aide alimentaire, doit également être comptabilisé le bénévolat - clé de voûte du système d'aide alimentaire français. La valorisation financière du bénévolat s'élève ainsi à environ 500 millions d'euros, soit près du tiers du coût total de l'aide alimentaire en France. Le taux de salariés, dans les structures d'aide alimentaire, étant très faible voire quasi-inexistant pour certaines associations, les bénévoles peuvent occuper tous les postes-clés inhérents à la gestion de l'aide alimentaire (approvisionnement, tri, hygiène et sécurité alimentaire, informatique, mécénat etc.).
Autant dire que le modèle associatif fondé sur le bénévolat est financièrement indispensable mais également socialement essentiel.
Au-delà de sa mission consistant à répondre à un besoin vital, l'aide alimentaire constitue en effet un dispositif aux vertus plus larges. En intégrant de plus en plus l'impératif nutritionnel dans ses modalités d'action, l'aide alimentaire permet aux plus démunis de bénéficier de repas équilibrés, et contribue ainsi à diminuer la prévalence de certaines pathologies (obésité, diabète) liées à l'insécurité alimentaire. L'aide alimentaire est aussi considérée comme une porte d'entrée vers l'inclusion sociale, puisqu'elle permet d'identifier des personnes qui n'auraient peut-être pas sollicité d'aides, pour leur proposer un accompagnement personnalisé et d'autres types d'actions d'aide à la personne (accompagnement à la gestion budgétaire, soutien à la recherche d'emploi etc.).
En intégrant le travail des bénévoles et la générosité publique, l'aide alimentaire apparait ainsi comme particulièrement efficiente, car peu coûteuse sur le plan des finances publiques, au regard du nombre de bénéficiaires (5,5 millions), des 301 000 tonnes de marchandises distribuées mais également de son utilité sociale. L'aide alimentaire atteint ainsi près d'1,5 milliard d'euros pour environ 465 millions d'euros de financement public.
M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial . - Cependant, les associations - qui constituent les piliers essentiels de cette politique publique - font face, depuis quelques temps à des difficultés certaines, en raison, notamment de :
- la suppression de la « réserve parlementaire » qui constitue un manque à gagner de près de 2,2 millions d'euros pour les associations d'aide alimentaire, alors que l'abondement du Fonds de développement pour la vie associative (FDVA) ne compense que très partiellement cette perte et ses conditions de mise en oeuvre ne s'avèrent pas satisfaisantes ;
- la diminution « brutale » du nombre de contrats aidés. Ainsi, dans les 79 banques alimentaires, près de la moitié des salariés sont en contrats aidés. Il s'agit souvent de salariés sur des postes stratégiques. Certaines épiceries sociales se sont trouvées sur le bord de la fermeture ;
- enfin les conditions d'exécution du FEAD, qui occasionnent pour les associations des retards de livraison, et fragilisent également financièrement les associations.
Fragilisant les associations mais également les finances publiques, la gestion française du FEAD fait peser de vrais risques sur la France, pouvant mettre en cause l'efficience du dispositif et surtout occasionnant des risques de pertes budgétaires significatives. Ce constat sur le FEAD semble ainsi faire écho aux observations faites ce matin à propos de la gestion des fonds agricoles.
La mise en oeuvre du FEAD, en 2014 - se substituant au PEAD - a ainsi imposé de nouvelles obligations aux acteurs nationaux de l'aide alimentaire, conduisant ainsi à la désignation d'autorités françaises de gestion (Direction générale de la cohésion sociale - DGCS - à la place de la Direction générale de l'alimentation - DGAL -), d'audit (comité interministériel de coordination des contrôles - CICC -) et de certification (DGFiP). Malgré cette nouvelle architecture institutionnelle, l'entrée dans le FEAD fut difficile, nécessitant des ajustements assez lourds de la part de la France. La France - qui avait déjà lancé deux appels de fonds à l'automne 2015 - fut le premier pays à accueillir un « audit préventif » de la Commission européenne en mai 2016 ; un audit qui conclut à de nombreuses irrégularités. En cause l'impréparation de la France, entrée trop vite dans le FEAD sans une adaptation suffisante de son mode de gestion. Le passage du PEAD au FEAD a ainsi constitué un saut qualitatif, que les autorités françaises ont sous-estimé.
Cet audit de la commission a conduit la France à mettre en place un plan d'urgence et à suspendre ses appels de fonds, sous peine de suspension de paiement de la part de la Commission européenne. Des mesures ont ainsi été prises par la France, mais la gestion du FEAD fait néanmoins encore peser sur la France de vrais risques de pertes budgétaires, qu'il ne faut pas sous-estimer.
On observe, en effet, une sous-consommation inquiétante des crédits européens. En juillet dernier, le taux d'exécution du budget était de 18 % alors que le taux de programmation du FEAD était de 84,16 %. Cette sous-consommation résulte de la suspension des appels de fonds décidée par la France - évoquée précédemment - mais également des corrections financières imposées par la Commission européenne et l'autorité d'audit française, la CICC. Depuis 2014, les contrôles de la Commission européenne et des autorités d'audit et de certification nationales ont ainsi fait apparaitre des « dépenses inéligibles » qui, bien qu'ayant été acquittées par FranceAgriMer, n'ont pas pu être déclarées en remboursement à la Commission européenne. Ces « dépenses inéligibles » se traduisent ainsi en « corrections financières », correspondant à des montants de crédits FEAD non déclarés par les autorités françaises.
Il en résulte ainsi un décalage très important entre l'exécution des marchés et l'arrivée des remboursements européens, ce qui a conduit à placer FranceAgriMer dans une situation financière très difficile : son déficit de trésorerie a atteint 105 millions d'euros en mars 2018. La France est ainsi dans l'obligation de compenser l'absence de ces crédits européens par des crédits budgétaires nationaux et de mobiliser des lignes de prêts de l'Agence France Trésor afin que FranceAgriMer puisse payer les fournisseurs.
Ce décalage entre exécution des marchés et remboursements européens s'explique aussi par la lourdeur des procédures européennes à mettre en oeuvre et la spécificité du système d'achat des denrées français. Le degré d'exigence requis par la Commission européenne est très, même trop élevé ; il s'illustre notamment par le seuil d'erreur toléré qui a été fixé à 2 %. Ce seuil est extrêmement sévère au regard de la taille de ce fonds dont le budget est 20 à 50 fois moins important que ceux des autres fonds structurels comme le FSE ou le FEADER. Par ailleurs, ce niveau d'exigence est difficile à respecter pour un secteur associatif fondé sur le bénévolat souvent insuffisamment outillé pour y répondre et surtout un peu perdu par l'existence de tous ces contrôles, dont les règles frisent parfois l'absurde. À titre d'exemple anecdotique mais révélateur, la Commission impose le format A3 et non A4 des affichettes avec le drapeau de l'Union devant être exposées dans les centres de distribution.
C'est donc une chaine de contrôle extrêmement lourde, trop lourde qui existe pour la gestion du FEAD, et il serait trop long de vous en exposer le détail. Un chiffre illustre cette complexité : 1 million, c'est le nombre de points de contrôles que FranceAgriMer doit vérifier, pour chaque campagne annuelle d'achat de denrées, sur les 22 000 pièces justificatives générées par les livraisons.
Non seulement ces contrôles disproportionnés conduisent à un ralentissement des déclarations en paiement à la Commission européenne, mais ils ont également un coût en termes de moyens humains - dont les autorités de gestion nationales ne sont cependant pas capables d'estimer le montant.
À cette rigueur imposée par la Commission européenne - amplifiée par l'autorité d'audit française, la CICC - qui fait, dans certains cas, preuve de « sur-transposition » - s'ajoute la complexité du système d'aide alimentaire français, qui constitue une difficulté supplémentaire de gestion. Le modèle français d'achat des denrées FEAD se caractérise, en effet, par :
- un nombre élevé de produits bien qu'il soit en diminution depuis 2009 : 33 produits en 2017 alors que la moyenne européenne se situe entre 10 et 20 produits ;
- un nombre élevé de points de livraisons, plus de 300 dans toute la France ;
- un nombre élevé de lots dans les marchés publics : 94 en 2017, chaque lot correspondant à un produit par association, il y ainsi autant de lots que de produits et associations.
Cette spécificité du système d'aide alimentaire est certes une richesse qu'il faut préserver mais il semble nécessaire de trouver un juste équilibre entre les souhaits des associations en matière de denrées et les coûts de gestion pour l'État .
M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - Cette recherche du juste équilibre a ainsi irrigué l'ensemble des recommandations formulées dans le rapport. Au vu des observations que nous avons pu faire, il est essentiel, pour nous, de sécuriser l'organisation nationale du FEAD afin d'assurer la pérennité des crédits européens sans, toutefois, remettre en cause le modèle associatif fondé sur le bénévolat. Plusieurs axes de travail doivent être envisagés.
Premier axe, le renforcement de la gestion opérationnelle du FEAD qui doit passer par la poursuite et l'amplification des plans d'actions mis en oeuvre par la France - le dernier datant de mai dernier nous semble insuffisant. Les efforts entrepris sont louables, nous les saluons, mais il faut aller plus loin afin d'éviter tout risque de dégagement d'office de la part de la Commission européenne. Il convient de rechercher, auprès de la Commission, un maximum d'assouplissements des exigences réglementaires mais également, au plan national, de veiller à ne pas « sur-interpréter » les obligations communautaires. La sécurisation de la gestion opérationnelle du FEAD passe également par la poursuite de la simplification du système d'achat des produits (diminution du nombre de produits, simplification des clauses des marchés) tout en maintenant une gamme diversifiée de produits pour les associations.
Deuxième axe, l'adaptation du modèle associatif à ces nouvelles exigences sans remettre en cause le modèle associatif fondé sur le bénévolat : il s'agit de trouver un équilibre entre exigence administrative et travail sur le terrain fait par des bénévoles parfois sous-équipés :
- cela passe par une meilleure sensibilisation des associations aux exigences européennes (formation, actions de communication, soutiens financiers pour le déploiement d'outils de gestion) et une meilleure prise en compte de la spécificité de l'action bénévole de la part des autorités nationales et européennes ;
- cela passe également par le maintien d'un niveau de financement public satisfaisant tout en encourageant la diversification des sources de financement des associations. Doit être encouragé le développement qualitatif et quantitatif des ressources en provenance du gaspillage alimentaire. Le levier fiscal pourrait ainsi être utilisé, notamment par le biais d'une régularisation de la TVA par les magasins lorsque les marchandises sont détruites ou l'augmentation du plafond des réductions d'impôt fixé actuellement à 0,5 % du chiffre d'affaires hors taxes pour les magasins entre 400 et 2 000 m², soumis à la loi « Garot ». Outre les mesures fiscales, à l'instar de certaines associations qui recourent déjà à des opérations de financement participatif, l'économie numérique constitue un formidable levier à actionner en matière de générosité publique dans le domaine de l'aide alimentaire.
Enfin, troisième axe, peser dans les négociations concernant le futur du FEAD et obtenir un assouplissement de ses modalités de gestion. Les négociations concernant l'après 2020 - date jusqu'à laquelle le FEAD actuel est garanti - ont commencé, avec la publication de la proposition de la Commission européenne prévoyant de regrouper sous la dénomination « FSE+ » tous les fonds structurels, y compris le FEAD. Le volet FEAD de ce nouveau fonds suscite de nombreuses interrogations et craintes quant à son montant, le taux de co-financement et le risque de régionalisation. Nous estimons que la pérennisation du FEAD est essentielle au regard du système français d'aide alimentaire et de la progression du nombre de bénéficiaires tout comme un assouplissement de ses modalités de gestion. Sur un tel sujet - constituant un enjeu extrêmement important de la politique nationale de lutte contre la pauvreté - nous souhaiterions, comme les associations bénéficiaires - que le Président de la République s'engage clairement et prenne position publiquement pour la préservation du FEAD et de ses financements.
M. Michel Canevet . - Ce rapport va me permettre de fournir des informations précises au collectif des associations de l'aide alimentaire du Finistère que j'ai reçu la semaine passée : l'après 2020 constitue, pour eux, un véritable sujet de préoccupation.
Nous avons examiné lors de l'audition précédente le désastre de la répartition des aides européennes en matière agricole, et il en va de même pour l'aide alimentaire, avec des contraintes très difficiles à supporter pour ceux qui interviennent sur le terrain. Il n'est dès lors guère surprenant que les associations aient des difficultés à recruter des bénévoles, alors qu'ils sont pourtant indispensables pour assurer la continuité du service.
Le taux de pauvreté dans notre pays reste de 14 %, ce qui signifie que les besoins en matière d'aide alimentaire sont particulièrement avérés. Des dispositifs existent - je pense notamment à la répartition des surplus des grandes surfaces - mais il est très difficile de les mettre en oeuvre car ces magasins ont aujourd'hui tendance à proposer à leurs clients les produits en date limite avec rabais, si bien que les associations doivent faire preuve d'une très grande réactivité, elles qui n'ont pas le droit de distribuer des produits dont la date limite est dépassée. On a là un gâchis alimentaire très conséquent et sur lequel il faudrait que l'on travaille pour trouver des solutions plus satisfaisantes.
Comme nous l'avons vu la semaine dernière avec l'audition consacrée à la générosité publique, malgré un dispositif fiscal particulièrement avantageux de 75 % de déduction d'impôt pour l'aide alimentaire, on s'aperçoit que les dons en faveur de l'aide alimentaire n'augmentent pas, ce qui fait que les associations manquent de moyens, par exemple pour louer les locaux dans lesquels la distribution s'opère, dans le respect de règles d'hygiène très strictes.
Je voulais demander aux rapporteurs spéciaux de nous indiquer les perspectives budgétaires de l'aide alimentaire dans le projet de loi de finances pour 2019 et avoir leur sentiment sur le regroupement au sein du FSE. S'agit-t-il d'une bonne chose ? Les acteurs de terrain peuvent-ils être rassurés quant à la prolongation des aides européennes, qui sont nécessaires pour effectuer un travail de qualité ?
M. Marc Laménie . - Je souhaite m'associer à l'hommage qu'ont rendu les rapporteurs spéciaux aux bénévoles des associations de l'aide alimentaire, qui compte 5,5 millions de bénéficiaires, sans compter tous ceux qui n'osent pas y avoir recours. En ce qui concerne les aides européennes, la gouvernance du FEAD vous paraît-elle pertinente ? Quels sont les liens sur le terrain avec nos départements respectifs, avec les centres communaux d'action sociale et avec nos associations ?
M. Bernard Lalande . - Je me suis toujours étonné de la générosité liée au levier fiscal. Je voudrais connaître le gain d'impôt réel des donateurs sur la somme totale qu'ils versent. J'ai tout de même l'impression que l'exonération d'impôt dont ils peuvent bénéficier n'est pas significative. Autre question : ne faudrait-t-il pas prévoir une sanction en cas de non distribution des produits alimentaires invendus plutôt que de prévoir une exonération de TVA ?
M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial . - Les crédits de l'État destinés à l'aide alimentaire seront stables en 2019, à 51,6 millions d'euros. S'y ajoutent des dépenses fiscales que nous avons évaluées approximativement à 220 millions d'euros.
La déductibilité de 75 % des dons des particuliers fait suite à un amendement dit « Coluche », qui avait voulu favoriser et faciliter les dons. Mais, en effet, beaucoup de dons ne font pas l'objet d'une réfaction fiscale, que les gens n'y portent pas attention ou jugent que les sommes en jeu sont trop peu importantes.
Au total, l'intervention publique en faveur de l'aide alimentaire représente donc moins de 300 millions d'euros, alors que son montant total est supérieur à 1 milliard d'euros : l'effet de levier de l'intervention publique est donc très important. Il faut défendre ce modèle français qui est essentiel.
Sur la commercialisation des produits périssables dans les grandes surfaces, il y a un vrai risque de diminution des dons aux associations d'aide alimentaire en raison d'une meilleure gestion des ventes à prix cassés à l'approche de la date de péremption grâce notamment au numérique, sachant que seuls peuvent être donnés des produits qui ne sont pas périssables dans les quarante-huit heures. Mais le numérique peut aussi être une chance pour les associations permettant de valoriser les dons des grandes surfaces.
La question de l'après 2020 est très importante. La perspective de raccrocher ce fond au FSE est plutôt inquiétante. Vous en avez probablement tous fait l'expérience sur votre territoire, les délais de traitement extrêmement longs du FSE fragilisent les associations. Le maintien, dans un système simple et souple, du niveau des crédits de l'aide alimentaire au niveau européen devrait être un sujet de négociation pour notre Gouvernement.
Je souhaiterais conclure en disant que l'on n'insistera jamais assez sur l'originalité du modèle français, qui se caractérise par la diversité des produits distribués, la stabilité des associations mais également par sa capacité d'inclusion. Inclusion des personnes qui reçoivent l'aide alimentaire bien sûr mais également des bénévoles, dont la moyenne d'âge est de 61 ans environ. Ce mouvement social, fort et inclusif pour toutes ses parties prenantes, mérite d'être soutenu.
M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - Le bénévolat joue vraiment un rôle clef dans le système français d'aide alimentaire. Il n'est d'ailleurs pas toujours simple de recruter de nouveaux bénévoles, d'autant qu'il est souvent nécessaire qu'ils disposent de certaines qualifications, sachent par exemple respecter la chaîne du froid, des règles d'hygiène, etc. Par ailleurs, le rôle des épiceries sociales est à encourager puisque la participation citoyenne symbolique participe de la dignité de la personne.
Pour toutes les raisons évoquées, je considère également que ce modèle français doit être préservé, puisqu'il a démontré toute sa pertinence.
La commission a donné acte aux rapporteurs spéciaux de leur communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.