C. QUELS MOYENS MATÉRIELS DEMAIN POUR LE « SPORT POUR TOUS » DANS LES OUTRE-MER ?
1. Renforcer les « stratégies territoriales » autour d'axes forts et, concomitamment, stabiliser et pérenniser l'engagement de l'État
a) Organiser davantage l'articulation territoriale des schémas d'équipements
La dynamique enclenchée autour des diagnostics, schémas ou stratégies territoriales doit être soutenue. Ces travaux doivent être pérennisés et surtout actualisés régulièrement. Des rendez-vous périodiques entre l'ensemble des acteurs autour des directions des sports doivent permettre d'assurer le suivi de la mise en oeuvre des schémas de développement du sport, mais aussi d'ajuster éventuellement les aménagements préconisés en fonction des besoins et financements disponibles.
Ces schémas doivent être également revus à la suite d'événements majeurs ou de changements brutaux de contexte, comme cela a été le cas dans les Antilles. À la suite de l'ouragan Irma, les collectivités des Îles du Nord comme le comité interministériel chargé de la reconstruction ont établi différents plans de réhabilitation, reconstruction ou nouveaux aménagements pour remettre les îles sur pied : les équipements sportifs n'ont pas été oubliés. À Saint-Martin, un nouveau schéma de développement du sport a été publié au printemps 2018 , pour une période 2018-2028. Ce schéma, établi à la suite du passage d'Irma, tient compte des équipements détruits ou rendus hors d'usage par la catastrophe et propose un nouveau plan global d'aménagement des équipements sportifs , en reconstruisant parfois à des endroits différents et en intégrant davantage la contrainte liée aux risques naturels. Le CNDS accompagne notamment le territoire dans les financements de ces équipements 53 ( * ) .
Dans l'après Irma, une reconstruction en cours des équipements à Saint-Martin Le passage de l'ouragan Irma sur les Îles du Nord en septembre 2017 a profondément marqué Saint-Martin et Saint-Barthélemy 54 ( * ) . Face à l'ampleur sans précédent des dégâts constatés, une délégation et un comité interministériel ont été mis en place afin d'organiser la reconstruction . Le comité interministériel du 12 mars 2018 a établi une programmation pluriannuelle des investissements pour les années 2018-2019. S'agissant des équipements sportifs, 12,9 millions d'euros seront investis pour l'ensemble des installations : une nouvelle salle omnisports est notamment programmée, celle-ci ayant vocation à servir d'abri anticyclonique. L'État dégagera, au titre du CNDS, une subvention totale de 0,9 million d'euros sur deux ans, soit 6,5 % du total des investissements envisagés. Les plateaux multisports font également actuellement l'objet de rénovations. Avec le soutien de l'État dans le cadre du contrat de développement et du CNDS, à hauteur de 249 304 euros ; six de ces installations sont en cours de réhabilitation - la Savane, Friar's bay, Sandy Ground, Médiathèque Concordia, Thelbert Carti et Spring Quartier d'Orléans -, leur ouverture est prévue à l'automne 2018 pour la plupart. La collectivité de Saint-Martin explique aussi que des études sont en cours concernant le stade Albéric Richards à Sandy Ground afin d'en faire un complexe sportif d'envergure ; le stade Thelbert Carti de Quartier d'Orléans fait également l'objet de réflexions quant à sa rénovation censée, en l'espèce, bénéficier d'un accompagnement financier de la Fédération française de football, de l'ordre de 0,35 million d'euros. Enfin, la salle omnisports de Galisbay, François Matthew, a été complètement détruite - l'enlèvement de la toiture est en cours - : un nouveau palais des sports sera construit sur un autre site, quartier central de La Savane. Des travaux sont également prévus sur le terrain de football de Grand Case ; le stade Jean-Louis Vanterpool, à Marigot est désormais ouvert aux associations et écoles, mais pour une utilisation exclusivement diurne pour l'instant, la réhabilitation de l'éclairage étant en cours, avec un soutien financier du CNDS pour un montant de 0,25 million d'euros. Enfin, les cours de tennis du Stade Albéric Richards ont été rénovés et financés entièrement par la Fédération française de tennis pour un coût de 280 000 euros et ont été réouverts depuis le début du mois d'octobre. La halle des sports Jean-Louis Vanterpool a été entièrement réhabilitée : elle est utilisable depuis le début du mois de septembre 2018, financée par l'accompagnement du contrat de développement. |
Source : Réponses de la collectivité de Saint-Martin au questionnaire des rapporteures
b) Mieux prendre en compte le coût d'entretien pour les collectivités
Au-delà des coûts importants que représentent les investissements dans la construction ou rénovation d'équipements sportifs, les coûts permanents qui pèsent au quotidien sur les collectivités dans la gestion, l'entretien et la maintenance de ces équipements ne doit pas être négligé. Alors que la situation financière des collectivités ultramarines est fragile, comme expliqué précédemment, ces frais de fonctionnement ne sont pas négligeables. L'incapacité des collectivités à les assumer conduit à une moindre disponibilité des équipements, voire à une baisse rapide de la qualité de l'équipement faute d'entretien, obérant par conséquent les capacités de développement du sport sur le territoire et rendant vains les investissements réalisés. Il est nécessaire d'assurer la cohérence des schémas d'équipements sportifs entre les besoins des territoires et leur capacité à en assumer une gestion pérenne et de qualité.
La directrice de l'ANDES, Ludivine Saillard, appelait à davantage « tenir compte des coûts de fonctionnement » et mettait en avant « l'intérêt pour ces territoires des petits équipements de proximité tels que les plateaux couverts dotés d'éclairage ou les piscines en eau de mer au coût de fonctionnement modeste ou encore l'intérêt de la coopération intercommunale, encore insuffisamment développée outre-mer » 55 ( * ) . Les collectivités intègrent cette nécessité toujours davantage dans leurs projets, comme cela était souligné dans le projet de fare polynésien pour l'appel à projets innovants. Il est impératif que les projets soient mieux calibrés à l'échelle des territoires.
Les possibilités d'équipements évolutifs, mobiles ou modulaires doivent aussi être particulièrement examinées dans les stratégies de développement des équipements : ils semblent être une perspective encourageante pour accroître rapidement le maillage territorial . Dans le cas des besoins en matière d'équipements permettant aux jeunes d'apprendre à nager par exemple, des infrastructures amovibles installées sur les plages permettent de proposer un plus grand nombre de structures dans différents lieux, pour le même budget qu'un seul équipement « en dur » pour tout le département, avec des frais de fonctionnement moindres. Les rapporteures ont pu le constater à Marie-Galante où le bassin amovible aménagé sur la plage de Grand-Bourg permet de disposer de deux espaces pour apprendre à nager, modulables et pouvant être démontés en une journée en cas de menace cyclonique notamment. Au-delà du caractère modulaire des installations, la Guadeloupe s'engage également vers l'utilisation d'équipements transportables.
La nécessité de structures adaptables et amovibles : l'exemple de la Guadeloupe La DJSCS de Guadeloupe souhaite mettre en place un projet d'installations sportives mobiles adaptables à l'environnement guadeloupéen. La direction régionale envisage la possibilité de mettre en place des installations sportives sur les plateaux de proximité notamment dans les quartiers défavorisés, sur des plages ou dans des espaces ruraux ouverts à tout public sous forme de « kits sportifs » et faisant la promotion des sports notamment sur les territoires sous-équipés. Ce projet vise à favoriser l'accès à la pratique d'activités physiques et sportives pour le plus grand nombre en répondant d'une manière directe à un manque d'infrastructures sportives dans la région Guadeloupe, en s'attachant notamment à proposer des équipements dans les zones sous équipées du territoire, les zones rurales et les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le financement proposé est de 1 million d'euros sur le contrat de plan État-région, à parité entre le ministère des outre-mer et le conseil régional. 5 porteurs de projets - ligues et comités - se sont vus dotés de subventions d'investissement pour un montant d'environ 245 000 euros en 2016 ; 4 projets ont été validés pour un montant de 147 000 euros l'année suivante. Un nouvel appel à projets a été lancé en 2018. Collectivités, clubs et ligues sont éligibles, avec un taux de financement majoré pour le mouvement sportif (80 % des projets, contre 50 % pour les collectivités). |
Source : Réponses de la DJSCS de Guadeloupe
Recommandation n° 10 : Renforcer la prise en compte des possibilités d'équipements modulaires et mobiles dans les schémas d'équipements des territoires. |
Lors de leur déplacement en Guyane, les rapporteures ont pu échanger avec le maire de Rémire-Montjoly, ville qui accueille des équipements structurants de la Guyane, comme le stade Edmard Lama : il a été souligné que, si ce type d'équipements est nécessaire et que les coûts d'investissements ont été partagés avec l'État et la collectivité territoriale de Guyane, les frais de fonctionnement et d'entretien de telles structures pèsent lourdement sur le budget communal.
Il convient de prévoir, comme pour les investissements, des partenariats pour un partage raisonné des frais de fonctionnement des équipements sportifs. En effet, les communes n'apparaissent souvent pas pouvoir assumer seules les coûts de gestion de ces structures. Aussi, le rayonnement territorial des équipements, sur un bassin de communes ou à l'échelle du territoire, appelle à une participation plus forte de nouveaux échelons de collectivités ou établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Les collectivités uniques, départements et régions ou collectivités d'outre-mer selon le cas, doivent davantage accompagner les communes dans le fonctionnement des équipements. La mobilisation de l'échelon intercommunal doit être discutée : les expériences sont diverses et les conclusions différentes : à Marie-Galante, la compétence en matière d'équipements sportifs confiée à la communauté de communes tend à être reprise par les communes. Il semble enfin également nécessaire que l'État puisse prévoir des dotations liées au fonctionnement des équipements structurants, de la même façon que celui-ci intervient lors de créations ou rénovations : l'État garantirait la pérennité et le bon usage de son investissement.
Recommandation n° 11 : Renforcer les partenariats de gestion des équipements entre collectivités et prévoir une gestion conjointe commune-collectivité pour les équipements structurants. |
c) Cibler des priorités fortes
Les schémas de développement du sport doivent identifier des axes forts et établir des priorités d'action ciblées et hiérarchisées. Si ces axes doivent se préciser et se décliner dans chacun des territoires selon les spécificités et contextes locaux, il apparaît à l'issue des travaux menés que certains éléments sont communs aux outre-mer :
- un soutien au sport pour tous à travers le développement d'équipements de moyenne envergure mais assurant un maillage territorial dense et une forte disponibilité, comme des plateaux couverts ;
- le rattrapage de carences manifestes dans certaines disciplines, comme la maîtrise de la nage, à travers la construction de piscines ou bassins en eau de mer - notamment à Mayotte où aucune piscine municipale n'existe, et Wallis-et-Futuna, territoire dépourvu de bassin également ;
- la rénovation et éventuelle construction d'équipements structurants à l'échelle des territoires ;
- la valorisation du potentiel économique et touristique des équipements sportifs.
Recommandation n° 12 : Promouvoir le développement de structures permettant d'apprendre à nager, piscines ou parcs aquatiques en eau de mer, pour remédier au paradoxe selon lequel les outre-mer, bien qu'insulaires dans leur quasi-totalité, sont les territoires français les moins bien lotis pour l'initiation à la natation. Recommandation n° 13 : Renforcer la définition de schémas d'équipements aux niveaux territorial et infra-territorial, le cas échéant à l'échelle des intercommunalités. |
d) Pérenniser l'engagement de l'État
Afin de permettre aux territoires d'engager de réels projets de rattrapage et rééquilibrage, il est plus que nécessaire que l'État, financeur primordial, s'engage sur la durée . Les collectivités ont besoin pour monter les projets d'être sûres qu'elles auront une enveloppe pérenne à disposition pour les concrétiser. Il convient ainsi de contractualiser davantage les plans de rattrapage des équipements entre l'État et les collectivités sur des périodes pluriannuelles. Le recours à des fonds européens devra être facilité pour appuyer ce plan dans les années à venir.
Si l'annonce faite dans le cadre du Livre bleu outre-mer peut être un signal encourageant, sa concrétisation est nécessaire.
Recommandation n° 14 : Contractualiser entre l'État et chaque territoire un plan pluriannuel de rattrapage, cette procédure pouvant bénéficier, dans la mesure de la répartition des compétences, aux collectivités du Pacifique. |
2. Quel engagement des fédérations dans la construction des infrastructures de demain ?
Les fédérations sportives doivent pouvoir être associées aux aménagements sportifs dans les territoires, de la conception des schémas de développement du sport jusqu'aux financements de ceux-ci.
Le mouvement sportif soutient déjà financièrement des programmes d'infrastructures. Nicolas Belloir, vice-président délégué en charge des territoires au Comité national olympique et sportif, soulignait devant la délégation 56 ( * ) que la solidarité olympique avait été également visible à la suite du passage d'Irma en 2017, où le CNOSF avait obtenu une aide de 100 000 dollars pour soutenir les Îles du Nord : 80 000 dollars pour la reconstruction d'infrastructures sportives et 20 000 dollars pour la reconstruction et l'achat de matériels d'un club de surf.
Recommandation n° 15 : Associer davantage les grandes fédérations nationales aux engagements financiers liés à la construction et à l'entretien des équipements structurants. |
Cet effort du mouvement sportif et des organisations nationales doit être soutenu et amplifié selon les moyens des fédérations. Kenny Jean-Marie, directeur du cabinet du président de la Fédération française de football (FFF), soulignait 57 ( * ) par exemple les moyens mobilisables auprès de la fédération de football, indiquant que celle-ci disposait « d'un fonds d'accompagnement du football amateur (FAFA) d'une quinzaine de millions d'euros. Il permet d'accompagner, en fonctionnement mais également en investissement, l'ensemble de nos ligues, districts et clubs. Dans les outre-mer, les ligues constituent aussi des districts car elles sont toutes quasiment monodistrict . » Sur la saison 2017, près de 2,3 millions d'euros ont ainsi été consacrés aux outre-mer, auxquels s'ajoutent environ 500 000 euros d'actions conduites en direct par la FFF.
Si Kenny Jean-Marie soulignait que la FFF était une des rares fédérations capables de consentir un tel effort, il notait que ce fonds était « sous-utilisé ou mal utilisé dans les outre-mer pour diverses raisons , la principale tenant à la difficulté d'avoir des personnes qui pourraient jouer le rôle d'ensemblier - technico-administratif ou sportivo-administratif - pour mettre autour d'une même table la collectivité locale, l'État et la ligue ou le club concerné de façon à faire émerger des projets » ; il évoquait des difficultés à consommer ces crédits. Le FAFA peut accompagner la création de terrains, particulièrement de mini-terrains synthétiques pour le développement du football à cinq ou de futsal, des crédits de la FIFA ayant même été obtenus pour cela. Kenny Jean-Marie indiquait ainsi que la FFF est en capacité d'apporter 25 à 50 % de financement d'un terrain de football outdoor par territoire, mais les collectivités doivent être en mesure d'apporter elles aussi 20 à 40 % de financement. Il est impératif que les collectivités puissent être appuyées pour monter de tels projets et mobiliser des fonds disponibles comme le FAFA.
3. L'Agence française de développement : partenaire à privilégier ?
La ministre des sports expliquait en janvier que le ministère avait décidé de travailler avec l'Agence française de développement (AFD) afin de « mieux structurer les réponses aux appels à projets » et de « proposer des solutions durables sur nos territoires ».
Les échos qu'ont pu avoir les rapporteures concernant l'appel à projets innovants sont cependant peu encourageants : l'AFD semble avoir été d'un appui très limité en accompagnement de montage et de gestion des dossiers quand les services déconcentrés ont été davantage mobilisés.
L'Agence française de développement, partenaire traditionnel des territoires ultramarins, est déjà active dans le domaine du sport ; elle est ainsi intervenue :
- en Guadeloupe, à Petit-Bourg, pour des équipements sportifs comprenant un complexe de tennis ;
- en Guyane, en préfinançant des subventions européennes pour le projet « Guyane base avancée » à Cayenne et Montsinéry-Tonnégrande ;
- à Saint-Paul à La Réunion, en 2017, au sein d'un plus vaste projet d'aménagement et de renouvellement urbain ;
- à Mayotte, où l'agence est aux côtés du territoire dans le cadre du plan Mayotte 2025.
L'AFD demeure, forte de son expérience de longue date dans les territoires ultramarins, un acteur incontournable du portage de projets d'équipements structurants dans les outre-mer : elle doit être partie prenante du relèvement du sport dans ces territoires .
* 53 Cet effort en faveur de la reconstruction est intégré à l'objectif d'enveloppe dédiée aux outre-mer dans les crédits d'équipements.
* 54 Rapport d'information n° 688 tomes I et II (2017-2018) du 24 juillet 2018 « Risques naturels majeurs : urgence déclarée outre-mer » , fait au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer par MM. Guillaume ARNELL, rapporteur coordonnateur, Mathieu DARNAUD et Mme Victoire JASMIN, rapporteurs
* 55 Audition de l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES) du mardi 22 mai 2018.
* 56 Audition du mouvement sportif national du jeudi 24 mai 2018.
* 57 Ibid.