EXAMEN EN COMMISSION
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M. Philippe Bas , président. - Nous examinons ce matin deux sujets liés à la lutte contre le terrorisme : un rapport d'information sur l'amélioration de l'efficacité des fiches S et une communication sur la mission de contrôle et de suivi de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Ces travaux arrivent à maturité au moment où la lutte contre le terrorisme est d'une actualité brûlante, après l'odieux attentat de Strasbourg. Nous avons conscience que cela peut complexifier l'examen de ces dossiers et, en particulier, le travail de pédagogie souhaité par le rapporteur François Pillet et l'ensemble du groupe de travail sur les fiches S.
M. François Pillet , rapporteur . - Effectivement, les événements dramatiques survenus à Strasbourg rendent notre travail de ce jour un peu plus délicat. Mais les membres du groupe de travail et moi-même avons souhaité faire un peu de pédagogie sur les fiches S. Même si cet exercice est plus difficile à chaud, il nous appartient de faire preuve de responsabilité et d'assurer l'efficacité de cet outil, au profit des services de renseignement.
Mon raisonnement se déroulera en deux temps : je montrerai tout d'abord que les fiches S sont un outil de travail à l'efficacité prouvée, qui souffre de nombreuses approximations et confusions ; je montrerai ensuite que, si cet outil peut être amélioré à la marge, il ne doit surtout pas être dévoyé, au risque de devenir inutilisable.
S'agissant de la fonction de la fiche S, je vais m'attacher à vous indiquer ce qu'elle est, ce qu'elle n'est pas et ce qu'elle ne saurait être.
Les fiches S ne sont qu'un tiroir d'une commode beaucoup plus large ! Elles constituent effectivement l'une des 21 catégories du fichier des personnes recherchées (FPR), ces catégories étant multiples et variées : aliénés, contrôles judiciaires, police générale des étrangers, interdictions judiciaires du territoire, débiteurs envers le trésor, etc.
Les fiches ne peuvent être inscrites, directement ou à leur demande, que par quatre services : la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ; le service central du renseignement territorial (SCRT) ; la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) ; et la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN).
Il existe 11 catégories de fiches S, de S2 à S16, qui ne caractérisent en aucun cas une dangerosité, mais renvoient uniquement à des profils et des conduites à tenir en cas de contrôle d'une personne fichée.
La fiche S peut concerner toute personne, de toute nationalité, présente sur le territoire national ou non, qui, en raison d'une activité individuelle ou collective, est susceptible, directement ou indirectement, de porter atteinte à la sûreté de l'État ou à la sécurité publique, mais également toute personne entretenant ou ayant des relations directes et non fortuites avec ces personnes.
Les critères permettant une inscription « S » sont larges et n'exigent pas de rapporter a priori des informations circonstanciées quant à la menace que représentent la personne fichée ou ses relations.
La fiche S ne contient pas les informations relatives à un éventuel suivi opérationnel de la personne, sachant que les personnes fichées S ne sont pas toutes des objectifs des services de renseignement. Elle ne contient pas non plus les informations précises à l'origine de l'inscription, lesquelles sont répertoriées dans des fichiers plus opérationnels, et donc confidentiels, comme le fichier de centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux, dit « Cristina », ou le fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique, dit PASP.
La durée de conservation est de deux ans, avec renouvellement possible tant que la mesure apparaît nécessaire.
S'agissant des finalités et utilisateurs des fiches S, ils sont multiples.
Il s'agit d'un outil de renseignement permettant de collecter des informations sur une personne identifiée pour le compte d'un service de renseignement prescripteur. C'est un mécanisme passif qui ne permet qu'une collecte ponctuelle d'informations, la fiche ne s'activant qu'en cas de consultation ou de contrôle. On signalera, par exemple, un passage d'une frontière, le mode de transport utilisé, les motifs de déplacement ou encore des renseignements administratifs.
Concrètement, dans le cadre d'un contrôle routier, les forces de l'ordre effectueront un contrôle d'identité et rechercheront l'identité de la personne dans le FPR. En cas de « hit », c'est-à-dire si la personne est identifiée comme ayant une fiche S, le policier ou le gendarme sera alors informé d'une conduite à tenir et des éléments à faire remonter. L'immense majorité des fiches prévoient des vérifications discrètes de renseignement, ne devant aucunement attirer l'attention de la personne.
La fiche S peut être conçue comme un filet lancé en espérant une pêche fructueuse d'informations.
Dès lors que la fiche S constitue un mécanisme de remontée d'informations, et non de placement sous surveillance, cet outil est susceptible de concerner un grand nombre de personnes. En avril 2018, parmi les 26 000 fiches S du FPR, 17 000 étaient liées directement ou indirectement au phénomène de radicalisation. Le FPR fait l'objet de 100 000 consultations quotidiennes, soit 40 millions de consultations par an.
La fiche S remplit également une fonction d'alerte aux services administratifs, en particulier pour la délivrance de passeports ou de visas.
J'en viens aux approximations et confusions dont fait l'objet cet outil, qui, considéré à tort comme un indicateur de dangerosité ou de radicalisation, se retrouve au centre d'une « hystérie politico-médiatique » complètement délétère, tant sur son efficacité que sur l'action des services de renseignement.
Les fiches S ne constituent pas un indicateur de la dangerosité d'une personne.
Toutes les personnes inscrites au FPR et pour lesquelles a été créée une fiche S ne sont pas des objectifs des services de renseignement.
Ainsi, peuvent être inscrites des personnes entretenant ou ayant des relations directes avec des individus faisant l'objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État, y compris celles qui ne représentent aucune menace - comme la mère, non radicalisée, d'un adolescent radicalisé. Le fichage de cette catégorie d'individus a pour objectif de permettre aux services de renseignement de recueillir des informations sur un de leurs objectifs, par le biais des contacts qu'il entretient avec son entourage.
La fiche ne comprend qu'un nombre très limité d'informations et ne mentionne pas les raisons précises de l'inscription de la personne. Aucun antécédent n'est mentionné. C'est pourquoi, notamment, il n'existe aucun classement, aucune hiérarchisation des personnes inscrites au FPR avec une fiche S.
Celle-ci ne constitue pas plus un outil de suivi de la radicalisation, contrairement au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).
En effet, les services de renseignement y ont aussi recours dans le but de recueillir des informations ou d'effectuer des investigations pour d'autres finalités que la prévention du terrorisme, notamment la contre-ingérence, le contre-espionnage ou la lutte contre les extrémismes violents. Peuvent ainsi figurer au FPR, avec une fiche S, les personnes appartenant aux mouvements hooligans, aux mouvances d'ultradroite ou d'ultragauche.
Loin d'être un outil de suivi de personnes considérées comme dangereuses ou radicalisées, la fiche S vise donc à recueillir, de manière confidentielle, des informations sur certains individus.
Peut-elle être améliorée ?
Il faut surtout que l'outil ne soit pas dévoyé, ce qui suppose la préservation d'un certain nombre de principes fondateurs.
Il importe, tout d'abord, de ne pas réduire le champ des fiches S aux personnes les plus dangereuses. Ce serait catastrophique sur le plan opérationnel, le dispositif n'ayant d'intérêt que s'il permet une remontée d'informations via des personnes qui ne sont ni dangereuses ni radicalisées.
Pour éviter les phénomènes d'« hystérie », la possibilité de débaptiser une partie des fiches S a été évoquée au sein du groupe de travail. Je crains que cette solution ne soit inefficace, car il faudra bien donner un nouveau nom à l'outil et rien n'aura changé sur le fond.
Par ailleurs, l'élargissement des personnes habilitées à consulter les fiches S serait inopérant et risqué sur le plan opérationnel. En effet, il nuirait à l'objectif de confidentialité.
Confier ce type d'informations aux maires, par exemple, ne me semble pas envisageable. Le maire prendrait également des risques. Imaginez la réaction de la population s'il arrivait malheur, du fait d'une personne radicalisée, sur un territoire et que l'on découvrait que le maire était informé de cette radicalisation... En outre, il existe un cadre légal permettant déjà l'échange d'informations confidentielles au sein des conseils locaux de sécurité - conseil local ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD ou CISPD). De plus, une instruction du ministère de l'intérieur de novembre 2018 a autorisé le préfet à tenir un maire informé des suites données aux informations que celui-ci aura fait remonter. Cette instruction me semble régler le problème de l'information des maires.
Je n'insiste pas sur l'accès des policiers municipaux ou de l'administration pénitentiaire aux fiches S. Tout élargissement me paraît risqué sur le plan opérationnel.
D'autres idées ont été avancées. Les fiches S peuvent-elles, notamment, servir de fondement à des décisions administratives ou judiciaires ? De toute évidence, non ! Nos règles de droit administratif et pénal l'interdisent ; de telles mesures seraient en outre inconstitutionnelles et contraires à nos engagements internationaux.
Mais, au-delà de l'argument de droit, se trouve un argument d'efficacité : le fichier perdrait toute utilité, car les personnes, se sachant fichées, feraient le choix de la clandestinité. Nous enlèverions ainsi une arme aux services qui nous protègent contre le terrorisme. À ce titre, 75 % des 51 attentats déjoués depuis 2015 l'ont été grâce à une utilisation efficace des fiches S.
L'instant est difficile, mes chers collègues, et tout le monde veut, à juste titre, des résultats. Mais ne nous trompons pas de cible ! Ce n'est pas en mettant à mal cet outil que nous réglerons le problème du terrorisme !
M. Philippe Bas , président. - Ce travail de clarification est essentiel, monsieur le rapporteur. De votre rapport, je tire l'enseignement qu'il ne faut pas dénaturer ce dispositif de surveillance, dont nos services de renseignement ont besoin, surtout si cela entraîne les personnes fichées S dans la clandestinité.
À la fin de votre exposé, vous insistez, sous l'angle strict de l'efficacité, sur le fait que de nombreux attentats déjoués l'ont été à partir d'un travail de surveillance qui a commencé par une simple fiche S. C'est un argument très important ! Les fiches S ne peuvent effectivement pas être regardées comme inefficaces, sous prétexte que des personnes fichées S commettent des attentats. Cela révèle, au contraire, que l'on a bien fait d'entreprendre une première surveillance de ces individus, même si celle-ci n'a pas donné d'indice d'un prochain passage à l'acte, et démontre toute l'utilité de ce maillon de notre chaîne de renseignement, qui doit absolument être préservé.
Je reviens sur un point de procédure. Qui peut procéder à l'ouverture d'une fiche S ? À quel niveau hiérarchique ?
M. François Pillet , rapporteur . - J'ai mentionné les quatre services habilités à ouvrir une fiche S. Je ne peux pas vous apporter plus de précision, mais je ne pense pas que la décision soit prise au plus haut de la hiérarchie.
M. Alain Richard . - C'est une décision collégiale !
M. Philippe Bas , président . - Si je pose cette question, c'est dans l'hypothèse suivante : si une inscription « S » pouvait déboucher sur la mise en place d'un bracelet électronique, une assignation à résidence ou encore une expulsion, il suffirait alors à quelques milliers de fonctionnaires de police de placer un individu dans le fichier pour restreindre, de fait, sa liberté. C'est impensable ! Ce serait un bien trop grand pouvoir accordé à ces fonctionnaires !
M. François Pillet , rapporteur . - Vous évoquez un remake moderne de la lettre de cachet !
M. Henri Leroy . - Comme le rapporteur l'a très bien expliqué, les fiches S ne sont qu'un outil de travail, dont la fonction est très souvent dévoyée par les journalistes. Il s'agit de concentrer, sur un document, des conduites à tenir permettant aux forces de sécurité de faire remonter des informations sur un individu susceptible d'être dangereux pour la sécurité des citoyens et de l'État, ou sur son entourage. À cet égard, la fiche S pourrait relever du classement « confidentiel défense », car livrer ces informations à des personnes qui n'auraient pas la formation et les capacités de les analyser serait également dangereux. J'adhère donc totalement, pour avoir participé aux différentes réunions du groupe de travail, aux préconisations de notre rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur . - Je salue le travail de notre rapporteur. Je suis en total accord avec sa proposition de ne pas transmettre les fiches S aux maires. C'est une proposition démagogique. Que fera le maire de ces signalements ? De quels pouvoirs dispose-t-il ? Comment ne pourra-t-on pas lui reprocher d'avoir été informé si un problème survient ?
Dans le cadre de ce rapport, deux choix s'offraient à nous.
Pour l'attentat de Strasbourg, on a entendu des milliers de fois l'expression « M. X, fiché S » - expression dont personne ne sait ce qu'elle signifie - et cela a suscité de très nombreuses réactions, y compris, hélas, parmi les responsables politiques. Pourquoi cette personne, fichée S, n'a-t-elle pas été « mise à l'abri » ? Comment une personne fichée S peut-elle se balader dans la nature ? Simplement, répondons-nous, parce que la plupart des fichés S n'ont commis aucun crime ou délit et que, pour être incarcéré ou empêcher de nuire en France, il faut une décision motivée, voire judiciaire.
Si l'on ajoute à cela que le FPR comprend 21 catégories, dont la catégorie S, à l'intérieur de laquelle sont énumérés 11 cas de figure, on saisit l'extrême complexité de la problématique.
Il y avait donc deux solutions et, pour ma part, j'étais tenté d'opter pour la seconde - peut-être démagogique, pardonnez-moi -, consistant à changer la locution « fiche S », devenue le support d'un véritable fantasme collectif. Mais, comme le souligne le rapporteur, cela ne changera rien au fond.
On aurait pu également envisager de découper le fichier en plusieurs sous-fichiers, car, il faut aussi le dire, ce peut être le coiffeur ou l'amie d'enfance d'une personne susceptible de commettre un acte terroriste qui va s'y retrouver inscrit. Mais le rapporteur a expliqué les problèmes que cela engendrerait.
Quoi qu'il en soit, le rapporteur a défendu la proposition consistant à expliquer inlassablement les choses. J'y souscris, mais je crains que le rapport n'ait pas toute la force souhaitée sur le plan médiatique.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Je remercie le rapporteur de nous avoir expliqué aussi clairement le fonctionnement de ces fiches S. Les Français ont découvert leur existence avec les attentats de 2015 ; personne, auparavant, ne se posait de question à ce sujet.
La pédagogie est essentielle. Attention à ne pas faire de surenchère sur l'utilisation de ces fiches : cela ne sert à rien, voire crée de l'angoisse et complique la gestion de ces personnes. Le rapport du Sénat sur la menace terroriste publié en juillet dernier a du reste montré que la DGSI avait les moyens de les suivre - et certaines parmi elles sont susceptibles de commettre des attentats.
Maire pendant de nombreuses années dans le Val-d'Oise et très impliquée dans ces questions, j'ai toujours été opposée à la communication des fiches S aux maires, car que feraient-ils de la plupart des informations qu'elles contiennent, hors l'hypothèse où elles concerneraient le personnel municipal ? Le maire peut même gêner les services dans la gestion de ces personnes ! Expliquons à nos concitoyens que les fiches S existent depuis longtemps, qu'elles ne sont qu'un outil parmi d'autres, que la situation dans laquelle nous sommes est complexe et va malheureusement durer longtemps, et que chacun doit avoir la sagesse de laisser les services travailler avec les outils dont ils ont besoin.
Mme Marie Mercier . - Lorsque j'étais maire, j'ai appris incidemment que deux fichés S vivaient dans la même rue. L'un travaillait dans le nucléaire, l'autre dans le transport pour enfants. Vous imaginez mon épouvantable inquiétude quand je l'ai su, puis quand j'ai envisagé que les voisins l'apprennent ! J'ai donc demandé à la police municipale de se renseigner sur ces personnes : les retours ont révélé que ces familles ne faisaient aucunement parler d'elles, mais à l'époque, j'étais totalement désarmée. À présent que nous disposons du rapport de M. Pillet, travaillons avec l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) pour rassurer les élus et ramener le calme dans les esprits.
M. Arnaud de Belenet . - J'ai compris que le rapporteur trouvait déraisonnable de donner aux maires l'accès au fichier, mais qu'il n'était pas hostile à ce que soit formalisée la communication au maire, par le préfet, du nom des personnes y figurant. Cela permettrait en effet de structurer une pratique qui existe, mais qui dépend du bon vouloir et de la disponibilité du préfet et de ses services. Au fond, il ne me semble pas illégitime que l'on puisse indiquer aux maires les noms des personnes figurant dans ce fichier car, disposant déjà d'un grand nombre de capteurs de différentes natures - écoles où les enfants des fichés S sont scolarisés, police municipale, services sociaux, etc. -, ils pourront d'autant mieux renseigner les services de l'État. Pour l'heure, le maire qui fait un rapport circonstancié aux services du préfet ne sait pas quelle suite pourra lui être donnée, ce qui peut l'inciter à accroître une surveillance qui n'est pas toujours légitime.
Mme Brigitte Lherbier . - Merci pour votre passionnante présentation, monsieur le rapporteur. Le fichier contient-il des subdivisions ou des critères de dangerosité ?
M. François Pillet , rapporteur . - Non.
Mme Brigitte Lherbier . - Indique-t-il des modes de filature spécifique ?
M. François Pillet , rapporteur . - Non plus.
Mme Brigitte Lherbier . - Je veux apporter un témoignage sur le système « voisins vigilants ». Certains riverains m'ont alertée après avoir vu arriver dans leur quartier de grosses voitures aux vitres teintées immatriculées en Belgique. Premier réflexe du maire dans cette situation : s'en ouvrir au préfet. Un commissaire spécialisé m'avait alors dit de ne pas ébruiter ces éléments pour ne pas me mettre en danger. Car les maires aussi peuvent se mettre en danger en détenant de telles informations ! Comme Mme Mercier, l'explication de ce matin m'aurait, à l'époque, rassurée. Tout ce que veulent les maires, c'est la certitude que les informations qu'ils transmettent seront bien exploitées.
M. André Reichardt . - Je félicite à mon tour le rapporteur et les membres du groupe de travail. Il est à l'honneur du Sénat et de notre président de commission d'en avoir pris l'initiative, car les confusions et les propositions à la Géo Trouvetou restent nombreuses... Une vulgarisation de ce rapport, à l'initiative du Sénat, serait donc bienvenue.
Le terroriste arrêté à Paris au printemps a de la famille à Strasbourg. J'avais à l'époque demandé aux services du préfet un point sur la situation du terrorisme islamique dans le Bas-Rhin. Cette réunion a eu lieu le 21 septembre. Nous avons été informés à cette occasion que le département abritait 273 fichés S et 40 personnes « susceptibles de passer à l'acte d'un moment à l'autre » - c'est ainsi qu'ils nous ont été présentés... La question de savoir pourquoi rien n'est fait pour les en empêcher n'a alors pas manqué de fuser. Avez-vous connaissance d'une sous-catégorie de ce fichier concernant ces personnes ?
Je suis bien sûr totalement d'accord avec l'impossibilité de divulguer les informations du fichier aux maires. Roland Ries aurait-il eu connaissance des 40 personnes susceptibles de passer à l'acte, il n'aurait pas été davantage en mesure, avec sa police municipale, d'empêcher l'attentat.
J'ai moi aussi, en tant que maire, eu l'occasion de faire remonter des informations transmises par mes concitoyens - voiture aux vitres teintées d'où sortent des hommes munis de valises remplies d'argent, ce genre de choses -, et de rester ignorant des suites qui leur ont été données... jusqu'au moment où, deux ans après, le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) est intervenu. Faire bénéficier les maires d'un meilleur suivi de leurs signalements me semble souhaitable.
En Alsace, je suis certain que 95 % des maires souhaitent l'instauration d'un fichier domiciliaire, et ce pour 36 000 raisons, à commencer par le signalement des enfants non scolarisés, par exemple.
Mme Esther Benbassa . - Je voudrais féliciter le rapporteur, qui nous a donné de très nombreux renseignements de manière très synthétique, ce qui nous permettra de transmettre dans un langage clair le contenu de son rapport.
À en entendre les conclusions, on se demande d'où vient la fixation sur ce fichier. Comme s'il allait régler magiquement tous les problèmes ! De toute évidence, ce n'est pas lui qui arrêtera le terrorisme, même si 75 % des attentats déjoués l'ont été grâce à sa consultation.
Il y a un vrai travail à faire en prison. Malheureusement, il n'est pas fait et les journalistes n'y attachent pas une grande importance. Or la plupart des terroristes sont passés par la case prison, où ils se radicalisent. Il est trop simple de tout réduire à la question du FPR, qui contient des mineurs, des écologistes, des aliénés, et finalement un peu de tout... Il faudrait donc vulgariser les conclusions de ce rapport auprès des journalistes, qui posent tous les mêmes questions, et approfondir le travail en prison.
M. Philippe Bonnecarrère . - Je voudrais joindre mes remerciements à ceux qui ont déjà été exprimés, à notre président pour avoir choisi ce thème de travail, ainsi qu'à notre rapporteur pour la qualité et la clarté de son exposé. Vous nous avez appris beaucoup, monsieur le rapporteur, et vous nous avez surtout aidés à clarifier les choses, ce qui est toujours précieux dans la vie publique. Vous avez été précis tout en anticipant nos interrogations, aussi n'ai-je aucune question à poser. Nous ressortons tous de cette présentation, je crois, soucieux de propager et de vulgariser vos conclusions. Merci donc, de nous aider à transmettre une information utile à l'ensemble de nos collègues.
M. Jean-Yves Leconte . - Je voudrais à mon tour remercier notre rapporteur ainsi que notre président pour son initiative. Ces conclusions devraient faire référence. Celles de la commission d'enquête sur la menace terroriste avaient plutôt tendance à participer à l'hystérie collective sur les fiches S ; notre groupe avait alors estimé qu'un travail plus spécifique sur le sujet s'imposait...
Il est utile que la personne qui présente un risque soit identifiée, même si cela ne l'empêche pas de passer à l'acte. Si les fiches S donnaient lieu à des mesures de privation de liberté, cela changerait complètement les voies de recours et la nature des métiers du renseignement ; en définitive, cela ne ferait que renforcer l'insécurité, ce qui serait très inopportun.
M. Alain Richard . - Ce travail collectif, en relation avec les responsables des services compétents, est très motivant. On n'a jamais mieux justifié le terme de commissaire !
Au fond, le fichier S est la base de l'alambic, ou le haut de l'entonnoir, si vous préférez. Il n'existe pas en réalité de fichier des personnes réellement menaçantes, mais des extractions, des repérages individuels, qui sont le fruit d'une confrontation d'idées entre les services. Ces repérages peuvent déjà, contrairement à ce que l'on entend souvent, donner lieu à des mesures limitatives de liberté : nous les avons votées il y a peu, elles figurent aux articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure et ont toutes été validées par le Conseil constitutionnel.
Ces mesures peuvent s'appliquer à « toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ». Un arrêté individuel de contrainte peut alors être pris, qui reste soumis au contrôle du juge administratif. C'est non pas une fiche S qui sert de base à cette identification, mais le travail individualisé des services compétents, lequel ne donne pas lieu à un sous-fichier mais peut aboutir, par exemple, à une surveillance électronique, pour une durée limitée. Cela interrompt certes toute activité de renseignement puisque les individus sont alors identifiés. Il n'y a, en toute hypothèse, pas besoin de faire une nouvelle loi pour contraindre des gens identifiés comme dangereux : un dispositif conforme aux droits de l'homme existe.
Mme
Françoise Gatel
. - Je remercie à mon tour notre
éminent collègue pour la qualité technique de son rapport,
ainsi que la dimension pédagogique de son travail, car ce fichier S
nourrit l'imagination, et les maires sont tout autant soucieux de
détenir des informations utiles que préoccupés de la
responsabilité qui pourrait leur incomber de ce fait
- surtout
si la connaissance de telles informations n'empêche pas un passage
à l'acte...
Ce n'est pas servir les maires que de leur communiquer ces fiches puisqu'ils ne sauraient qu'en faire. En revanche, lorsque les services de sécurité ou le préfet ont connaissance de la présence d'un citoyen un peu particulier dans une commune, il y a des moyens informels d'en alerter le maire. Certains maires prennent d'ailleurs soin d'avertir la préfecture ou la police lorsqu'ils repèrent une personne au comportement étrange ; cela ne relève pas de la dénonciation, mais du principe de prévention. Je souhaite moi aussi qu'un suivi de ces signalements soit fait par les services de l'État, et qu'une vraie pédagogie soit faite auprès des maires. Que l'État leur explique, par l'intermédiaire des associations d'élus, comment les choses fonctionnent.
M. Vincent Segouin . - Le rapporteur nous a expliqué que les fiches S n'étaient ni un outil de suivi de la radicalisation ni de mesure de la dangerosité. Ma question est simple : faudrait-il créer un tel outil ?
M. François Pillet , rapporteur . - Je remercie M. Richard d'avoir insisté sur le fait qu'il existait des moyens plus efficaces que la fiche S pour fonder des mesures de contrainte. Aucun critère de dangerosité n'est lié aux fiches S.
L'instruction du ministère de l'intérieur du 13 novembre 2018 répond totalement à vos inquiétudes sur l'information des maires, qui peuvent être destinataires d'informations dans trois hypothèses : lorsqu'ils effectuent eux-mêmes un signalement, un retour sur signalement leur est fait ; ils sont encore informés lorsque les personnes situées dans le bas du spectre devraient faire l'objet d'une prise en charge sociale par les collectivités territoriales ; ils sont enfin informés ponctuellement des situations individuelles dont ils ont à connaître. Il y a cependant des limites à ce partage d'information : l'échange ne peut avoir lieu que s'il reste confidentiel et sous réserve de l'accord des services de renseignement et du procureur de la République compétent.
Ce rapport sera transmis à l'AMF, qui a la même position que vous tous, chers collègues. Le rapport est attendu, je puis vous le dire.
Je remercie Mme Eustache-Brinio pour ses propos.
Madame Lherbier, les fiches S sont passives, elles ne prévoient donc pas de filature. Tout au plus permettent-elles de faire remonter au service inscripteur de la fiche S les renseignements collectés sur la personne faisant l'objet de la fiche.
Pourquoi les fiches S sont-elles évoquées dans la presse ? Parce qu'elles proviennent du fichier des personnes recherchées, c'est-à-dire du seul fichier qui ne soit pas secret défense.
À l'inverse, le fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) est un fichier protégé par le secret défense.
Si vous autorisez la publication de ce rapport, une infographie publiée sur le site du Sénat vous donnera un certain nombre d'arguments destinés à lutter contre la désinformation sur ce fichier. Je répète que l'efficacité des fiches S repose sur la préservation de leur confidentialité, car toute personne apprenant son fichage risque d'adopter des stratégies d'évitement susceptibles de priver les services de renseignement d'informations essentielles - de même pour son entourage. Je crains donc que les solutions radicales que l'on peut trouver dans les médias ne soient des solutions simplistes ; or il est rare que des problèmes très compliqués puissent se résoudre par des solutions simplistes. Je crains même que l'enthousiasme légitime à lutter plus efficacement contre le terrorisme n'aboutisse, par la révélation des fiches S, à des résultats contraires à ceux poursuivis.
M. Philippe Bas , président . - Je note l'ultime aphorisme qui nous sera utile dans la communication des conclusions de ce rapport : « il est très rare que des problèmes très compliqués puissent se résoudre par des solutions simplistes »...
La commission autorise la publication du rapport d'information.