TRAVAUX EN COMMISSION
I. AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES (10 AVRIL 2019)
Réunie le mercredi 10 avril 2019, sous la présidence de M. Yvon Collin, vice-président, la commission a entendu M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité.
M. Yvon Collin , président . - Le conseil des ministres a adopté ce matin le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, qui présente, pour cette période, la trajectoire budgétaire retenue ainsi que le scénario macroéconomique sous-jacent.
Cette année, il est l'occasion pour le Gouvernement d'apporter des modifications profondes à sa trajectoire budgétaire afin, notamment, de tenir compte des mesures « gilets jaunes » annoncées en fin d'année dernière.
Compte tenu des enjeux, nous avons souhaité qu'un débat soit organisé en séance publique sur ce programme de stabilité. Il se tiendra le lundi 29 avril à 17 heures. Cela pourrait d'ailleurs être l'occasion pour nous d'interroger le Gouvernement sur l'impact des suites qui seront données au Grand débat national sur la trajectoire budgétaire.
Dans ce contexte, nous avons le plaisir d'accueillir Didier Migaud, afin qu'il nous présente l'avis du Haut Conseil des finances publiques sur ce programme de stabilité, en sa qualité de président. Je précise que cet avis porte uniquement sur les prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité, et non sur le scénario de finances publiques lui-même, conformément à l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012.
M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques . - Je vous remercie de votre invitation. Je suis accompagné de François Monier, rapporteur général du Haut Conseil, de Vianney Bourquard et de Vladimir Borgy, rapporteurs généraux adjoints, et de Cyprien Canivenc, rapporteur.
C'est la septième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le programme de stabilité. Avant de détailler devant vous le contenu de ce nouvel avis, je formulerai deux remarques préalables.
La première porte sur le calendrier. Conformément au droit de l'Union, le programme de stabilité a été établi, comme chaque année, au début du mois d'avril et sera transmis à la Commission européenne d'ici à la fin de ce mois, après des débats à l'Assemblée nationale et au Sénat. Cette contrainte calendaire pèse particulièrement cette année puisque le texte a été bâti indépendamment des suites qui seront données au Grand débat national. Par ailleurs, les conditions de mise en oeuvre du Brexit, dont l'échéance initiale était fixée au 29 mars 2019, continuent de représenter un aléa majeur pour les perspectives de croissance européenne et française.
La seconde remarque concerne le mandat du Haut Conseil des finances publiques. L'examen du programme de stabilité qu'il réalise chaque année porte sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire des finances publiques et non sur la trajectoire des finances publiques, même si notre avis tient compte de l'impact des finances publiques sur la macroéconomie et inversement. Le mandat du Haut Conseil est limité. Il s'appuie sur des prévisions émanant de multiples institutions telles que la Commission européenne, la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que sur les travaux d'autres organismes comme l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la Banque de France, Rexecode et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Avant de vous présenter les observations du Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement, j'interviendrai brièvement sur le contexte macroéconomique dans lequel le programme de stabilité français a été établi. Je vous présenterai ensuite notre appréciation sur les prévisions du Gouvernement portant sur l'année 2019, puis nos observations relatives au scénario macroéconomique établi pour les années 2020 à 2022.
S'agissant du contexte macroéconomique actuel, le Haut Conseil constate d'abord le caractère moins porteur de l'environnement économique mondial et européen dans lequel paraît le programme de stabilité de notre pays. Nous observons en effet un fort ralentissement de la croissance du commerce international depuis la fin de l'année 2018. Ce repli est notamment dû à l'escalade des droits de douane, initiée par les États-Unis, au ralentissement de la croissance des pays émergents, en particulier de la Chine, et aux difficultés qui affectent le secteur automobile dans plusieurs pays. Ainsi, malgré un rebond attendu au cours de l'année 2019, la croissance du commerce mondial en moyenne annuelle se situerait cette année à un niveau plus faible qu'en 2017 et en 2018.
La zone euro connaît pour sa part un fléchissement très prononcé de sa croissance. Le ralentissement de l'activité observé au second semestre de l'année 2018 reflète celui du commerce mondial et a été amplifié, notamment en Allemagne, par les difficultés d'adaptation du secteur automobile lors de la mise en oeuvre de nouvelles normes d'homologation au 1 er septembre 2018.
Aussi, si la zone euro pourrait retrouver au premier semestre 2019 une croissance modérée, tirée par la consommation, les prévisions pour l'ensemble de l'année ont été sensiblement révisées à la baisse. En 2019, les prévisions de croissance pour la zone euro sont en effet comprises entre 1,3 % selon la Commission européenne et le gouvernement français, 1,2 % selon l'OCDE, et 1,1 % selon la Banque centrale européenne, ce qui correspond, quelle que soit l'estimation retenue, à une progression sensiblement inférieure à celle observée en 2017 (2,5 %) et en 2018 (1,8 %).
Depuis la mi-2018, notre pays connaît une croissance un peu plus soutenue que celle de ses principaux partenaires européens. Par rapport à la zone euro, la France a en effet bénéficié au second semestre 2018 d'un investissement des entreprises plus élevé et d'une contribution des échanges extérieurs un peu plus favorable. En revanche, l'investissement des ménages français a été moins dynamique que chez nos voisins européens. De même, la consommation a été atone au quatrième trimestre de l'année 2018 sous l'effet, notamment, des mouvements sociaux intervenus en fin d'année. L'écart de croissance de la France par rapport à la zone euro devrait toutefois se maintenir au premier semestre 2019. Le climat des affaires s'est en effet légèrement redressé aux mois de février et de mars, et se situe actuellement à un niveau un peu supérieur à sa moyenne de longue période. Enfin, la demande intérieure serait renforcée par un rebond de la consommation, soutenu par des gains significatifs de pouvoir d'achat au quatrième trimestre 2018 et au premier trimestre 2019.
Le Haut Conseil estime toutefois que ce contexte macroéconomique présente plusieurs facteurs d'incertitudes susceptibles d'affecter l'activité mondiale et européenne, et en conséquence la trajectoire de croissance française. Tout d'abord, les conditions de mise en oeuvre du Brexit constituent un aléa majeur pour notre dynamique de croissance. Ensuite, nous devons intégrer le risque d'une reprise plus lente que prévu du commerce mondial sous l'effet d'un possible durcissement des tensions protectionnistes, ou d'un ralentissement accru de l'activité en Chine ou aux États-Unis. Enfin l'activité française pourrait être freinée si le ralentissement observé ces derniers mois en Italie et en Allemagne était amené à se poursuivre.
À l'inverse, d'autres facteurs pourraient affecter positivement notre trajectoire. Certains pays européens pourraient ainsi utiliser les marges de manoeuvre budgétaires dont ils disposent pour soutenir davantage l'activité. Je pense également aux politiques monétaires plus accommodantes qui résultent des décisions prises par la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne au cours des derniers mois, qui atténuent le risque d'une remontée rapide des taux d'intérêt.
J'en arrive aux observations formulées par le Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement pour l'année 2019.
La prévision de croissance formulée dans le programme de stabilité pour 2019 par le Gouvernement s'élève à 1,4 %. Elle est donc en baisse par rapport à la prévision de la loi de finances pour 2019, qui s'établissait à 1,7 %. Cette prévision de croissance est en ligne avec celle formulée par plusieurs organisations internationales telles que le Fonds monétaire international et la Commission européenne, qui l'évaluent à 1,3 % pour 2019, ainsi qu'avec celle établie par d'autres organismes qui oscille entre 1,5 % selon l'OFCE, 1,4 % selon la Banque de France et 1,3 % selon Rexecode.
Dans le détail, la consommation des ménages français devrait être soutenue par d'importants gains de pouvoir d'achat résultant de la poursuite de la croissance des revenus d'activité, par le ralentissement de l'inflation et par les différentes mesures fiscales et sociales prises à la fin de l'année 2018. Ces gains de pouvoir d'achat, concentrés sur le quatrième trimestre 2018 et le premier trimestre 2019, ont été jusqu'ici absorbés en grande partie par la hausse du taux d'épargne, qui a atteint un niveau singulièrement élevé. La consommation française dépendra donc au cours des prochains trimestres de la perception qu'auront les ménages de l'évolution de leur pouvoir d'achat et de leur confiance dans l'avenir.
Enfin, la hausse de l'investissement des entreprises devrait également se poursuivre, ce qui est cohérent avec les niveaux élevés de taux d'utilisation des capacités de production.
En résumé, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance pour 2019 formulée dans le programme de stabilité est réaliste. Il en est de même pour les prévisions d'emploi et de masse salariale établies par le Gouvernement pour 2019.
S'agissant de l'inflation, le Haut Conseil juge plausible la prévision du Gouvernement, à 1,3 % pour 2019. Toutefois les premières estimations de l'indice d'inflation du mois de mars 2019 laissent à penser que la hausse attendue de l'inflation sous-jacente pourrait être plus lente que celle prévue par le Gouvernement.
Pour finir, je vous présenterai les observations du Haut Conseil sur le scénario macroéconomique du Gouvernement pour les années 2019 à 2022.
Il convient d'abord d'examiner les hypothèses de croissance de produit intérieur brut potentiel, c'est-à-dire la production dite soutenable qui peut être réalisée sans engendrer de tensions dans l'économie. Le Gouvernement n'a pas modifié ses hypothèses par rapport à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. La croissance potentielle de l'économie française est ainsi estimée à 1,25 % pour chacune des années comprises entre 2018 et 2020. Elle augmenterait cependant très légèrement en fin de période pour tenir compte de l'impact des réformes structurelles, et s'établirait alors à 1,35 % en 2022. Le Haut Conseil renouvelle donc l'avis qu'il a déjà exprimé lors de l'examen de la loi de programmation, considérant que les hypothèses retenues par le Gouvernement pour cette période sont raisonnables. Il convient ensuite d'évaluer la position de l'économie française dans le cycle en 2019 et en 2020. Elle est estimée grâce à l'écart de production, également appelé output gap . Cet écart constitue en principe un indicateur de la capacité de rebond d'un pays quand il est négatif ou d'une perspective de ralentissement quand il est positif. Les estimations du Gouvernement établissent un écart de production très légèrement négatif pour 2018 et 2019, et se situent dans la fourchette des estimations disponibles.
Cependant l'incertitude portant sur l'écart de production est importante. En effet, cet écart ne correspond pas à une donnée observable ou comptable. Ces estimations sont régulièrement sujettes à des révisions significatives. Comme en avril 2018, la fragilité des évaluations de l'écart de production est mise en lumière par les messages divergents délivrés par les indicateurs d'inflation et de tension. Ainsi l'inflation sous-jacente fluctue faiblement et reste à un bas niveau, ce qui ne témoigne pas de signe de tension. En revanche, les taux d'utilisation des capacités de production dans l'industrie manufacturière et les difficultés de recrutement s'établissent depuis 2019 au-dessus de leur moyenne de long terme.
J'en viens au scénario de croissance établi par le Gouvernement pour la période 2020-2022. L'an dernier, dans notre avis sur le programme de stabilité d'avril 2018, nous avions considéré que le scénario d'une croissance effective demeurant continument supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022 était optimiste. Le nouveau scénario présenté cette année se prête moins à cette critique. Le Gouvernement a en effet révisé à la baisse son scénario de croissance par rapport au programme de stabilité transmis en 2018. Les prévisions de croissance établissaient ainsi un taux de 1,4 % par an. Ce niveau est proche de la croissance potentielle jusqu'en 2022. En conséquence, l'écart de production serait durablement proche de zéro. Ce nouveau scénario constitue une base plus raisonnable que dans le programme de stabilité précédent pour établir une trajectoire pluriannuelle de finances publiques.
Pour conclure, j'évoquerai l'impact du scénario macroéconomique présenté par le Gouvernement sur les finances publiques. Dans l'ensemble, le Haut Conseil note que le Gouvernement a souhaité rendre plus crédible le scénario macroéconomique de moyen terme. La comparaison des trajectoires de finances publiques du programme de stabilité transmis en avril 2018 et de celui-ci montre qu'un scénario optimiste de croissance tel que celui de l'an dernier tend à minorer le déficit et à afficher une trajectoire favorable de dettes publiques. Tandis que le solde public effectif devait être positif dans le dernier programme de stabilité à hauteur de 0,3 point de PIB en 2022, celui de cette année prévoit désormais un déficit public de 1,2 point au même horizon. Le programme de stabilité établi en avril 2019 inscrit donc une dégradation du déficit de 1,5 point de PIB par rapport à celui de l'an passé. Dans l'ensemble, cette évolution est expliquée pour un peu plus de la moitié par la révision de la trajectoire de croissance économique sur la période de 2018 à 2022, et pour un peu moins de la moitié par les choix faits en matière de finances publiques, essentiellement le choix d'une baisse plus forte des prélèvements obligatoires sans effort supplémentaire en matière de maîtrise de la dépense publique.
En conséquence, dans le nouveau scénario, en 2022 le solde structurel restera éloigné de l'objectif de moyen terme fixé à moins 0,4 point de PIB. Il serait encore de moins 1,3 point de PIB en 2022 contre moins 0,6 point initialement fixé dans le programme de stabilité établi en avril 2018. La révision du scénario de croissance, et dans une moindre mesure de celui des finances publiques, se traduirait aussi par une modification significative de la trajectoire de diminution du ratio de dette sur PIB.
D'après le programme de stabilité transmis par le Gouvernement, il ne diminuerait sur l'ensemble de la période 2018-2022 que de 1,6 point dans le programme de stabilité d'avril 2019, contre 7,2 points initialement anticipés dans le programme de stabilité établi l'année dernière. La baisse du ratio de dette annoncée ne commencera qu'en 2021, alors qu'elle était attendue à compter de 2018 dans le programme de stabilité d'avril 2018.
Le Haut Conseil relève donc que pour des raisons tenant à la fois aux perspectives de croissance révisée à la baisse et au choix fait d'une baisse plus forte des prélèvements obligatoires, le nouveau programme de stabilité conduit, par rapport au précédent, à une réduction sensiblement moindre des déficits effectif et structurel à l'horizon 2022, et en conséquence de notre dette. Cette évolution rend d'autant plus nécessaire un strict respect des objectifs de dépenses publiques si les pouvoirs publics veulent respecter les engagements pris.
M. Yvon Collin , président . - Je vous remercie.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - L'avis du Haut conseil des finances publiques sur le programme de stabilité a été transmis ce matin même au Parlement - sous embargo alors que son contenu a été en partie diffusé par la presse depuis plusieurs jours. Les ministres eux-mêmes ont distillé des annonces. C'est à se demander à quoi l'on sert ! Le Sénat s'apprête à entendre le Premier ministre parler dans le cadre du Grand débat mais il n'annoncera rien puisqu'il faudra attendre la parole du Président de la République. D'autres mesures budgétaires et fiscales seront proposées par l'exécutif et dans ces conditions, quelle est la crédibilité d'un document déjà dépassé ?
Deux questions néanmoins. D'abord, quel est l'impact sur la croissance des mesures prises en décembre pour répondre au mouvement des « gilets jaunes » ? On a laissé filer le déficit puisque les mesures en recettes ont été différées. Quel est le coefficient multiplicateur retenu pour calculer l'effet retour sur la croissance ? On regrettera que le Sénat n'ait pas été entendu plus tôt, alors que nous proposions déjà il y a un an des mesures en faveur des retraités et sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
Ensuite, avez-vous estimé les effets d'un Brexit « dur » sur l'activité commerciale ?
M. Yvon Collin , président . - Ma première remarque porte également sur la sincérité du projet de programme de stabilité. Comment a-t-on pu élaborer un programme de stabilité indépendamment des suites qui seront données au grand débat national, dont tout laisse à croire qu'elles auront un impact non négligeable sur le scénario budgétaire gouvernemental ? Est-ce à dire que les services de la Commission européenne vont se prononcer dans quelques semaines sur un programme de stabilité déjà obsolète ? Un rectificatif est-il envisageable ?
J'ai par ailleurs une question sur la capacité de rebond de l'économie française, ce que les économistes appellent dans leur jargon « l'écart de production ». Comme vous le soulignez dans votre avis, les conjoncturistes et le Gouvernement estiment que l'économie française aura épuisé sa capacité de rebond à l'issue de l'exercice 2019 et devrait dès lors croître à un rythme proche de son potentiel. Logiquement, la résorption de l'écart de production s'accompagne de tensions sur les salaires et les prix. Pourtant, l'inflation sous-jacente demeure atone. Comment expliquer cette contradiction ?
M. Didier Migaud . - Je ne peux évidemment me prononcer sur les remarques du rapporteur général. Nous avons travaillé dans les conditions habituelles, à partir des documents que le Gouvernement nous a transmis mercredi dernier. Le Haut Conseil des finances publiques a terminé la rédaction de son avis hier dans l'après-midi et l'a immédiatement transmis au Parlement.
Quant à la crédibilité de l'exercice, le scénario macroéconomique, tel qu'il nous a été présenté, nous paraît réaliste. Le fait que le programme de stabilité ait été préparé indépendamment des suites du grand débat et du calendrier du Brexit est la simple conséquence du calendrier européen, qui exige la présentation de ce programme avant la fin du mois.
Les mesures prises pèseront-elles sur la croissance en 2019 ? Ce n'est pas sûr, en revanche, elles pèseront certainement sur le scénario de finances publiques pour la période 2020-2022.
Le coefficient multiplicateur des mesures prises à la suite de la crise des gilets jaunes n'a pu être mesuré. Les mesures prises en faveur du pouvoir d'achat entre le quatrième trimestre 2018 et le premier trimestre 2019 ont eu des effets, mais pas sur la consommation, qui est restée atone au quatrième trimestre 2018. Le lien entre la hausse de pouvoir d'achat et la hausse de la consommation n'est pas systématique. Le Gouvernement prévoit ainsi une augmentation de 2 % du pouvoir d'achat en 2019 et une hausse de la consommation de 1,6 %. Cette hypothèse, qui repose sur un taux d'épargne élevé, nous semble prudente. Le pouvoir d'achat supplémentaire ne sera pas forcément consommé rapidement. Tout dépendra, ensuite, de la confiance des ménages français dans les mesures prises et de leur foi dans l'avenir.
Ces mesures sont intervenues dans un contexte d'affaiblissement de la demande extérieure causé par un ralentissement européen et mondial ; elles peuvent expliquer pourquoi la croissance française a assez bien résisté.
Il n'appartenait pas au Haut Conseil des finances publiques d'estimer les effets du Brexit ; à terme, il peut bien sûr se traduire par des pertes économiques, notamment à cause d'une baisse des échanges commerciaux. Certains instituts ont évalué la perte de croissance pour le Royaume-Uni à deux points de PIB depuis le vote du Brexit, en raison d'une baisse de l'investissement et de la consommation des ménages. Une étude de l'Insee a évalué les effets d'une augmentation des droits de douane sur l'activité française dans deux scénarios : un soft et un hard Brexit. Dans le premier cas, la perte de croissance serait de 0,3 point, étalée sur plusieurs trimestres ; dans le second, de 0,6 point. La France ne serait pas le pays le plus affecté : l'Irlande serait la plus touchée pour des raisons évidentes, mais l'Allemagne y perdrait également beaucoup. Cela explique la volonté de la chancelière d'éviter une sortie sans accord.
Le Fonds monétaire international a lui aussi publié ses prévisions hier. En cas de Brexit sans accord, l'Union européenne perdrait de 0,1 % à 0,4 % de croissance dès 2019, et 0,2 % à 0,4 % supplémentaires jusqu'en 2021. Nul ne peut déterminer avec précision les effets du Brexit ; seule certitude, il n'est bon pour personne...
La croissance potentielle et l'écart de production sont des sujets sensibles au sein de la communauté des économistes. Leur estimation est difficile, et il n'existe aucune méthode pleinement satisfaisante d'estimation. Ce sont néanmoins des notions utiles, et nous continuons à y travailler. L'hypothèse de croissance potentielle présentée par le Gouvernement a paru raisonnable au Haut conseil. Les avis divergent également sur l'écart de production, et la possibilité d'une évolution de la croissance potentielle. Le Gouvernement a évalué l'impact des réformes de structure à 0,1 point : la croissance tendancielle serait ainsi portée de 1,25 % à 1,35 % à l'échelle du quinquennat.
L'OCDE et le FMI intègrent des effets plus importants des réformes structurelles que ne le fait le Gouvernement. Le FMI va jusqu'à 1,5 point de croissance potentielle. En revanche, la Commission européenne diverge totalement dans ses appréciations, car elle ne prend pas en compte les réformes annoncées. Elle part de ce qui est voté effectivement par les parlements.
Vous m'avez demandé si un pays pouvait avoir une croissance effective supérieure à sa croissance potentielle sur une longue période. Je n'ai aucune certitude sur ce point. C'est difficilement envisageable, même si l'Allemagne et les États-Unis ont prouvé que c'était possible.
Actuellement, la prévision de 1,4 % est proche de la croissance potentielle de la France. On peut penser que ce scénario n'est pas déraisonnable.
M. Roger Karoutchi . - Lors de la restitution du Grand débat au Grand Palais, je n'ai pu applaudir que l'annonce du Premier ministre visant à donner plus de pouvoirs à la Cour des comptes.
Plus sérieusement, beaucoup d'économistes et de financiers prédisent l'arrivée d'une crise financière dans les mois qui viennent. Qu'en pensez-vous ? Cet élément a-t-il été pris en compte dans vos évaluations ?
M. Jérôme Bascher . - J'ai bien compris que nous étions en fin de cycle. Cependant, la dégradation du solde budgétaire en fin de période est massive. Y a-t-il eu des mensonges dans le passé ? Le solde ne risque-t-il pas de se dégrader encore avec la révision à la baisse de 0,3 point de la croissance prévisionnelle, même s'il y a de bonnes nouvelles en base ?
M. Michel Canévet . - La loi de finances pour 2019 a été préparée et votée sur des prévisions de croissance de 1,7 %. Aujourd'hui, un certain nombre d'éléments extérieurs, comme la situation aux États-Unis ou le Brexit, sont de nature à affecter cette croissance. L'ajustement à 1,4 % est-il vraiment réaliste, sachant que la croissance au premier trimestre a été de 0,3 % ? Que faudrait-il pour éviter encore une dégradation du ratio d'endettement ?
Mme Christine Lavarde . - Monsieur Migaud, les doutes que vous aviez émis sur la levée de l'impôt dans le cadre de la mise en oeuvre du prélèvement à la source ont-ils été dissipés ? Avez-vous relevé une modification des habitudes de consommation suite à la mise en place du prélèvement à la source ?
M. Bernard Delcros . - Le Gouvernement a annoncé la suppression totale de la taxe d'habitation. Cela représente 10 milliards d'euros, résidences secondaires comprises. Le programme de stabilité 2019-2022 en tient-il compte ? Sinon, quelle sera l'incidence de cette suppression ?
M. Thierry Carcenac . - Vous avez mentionné deux aléas pouvant peser sur l'activité : la sortie du Grand débat et le Brexit.
Moi, je m'inquiète du coût de l'énergie. Le prix du baril est fortement remonté, ce qui impacte le coût de l'énergie en général. Quel impact cela aura-t-il sur le pouvoir d'achat ?
S'agissant du Brexit, ne peut-on pas considérer qu'il y a eu une anticipation des entreprises dès 2018, ce qui aurait eu un impact sur l'activité ?
M. Jean-Claude Requier . - Les mesures de pouvoir d'achat, justifiables malgré leur coût, ne doivent pas faire oublier la nécessité de réhausser la croissance par d'autres canaux. Quels sont selon vous les principaux leviers de croissance du côté de l'offre ?
M. Didier Rambaud . - Le Grand débat a été l'occasion d'un plébiscite pour la Cour des comptes dont personne ne demande la disparition, contrairement à d'autres institutions.
La loi de programmation 2018-2022 a mis en place un nouveau principe budgétaire qui consiste à affecter toute bonne nouvelle en matière de recettes à la baisse du déficit, donc à la réduction de l'endettement, intégralement si cette évolution est conjoncturelle, et à moitié si elle est structurelle. Pouvez-vous faire un point d'étape sur la mise en oeuvre de ce principe ?
M. Didier Migaud . - Nous sommes sensibles à ce qui remonte des territoires s'agissant de la Cour des comptes.
Je ne sais pas s'il faut que la Cour ait plus de pouvoirs. Il faut se prémunir contre le gouvernement des juges. En revanche, il faudrait que les gouvernements puissent davantage motiver leurs choix de ne pas suivre nos recommandations. De tels débats devraient avoir lieu au Parlement, devant l'opinion publique. Je remarque que l'ordre du jour réservé au contrôle dans les deux chambres est plus souvent occupé par des propositions de loi que par des débats de contrôle.
Les Français comprennent mal que des dysfonctionnements soient signalés par la Cour sans que des conséquences en soient tirées par les gestionnaires publics. Entre la responsabilité politique et la responsabilité pénale, je suis convaincu qu'il existe un espace pour une véritable responsabilité administrative et financière.
Le scénario ne prend pas en compte l'éventualité d'une nouvelle crise financière. C'est un aléa, mais qui reste peu probable dans des délais très courts. Il y aura toujours des économistes pour vous dire le contraire, d'autant plus que le souvenir de celle de 2008, que peu avaient anticipée, les incite à la prudence... Il y a des indicateurs dans ce sens, mais d'autres vont dans le sens contraire, comme l'absence d'inflation. Certes les entreprises sont endettées, mais les taux sont bas ; les entreprises françaises ont une trésorerie plutôt correcte, notamment cette année grâce à la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).
La remontée des taux aura lieu un jour ou l'autre. Mais la Réserve fédérale et la Banque centrale européenne feront en sorte qu'elle soit maîtrisée. La charge de la dette sera même vraisemblablement inférieure à ce qui était prévu dans la loi de finance initiale.
Je ne peux pas empiéter dans mes réponses sur les travaux que la Cour mène en ce moment, comme le rapport sur l'exécution du budget de l'État que nous vous remettrons autour du 20 mai et le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques - je pense aux questions de M. Rambaud ou de Mme Lavarde.
Le prix du pétrole retenu dans l'hypothèse, à 65 dollars le baril, est à un niveau bas - en 2008, il était en moyenne de 71 dollars. Mais plusieurs économistes considèrent qu'un ralentissement de l'activité au niveau mondial devrait se répercuter à la baisse sur le prix du pétrole, même si nous n'y assistons pas encore.
Nous pensons que la prévision de croissance est réaliste. Les deux premiers trimestres devraient être assez bons, compte tenu des gains de pouvoir d'achat, avec une croissance de 0,4 % à chaque fois, selon l'Insee, ce qui permet un acquis de croissance de 1,1 %. Espérer 0,3 % de plus pour les deux trimestres suivants semble réaliste.
J'entends parfois que le scénario est optimiste à 0,1 point près. Les écarts peuvent être beaucoup plus importants : ayons un peu de recul face à un chiffre qui ne peut être que provisoire. Mais, je le répète, 1,4 % me semble réaliste.
Quelles sont les conséquences du programme de stabilité ? Comment expliquer que le ratio de dette évolue moins positivement que prévu ? Il y a d'abord les révisions de croissance : si on passe de 1,7 % à 1,4 %, cela a des conséquences. Il y a aussi les mesures supplémentaires prises en matière de baisse des prélèvements obligatoires : l'effort de maitrise des finances publiques restant au même niveau, le déficit est plus grand. Cela implique une vigilance d'autant plus forte sur la maîtrise des dépenses. L'effort proposé est plus ambitieux que les années précédentes, mais cela ne suffit pas à faire face à la baisse des prélèvements obligatoires. C'est ce qui explique le solde dégradé par rapport aux prévisions de l'année dernière. Tous les effets ont été pris en compte, indépendamment d'éventuelles mesures nouvelles qui pourraient être annoncées à la suite du grand débat.
Nous aurons l'occasion de revenir à ces sujets lorsque nous évoquerons les rapports sur l'exécution du budget de l'État et sur la situation et les perspectives des finances publiques.
M. Yvon Collin , président . - Merci, Monsieur le président, d'avoir fait preuve de la même rigueur que d'habitude et d'avoir rappelé notre mission en matière d'évaluation et de contrôle.